Cet été, 14 étudiants et étudiantes en droit se sont rendus à Winnipeg pour vivre une expérience d’apprentissage exceptionnelle avec le professeur Aaron Mills : un cours sur le terrain de quatre semaines sur le droit anichinabé, donné en partenariat avec la Commission des relations découlant des traités du Manitoba.
En 2020, afin de rĂ©pondre Ă l’appel Ă l’action de la Commission de vĂ©ritĂ© et rĂ©conciliation qui demandait aux Ă©coles de droit de s’intĂ©resser aux systèmes juridiques autochtones, la FacultĂ© de droit de łÉČËVRĘÓƵ a crĂ©Ă© Traditions juridiques autochtones, un nouveau cours obligatoire pour les Ă©tudiants de première annĂ©e en droit.
Le cours sur le droit anichinabé est la suite de ce cours d’introduction. « Ce cours enseigne le droit autochtone selon des méthodes autochtones », explique Aaron Mills, Anichinabé et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en constitutionnalisme et philosophie autochtones. « Nous avons dû sortir de la salle de classe pour aller sur le terrain et interagir avec des membres de communautés autochtones. »
La perspective anichinabée du droit
Afin d’atteindre cet objectif, Aaron Mills a demandé à un détenteur et à une détentrice du savoir traditionnel anichinabé, l’aîné Harry Bone et Grand-mère Sherry Copenace, d’enseigner avec lui. « Ils ont été mes enseignants pendant de nombreuses années. Nous faisons profiter le groupe de qualités très différentes, mais nous partageons le même engagement », précise Aaron Mills. Ce dernier souligne que, pendant quinze ans, il s’est attaché à mieux comprendre le droit anichinabé, guidé par sa grand-mère, décédée il y a un an, et d’autres aînés. « Mes relations de longue date avec eux ont servi de base à ce cours », précise-t-il.
MĂŞme si le droit anichinabĂ© et les traditions juridiques d’origine europĂ©enne que sont le droit civil et la common law sont profondĂ©ment diffĂ©rents, « ils jouent le mĂŞme rĂ´le social, mais de façons très diffĂ©rentes », explique le professeur Mills. Afin que les Ă©tudiants et les Ă©tudiantes le voient comme un système juridique et non simplement comme un phĂ©nomène culturel, la première semaine du cours est consacrĂ©e au constitutionnalisme anichinabĂ© qui oriente la comprĂ©hension du droit au sein de ce système. « Dans la vision du monde des AnichinabĂ©s, tout est reliĂ©, la terre est intrinsèquement bonne et les relations entre les choses sont enrichissantes pour nous parce que tout ça fait partie de l’équilibre et de l’harmonie prĂ©vus par le CrĂ©ateur. Ainsi, la question fondamentale que nous nous posons Ă propos de la vie en sociĂ©tĂ© n’est pas le traditionnel contrat social selon lequel nous nous demandons ce qu’est une sociĂ©tĂ© juste, et quelles institutions et quels processus sont nĂ©cessaires Ă sa crĂ©ation et Ă son maintien. Nous nous demandons plutĂ´t quelle est notre place dans l’ordre qui existe dĂ©jĂ .Ěý»
Le droit anichinabé prend souvent la forme de récits – des enseignements intégrés à des histoires, des chansons et des cérémonies – qui doivent ensuite être interprétés dans le contexte d’un événement ou d’un conflit. « Au lieu d’une loi figée, il y a un raisonnement juridique, car dans tous les cas, nous devons raisonner pour obtenir une réponse », explique Aaron Mills. Comme l’indique sa collègue enseignante Sherry Copenace : « La loi ne sert pas à forcer les gens à faire des choses. Nous voulons plutôt que les gens, grâce aux enseignements que nous leur prodiguons, aient envie de respecter les lois pour leur propre bien-être et pour le bien-être de la société. Il revient à chaque personne d’interpréter de quelle manière elle doit assumer sa responsabilité à l’égard de cette loi. »
Un sentiment d’appartenance
Les enseignants et l’enseignante ont présenté le droit anichinabé d’une façon qui concorde avec les méthodes d’apprentissages anichinabées. « Nous commencions habituellement la journée par les enseignements des aînés ou d’autres gardiens du savoir à propos de la notion à l’étude, puis nous nous placions en cercle pour dire ce que cela signifiait pour nous », raconte Catherine Dunne, qui commençait alors sa deuxième année d’études. À la fin de chaque semaine, les étudiants et les étudiantes livraient par écrit leurs réflexions sur leur apprentissage. « Au début, nous voulions que les étudiants trouvent par eux-mêmes les moyens de comprendre les notions », raconte Sherry Copenace. Mais les premières réflexions hebdomadaires ont montré qu’ils avaient de la difficulté à comprendre les concepts de base. La semaine suivante, les enseignants et l’enseignante ont donc donné des exemples concrets. « Les étudiants ont l’habitude d’apprendre de cette façon, mais nous leur avons précisé que c’est un peu un cadeau que nous leur faisons, parce que ce n’est pas la manière dont nous enseignons ou apprenons habituellement », explique Sherry Copenace.
Les étudiantes et les étudiants se sont familiarisés avec le droit anichinabé durant leur cercle d’apprentissage, qui avait lieu du lundi au jeudi, et lors des sorties du vendredi. Le groupe est notamment allé voir les formations rocheuses anciennes de Whiteshell à Bannock Point, où un aîné a expliqué leur lien avec les récits fondateurs anichinabés.
« Nous sommes allés sur le terrain pour assister à des cérémonies, comme la cérémonie de la hutte à sudation, et je trouve que la grande diversité des expériences que nous avons vécues m’a permis d’avoir un portrait plus complet du droit anichinabé, estime Ellen Spannagel, étudiante de quatrième année. Le cours a été enrichissant à tous les points de vue et ce fut la plus belle expérience de mon parcours en droit parce que j’en ai non seulement appris beaucoup sur le droit anichinabé, mais j’ai aussi noué de précieuses relations avec les personnes de ma cohorte, les détenteurs du savoir et le professeur Mills et sa famille. Ce sentiment d’appartenance au groupe a vraiment donné vie au cours. » En effet, le sentiment d’appartenance est un élément important du droit anichinabé et, pour le favoriser, Aaron Mills organisait des soupers hebdomadaires où toute la classe était conviée.
L’ensemble des participants ont dit espĂ©rer que le cours devienne un Ă©lĂ©ment rĂ©gulier du programme. « J’ai trouvĂ© łÉČËVRĘÓƵ très courageuse; c’est un grand pas pour une universitĂ© d’aller au Manitoba et de s’associer Ă la Commission des relations dĂ©coulant des traitĂ©s du Manitoba pour donner ce cours, conclut Sherry Copenace. Le professeur Mills et l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ font ainsi savoir que le droit autochtone a toujours existĂ© et qu’il est important. »
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Le cours avait lieu Ă The Forks, Ă Winnipeg, et les Ă©tudiants logeaient dans une rĂ©sidence universitaire. Des fonds provenant de l’une des chaires Tomlinson de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ ont couvert une petite partie des dĂ©penses des participants. Des fonds supplĂ©mentaires ont Ă©tĂ© fournis, au besoin, pour le paiement des frais de transport aĂ©rien et d’hĂ©bergement.