Richard Budgell, Inuk du Labrador, donne des cours et des confĂ©rences, publie et mène des recherches sur la santĂ© des Inuits. Avant de se joindre au DĂ©partement de mĂ©decine de famille de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ, il a Ă©tĂ© fonctionnaire au gouvernement fĂ©dĂ©ral dans le domaine de la santĂ© des Premières Nations et des Inuits et dans d’autres secteurs liĂ©s aux Autochtones pendant plus de 30 ans. Il a reçu la MĂ©daille du jubilĂ© de la reine Elizabeth II en 2002 pour les services publics exemplaires qu’il a rendus en participant Ă la crĂ©ation du Programme d’aide prĂ©scolaire aux Autochtones, un programme de dĂ©veloppement de la petite enfance pour les enfants et les familles des Premières Nations, inuits et mĂ©tis. Il est titulaire d’une maĂ®trise ès arts en Ă©tudes canadiennes (concentration autochtone) de l’UniversitĂ© Carleton et a commencĂ© des Ă©tudes doctorales en histoire Ă łÉČËVRĘÓƵ en 2021. Il participe Ă divers projets de recherche, notamment sur la sĂ©curitĂ© culturelle des Inuits dans les soins de santĂ© et sur la communautĂ© inuite du sud du QuĂ©bec. Le professeur Budgell a Ă©tĂ© nommĂ© professeur adjoint au DĂ©partement de mĂ©decine de famille en 2020. |
Alex M. McComber est Kanien'keha:ka (peuple du silex, Mohawk), du clan de l’Ours, du territoire de Kahnawake sur le fleuve Saint-Laurent, en face de MontrĂ©al (QuĂ©bec). Après 20 ans dans le milieu de l’enseignement secondaire de Kahnawake, oĂą il a Ă©tĂ© enseignant et directeur de la Kahnawake Survival School, il a pris part au Kahnawake Schools Diabetes Prevention Program (KSDPP), un projet de recherche participative communautaire menĂ© depuis 28 ans en partenariat avec le groupe PRAM (Recherche participative Ă łÉČËVRĘÓƵ) du DĂ©partement de mĂ©decine de famille. Ces expĂ©riences l’ont amenĂ© Ă ancrer sa pratique dans la promotion de la santĂ©, le bien-ĂŞtre holistique, la recherche autochtone, la mobilisation communautaire et le renforcement du pouvoir d’agir. Au DĂ©partement de mĂ©decine de famille, il se concentre sur l’enseignement, l’élaboration de programmes d’études, le mentorat (auprès des enfants, des jeunes et des Ă©tudiants autochtones de niveau postsecondaire). Ă€ titre de codirecteur du projet d’expertise autochtone de la SRAP, il vise Ă outiller les patients autochtones pour les aider Ă transformer le système d’apprentissage en santĂ© du QuĂ©bec. Il est Ă©galement ancien directeur du RĂ©seau de mentorat autochtone du QuĂ©bec. Titulaire d’une maĂ®trise en administration de l’éducation de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ, Alex McComber a reçu un doctorat honorifique en sciences de l’UniversitĂ© Queens en 2016. Il est professeur adjoint Ă temps partiel au DĂ©partement depuis 2017. |
« À qui appartiens-tu ? », a lancé d’entrée de jeu Richard Budgell. Cette question m’a fascinée, puisqu’elle implique que ce sont les personnes qui influencent notre identité et pas nécessairement le lieu. Nous avons alors commencé à partager nos histoires de famille et à parler des lieux que nous appelons chez nous. C’était un excellent moyen d’en savoir plus sur qui nous sommes et sur nos ancêtres. Nous avons réalisé que nous sommes tous, dans une certaine mesure, issus d’un héritage complexe.
Aborder le passé colonial du Canada
Les professeurs Budgell et McComber affirment tous deux que leur travail consiste à éduquer le public sur l’histoire coloniale du Canada. Le fait que de nombreux Canadiens soient aujourd’hui mal informés sur la naissance du Canada est en effet extrêmement problématique. Jeter un regard honnête sur le passé colonial du Canada est la première étape d’une démarche sérieuse de réconciliation. Selon le Pr Budgell, cependant, le terme « réconciliation », devenu un mot à la mode, est souvent mal reçu chez les Autochtones. Beaucoup soutiennent qu’il s’agit plutôt d’un processus de conciliation – que l’on définit comme une médiation entre deux personnes ou groupes en conflit – avant que la réconciliation puisse avoir lieu. Dans le rapport de 2015 de la Commission de vérité et réconciliation, l’éducation a été soulignée comme l’une des avenues que les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient emprunter pour réduire la discrimination envers les peuples autochtones. Apprendre la vérité sur le colonialisme est un élément fondamental de la réconciliation.
« Lorsqu’on crée un État et met les gens sous sa coupe, on les endoctrine pour qu’ils soutiennent l’État. On crée également l’histoire des héros et une mythologie. Le Canada et les États-Unis sont deux des États les plus génocidaires au monde, mais ils proclament être les pièces maîtresses de la démocratie et de la liberté. Il y a tellement d’hypocrisie autour de ça. Quand les choses tournent au vinaigre dans un État, on distrait les gens avec du pain et des jeux », dit le Pr McComber.
Racisme systémique contre les peuples autochtones
Le décès de Joyce Echaquan, une femme Atikamekw de la Première Nation de Manawan, qui a filmé des infirmières l’insultant alors qu’elle agonisait dans un lit d’hôpital à Joliette, s’est produit un an presque jour pour jour après la publication des 142 recommandations de la Commission Viens, une enquête publique visant à améliorer l’accès des peuples autochtones aux services gouvernementaux. En 2019, cette commission d’enquête mandatée par le gouvernement québécois a conclu qu’il est « impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les membres des Premières Nations et les Inuits dans leurs relations avec les services publics » au Québec. Plus précisément, que « les préjugés envers les Autochtones demeurent très répandus dans l’interaction entre les soignants et les patients » et que les « principes de sécurisation culturelle » recommandés soient intégrés dans les services et programmes de santé destinés aux peuples autochtones. Le Pr Budgell ajoute que selon lui, le controversé projet de loi 96 sur la réforme linguistique ira nécessairement à l’encontre de cette sécurisation culturelle.
L’objectif de la sécurisation culturelle est de faire en sorte que toutes les personnes se sentent respectées et en sécurité lorsqu’elles interagissent avec le système de santé. Ce concept englobe ainsi la lutte contre les inégalités en matière de santé (de nombreux peuples autochtones au Canada ont des résultats en matière de santé inférieurs à ceux des autres Canadiens), notamment en combattant le racisme institutionnalisé et en établissant un système de santé qui offre des soins appropriés et équitables. Selon plusieurs, la sécurisation culturelle va bien au-delà de la compétence et de la sensibilisation culturelles.
« De nombreux Inuits et Autochtones en général se sentent rabaissés, diminués et ignorés dans les établissements de soins de santé. Ils s’attendent même maintenant à être mal à l’aise dans ces endroits. Il y a là quelque chose de profondément contre nature. On va dans ces endroits pour être soigné et obtenir de l’aide », explique le Pr Budgell.
« La mort de Joyce Echaquan a été une gifle pour les femmes, les hommes, les peuples et les patients autochtones. C’était un signe du racisme atroce des professionnels de la santé et du système. C’est un problème endémique », explique le Pr McComber.
Enseigner la sécurisation culturelle dans les soins de santé
L’une des façons dont les Prs Budgell et McComber combattent le racisme systémique est en enseignant aux aspirants chercheurs, médecins et professionnels de la santé.
Le cours du Pr Budgell, intitulé Inuit Health in the Canadian Context, explore les histoires, les perspectives et les réalités contemporaines de la santé des Inuits dans les quatre régions de l’Inuit Nunangat (le territoire inuit), avec un regard particulier sur le Nunavik, dans le nord du Québec. Il s’agirait du tout premier cours de santé axé sur les Inuits dans une université canadienne. Le Pr Budgell y travaille à « inuitiser » les concepts et les définitions de la santé, ce qui permet une vision plus holistique de l’état de santé des Inuits, au-delà des indicateurs habituels qui sont axés sur les déficits de santé. L’utilisation de l’inuktitut ouvre la possibilité de décrire la santé d’une manière qui contraste avec la vision « occidentale » dominante du système de santé. Un exemple intéressant de concept inuit de santé et de bien-être est celui d’inuuqatigiitsianiq, qui désigne les relations harmonieuses entre les personnes qui partagent un lieu. La qualité des relations avec la famille, les amis, les voisins et les membres de la communauté (y compris les non-Inuits) est une dimension clé de l’expérience vécue de la santé et une considération impérative pour les Inuits.
De la même façon, le cours du Pr McComber, intitulé Indigenous Perspectives Decolonizing Health Research, explore la promotion de la santé et la recherche en santé d’un point de vue autochtone dans les soins de santé primaires, dans le but de favoriser un engagement plus significatif des patients et de la communauté dans la recherche et la pratique. Ce cours explore les façons dont les peuples autochtones appréhendent le monde ainsi que les différents modes culturels d’acquisition des savoirs et des savoir-faire, en mettant l’accent sur la santé et le bien-être. Il aborde les valeurs fondamentales, la vision du monde et les pratiques de la culture autochtone pré-européenne principalement du point de vue des Haudenosaunee (peuple de la maison longue) et des Kanien’keha:ka (peuple du silex, Mohawk), l’histoire canadienne de la colonisation et de l’assimilation, de même que les résultats et impacts du point de vue des peuples autochtones. Le cours traite également des efforts et des actions des communautés autochtones, des gardiens du savoir et de la relève universitaire autochtone pour intégrer les méthodes autochtones en recherche. On y présente en outre le patient comme expert par excellence.
Faire ses devoirs pour la (ré)conciliation
Les Prs McComber et Budgell sont d’avis que l’éducation n’est pas le point final pour résoudre les problèmes liés à la décolonisation et au racisme systémique. Surtout, il faut que les étudiants et les apprenants des professions de la santé réfléchissent de façon introspective et analytique, au-delà de la salle de classe.
« Il ne s’agit pas seulement de comprendre ce qu’on a entendu. Les gens doivent réfléchir plus profondément à leurs croyances, à leurs valeurs et aux visions du monde avec lesquelles ils ont grandi. Les Autochtones veulent voir une transformation », déclare le Pr McComber.
« Les gens doivent se demander comment cette [nouvelle information] les affecte personnellement. Nous les exposons à un monde qu’ils ne connaissent peut-être pas du tout. Ils doivent s’y retrouver et s’y imaginer », explique le Pr Budgell.
En définitive, ce que nous disent les Prs Budgell et McComber, c’est que le travail de (ré)conciliation est le travail de tous. Les personnes non autochtones doivent s’engager, apprendre et agir pour améliorer les choses. C’est une responsabilité collective, qui n’incombe pas seulement aux peuples autochtones. Il faut également voir les gens comme des personnes avant tout, et non les définir en fonction de la maladie dont ils sont atteints. La solution passe par la gentillesse, le respect et l’empathie : pas d’astuces ou de remède miracle.
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Pour plus d'information:
Voici les liens des cours enseignés par Richard Budgell et Alex McComber:
/channels/channels/news/register-these-two-upcoming-indigenous-health-courses-331890
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richard.budgell [at] mcgill.ca
alex.mccomber [at] mcgill.ca