Les signes précurseurs de la scoliose (déformation avec courbure latérale de la colonne vertébrale) sont parfois subtils, se limitant par exemple à une légère inclinaison des épaules, des hanches ou de la taille. La scoliose idiopathique de l’adolescent (SIA) est la plus répandue des déformations de la colonne observées chez les enfants et affecte de nord-américains âgés de 10 à 16 ans (soit environ 7 à 11 millions de personnes). Une prise en charge réussie de la SIA repose sur sa détection précoce, dans le cadre d’une surveillance étroite de la colonne vertébrale.
On posera un diagnostic de scoliose chez les patients dont la courbure de la colonne vertébrale est supérieure à 10 degrés (selon la méthode de Cobb). On recommande l’observation de ces patients. Une courbure supérieure à 25 degrés est considérée comme étant une scoliose importante, et une courbure supérieure à 45 degrés nécessite un traitement énergique comme l’intervention chirurgicale. La scoliose peut causer un déséquilibre dans la ceinture scapulaire, des déformations thoraciques ou costales, une asymétrie mammaire ou une maladie pulmonaire, des problèmes pouvant entraîner des douleurs et la perturbation de l’estime de soi.
À l’heure actuelle, la surveillance standard impose deux radiographies du rachis entier tous les six mois. Cependant, comme la déformation peut évoluer très rapidement pendant les poussées de croissance (qui surviennent sporadiquement durant l’enfance et l’adolescence), cette surveillance intermittente n’est pas optimale. Quelques mois peuvent avoir une énorme incidence sur la progression de la courbure, qui pourrait s’aggraver entre deux rendez-vous et nécessiter des modifications majeures au traitement.
Par contre, les radiographies à répétition exposent les patients de cette population vulnérable, en pleine croissance, à de grandes quantités de rayonnements. En effet, le risque de cancer associé à une seule radiographie est minime, mais plusieurs années de radiographies répétitives augmentent considérablement le risque.
En outre, uneÌý indique que, chez les patients ayant reçu un diagnostic de SIA et dont le squelette n’a pas encore atteint la maturité, seuls 10 % des cas de progression de la courbure de la colonne vertébrale nécessitent une intervention; en d’autres termes, 90 % des patients sont exposés à des rayonnements inutiles.
Mais comment les médecins peuvent-ils assurer une surveillance étroite pour reconnaître les patients ayant besoin d’un traitement tout en limitant l’exposition aux rayonnements pour la grande majorité des patients qui n’en auront pas besoin?
Un outil de dépistage de la scoliose puissant et rapide
C’est pour résoudre ce dilemme que Jean Ouellet, M.D., chirurgien pédiatrique du rachis à l’Hôpital de Montréal pour enfants et professeur de chirurgie orthopédique à l’Université ³ÉÈËVRÊÓƵ, a travaillé en étroite collaboration avec Evan Dimentberg, étudiant en médecine et candidat à la maîtrise en sciences à la Faculté de médecine de l’Université Laval, à la mise au point d’une solution novatrice permettant de détecter et de surveiller à distance la progression des courbures de la colonne vertébrale en tirant parti de l’imagerie 3D et de l’intelligence artificielle.
SeeSpine est une application de télésanté conviviale qui permet aux jeunes patients, avec l’aide d’un membre de la famille ou d’un proche, d’obtenir une topographie de surface à l’aide d’un simple téléphone intelligent et d’en déduire la forme de la colonne sous-jacente. Ce processus de 15 secondes produit des résultats qu’il est possible de transmettre au médecin, qui assurera ainsi une surveillance à distance permettant de gagner du temps et d’épargner de l’argent tout en optimisant les soins aux patients.
« La clé est de prédire la progression de la courbure de la colonne pour fournir le traitement approprié en temps opportun, explique le Dr Ouellet. Cette application pourrait améliorer considérablement les résultats pour les patients tout en réduisant leur exposition aux rayonnements. SeeSpine permet de s’éloigner des algorithmes de traitement homogènes et de gagner en efficacité en offrant des soins personnalisés. Les chirurgiens orthopédiques peuvent donc se concentrer sur les patients qui nécessitent une intervention et assurer une surveillance à distance pour les autres patients. »
Dans les cas où la SIA est détectée rapidement, les patients ont la possibilité de porter un corset orthopédique (aussi appelé corset dorsal ou orthèse vertébrale). Cette orthèse exerce une pression sur la colonne vertébrale et les côtes de manière à freiner ou à ralentir la progression de la courbure, ce qui permet de réduire considérablement la déformation, voire d’éliminer la nécessité d’une intervention chirurgicale.
Cependant, une récente a noté que 55 % des patients qui consultaient pour la première fois un chirurgien orthopédique en raison d’une scoliose n’étaient déjà plus candidats à l’orthèse et n’avaient d’autre choix que de subir une intervention chirurgicale. SeeSpine pourrait également servir d’outil de dépistage pour aider les médecins de famille à repérer rapidement les patients qui pourraient avoir une SIA, augmentant ainsi les chances de réussite du traitement.
Une passion commune pour l’innovation
Evan Dimentberg a imaginé SeeSpine alors qu’il lisait la littérature médicale sur la scoliose durant la pandémie de COVID-19, en 2020. Il venait de terminer sa deuxième année en médecine. « À l’époque, je travaillais pour Front Row Ventures et je m’intéressais beaucoup aux innovations médicales, explique-t-il. J’ai envoyé une proposition de recherche au Dr Ouellet, et nous nous sommes tout de suite très bien entendus. Il a accepté de superviser mon projet dans le cadre de ma maîtrise. » Après avoir terminé leur étude pilote, les chercheurs ont décidé d’entamer le processus de commercialisation et de préparer une étude clinique de validation de concept.
Présentée le 10 mai 2022 lors du , la proposition novatrice de cette équipe dynamique a impressionné les juges du Concours au point où elle a gagné le Prix de la famille Hakim pour l’innovation, qui récompense l’innovation la plus transformatrice, susceptible de produire des effets concrets et importants sur les soins aux patients. En plus d’une bourse en argent de 10 000 $, l’équipe est admissible à des services de soutien ainsi qu’à des fonds de contrepartie portant la valeur totale du prix à 50 000 $.
L’équipe de SeeSpine mènera trois essais cliniques cet été, tout en travaillant simultanément à l’achèvement du développement logiciel et au lancement du processus d’homologation réglementaire. Elle est heureuse d’avoir accès aux ressources offertes aux lauréats du Concours CLIC, notamment pour la recherche, pour les données et pour repérer les possibilités de financement.
Lorsqu’on a demandé à Evan s’il avait un conseil à donner aux personnes souhaitant contribuer à l’innovation clinique, il a fourni le suivant : « Assurez-vous de bien choisir votre équipe! J’ai eu beaucoup de chance de m’associer à des cofondateurs extraordinaires. » Il a aussi insisté sur l’importance de connaître et de tirer parti des ressources à sa disposition et sur le mérite d’échanger des conseils et des renseignements avec les autres jeunes entreprises québécoises du domaine médical.
Sarah-Jeanne nous présente son expérience avec la scoliose
De vives douleurs au dos ont mené au diagnostic de scoliose idiopathique de l’adolescent (SIA) qu’a reçu Sarah-Jeanne Boilard en 2014, à l’âge de 12 ans. Comme la courbure de sa colonne vertébrale était de 15 degrés au moment du diagnostic et qu’elle approchait de la puberté, le Dr Ouellet et le reste de l’équipe soignante à l’Hôpital Shriners pour enfants du Canada ont étroitement surveillé leur patiente, espérant ainsi ralentir la progression de la scoliose tout en explorant les possibilités thérapeutiques qui permettraient de soulager la douleur.
Pendant les quatre années qui ont suivi, Sarah-Jeanne a été soumise à un régime strict de rendez-vous, de tests et de physiothérapie. Elle a dû porter un corset nocturne pendant six mois puis, à l’été 2016, elle été contrainte de porter un corset en tout temps durant une poussée de croissance. Sarah-Jeanne était soumise à des conditions exigeantes et endurait une douleur constante, mais elle n’a pas baissé les bras et son traitement a pu ralentir la progression de la courbure et ultimement la stabiliser à 35 degrés, permettant ainsi d’éviter une intervention chirurgicale majeure.
La famille de Sarah-Jeanne l’a accompagnée tout au long du processus. Pour sa mère, Marjolaine Lepage, l’application SeeSpine est très prometteuse : « Pendant la maladie de Sarah-Jeanne, il était rare de passer une semaine sans rendez-vous, explique-t-elle. Sa souffrance était une préoccupation constante. J’aurais été très rassurée d’avoir cette application pour m’aider à suivre la progression de son état. »
La brillante jeune femme, maintenant âgée de 20 ans, est impatiente d’entamer ses études en neuroscience cognitive à l’Université de Montréal en septembre. Elle a appris à écouter son corps et a trouvé des moyens de soulager sa douleur grâce au yoga et à la natation. Elle peut pratiquer ses activités favorites, notamment passer du temps avec les chevaux.
« SeeSpine redonne une certaine maîtrise aux patients et à leur famille en leur permettant de suivre de près la progression de la scoliose, sans que ça n’entraîne de nouveaux risques pour la santé », conclut le Dr Ouellet, qui s’enthousiasme pour cette application de télésanté promettant d’outiller les patients en rapportant les soins à la maison.
« J’ai tellement reçu de conseils et de suggestions pour ma situation, que ce soit par mes coachs d’équitation, par les multiples professionnels ou par mes parents qu’après un moment, ça pesait lourd. À 12 ans, je n’étais pas prête pour prendre en charge ces responsabilités. J’avais peur. Des peurs souvent irrationnelles.
C’est pour cette raison, qu’à un jeune vivant la même situation, j’aimerais lui dire de ne pas avoir peur. Qu’il y a des gens là pour l’aider à surmonter cette période difficile, et qu’il en est capable. Mais surtout, je veux lui dire que la scoliose n’est pas aussi limitante qu’on peut le penser dans plusieurs des cas. On arrive à comprendre son corps et mieux le gérer. La scoliose n’a pas à prendre le contrôle sur notre vie. »
—Sarah-Jeanne Boilard
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