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Vers un vaccin fabriqué en serre

Alors que les Canadiens sont confinés depuis plus de deux mois pour prévenir la propagation de la COVID-19, une chose semble certaine : cette situation ne prendra fin que lorsqu’un vaccin sécuritaire et efficace sera mis au point.

Les histoires de vaccins contre le coronavirus prolifèrent sur l’Internet presque aussi rapidement que le SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19. Selon les dernières données, 115 laboratoires dans le monde travaillent à la recherche d’une solution. Mais combien de temps faudra-t-il pour y parvenir?

Professeur Ă  la Division de mĂ©decine expĂ©rimentale de la FacultĂ© de mĂ©decine de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ, le docteur Brian Ward, est bien conscient du dĂ©fi que cela reprĂ©sente, ayant dĂ©jĂ  participĂ© Ă  l’élaboration de vaccins et de mĂ©dicaments pour des pandĂ©mies apprĂ©hendĂ©es, dont l’épidĂ©mie de grippe porcine qui a sĂ©vi en 2009-2010 et l’éclosion du virus Ebola en Afrique occidentale en 2014-2015.

Des vaccins fabriqués dans des plantes

Depuis 2009, le docteur Ward est médecin-chef chez Medicago Inc., une entreprise de Québec qui utilise des techniques faisant appel aux plantes pour mettre au point et produire des vaccins et des anticorps monoclonaux. Née en 1999 d’un partenariat entre l’Université Laval et Agriculture Canada, cette société fermée fait partie des entreprises qui s’emploient à mettre au point un vaccin contre le SARS-CoV-2.

À ses débuts, la société se concentrait sur une méthode de production utilisant de la luzerne transgénique (aussi appelée Medicago sativa, d’où le nom de l’entreprise). Par la suite, elle s’est tournée vers Nicotiana benthamiana, une plante australienne cousine du tabac, relativement facile à manipuler et pouvant faire l’objet d’une agro-infiltration – un procédé qui permet de produire une grande quantité de protéines sans soumettre la plante à une modification génétique.

« Cela fonctionne comme n’importe quel autre système recombinant, explique le docteur Ward, sauf qu’au lieu d’utiliser des bioréacteurs dont les réservoirs en acier inoxydable de 1 000 litres sont remplis de cellules de bactéries, de mammifères ou d’insectes, nos bioréacteurs sont des plantes. »

Une course contre la montre

« Nos travaux progressent très bien, et nous travaillons aussi vite que possible, affirme le chercheur. Nous nous affairons actuellement à procéder aux tests requis sur les animaux, notamment les importantes études de provocation sur les singes, et nous élaborons les trois phases des essais cliniques. Nous avons bon espoir de pouvoir commencer les essais sur les humains au début de l’été. »

L’entreprise a dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  Ă©valuer des lieux oĂą mener les Ă©tudes sur le vaccin, dont le Centre d’études de vaccins du Centre universitaire de santĂ© łÉČËVRĘÓƵ. Étant donnĂ©e la vitesse Ă  laquelle les choses avancent, il est probable que les premières donnĂ©es sur l’efficacitĂ© chez le singe et sur l’innocuitĂ© et l’immunitĂ© chez l’humain soient prĂ©sentĂ©es d’ici la fin de 2020.

Toutefois, certains points importants doivent être éclaircis. Par exemple, quelle est la dose de vaccin requise et combien de doses sont nécessaires pour que le corps soit suffisamment immunisé? Le vaccin devra-t-il contenir un adjuvant, une substance souvent ajoutée aux vaccins pour augmenter la réaction du système immunitaire? Quel adjuvant serait le plus indiqué pour un vaccin contre le SARS-CoV-2?

Point encore plus important : le vaccin ne doit pas accentuer le problème, un phénomène souvent appelé immunopotentialisation de la maladie. Cela se produit lorsque le vaccin déclenche une réaction immunitaire qui peut aggraver la maladie lorsque la personne vaccinée est par la suite exposée au vrai virus. C’est ce qui est arrivé avec le premier vaccin contre le virus respiratoire syncytial mis au point dans les années 1960, qui a entraîné une exacerbation de la maladie chez les enfants et a grandement ralenti les efforts de recherche d’un vaccin adéquat pendant des années. D’autres vaccins mis au point plus récemment se sont également soldés par des échecs semblables.

Medicago a conçu son vaccin et planifié ses études menées auprès des animaux et des humains de façon à diminuer les risques que l’immunopotentialisation de la maladie se produise. Mais, selon le docteur Ward, les efforts visant à éviter de tels risques ne sont pas aussi importants dans tous les projets de mise au point d’un vaccin. « Nous pensons que c’est une erreur », soutient-il. Le chercheur a aussi constaté que bon nombre des articles portant sur les vaccins potentiels qui circulent sur l’Internet proviennent de laboratoires qui n’ont pas de réelle capacité de production.

Les enjeux de la production

En ce qui a trait à la capacité de Medicago, Brian Ward explique que l’entreprise pourrait produire jusqu’à deux millions de doses par mois à son installation de Québec. Elle exploite également une deuxième installation à Raleigh, en Caroline du Nord, qui pourrait produire de 10 à 12 millions d’unités par mois (pourvu qu’une dose unique d’une quantité se situant entre 3,75 et 7,5 microgrammes soit suffisante pour déclencher une bonne réaction chez la plupart des gens). Si on se fie à ces chiffres potentiels, l’entreprise pourrait répondre assez rapidement aux besoins en matière de vaccination du Canada. Cependant, ces mêmes chiffres indiquent clairement que d’autres vaccins seront nécessaires pour combattre l’infection à l’échelle mondiale.

« Il ne s’agit pas d’une situation où un seul vainqueur l’emporte », fait remarquer Brian Ward à propos de la course mondiale qui s’est engagée pour la découverte d’un vaccin. « Il y aura fort probablement une douzaine de vaccins viables qui seront raisonnablement efficaces et sécuritaires. » Mais, à l’heure actuelle, on ne sait toujours pas comment ces doses seraient distribuées et qui paierait la facture.

En ce qui concerne la distribution, le docteur Ward sonne l’alarme. « Si on décide de vacciner 7,8 milliards de personnes, on doit commencer à se pencher sur des questions sociales importantes, dont l’équité. Dans un avenir très rapproché, il y aura certainement de profondes inégalités entre les pays riches qui ont les moyens de produire le vaccin et les pays qui en sont dépourvus. »

Des plantes comme bioréacteurs

L’agro-infiltration consiste à inverser de jeunes plantes et à en plonger les feuilles dans une solution contenant Agrobacterium tumefaciens, une bactérie qui infecte naturellement les plantes en « injectant » une partie de son matériel génétique (c’est-à-dire son ADN) dans leurs cellules. Dans la plateforme de production de Medicago, la bactérie est modifiée pour qu’elle soit moins nuisible à la plante et pour injecter de l’ADN qui stimulera la production d’une ou plusieurs protéines virales – dans le cas présent, la protéine spicule du SARS-CoV-2.

Lorsque la plante est immergée dans cette solution bactérienne, un aspirateur est appliqué sur ses racines, forçant la plante à se compresser comme une éponge. Lorsque l’aspirateur est relâché, les feuilles prennent de l’expansion et absorbent le liquide jusque dans leur structure cellulaire. L’ADN désiré est ainsi introduit, un processus appelé transfection. Les plantes sont ensuite transférées dans une serre où chacune de leurs cellules commence à produire des milliers de copies de la protéine spicule. Celles-ci s’assemblent naturellement en trimères (trois protéines réunies) qui se déplacent vers la surface de la cellule.

Une fois regroupés à la surface, les trimères traversent la membrane cellulaire de la plante et forment spontanément de petites sphères ou vésicules appelées pseudoparticules virales qui sont libérées de la cellule. Ces petites pseudoparticules ont à peu près la même taille que le virus SARS-CoV-2, mais ne contiennent pas de matériel génétique viral; elles ne peuvent donc pas se répliquer ni causer d’infection. Toutefois, du point de vue du système immunitaire humain, ces pseudoparticules « ressemblent » à s’y méprendre au vrai virus. De plus, on peut les extraire assez facilement de la plante grâce à la simple digestion du matériel de la paroi cellulaire et aux processus de purification normalisés du secteur. Le résultat : un candidat vaccin hautement purifié qui contient presque exclusivement la protéine spicule visée.

« Lorsqu’on la compare à d’autres plateformes vaccinales, la production à partir de plantes est relativement “propre”. Par exemple, dans le cas de vaccins contre l’influenza fabriqués dans des œufs ou des cultures de cellules de mammifères, de nombreuses protéines d’origine cellulaire hors cible se mélangent aux protéines virales recherchées. Dans le cas du système à partir de plante de Medicago, il n’y a pratiquement rien d’autre dans le vaccin, parce que nous n’avons pas besoin de briser les cellules », conclut Brian Ward.

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