Marc Bieler est à la tête de Canneberges Bieler, le plus gros producteur de canneberges du Québec, et même de tout le Canada. La superficie cultivée représente 1 500 acres, soit 600 hectares, répartis sur six fermes, dont trois dans la région du Centre-du-Québec et deux dans celle du Lac-Saint-Jean. Bon an, mal an, ce sont plus de 20 000 tonnes de fruits que Canneberges Bieler récolte et vend à la coopérative Ocean Spray à des fins de transformation. L’entreprise dégage un chiffre d’affaires de 25 millions de dollars et emploie une quarantaine de personnes en permanence, auxquelles s’ajoutent chaque été environ trente travailleurs saisonniers.
C’est en 1984 que Marc Bieler se lance dans la culture de la canneberge. Ă€ l’époque, ce diplĂ´mĂ© en agriculture du Collège Macdonald de łÉČËVRĘÓƵ (1958) et bachelier en arts de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ (1964) possède dĂ©jĂ des vergers. « Je suis un amant de la terre depuis toujours », confie-t-il en entrevue. Son rapport intime avec le sol nourricier date de son enfance, de ses Ă©tĂ©s en Suisse chez ses parents maternels, la famille de Candolle, botanistes renommĂ©s.
Après ses études, il orbite autour du monde agricole, devenant tour à tour marchand de grains puis fonctionnaire au ministère de l’Agriculture du Québec. Sa rencontre avec le grand écologiste Pierre Dansereau vers 1970 est déterminante dans sa prise de conscience des risques liés aux bouleversements climatiques et son souci concomitant d’une agriculture durable.
Pour diversifier sa production et se protéger des aléas de la météo, Marc Bieler se lance dans la culture de la canneberge. Pourquoi ce fruit? Le Québec est riche en tourbières, des terres propices à cette culture, explique-t-il. Mais ce potentiel est peu reconnu, et comme ces terres sont jugées impropres à la production agricole, on peut les acquérir pour un prix modeste.
Marc Bieler inaugure sa première cannebergière à Saint-Louis-de-Blandford, à une vingtaine de kilomètres au nord de Victoriaville, dans le Centre-du-Québec, une région idéale pour la canneberge. Multipliant les investissements, il étend la superficie mise en culture et se lance dans la transformation et la commercialisation de ces produits. « Monsieur Bieler, c’est un entrepreneur, me dit d’emblée la directrice de l’Association des producteurs de canneberges du Québec (APCQ), Monique Thomas, lorsque je lui demande de me résumer l’homme. C’est aussi un rassembleur. » Ses initiatives font boule de neige : la région est aujourd’hui l’épicentre de la production québécoise de canneberges. Les trois quarts des cannebergières québécoises s’y trouvent et elles fournissent environ 85 % du volume.
Au fil des ans, l’attachement de Marc Bieler pour son patelin d’adoption ne dérougit pas. Tour à tour, l’homme d’affaires contribue à la construction à Saint-Louis-de-Blandford d’un centre récréatif qui porte son nom, il contribue – via sa fondation – à l’organisme régional Partenaires 12-18 qui vient en aide aux jeunes, et il appuie activement les activités du Centre d’interprétation de la canneberge et le festival annuel Canneberge en fête. En outre, en 1994, il sert de premier président de l’APCQ, qu’il vient de cofonder pour soutenir la croissance de l’industrie de la canneberge et, par extension, celle de l’économie régionale.
Quand je l’interroge sur son engagement social, Marc Bieler reste modeste. « La municipalité a toujours été un bon partenaire pour nous, elle a aidé l’entreprise dans ses démarches, ses achats de terrain, ses demandes de permis. Il s’agissait de lui remettre quelque chose. » Mais pour Monique Thomas, qui est à l’APCQ depuis quinze ans, pas question d’atténuer son rôle : « Il a probablement sauvé Saint-Louis-de-Blandford. Le village était appelé à mourir; il l’a revitalisé. C’est un mécène. » Et au-delà des actions directes de Marc Bieler, la multiplication des cannebergières a généré de grandes rentrées d’argent en impôt foncier.
Le monde agricole quĂ©bĂ©cois traverse une pĂ©riode très difficile, mais Marc Bieler n’est pas inquiet outre mesure pour la pĂ©rennitĂ© de Canneberges Bieler et celle de l’industrie de la canneberge. « Nos rendements sont excellents, meilleurs qu’en Colombie-Britannique et que dans la plupart des territoires de production aux États-Unis », explique-t-il. Les investissements dans les technologies ont Ă©tĂ© nombreux, comme l’ont Ă©tĂ© les partenariats avec des chercheurs de pointe aux universitĂ©s łÉČËVRĘÓƵ, Laval et Cornell. « Nous sommes les experts dans cette culture, ajoute-t-il. Nous sommes prĂŞts Ă relever les dĂ©fis climatiques. » MĂŞme son de cloche chez Monique Thomas : « Les changements climatiques menacent moins notre production que d’autres. Notre industrie est plutĂ´t jeune et tout est informatisĂ©. » Grâce aux tensiomètres agricoles, par exemple, les producteurs peuvent savoir en temps rĂ©el l’état d’humiditĂ© du sol et optimiser l’irrigation et le drainage.
Cela dit, Marc Bieler est conscient du dĂ©fi que posent les changements climatiques pour les gĂ©nĂ©rations Ă venir. En 2020, après la vente des activitĂ©s de transformation Ă Ocean Spray, son Ă©pouse Marie et lui se sont engagĂ©s Ă verser 15 millions de dollars sur vingt ans Ă l’École de l’environnement de łÉČËVRĘÓƵ, rebaptisĂ©e École Bieler depuis. Ce don, le plus gĂ©nĂ©reux du genre jamais reçu par l’institution, Marc Bieler le voit d’abord « comme un investissement dans la santĂ© actuelle et future de notre planète ». Avec Marie Bieler, il a fait un autre investissement important en 2023, de trois millions de dollars, qui a permis Ă l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ de crĂ©er une nouvelle chaire de recherche sur le changement climatique et la durabilitĂ© dans le Nord.
L’industrie a les reins solides. L’entreprise familiale des Bieler aussi. La canneberge, à l’évidence, n’est pas qu’un superaliment pour le corps humain – c’est aussi une superculture qui n’a pas fini de prodiguer ses bienfaits.