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Premières Nations, minorités visibles : menaces perçues

L’origine raciale détermine la taille des services de police dans les villes canadiennes et le nombre d’incarcérations dans les pénitenciers

Les villes canadiennes qui comptent un nombre important de membres des Premières nations et des minorités visibles ont un corps policier plus imposant que les autres. Et ce, sans égard au niveau de criminalité.

±ĘłÜ˛ú±ôľ±Ă©: 15 September 2015

Les provinces où vivent bon nombre de membres des Premières Nations et, dans une moindre mesure, de représentants des minorités visibles, tendent également à envoyer davantage de personnes derrière les murs des prisons fédérales.

C’est la conclusion à laquelle en sont arrivés le sociologue mcgillois Jason Carmichael et ses étudiants aux cycles supérieurs après avoir examiné les facteurs susceptibles d’influer sur la taille des corps policiers municipaux et le nombre de personnes envoyées dans les prisons fédérales chaque année par les provinces. (Toute personne trouvée coupable d’un délit passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans est incarcérée dans une prison fédérale plutôt que provinciale.)

Dans le cadre de travaux ayant fait l’objet d’articles publiés récemment dans les revues spécialisées et , les chercheurs ont eu recours à des outils statistiques afin d’analyser l’importance relative de facteurs tels que le taux de criminalité dans certaines villes et provinces, le parti politique au pouvoir, l’inégalité des revenus (susceptible d’inciter les citoyens à vouloir être « protégés » davantage), le pourcentage de personnes démunies ou sans emploi, le nombre de familles monoparentales, ainsi que le niveau de désorganisation sociale (présence de jeunes laissés sans surveillance dans les rues et dont le comportement pourrait mener à des demandes d’intervention policière sans accusation au criminel).

Des conclusions troublantes

Lorsqu’ils ont étudié la taille des services de police des 40 plus grandes villes canadiennes entre 1996 et 2006, les chercheurs ont découvert que les villes où vivaient davantage de membres des minorités visibles avaient des services de police plus imposants, une fois pris en compte les taux de criminalité, les questions budgétaires et la population. En fait, les résultats de tests statistiques standardisés suggèrent que la présence de minorités visibles constitue de loin le prédicteur le plus significatif de la taille des corps policiers dans les villes canadiennes. Ils ont notamment découvert qu’en matière de présence policière, les villes du Québec représentaient les deux extrémités du spectre.

À Montréal, une ville avec une population diversifiée, en 2006, on dénombrait 235 policiers pour 100 000 habitants, soit le rapport entre policiers et habitants le plus élevé de toutes les grandes villes canadiennes. En revanche, à Lévis, la même année, on ne comptait que 87 policiers pour 100 000 habitants.

Types d’incarcération au Canada

Au chapitre des emprisonnements, entre 2001 et 2010 les provinces canadiennes ont condamné en moyenne chaque année 18,7 contrevenants pour 100 000 habitants à purger une peine dans une prison fédérale. Derrière cette moyenne se cachent toutefois des différences qui en disent long.

Le taux d’admission dans les établissements pénitentiaires en Saskatchewan et au Manitoba, provinces des Prairies qui comptent d’importantes populations des Premières Nations et un nombre considérable, quoique moins important, de membres des minorités visibles, se chiffrait à 30 pour 100 000 habitants en 2010 (dernière année prise en compte dans l’article). En fait, la Saskatchewan enregistrait alors le plus haut taux d’accusations au criminel de toutes les provinces canadiennes, soit plus de 5 000 pour 100 000 habitants (ou 5 %) pour chaque année de la décennie.

En revanche, en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique, où un pourcentage important de citoyens appartiennent aux minorités visibles, le taux d’admission dans les établissements pénitentiaires au cours de la même période n’était que de 10 à 15 pour 100 000 habitant pour chacune des années étudiées. Et le taux d’accusations au criminel se situait à 2 000 pour 100 000 habitants (ou 2 %) pour chaque année de la décennie.

« MĂŞme après avoir tenu compte des diffĂ©rences au chapitre de la criminalitĂ© et de la population, les diffĂ©rences observĂ©es entre les provinces Ă  l’égard des admissions dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires Ă©taient largement attribuables au nombre de reprĂ©sentants des minoritĂ©s visibles et des populations autochtones. Autrement dit, les taux d’admission dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires sont largement dĂ©terminĂ©s par un sentiment de "menace ethnique" », affirme Jason Carmichael, du DĂ©partement de sociologie de l’UniversitĂ© łÉČËVRĘÓƵ.

Premières nations et minorités visibles: des situations différentes
« Mais le portrait est complexe, du moins pour les minorités visibles. Il semble exister un seuil où les minorités visibles constituent une partie appréciable de la population et sont davantage en mesure de s’opposer aux mesures agressives de lutte contre la criminalité qui ciblent de façon disproportionnée les membres de leur communauté. Lorsque ce seuil est atteint (certaines données suggèrent qu’il survient lorsque les minorités comptent pour au moins 10 % de la population environ), les politiciens sont moins susceptibles de les diaboliser en favorisant l’adoption de politiques rigoureuses en matière de justice pénale. »

« Pour ce qui est des Premières Nations, nous n’avons mis en évidence aucune preuve attestant l’existence d’un tel seuil, vraisemblablement parce que les membres de ces groupes n’ont jamais été assez nombreux au sein de la population pour disposer de la puissance politique nécessaire pour s’opposer aux politiques rigoureuses en matière de justice pénale », ajoute le professeur Carmichael.

« Ce fut très préoccupant de découvrir que non seulement la taille de la population des minorités visibles est un prédicteur de la taille des services de police, mais qu’elle en est également le prédicteur le plus puissant », affirme le professeur Carmichael. « On peut observer le même phénomène en matière d’emprisonnement. Les provinces canadiennes qui comptent le plus grand nombre de membres des Premières Nations et des minorités visibles admettent davantage d’individus dans les prisons fédérales. Ces résultats suggèrent que le système de justice pénale, plutôt que d’être considéré comme un outil de lutte contre la criminalité, est davantage perçu comme un mécanisme largement utilisé pour réduire l’apparente menace constituée par les minorités ethniques. Selon moi, ces conclusions remettent sérieusement en question les hypothèses conventionnelles sur la tolérance généralisée, ainsi que certaines raisons de célébrer les changements observés dans la composition ethnique du Canada. »

Version intégrale de l’article sur la taille des corps policiers municipaux :
Version intégrale de l’article sur l’emprisonnement au Canada :

Sources d’information : Statistique Canada, archives du Centre canadien de la statistique juridique

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