Les forêts de l’est de l’Amérique du Nord pourraient stocker plus de dioxyde de carbone
Face à la menace du changement climatique, la recherche de lieux capables d'absorber le dioxyde de carbone présent dans l'air bat son plein. Parmi les « pièges » à gaz à effet de serre évidents, les océans et les arbres imposants des forêts tropicales humides figurent en première place. Cependant, les forêts tempérées ont également un rôle à jouer et pourraient, selon une nouvelle recherche, capturer davantage de dioxyde de carbone qu'on le pensait.
Dans le cadre d'une étude réalisée à partir d'ensembles de données anciennes et actuelles, Jeanine Rhemtulla, boursière de recherches postdoctorales au département de géographie de l'Université ³ÉÈËVRÊÓƵ, et David Mladenoff et Murray Clayton de l'Université du Wisconsin-Madison ont quantifié et comparé le dioxyde de carbone présent dans les arbres des forêts du Wisconsin juste avant l'arrivée des Européens et le développement de l'exploitation forestière avec celui contenu aujourd'hui dans ces forêts.
Dans le dernier numéro de la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences, les chercheurs expliquent que malgré des dizaines d'années de régénération forestière, les régions boisées du Wisconsin contiennent encore environ deux tiers seulement des quantités de dioxyde de carbone présentes dans les forêts à l'époque précédant la colonisation - ce qui laisse supposer que la forêt pourrait absorber encore des quantités importantes de dioxyde de carbone.
« Il existe probablement davantage de possibilités de stockage du dioxyde du carbone qu'on le croit », explique David Mladenoff. Il ajoute que les possibilités de stockage réelles sont probablement au moins deux fois plus importantes qu'ils ne l'ont calculé avec Jeanine Rhemtulla, étant donné qu'ils ont mesuré les quantités de dioxyde de carbone de la biomasse de surface seulement, soit dans les troncs, les branches et le feuillage des arbres et n'ont pas tenu compte du dioxyde contenu dans les racines et dans le sol.
Ces résultats sont intéressants entre autres pour les régions de l'est de l'Amérique du Nord où les forêts ont été défrichées au profit de terrains agricoles avant de reprendre leurs droits lorsque les colons ont quitté leurs fermes pour se déplacer vers l'Ouest. Dans le Wisconsin, par exemple, la biomasse forestière et le dioxyde de carbone n'ont cessé d'augmenter depuis l'apogée du défrichement des terres agricoles dans les années 1930, tandis que les forêts dans le nord-est des États-Unis se régénèrent depuis environ 125 ans.
C'est précisément à cause de la régénérescence constante de nombreuses forêts tempérées que les gens ont tendance à penser que leur potentiel de stockage de dioxyde de carbone est « saturé », explique David Mladenoff. « Nos résultats montrent que nous devons réexaminer ce potentiel. Il serait plus judicieux de réfléchir à notre utilisation de la forêt - comment nous l'exploitons, comment nous la gérons - plutôt que de définir les limites intrinsèques de la forêt en matière de stockage de carbone. »
Ces conclusions surviennent au moment d'importantes discussions dans le cadre de la mise en place de traités internationaux et de systèmes de comptabilité visant à réduire les émissions de CO2 et à lutter contre le changement climatique. À l'avenir, par exemple, les pays qui préserveront des forêts anciennes riches en carbone ou qui reboiseront d'anciennes terres agricoles bénéficieront de crédits de CO2 supplémentaires.
Des régions auparavant couvertes de grandes quantités de biomasse forestière pourraient devenir des lieux idéals pour planter des peupliers hybrides et cultiver d'autres biocarburants, explique David Mladenoff. Mais il met en garde contre la tentation de convertir davantage de terres en forêts sans prendre en compte certains facteurs sociaux et économiques contradictoires, tels que le besoin de terres agricoles.
En fonction des niveaux de carbone passés, les chercheurs ont calculé que la majorité des terres les plus propices au reboisement dans le Wisconsin se trouvent dans la région centre-nord et sur la rive nord du lac Michigan. Si ces terres retrouvaient leur proportion de forêts d'avant la colonisation, elles pourraient absorber, d'après les scientifiques, 150 téragrammes de dioxyde de carbone de plus (150 millions de tonnes métriques) comparativement à la quantité actuelle totale évaluée à environ 275 téragrammes dans l'État.
Or la majorité de ces terres agricoles sont encore exploitées, ce qui soulève un enjeu important pour les responsables de politiques : comment équilibrer les avantages économiques actuels de l'activité agricole et les avantages environnementaux futurs du stockage de dioxyde de carbone.
« Oublieux des services invisibles que nous procurent gratuitement les écosystèmes, tels que la régulation du climat, nous n'en tenons généralement pas compte pour prendre des décisions", explique Jeanine Rhemtulla. « Mais un changement s'impose si nous voulons trouver de nouveaux moyens de combler nos besoins immédiats sans mettre en péril des services essentiels à long terme. »