On prévoit que d’ici 2030, les populations urbaines mondiales atteindront près de cinq milliards d’habitants. En raison de la perte d’habitat, de biomasse et de séquestration de carbone qu’elle entraîne, cette urbanisation en constante expansion menace la biodiversité végétale et animale de notre planète et appauvrit les écosystèmes.
« Pensons aux arbres qui contribuent Ă rafraĂ®chir les villes en Ă©tĂ©, aux zones humides qui renforcent notre rĂ©silience face aux tempĂŞtes et Ă tous les avantages pour la santĂ© qu’offrent les espaces verts urbains, oĂą l’on peut jouer et se dĂ©tendre , dit Andrew Gonzalez, professeur et titulaire de la Chaire Liber Ero en biodiversitĂ© au DĂ©partement de biologie de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ. Nous devons considĂ©rer la santĂ© de la nature et la santĂ© humaine comme des notions indissociables. »
Directeur fondateur du Centre de la science de la biodiversité du Québec, le Pr Gonzalez s’est prononcé, à l’occasion de conférences TEDx et du Forum économique mondial, sur la sixième extinction de masse et sur les écosystèmes résilients favorisant la durabilité urbaine. Il a également participé au sommet de la recherche du G7, ayant pour thème « Une seule santé », tenu en novembre dernier à Lake Louise, en Alberta.
Plus tôt ce mois-ci, il était observateur scientifique à la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), qui a réuni à Montréal des diplomates venus de partout pour convenir des mesures à prendre d’ici 2030 dans le but de freiner la perte d’espèces et rétablir la biodiversité.
Les villes à la défense de la biodiversité
« Montréal est un bel exemple de ville qui veut protéger ses espaces naturels afin d’en préserver la biodiversité et les services écosystémiques », indique Andrew Gonzalez. (L’expression « services écosystémiques » désigne les multiples bienfaits que la nature offre gratuitement à l’être humain, comme la séquestration du carbone, la pollinisation, la filtration de l’eau et la fertilité des sols.) Il précise que les villes comme Montréal reconnaissent désormais les nombreux avantages écologiques, économiques, sociaux et sanitaires que procure la nature, et s’emploient à protéger du développement urbain une part plus importante de leurs derniers espaces naturels.
Le rôle des villes est reconnu dans les cibles du nouveau cadre mondial de la biodiversité approuvé par les parties à la COP15. Certaines des mesures de protection de la nature les plus efficaces proviennent des villes et des municipalités, fait remarquer le spécialiste de la biodiversité. « Ces structures infranationales peuvent exercer une grande influence au sein de leur région métropolitaine. De nombreux maires et mairesses, dont celle de Montréal, défendent bec et ongles la biodiversité. »
Les villes peuvent recourir à de nombreuses mesures efficaces de protection de la nature et de la santé humaine : instauration de ceintures vertes et de réseaux de zones protégées bien au-delà des centres urbains, rétablissement d’espaces laissés à l’abandon, plantation d’arbres et d’autres types de végétation qui créeront une canopée urbaine résiliente, et participation de groupes citoyens, encouragés à protéger les parcs et à restaurer les ruelles vertes.
Selon le professeur de biologie, bien qu’il faille encore adopter des lois plus fermes, « les villes jouent un rôle de plus en plus important dans la gestion de la biodiversité ».
Une masse critique d’expertise en biodiversité
Grâce Ă leurs rĂ©seaux de recherche, l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ et d’autres universitĂ©s quĂ©bĂ©coises produisent une masse critique d’expertise en biodiversitĂ© et facilitent la communication avec le secteur privĂ© et les partenaires gouvernementaux.
Le Centre de la science de la biodiversitĂ© du QuĂ©bec (CSBQ), dont Andrew Gonzalez est directeur fondateur, est un rĂ©seau de 105 chercheuses et chercheurs et de 700 Ă©tudiantes et Ă©tudiants aux cycles supĂ©rieurs rĂ©partis dans 13 universitĂ©s quĂ©bĂ©coises. BasĂ© Ă l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ, ce centre encourage la dĂ©couverte, la surveillance et l’utilisation durable de la biodiversitĂ© au QuĂ©bec, au Canada et ailleurs dans le monde.
Le CSBQ travaille avec le gouvernement du Québec à la création d’un réseau provincial d’observation de la biodiversité. « Le ministère de l’Environnement du Québec nous a dit vouloir surveiller les écosystèmes afin de mieux comprendre l’évolution de la biodiversité et de prendre des décisions éclairées sur l’utilisation des terres et des eaux tout en protégeant la biodiversité. »
Le CSBQ chapeaute également le Group on Earth Observations Biodiversity Observation Network (GEO BON), réseau international de surveillance de la nature composé de 2 300 spécialistes répartis aux quatre coins du monde. Ce réseau a pour objectif de créer un système mondial d’observation de la nature, à l’instar du système mondial d’observation du climat dont disposent les climatologues. En collaboration avec des agences spatiales – notamment la NASA et l’Agence spatiale européenne – GEO BON évalue l’état des écosystèmes à l’échelle mondiale.
« Nous prenons le pouls de la nature quotidiennement », indique Andrew Gonzalez, aussi coprésident de GEO BON. Nous travaillons avec le secteur spatial ainsi qu’avec des scientifiques qui observent et étudient la nature sur le terrain, et nous nous efforçons de rapprocher ces deux groupes. »
L’effet de multiplication
Andrew Gonzalez codirige le thème de recherche « Adaptation des milieux urbains » du PĂ´le des systèmes de dĂ©veloppement durable de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ, rĂ©seau qui rĂ©unit des chercheuses et chercheurs en sciences naturelles, en gĂ©nie ainsi qu’en sciences humaines.
Son équipe de recherche a produit des publications qui résument notre compréhension des répercussions du développement et de l’étalement urbains sur la nature dans nos villes et aux alentours. « Nous savons que le développement urbain a tendance à fragmenter et à détruire l’habitat, aux dépens de la biodiversité et des services écosystémiques essentiels à la population. »
Cependant, il fait remarquer qu’il existe des solutions avérées pour atténuer ces conséquences et pour rétablir et protéger les habitats naturels. Il cite en exemple une étude de cas qu’il a récemment cosignée avec un de ses étudiants à la maîtrise, Valentin Lucet. Leurs travaux, menés dans le sud du Québec, révèlent qu’il est possible de ralentir voire stopper la perte d’habitat grâce à des efforts stratégiques de reforestation et de protection de l’habitat, et ce, même dans l’éventualité d’un développement urbain ou d’un changement d’affectation des sols.
Le Pr Gonzalez a aussi participĂ©, Ă titre de cochercheur, Ă l’important projet Connection MontĂ©rĂ©gie, dont les travaux portaient sur la suburbanisation rapide du paysage agricole Ă l’est de MontrĂ©al. L’équipe de recherche s’était penchĂ©e sur l’effet des structures de paysage actuelles et historiques sur les services Ă©cosystĂ©miques. Ce projet a permis le lancement du rĂ©seau stratĂ©gique « ResNet », dirigĂ© par Elena Bennett, professeure au DĂ©partement des sciences des ressources naturelles de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ. FinancĂ© par le CRSNG, ce rĂ©seau rĂ©unit des partenaires du secteur privĂ©, du gouvernement, d’organisations non gouvernementales et de communautĂ©s autochtones, qui Ĺ“uvrent Ă la promotion d’écosystèmes durables et rĂ©silients Ă l’échelle du pays.
Selon Andrew Gonzalez, tous ces réseaux de recherche créent un effet de multiplication : des collaborations interdisciplinaires donnent lieu à de nouveaux partenariats entre chercheurs et parties prenantes, et l’on passe ainsi plus rapidement de la science à l’action concrète.
« C’est grâce à cette collaboration entre les disciplines que nous devenons plus efficaces comme scientifiques. Le Québec peut être fier de cette expertise. Nous dépassons les attentes parce que nous savons unir nos forces. »