1. Contexte
Le 13 octobre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé son nouveau modèle de tarification pour les personnes étudiantes hors Québec, prévoyant qu’à partir de l’automne 2024, un tarif plancher sera établi pour toutes les personnes étudiantes non québécoises inscrites au 1er cycle et au 2e cycle professionnel. Les personnes étudiantes canadiennes non-résidentes du Québec (CNRQ) verront leurs droits de scolarité presque doubler, passant de 8 992 $ à environ 17 000 $, alors que le tarif établi pour les personnes étudiantes internationales sera plus élevé.
Le nouveau modèle tarifaire fait en sorte que les universités du Québec, sans égard à la langue dans laquelle elles mènent leurs activités, ne seront plus compétitives avec les universités du reste du Canada. En effet, sauf dans quelques programmes précis, dont sciences de la vie, gestion et droit, il n’y a pas ou il y a peu de disparité entre les frais de scolarité payés par les Québécois(es) qui étudient dans le reste du Canada et ceux payés par les personnes étudiantes canadiennes au Québec. Notons également que très souvent, c’est au Québec que les droits de scolarité sont les plus élevés.
Avec l’introduction de droits de scolarité supérieurs, un grand nombre de personnes étudiantes canadiennes qui auraient choisi de venir étudier chez nous opteront pour des universités situées dans d’autres provinces. Le Québec sera affaibli par ce changement, puisqu’il se coupera d’un bassin essentiel de main-d’œuvre qualifiée et qu’il devra renoncer à la contribution économique considérable résultant de la présence chez nous de ces personnes étudiantes; l’Ontario sera la grande gagnante.
En devenant la seule province qui refuserait de financer les personnes étudiantes provenant des autres provinces canadiennes, le Québec s’exposera par ailleurs à des mesures de rétorsion qui viendraient mettre en péril la capacité des personnes étudiantes québécoises d’étudier ailleurs au Canada. Le Québec en sortirait perdant, puisque la mobilité étudiante est l’un des moteurs de notre capacité d’innovation.
Nous reconnaissons par ailleurs que le français demeure menacé au Québec, en particulier à Montréal, et réaffirmons que toutes les universités sont les alliées naturelles du gouvernement dans la protection, la promotion et le rayonnement du français au Québec et ailleurs dans le monde.
Il est primordial de protéger la langue française; nous en sommes profondément convaincus. Toutefois, nous croyons qu’il vaut mieux franciser les personnes étudiantes venant de l’extérieur du Québec quand elles arrivent ici, plutôt que de les écarter d’emblée par l’entremise de politiques tarifaires prohibitives. Nous devons, au contraire, ouvrir nos portes à ces personnes et investir afin de les doter des outils et des connaissances qui leur permettront de réussir et de s’épanouir au sein de la société québécoise. Cela s’inscrit en cohérence avec la volonté du gouvernement du Québec d’attirer chez nous les meilleurs talents qui, par leur apport, contribueront à assurer le maintien de notre prospérité.
2. Conséquences financières
La prétention selon laquelle le gouvernement renforcera l’enseignement supérieur en français en transférant des fonds des universités de langue anglaise aux universités de langue française repose sur des calculs erronés. Au lieu de financer adéquatement les universités québécoises, le gouvernement met en place un système où le financement des universités de langue française devient en quelque sorte dépendant de la capacité des universités de langue anglaise de recruter des personnes étudiantes canadiennes et internationales. En réalité, alors qu’il annonce vouloir diminuer ce recrutement, il retire dans les faits aux universités de langue anglaise la capacité de le faire.
Pour l’Université Bishop’s, il en va de sa survie. Quant aux universités Concordia et ³ÉÈËVRÊÓƵ, on estime les pertes combinées à plus de 100 M$ par an selon des scénarios prudents, sans compter les conséquences dévastatrices sur l’économie du Québec.
3. Proposition d'améliorations au nouveau modèle de tarification
Les universités de langue anglaise du Québec se mobiliseront pour accroître l’intégration linguistique et culturelle de leurs personnes étudiantes non francophones. Dans le cadre de cet engagement, elles déploieront une gamme complète de nouvelles initiatives visant la promotion du français et une meilleure connaissance de la société québécoise.
Parmi ces nouvelles initiatives, les universités Concordia et ³ÉÈËVRÊÓƵ, reconnaissant la diversité linguistique propre à Montréal, s’engagent à instaurer, dans un délai de trois ans, des cours et des activités obligatoires de français langue seconde, en vue de soutenir efficacement l’intégration professionnelle au sein de la métropole.
En collaboration avec le gouvernement du Québec, les universités de langue anglaise s’engagent par ailleurs à accroître de manière substantielle l’offre de cours de français langue seconde pour les personnes étudiantes canadiennes non-résidentes du Québec et les personnes étudiantes internationales non francophones et à créer de nouveaux incitatifs à l’apprentissage du français.
Ces initiatives sont conçues pour renforcer la maîtrise de la langue française à travers divers axes stratégiques, dont :
- l’augmentation de l’offre de cours de français langue seconde, adaptée aux différents niveaux de compétence linguistique et de parcours de professionnalisation des personnes étudiantes, permettant ainsi une progression pédagogique cohérente et efficace;
- la multiplication des occasions de stages et de stages coopératifs en français, offrant une expérience professionnelle et une immersion dans le milieu de travail québécois;
- la mise à disposition de services et d’activités ciblées qui catalysent le développement des compétences linguistiques et facilitent l’intégration professionnelle en français;
- l’élaboration d’initiatives précises préparant à la réussite des examens d’ordres professionnels, assurant ainsi une transition sereine vers la vie professionnelle;
- l’organisation d’activités de promotion de la culture québécoise, incluant une offre de cours rehaussée, pour une compréhension enrichie des réalités propres à notre société.
Certes, l’objectif est ambitieux, mais témoigne d’une volonté résolue : viser qu’au moins 40 % des personnes étudiantes non francophones inscrites dans les programmes de premier cycle atteignent un niveau de français 6 de l’Échelle québécoise, équivalent à un niveau B2 du Cadre européen commun de référence pour les langues, lors de l’obtention de leur diplôme.
Pour favoriser l’atteinte de cet objectif, les universités de langue anglaise, avec la collaboration du gouvernement du Québec, introduiront des incitatifs considérables comme, par exemple, des bourses récompensant les personnes étudiantes qui parviennent à certifier officiellement ce niveau de maîtrise du français.
Afin que ces initiatives puissent être réalisées, nous proposons que le modèle de tarification soit modifié comme suit :
- Personnes étudiantes CNRQ : les droits de scolarités sont maintenus au niveau actuel (frais de base de 2,881 $ et forfaitaire de 6,111 $, sujets à indexation pour 2024-2025).
- Personnes étudiantes internationales : comme cette mesure a une incidence négative sur toutes les universités, et ce, sans égard à la langue dans laquelle elles mènent leurs activités, nous proposons que la mise en place de solutions de rechange pour équilibrer le financement des universités soit discutée en collaboration avec le Bureau de coopération interuniversitaire et le ministère de l’Enseignement supérieur, afin de s’assurer qu’elles soient durables et équitables pour l’ensemble du réseau.
4. Conclusion
Nous croyons fermement que les universités ont une responsabilité fondamentale de contribuer au dynamisme et à la vitalité des milieux au sein desquels elles sont implantées. Les universités de langue anglaise sont particulièrement reconnues pour leur contribution au tissu social du Québec ainsi que pour le rayonnement national et international qu’elles lui apportent.
Avec les initiatives proposées ci-dessus, nous croyons que les universités de langue anglaise peuvent contribuer davantage à renforcer le français à Montréal et au Québec, tout en maintenant le rayonnement international et l’attractivité de notre province. À titre d’universités québécoises, nous souhaitons être un vecteur d’engagement plus profond avec notre société pour nos personnes étudiantes qui proviennent de l’extérieur du Québec.
Nous demeurons confiants dans notre capacité de mettre en œuvre, ensemble, des solutions innovantes à nos défis partagés, tout en reconnaissant le rôle majeur que jouent toutes les universités québécoises pour notre développement intellectuel, social, culturel et économique, et ce, à l’avantage de l’ensemble des citoyennes et des citoyens du Québec.