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Anne Cockcroft : la chercheuse participative

Anne Cockcroft, M.D., est clinicienne et chercheuse en santĂ© publique avec une formation en mĂ©decine respiratoire et du travail au Royaume-Uni. Actuellement basĂ©e au Botswana, elle travaille avec une organisation Ă  but non lucratif de recherche et de formation, CIET (Community Information for Empowerment and Transparency), depuis 1994. Elle a entrepris des projets de recherche participative communautaire Ă  grande Ă©chelle dans plus de 20 pays, principalement en Afrique australe et occidentale, en Asie du Sud et au Canada. Elle a Ă©tudiĂ© chez les populations les plus vulnĂ©rables l’accès et l’expĂ©rience des services de santĂ©, travaillant avec ces populations et avec les prestataires de services pour obtenir des donnĂ©es probantes qui permettent de dĂ©velopper des services Ă©quitables et efficaces. Elle est membre de PRAM (Recherche participative Ă  łÉČËVRĘÓƵ), un groupe de recherche au sein du DĂ©partement de mĂ©decine de famille, qui promeut les bourses d’études sur la recherche participative, offre une expertise et une formation dans le domaine et stimule la participation de la communautĂ© et des patients dans tous les aspects des soins de santĂ©.

Les projets de recherche internationaux de la Dre Cockcroft couvrent une variĂ©tĂ© de questions clĂ©s telles que la prĂ©vention du VIH, la violence sexiste, la santĂ© maternelle et infantile et la santĂ© sexuelle et reproductive des adolescents. En Afrique australe, la Dre Cockcroft a formĂ© des professionnels de la santĂ© et des chercheurs Ă  la planification fondĂ©e sur des donnĂ©es probantes. Elle a dirigĂ© un projet financĂ© par la °ä´ÇłľłľłÜ˛Ô˛ąłÜłŮĂ© de dĂ©veloppement de l'Afrique australe visant Ă  former des chercheurs sur le VIH et des planificateurs de la santĂ©, en anglais, français et portugais.

La remise en question de sa propre vision du monde

Historiquement, les chercheurs occidentaux travaillant dans les pays à revenu faible ou intermédiaire avaient une approche colonialiste visant à changer les comportements et les attitudes qu’ils jugeaient inappropriés. La culture locale n’était pas respectée et on s’imaginait que les approches venant du monde occidental pouvaient s’appliquer à tous les contextes. C’est une situation problématique qui perdure encore aujourd’hui, exacerbée par la sous-représentation des chercheurs originaires des pays de l’hémisphère sud. Ce sont en effet les chercheurs des pays à revenu élevé qui mènent toujours l’essentiel de la recherche sur les questions de santé et de développement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Près des trois quarts des articles publiés dans les 20 meilleures revues sur le développement (1990-2019) ont été rédigés par des chercheurs de l’hémisphère nord. De plus, non seulement les chercheurs du Sud ont moins de publications, mais ils sont également cités moins souvent (Amarante et Zurbrigg, 2022).

On s’intéresse de plus en plus à la recherche participative depuis quelques années. La Dre Cockcroft et ses collègues du PRAM ouvrent la voie; leur objectif est l’engagement transformateur des chercheurs avec les décideurs, les prestataires de soins de santé, les patients et les communautés dans la coproduction et l’utilisation des connaissances pour améliorer la santé et les soins de santé. Ils offrent des formations novatrices et respectueuses de la culture pour que la prochaine génération de chercheurs soit équipée pour développer des projets de recherche participative et mettre en application les connaissances. Les méthodes du PRAM abordent les priorités en soins de santé : partenariats respectueux, dialogues interculturels et recherches axées sur l’équité, en particulier en soutenant les individus les plus marginalisés qui vivent dans des milieux pauvres en ressources.

« Une façon d’éviter une approche colonialiste en recherche est de remettre en question notre propre vision du monde. En recherche participative, il faut s’ouvrir à l’écoute et à l’apprentissage », explique la Dre Cockcroft.

En recherche participative, les personnes affectées par un problème participent à la conception, à la mise en œuvre et à la mesure des effets des interventions. Certains chercheurs croient que ce que les gens savent ou pensent à propos d’une question donnée n’a pas de valeur scientifique, ce que réfute la Dre Cockcroft. La recherche participative emploie diverses méthodes, à la fois quantitatives (les données numériques) et qualitatives (au-delà des chiffres). Des méthodes telles que la cartographie cognitive floue peuvent explorer les facteurs liés à la santé ayant une pertinence locale et d’autres éléments qui éclairent les stratégies et les politiques fondées sur des données probantes. La Dre Cockcroft a parfois utilisé des technologies innovantes pour le contrôle de la qualité dans le cadre de ses recherches. Lors de ses recherches dans l’État de Bauchi (Nigéria), par exemple, elle a utilisé des combinés compatibles GPS pour les visites à domicile afin de permettre une surveillance à distance et un contrôle de la qualité robustes. Les améliorations logicielles ont empêché la soumission d’enregistrements invalides.

Transformer les connaissances en changements positifs

Certaines des recherches menées par la Dre Cockcroft et ses collègues ont conduit à l’élargissement de la portée d’interventions qui avaient fait leurs preuves dans un contexte de recherche. La Dre Cockcroft soutient que les décideurs ont besoin de preuves avant d’allouer des fonds aux services qui seront les plus efficaces. L’État de Bauchi (Nigéria), où la mortalité maternelle est parmi les plus élevées au monde, en est un exemple : l’équipe de recherche de la Dre Cockcroft a vérifié si des visites à domicile chez les femmes enceintes et leurs conjoints, lors desquelles on présentait des preuves locales sur les risques pour la santé maternelle et infantile, pouvaient inciter les ménages à prendre des mesures pour améliorer la santé de la mère et de l’enfant. La recherche a porté sur près de 30 000 ménages et a mené à une réduction de 20 % de la morbidité maternelle et infantile.

« Cette étude a soutenu notre cadre conceptuel, selon lequel les ménages apportent des changements après avoir franchi une séquence d’étapes intermédiaires, en commençant par entendre parler des preuves locales », explique la Dre Cockcroft.

La recherche a spécialement stimulé la participation des hommes au moyen de visites séparées, et les résultats ont révélé un changement des connaissances et des attitudes masculines. Elle a également démontré que des améliorations de la santé maternelle et infantile sont possibles grâce à des mesures au niveau des ménages, même sans améliorer l’accès aux services de santé de qualité. Les données probantes démontrant les bienfaits des visites à domicile ont convaincu le gouvernement de s’engager à déployer le programme dans tout l’État.

L’incapacité de choisir est un moteur de l’épidémie de VIH

Une autre partie du travail de la Dre Cockcroft concerne la prévention du VIH en Afrique australe et au Botswana, où la prévalence de l’infection chez les adultes est parmi les plus élevées au monde. Au Botswana, environ un adulte âgé de 15 à 49 ans sur cinq vit avec le VIH et la plupart des nouvelles infections surviennent des jeunes femmes. Une étude réalisée au Botswana, en Namibie et au Swaziland a révélé que les jeunes femmes qui vivent de la violence conjugale, dont le revenu contraste avec celui de leur partenaire, qui ont reçu peu d’éducation ou qui sont très pauvres ont un risque beaucoup plus élevé de contracter le VIH que les jeunes femmes qui n’ont aucun de ces facteurs. Le scénario selon lequel il est possible de mettre un frein à l’épidémie de VIH simplement en éduquant la population sur les risques ne tient pas compte des causes sous-jacentes.

« Les facteurs structurels perpétuent l’épidémie de VIH parce qu’ils conduisent à l’incapacité de choisir, et les gens sont contraints de faire des choix pour se protéger contre le VIH, même lorsqu’ils connaissent les risques et savent comment les éviter », explique la Dre Cockcroft.

La Dre Cockcroft souligne que s’il était possible d’éliminer ou d’atténuer l’incapacité de choisir, on pourrait réduire les nouvelles infections par le VIH, en particulier chez les jeunes femmes. L’essai INSTRUCT (Inter-Ministerial National Structural Intervention Trial) est une initiative de prévention de l’infection par le VIH au Botswana qui teste les effets d’un ensemble d’interventions structurelles axées sur les jeunes femmes et les personnes aux prises avec une incapacité de choisir. Cette étude d’envergure nationale, dirigée par le CIET et la NACA (agence nationale de coordination de la lutte contre le sida) du Botswana, a déployé, dans cinq districts du Botswana, des interventions visant à développer les habiletés nécessaires à la vie courante chez les jeunes femmes et à les aider à accéder aux programmes de soutien gouvernementaux.

En quoi ces recherches menées dans les pays à revenu faible ou intermédiaire sont-elles pertinentes pour les Canadiens et Canadiennes ? La Dre Cockcroft nous rappelle que la recherche participative est tout aussi pertinente au Canada qu’ailleurs. Partout, les gens peuvent apporter leurs connaissances et leur expérience pour trouver des solutions aux problèmes de santé. PRAM entreprend d’ailleurs des projets de recherche participative au Canada, notamment dans les communautés inuites du Québec pour promouvoir le respect culturel et lutter contre le racisme institutionnel.

« La recherche est inutile, à moins qu’elle vise à améliorer la vie des gens. Je suis touchée par les gens avec qui je travaille tous les jours », déclare la Dre Cockcroft.

Et cette humble chercheuse améliore effectivement le sort des personnes de partout dans le monde.

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