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Quand Maupassant d茅laisse la pratique pour s'adonner 脿 la critique de romans, on peut dire qu'il se montre assez fid猫le 脿 ce qu'il demande lui-m锚me au critique litt茅raire dans sa pr茅face 脿 Pierre et Jean : 芦 Sa compr茅hension, ouverte 脿 tout, doit absorber assez compl猫tement sa personnalit茅 pour qu'il puisse d茅couvrir et vanter les livres m锚me qu'il n'aime pas comme homme et qu'il doit comprendre comme juge. 禄 (p. 47) Ouvert et g茅n茅ralement bon juge, moins cat茅gorique que Mirbeau, Aurevilly ou Zola quand il s'agit de condamner ou d'encenser, et beaucoup plus discret qu'eux 脿 dire ses pr茅f茅rences, Maupassant est un peu le critique du 芦 Pourquoi pas 禄. Il ne rejette ni les oeuvres artistes et un peu trop 芦 subtiles 禄 脿 ses yeux des Goncourt, ni le roman psychologique tel que pratiqu茅 par Paul Bourget par exemple. Pas davantage il ne condamne les tentatives des symbolistes, tel Huysmans, 脿 secouer la 芦 barri猫re cadenass茅e 禄 des cinq sens, ou les oeuvres au style compliqu茅 et 芦 chinois 禄 des manieurs de mots. En romancier qui conna卯t les ficelles, qui 芦 est du b芒timent 禄, selon son expression, Maupassant ne se fait pas d'illusions quant 脿 la possibilit茅 de renouvellement v茅ritable de la forme romanesque, demeurant au fond imperm茅able aux nouvelles tendances. Confiant en l'esth茅tique r茅aliste et en la morale d'acier de Flaubert 鈥� qui est celle de l'impersonnalit茅, du travail acharn茅 de la phrase et du style comme vision ou 芦 mani猫re absolue 禄 de voir les choses 鈥�, Maupassant ne consid猫re nullement le roman comme menac茅 d'une quelconque 芦 crise 禄 (en regard des moyens dont il dispose par exemple pour repr茅senter la vie). En cela, sa critique se distingue fortement de celle d'Octave Mirbeau, l'un de ses contemporains exacts, qui juge pour sa part le roman inapte 脿 concurrencer les autres arts (notamment la peinture) et impuissant face 脿 la r茅alit茅 observ茅e.

On pourrait d茅gager des nombreuses chroniques de Maupassant 鈥� qui parurent entre 1876 et 1891, dans des journaux tels que Le Gaulois et Gil Blas 鈥� trois figures r茅sumant son art romanesque, ou qui correspondent 脿 trois t芒ches pour le romancier : le statisticien, l'hygi茅niste et le metteur en sc猫ne. T芒che de statisticien d'abord, en ce que l'oeuvre du romancier, selon Maupassant, doit se consacrer essentiellement 脿 l'observation du banal, du plus commun de l'existence, d'o霉, chez lui, les expressions du type : 芦 faire une moyenne des 茅v茅nements humains 禄, ou encore 芦 faire la somme des nuances de m锚me nature 禄. Pr茅f茅rant s'en tenir aux seules g茅n茅ralit茅s, c'est-脿-dire au principe du 芦 ce qui arrive 禄 plut么t qu'脿 celui du 芦 tout arrive 禄, Maupassant se refuse 脿 芦 faire la part 脿 l'accident 禄 et 茅carte les oeuvres qui s'attachent aux cas rares et aux faits inusit茅s, au profit de celles qui d茅crivent l'humanit茅 脿 l'茅tat normal, tels certains r茅cits de Huysmans ou de Tourgueniev par exemple. Par cette r茅duction des 茅v茅nements racontables ou ce r茅tr茅cissement des possibles, Maupassant entend faire du roman un lieu o霉 il n'y a que de la vie 脿 l'茅tat normal, et o霉 les personnages se maintiennent 脿 un haut niveau de g茅n茅ralit茅, figurant l'individu moyen, une mani猫re d'锚tre ordinaire (ce qui ne correspond plus au type balzacien, qui rend plut么t singuli猫re toute mani猫re d'锚tre).

C'est ainsi que le roman tel que le pratique Maupassant (ou plut么t tel qu'il le 芦 th茅orise 禄 脿 travers ses jugements litt茅raires) peut 锚tre consid茅r茅 comme une entreprise d'茅puration et de simplification : d'une part, des personnages, qui, r茅sumant une mani猫re d'锚tre, un type ou un 茅tat, ne seront souvent que des marionnettes 脿 peine incarn茅es, voire des 芦 indications 禄 (au sens sc茅nique du terme) ; d'autre part, du r茅cit, qui ne doit pas chercher 脿 montrer une intrigue, mais seulement des faits, des 芦 tranches de vie 禄, comme les appelle Maupassant. C'est en ce sens que l'on peut dire de Maupassant qu'il se livre 脿 une t芒che d'hygi茅niste, n'en appelant qu'脿 la 芦 propret茅 禄 du style, qu'脿 l'茅puration du personnage et de l'intrigue. Maupassant reprend ainsi 脿 son compte les propos d'Ivan Tourgueniev, qui demande de 芦 simplifier et 茅lever cet art [celui du roman] qui est l'art de la vie, qui doit 锚tre l'histoire de la vie. 禄

Mais 芦 faire de la vie 禄 ne veut pas dire transposer dans le roman la vie 脿 l'茅tat brut, de m锚me que faire simple ne veut pas dire cong茅dier le style et le travail de la forme, mais donner l'illusion de la simplicit茅, pour paraphraser Maupassant (芦 faire vrai consiste 脿 donner l'illusion compl猫te du vrai 禄. D'o霉 cette autre t芒che, pour le romancier, qu'est la mise en sc猫ne, 芦 l'indispensable mise en sc猫ne 禄, qui consiste en l'arrangement des faits et, surtout, en la cr茅ation d'une 芦 atmosph猫re 禄. Cette atmosph猫re, ou ambiance g茅n茅rale du livre, repose sur la description (qui plante le 芦 d茅cor 禄, pour demeurer dans le vocabulaire de la sc猫ne et du spectacle), mais surtout sur le personnage, dont Maupassant trouve la conception id茅ale chez deux 茅crivains : le premier est Dickens, chez qui les personnages semblent plus vrais que nature, palpables en tous points et comme imm茅diatement familiers au lecteur; le second est l'Abb茅 Pr茅vost, qui avec le personnage de Manon Lescaut dans le roman 茅ponyme, fournit le type par excellence du personnage de roman d'apr猫s Maupassant : un 锚tre saisi du dehors, repr茅sent茅 en actes et en gestes plut么t qu'en train de raisonner, mais n茅anmoins dot茅 d'une vie int茅rieure. Plus qu'une r茅f茅rence en ce qui a trait 脿 la conception du personnage, Manon Lescaut repr茅sente, aux yeux de Maupassant, le maillon premier de la cha卯ne des romanciers desquels il se r茅clame, soit la 芦 race des observateurs, des psychologues, des v茅ritalistes. C'est avec Manon Lescaut qu'est n茅e l'admirable forme du roman moderne. 禄

Ouvrage cit茅 :

• Guy de Maupassant, 芦 Le roman 禄, Pierre et Jean, 茅dit茅 par Bernard Pingaud, Paris, Gallimard, coll. 芦 Folio classique 禄, 1982 [1888].

Cette bibliographie critique contient un choix de textes dont la plupart sont des chroniques litt茅raires parues entre 1876 et 1891 dans听Le Gaulois听别迟听Gil Blas.

Sur l'eau, 茅dit茅 par Jacques Dupont, Paris, Gallimard, coll. 芦Folio禄, 1993.

La Vie errante, dans听艗uvres compl猫tes, tome 15, 茅dit茅 par Gilbert Sigaux, Lausanne, 脡ditions Rencontre, 1964.

芦 Le Roman 禄,听Pierre et Jean, 茅dit茅 par Bernard Pingaud, Paris, Gallimard, coll. 芦Folio禄, 1982 [1887].

芦 Contemporains 禄,听Chroniques I听(22 octobre 1876 鈥� 23 f茅vrier 1882), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Gustave Flaubert 禄,听Chroniques I (22 octobre 1876 鈥� 23 f茅vrier 1882), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Autour d'un livre 禄,听Chroniques I (22 octobre 1876 鈥� 23 f茅vrier 1882), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Les soir茅es de M茅dan 禄,听Chroniques I (22 octobre 1876 鈥� 23 f茅vrier 1882), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 L'adult猫re 禄,听Chroniques I听(22 octobre 1876 鈥� 23 f茅vrier 1882), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Balzac d'apr猫s ses lettres 禄,听Chroniques I听(22 octobre 1876 鈥� 23 f茅vrier 1882), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Bouvard et P茅cuchet 禄,听Chroniques I听(22 octobre 1876 鈥� 23 f茅vrier 1882), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Batailles de livres 禄,听Chroniques II听(1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 La femme de lettres 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Ivan Tourgueneff 禄 (II)听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Profils d'茅crivains 禄,听Chroniques II听(1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 La jeune fille 禄,听Chroniques II听(1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 George Sand d'apr猫s ses lettres 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Fille de Fille 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 脌 propos du divorce 禄,听Chroniques II听(1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Par-del脿 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Chronique 禄,听Chroniques II听(1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Les bas-fonds 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Les subtils 禄,听Chroniques II听(1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Question litt茅raire 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 En lisant 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Le fantastique 禄,听Chroniques II听(1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 脡mile Zola 禄,听Chroniques II听(1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Romans 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 脌 propos du peuple 禄,听Chroniques II (1er mars 1882 鈥� 17 ao没t 1884), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 L'茅volution du roman au XIXe si猫cle 禄,听Chroniques III (26 ao没t 1884 鈥� 13 avril 1891), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Gustave Flaubert 禄,听Chroniques III听(26 ao没t 1884 鈥� 13 avril 1891), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 L'茅volution du roman au XIXe si猫cle 禄,听Chroniques III听(26 ao没t 1884 鈥� 13 avril 1891),听pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Un empereur 禄,听Chroniques III (26 ao没t 1884 鈥� 13 avril 1891), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Messieurs de la chronique 禄,听Chroniques III听(26 ao没t 1884 鈥� 13 avril 1891), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Histoire de Manon Lescaut et du Chevalier des Grieux禄,听Chroniques III (26 ao没t 1884 鈥� 13 avril 1891),听pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 La vie d'un paysagiste 禄,听Chroniques III听(26 ao没t 1884 鈥� 13 avril 1891), pr茅face d'Hubert Juin, Paris, UGE (10/18), coll. 芦 Fins de si猫cles 禄, 1980.

芦 Les po猫tes ont plus d'id茅al, et les romanciers plus d'impr茅vu. Les po猫tes sont plus sentimentaux, les romanciers plus positifs. Affaire de go没t et de temp茅rament. Le po猫te a plus de charme intime, le romancier plus d'esprit souvent. Mais le romancier pr茅sente des dangers qu'on ne rencontre pas chez le po猫te, il ronge, pille et exploite tout ce qu'il a sous les yeux. [鈥�] Son oeil est comme une pompe qui absorbe tout, comme la main d'un voleur toujours en travail. Rien ne lui 茅chappe ; il cueille et ramasse sans cesse ; il cueille les mouvements, les gestes, les intentions, tout ce qui passe et se passe devant lui ; il ramasse les moindres paroles, les moindres actes, les moindres choses. [鈥�] Et ce qu'il y a de terrible, c'est qu'il fera ressemblant le gredin, malgr茅 lui, inconsciemment, parce qu'il voit juste et qu'il raconte ce qu'il a vu. 禄听 (p.53-54)

芦 Qu'on ne nous envie pas, mais qu'on nous plaigne, car voici en quoi l'homme de lettres diff猫re de ses semblables. En lui aucun sentiment simple n'existe plus. Tout ce qu'il voit, ses joies, ses plaisirs, ses souffrances, ses d茅sespoirs, deviennent instantan茅ment des sujets d'observation. Il analyse malgr茅 tout, malgr茅 lui, sans fin, les coeurs, les visages, les gestes, les intonations. Sit么t qu'il a vu, quoi qu'il ait vu, il lui faut le pourquoi ! Il n'a pas un 茅lan, pas un cri, pas un baiser qui soient francs, pas une de ces actions instantan茅es qu'on fait parce qu'on doit les faire, sans savoir, sans r茅fl茅chir, sans comprendre, sans se rendre compte ensuite. [鈥�] Il a tout vu, tout retenu, tout not茅, malgr茅 lui, parce qu'il est avant tout un homme de lettres et qu'il a l'esprit construit de telle sorte que la r茅percussion, chez lui, est bien plus vive, plus naturelle, pour ainsi dire, que la premi猫re secousse, l'茅cho plus sonore que le son primitif. [鈥�] Il semble avoir deux 芒mes, l'une qui note, explique, commente chaque sensation de sa voisine, de l'芒me naturelle, commune 脿 tous les hommes ; et il vit condamn茅 脿 锚tre toujours, en toute occasion, un reflet de lui-m锚me et un reflet des autres, condamn茅 脿 se regarder sentir, agir, penser, souffrir, et 脿 ne jamais souffrir, penser, aimer, sentir comme tout le monde, bonnement, franchement, simplement, sans s'analyser soi-m锚me apr猫s chaque joie et apr猫s chaque sanglot. [鈥�] Acteur et spectateur de lui-m锚me et des autres, il n'est jamais acteur seulement comme les bonnes gens qui vivent sans malice. Tout autour de lui devient de verre, les coeurs, les actes, les intentions secr猫tes, et il souffre d'un mal 茅trange, d'une sorte de d茅doublement de l'esprit, qui fait de lui un 锚tre effroyablement vibrant, machin茅, compliqu茅 et fatigant pour lui-m锚me. 禄 (p.91-94)

芦 Car les artistes sont 脿 bout de ressources, 脿 court d'in茅dit, d'inconnu, d'茅motion, d'images, de tout. On a cueilli depuis l'antiquit茅 toutes les fleurs de leur champ. Et voil脿 que, dans leur impuissance, ils sentent confus茅ment qu'il pourrait y avoir peut-锚tre pour l'homme un 茅largissement de l'芒me et de la sensation. Mais l'intelligence a cinq barri猫res entrouvertes et cadenass茅es qu'on appelle les cinq sens, et ce sont ces cinq barri猫res que les hommes 茅pris d'art nouveau secouent aujourd'hui de toute leur force. [鈥�] C'est en ce domaine imp茅n茅trable que chaque artiste essaie d'entrer, en tourmentant, en violentant, en 茅puisant le m茅canisme de sa pens茅e. Ceux qui succombent par le cerveau, Heine, Baudelaire, Balzac, Byron [鈥�], Musset, Jules de Goncourt et tant d'autres, n'ont-ils pas 茅t茅 bris茅s par le m锚me effort pour renverser cette barri猫re mat茅rielle qui emprisonne l'intelligence humaine ? Oui, nos organes sont les nourriciers et les ma卯tres du g茅nie artiste. C'est l'oreille qui engendre le musicien, l'oeil qui fait na卯tre le peintre. Tous concourent aux sensations du po猫te. Chez le romancier, la vision, en g茅n茅ral, domine. 禄 (p.29-30)

芦 Tous les 茅crivains, Victor Hugo comme M. Zola, ont r茅clam茅 avec persistance le droit absolu, droit indiscutable, de composer, c'est-脿-dire d'imaginer ou d'observer, suivant leur conception personnelle de l'art. Le talent provient de l'originalit茅, qui est une mani猫re sp茅ciale de penser, de voir, de comprendre et de juger. Or, le critique qui pr茅tend d茅finir le Roman suivant l'id茅e qu'il s'en fait d'apr猫s les romans qu'il aime, et 茅tablir certaines r猫gles invariables de composition, luttera toujours contre un temp茅rament d'artiste apportant une mani猫re nouvelle. Un critique, qui m茅riterait absolument ce nom, ne devrait 锚tre qu'un analyste sans tendances, sans pr茅f茅rences, sans passions, et, comme un expert en tableaux, n'appr茅cier que la valeur artiste de l'objet d'art qu'on lui soumet. Sa compr茅hension, ouverte 脿 tout, doit absorber assez compl猫tement sa personnalit茅 pour qu'il puisse d茅couvrir et vanter les livres m锚me qu'il n'aime pas comme homme et qu'il doit comprendre comme juge. 禄 (p.47)

芦 En somme, si le Romancier d'hier choisissait et racontait les crises de la vie, les 茅tats aigus de l'芒me et du coeur, le Romancier d'aujourd'hui 茅crit l'histoire du coeur, de l'芒me et de l'intelligence 脿 l'茅tat normal. Pour produire l'effet qu'il poursuit, c'est-脿-dire l'茅motion de la simple r茅alit茅 et pour d茅gager l'enseignement artistique qu'il en veut tirer, c'est-脿-dire la r茅v茅lation de ce qu'est v茅ritablement l'homme contemporain devant ses yeux, il devra n'employer que des faits d'une v茅rit茅 irr茅cusable et constante. 禄 (p.51)

芦 Le r茅aliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas 脿 nous montrer la photographie banale de la vie, mais 脿 nous en donner la vision plus compl猫te, plus saisissante, plus probante que la r茅alit茅 m锚me. Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journ茅e, pour 茅num茅rer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence. Un choix s'impose donc, 鈥� ce qui est une premi猫re atteinte 脿 la th茅orie de toute la v茅rit茅. [鈥�] La vie encore laisse tout au m锚me plan, pr茅cipite les faits ou les tra卯ne ind茅finiment. L'art, au contraire, consiste 脿 user de pr茅cautions et de pr茅parations, 脿 m茅nager des transitions savantes et dissimul茅es, 脿 mettre en pleine lumi猫re, par la seule adresse de la composition, les 茅v茅nements essentiels et 脿 donner 脿 tous les autres le degr茅 de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde de la v茅rit茅 sp茅ciale qu'on veut montrer. Faire vrai consiste donc 脿 donner l'illusion compl猫te du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non 脿 les transcrire servilement dans le p锚le-m锚le de leur succession. J'en conclue que les R茅alistes de talent devraient s'appeler plut么t des Illusionnistes. 禄 (p.51-52)

芦 Voici, aujourd'hui, les symbolistes. Pourquoi pas ? Leur r锚ve d'artistes est respectable ; et ils ont cela de particuli猫rement int茅ressant qu'ils savent et qu'ils proclament l'extr锚me difficult茅 de l'art. Il faut 锚tre, en effet, bien fou, bien audacieux, bien outrecuidant ou bien sot, pour 茅crire encore aujourd'hui ! Apr猫s tant de ma卯tres aux natures si vari茅es, au g茅nie si multiple, que reste-t-il 脿 faire qui n'ait 茅t茅 fait, que reste-t-il 脿 dire qui n'ait 茅t茅 dit ? Qui peut se vanter, parmi nous, d'avoir 茅crit une page, une phrase qui ne se trouve d茅j脿, 脿 peu pr猫s pareille, quelque part. Quand nous lisons, nous, si satur茅s d'茅criture fran莽aise que notre corps entier nous donne l'impression d'锚tre une p芒te faite avec des mots, trouvons-nous jamais une ligne, une pens茅e qui ne nous soit famili猫re, dont nous n'ayons eu, au moins, le confus pressentiment ? 禄 (p.56)

芦 Il n'est point besoin du vocabulaire bizarre, compliqu茅, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d'茅criture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pens茅e ; mais il faut discerner avec une extr锚me lucidit茅 toutes les modifications de la valeur d'un mot suivant la place qu'il occupe. Ayons moins de noms, de verbes et d'adjectifs aux sens presque insaisissables, mais plus de phrases diff茅rentes, diversement construites, ing茅nieusement coup茅es, pleines de sonorit茅s et de rythmes savants. Effor莽ons-nous d'锚tre des stylistes excellents plut么t que des collectionneurs de termes rares. [鈥�] Ceux qui font aujourd'hui des images, sans prendre garde aux termes abstraits, ceux qui font tomber la gr锚le ou la pluie sur la propret茅 des vitres, peuvent aussi jeter des pierres 脿 la simplicit茅 de leurs confr猫res ! Elles frapperont peut-锚tre les confr猫res qui ont un corps, mais n'atteindront jamais la simplicit茅 qui n'en a pas. 禄 (p.59-60)

芦 Les vers, aujourd'hui, me semblent destin茅s uniquement 脿 exprimer ce que la prose pr茅cise, claire, toujours exacte, ne peut rendre, c'est-脿-dire l'insaisissable r锚ve, les effleurements d'id茅es, les sentiments flottants, les choses exquisement fines, un peu vagues, et dont le vague fait le charme, l'au-del脿 de l'existence ; ces sortes de visions brusques vers un monde de convention po茅tique, ces presque infixables lueurs de l'esprit qui semble parfois se d茅doubler, laissant voir derri猫re les voiles 脿 peine transparents tout un monde de songeries surhumaines, d'interpr茅tations id茅ales des choses r茅elles, d'images singuli猫res et un peu confuses. 禄 (p.321)

芦 Depuis l'origine des temps, le public fran莽ais buvait avec d茅lices l'onctueux sirop des romans invraisemblables. Il aimait les h茅ros et les h茅ro茂nes et les choses qu'on ne voit jamais dans la vie, pour l'unique raison qu'elles sont irr茅alisables. On appelait les auteurs de ces livres des id茅alistes, simplement parce qu'ils se tenaient toujours 脿 des distances incommensurables des choses possibles, r茅elles, mat茅rielles. 鈥� Quant 脿 des id茅es, ils en avaient peut-锚tre encore moins que leurs lecteurs. Balzac est venu, et c'est 脿 peine si on y a fait attention dans le commencement. 鈥� C'茅tait pourtant un innovateur 茅trangement puissant et fertile et l'un des ma卯tres de l'avenir, 茅crivain imparfait, sans doute, g锚n茅 par la phrase, mais inventeur de personnages immortels qu'il faisait mouvoir comme dans un grossissement d'optique, les rendant par cela m锚me plus frappants et en quelque sorte plus vrais que la r茅alit茅 ! 禄听 (p.18-19)

芦 Chez lui, la forme c'est l'oeuvre elle-m锚me : elle est comme une suite de moules diff茅rents qui donnent des contours 脿 l'id茅e, cette mati猫re dont sont p茅tris les livres. 禄 (p.19)

芦 Donc M. Flaubert est avant tout un artiste ; c'est-脿-dire : un auteur impersonnel. 禄 (p.20)

芦 Il devine juste comme Balzac, il voit juste comme Stendhal et comme bien d'autres ; mais il rend plus juste qu'eux, mieux et plus simplement ; malgr茅 les pr茅tentions de Stendhal 脿 une simplicit茅 qui n'est en somme que de la s茅cheresse, et malgr茅 les efforts de Balzac pour bien 茅crire, efforts qui aboutissent trop souvent 脿 ce d茅bordement d'images fausses, de p茅riphrases inutiles, de relatifs, de 鈥渜ui鈥�, de 鈥渜ue鈥�, 脿 cet emp锚trement d'un homme qui, ayant cent fois plus de mat茅riaux qu'il n'en faut pour construire une maison, emploie tout parce qu'il ne sait pas choisir, et cr茅e n茅anmoins une oeuvre immense, mais moins belle et moins durable que s'il avait 茅t茅 plus architecte et moins ma莽on ; plus artiste et moins personnel. 禄 (p.21)

脌 propos de听Un M芒le听de Camille Lemonnier :
芦 On l'a trait茅 d'oeuvre naturaliste ou r茅aliste remuant les passions basses et sales. Or, s'il y a une critique 脿 adresser 脿 ce livre (critique que je suis tent茅 de faire), c'est qu'il est, au contraire, con莽u et ex茅cut茅 comme un po猫me : il est 茅pique. Les paysans y apparaissent grandis 脿 l'茅gal de h茅ros ; les petits faits de l'existence campagnarde prennent des proportions d'茅pop茅e. Il est vu enfin 脿 travers l'optique sp茅ciale et grossissante des po猫tes, et non avec l'oeil froid du romancier. 禄 (p.281-282)

芦 Les deux 茅coles sont logiques, bien qu'脿 mon sens le v茅ritable romancier ne doive 锚tre ni id茅aliste ni r茅aliste de propos d茅lib茅r茅e. Ou plut么t il a le devoir d'锚tre l'un et l'autre. Il me semble clair comme le soleil que son unique pr茅tention doit 锚tre d'exprimer la vie telle qu'elle appara卯t 脿 ses yeux d'artiste, sans parti pris d'茅cole ni pactisations d'aucune sorte. 禄 (p.282)

芦 Art, lettre, style, conscience d'茅crivain, il [le public] s'en moque : par litt茅rature id茅aliste, il entend uniquement de la litt茅rature听invraisemblable,听sympathique听别迟听consolante. Toute cette grosse question litt茅raire se borne l脿, 脿 mon avis. Rien de plus. Donc que l'auteur, l'action, le personnage soient听sympathiques听au lecteur ; qu'on sente m锚me que l'auteur, lui aussi, a de la sympathie pour ses bonhommes. Enfin de la sympathie dans le titre, de la sympathie entre les lignes, de la sympathie partout. [鈥�] Alors qu'arrive-t-il ? Des 茅crivains de talent, des romanciers fort respectables r茅pondent 脿 ce go没t du lecteur pour la litt茅rature sympathique et consolante ; et ils cr茅ent une humanit茅 d'茅tag猫re, en sucre colori茅, qui fait p芒mer les femmes du monde dans leurs boudoirs. 禄 (p.283-284)

芦 Quant aux querelles sur les mots : r茅alisme et id茅alisme, je ne les comprends pas. Une loi philosophique inflexible nous apprend que nous ne pouvons rien imaginer en dehors de ce qui tombe sous nos sens ; et la preuve de cette impuissance, c'est la stupidit茅 des conceptions dites id茅ales, des paradis invent茅s par toutes les religions. Nous avons donc ce seul objectif : l'脢tre et la Vie, qu'il faut savoir comprendre et interpr茅ter en artiste. Si on n'en donne pas l'expression 脿 la fois exacte et artistiquement sup茅rieure, c'est qu'on n'a pas assez de talent. Quand un monsieur, qualifi茅 de r茅aliste, a le souci d'茅crire le mieux possible, est sans cesse poursuivi par des pr茅occupations d'art, c'est, 脿 mon sens, un id茅aliste. Quant 脿 celui qui affiche la pr茅tention de faire la vie plus belle que la nature, comme si on pouvait l'imaginer autre qu'elle n'est, de mettre du ciel dans ses livres, et qui 茅crit en 鈥渞omancier pour les dames鈥�, ce n'est, 脿 mon avis du moins, qu'un charlatan ou un imb茅cile. 鈥� J'adore les contes de f茅es et j'ajoute que ces sortes de conceptions doivent 锚tre plus vraisemblables, dans leur domaine particulier, que n'importe quel roman de moeurs de la vie contemporaine. 禄 (p.41-42)

芦 D猫s lors que je sens un plaidoyer dans une oeuvre, je me mets en garde ; d猫s lors qu'un 茅crivain cesse d'锚tre un artiste, rien qu'un artiste, pour devenir un pol茅miste, je cesse de le suivre, m'estimant assez grand pour penser tout seul, et ne voulant de lui que l'oeuvre d'art. Les id茅es changent sans cesse, mais l'instinct humain ne varie pas ; la fa莽on d'appr茅cier, seule, se modifie avec le temps et les moeurs. [鈥�] Or, si l'abb茅 Pr茅vost avait apport茅 dans son chef-d'oeuvre听Manon Lescaut听cet esprit de plaideur, de philosophe pr锚cheur, de penseur dramatique que M. A. Dumas met en ses pi猫ces, s'il e没t cherch茅 脿 nous montrer le chevalier Des Grieux 脿 son point de vue, quel que f没t d'ailleurs ce point de vue, notre mani猫re de jug茅 ayant chang茅,听Manon Lescaut听nous indignerait ou nous ennuierait. 禄 (p.397-398)

Sur Balzac:
芦 C'est avant tout un remueur d'id茅es : un spiritualiste ; il le dit, l'affirme et le r茅p猫te. C'est un inventeur prodigieux bien plus qu'un observateur ; seulement il devinait tout juste. Il concevait d'abord ses personnages tout d'une pi猫ce ; puis, des caract猫res qu'il leur avait donn茅s il d茅duisait infailliblement tous les actes qu'ils devaient faire en toutes les occasions de leur vie. Il ne visait qu'脿 l'芒me. L'objet et le fait n'茅taient pour lui que des accessoires. 禄 (p.26)

脌 propos de听Bouvard et P茅cuchet听:
芦 Il ne faut pas qu'il existe de malentendu entre l'auteur et le public, et que le lecteur en qu锚te d'aventures vienne dire : 鈥溍嘺, un roman ? Mais il n'y a pas d'intrigue.鈥� C'est un roman, oui, mais un roman philosophique, et le plus prodigieux qu'on ait jamais 茅crit. Les critiques assur茅ment vont proclamer des choses surprenantes et, au nom de l'art pour tous, attaquer cet art 脿 l'usage des seules intelligences. Il est m锚me probable qu'on contestera le droit de l'auteur de donner cette forme imag茅e du roman 脿 des discussions de pure philosophie. 禄 (p.203)

芦 Dans ce qu'on appelle ordinairement un roman, des personnages se meuvent, s'aiment, se combattent, se d茅truisent, meurent, agissent sans cesse. Dans ce livre, les personnages ne sont gu猫re que les porte-voix des id茅es qui deviennent vivantes en eux et, comme des 锚tres, se meuvent, se joignent, se combattent et se d茅truisent. 禄 (p.203-204)

芦 Soigner son style ne veut pas dire travailler son style. La nuance est d茅licate 脿 saisir. On soigne son style quand on a un certain id茅al de la phrase 茅l茅gante, sonore, mais monotone et un peu c茅r茅monieuse. On travaille son style quand on pioche sa phrase sinc猫rement, sans parti pris de lui donner une certaine forme convenue dont on d茅sir ne pas sortir. 禄 (p.270)

脌 propos de Ludine de Francis Poictevin :
芦 M. Francis Poictevin est atteint d'un mal 茅trange et presque ingu茅rissable : la maladie du mot. [鈥�] il s'imagine que, pour exprimer ces choses presque imperceptibles, pour nous les faire comprendre dans leur pauvre et passag猫re r茅alit茅, il faut un vocabulaire sp茅cial et des formes de phrase inusit茅es. [鈥�] Il existe parmi les 茅crivains deux tendances : l'une qui pousse 脿 simplifier ce qui est compliqu茅, l'autre qui pousse 脿 compliquer, non seulement la pens茅e, mais aussi l'expression. Et, vraiment, je me demande s'il n'est pas possible de dire les choses les plus d茅licates, de saisir les impressions les plus fuyantes et de les fixer clairement avec les mots que nous employons ordinairement. [鈥�] Mais, une fois cette critique faite, je m'茅tonne que Mme Adam [Juliette Lamber] n'ait pas compris et savour茅 ce qu'il y a de remarquable dans Ludine, cette observation si profonde, si aigu毛, si personnelle, si artistique de l'芒me souffrante. Ce livre est curieux surtout parce qu'il est le type nouveau de cette litt茅rature maladive, mais singuli猫rement p茅n茅trante, subtile, chercheuse qui nous vient de ces deux ma卯tres modernes, Edmond et Jules de Goncourt. Le disciple n'a pas la s没ret茅 du patron, sa dext茅rit茅 脿 jouer avec la langue, 脿 la disloquer 脿 sa guise, 脿 lui faire dire ce qu'il veut. Il est souvent confus, il peine, il s'efforce, il souffre, mais il nous rappelle en certaines pages ces chefs-d'oeuvre, Manette Salomon et Germinie Lacerteux. 禄 (p.271-272)

芦 L'artiste cherche 脿 mettre dans son oeuvre autre chose que de la pens茅e ; il veut y mettre cette chose myst茅rieuse et inexplicable qu'est l'Art litt茅raire. Qu'est-ce que cela qu'ignorent tant de romanciers ? Comment l'expliquer au juste ? L'artiste ne cherche pas seulement 脿 bien dire ce qu'il veut dire, mais il veut donner 脿 certains lecteurs une sensation et une 茅motion particuli猫res, une jouissance d'art, au moyen d'un accord secret et superbe de l'id茅e avec les mots. Une chose tr猫s claire et tr猫s bien exprim茅e d'une fa莽on peut cependant, en modifiant un peu la phrase qui la dit, en changeant seulement la place d'un mot, produire imm茅diatement un effet saisissant de beaut茅, de vie, s'animer, s'茅clairer, devenir visible, 茅mouvante, admirable. [鈥�] Faut-il un exemple ? Thiers fut un historien clair, pr茅cis, m茅thodique et nullement artiste. On le comprend bien, on estime son talent. Mais ouvrons Michelet, et voyons imm茅diatement les personnages d'autrefois vivants, comme s'ils apparaissaient devant nous, avec leur figure, leurs gestes, toute leur allure, 茅voqu茅s par un seul mot, dress茅s debout dans l'histoire d'une fa莽on d茅finitive. [鈥�] Celui-l脿, c'茅tait un grand artiste. Cela, c'est l'art. Pourtant, beaucoup d'hommes ont 茅t茅 de grands historiens sans 锚tre des artistes 脿 la fa莽on de Michelet. Beaucoup de romanciers ne sont point des artistes puisque Balzac, le plus grand de tous, n'en fut pas un, puisque Stendhal n'en fut pas un. 禄 (p.427-429)

芦 Malgr茅 son 芒ge et sa carri猫re presque finie, il avait sur les lettres les id茅es les plus modernes et les plus avanc茅es, rejetant toutes les vieilles formes des romans 脿 ficelles et 脿 combinaisons dramatiques et savantes, demandant qu'on fit de 鈥渄e la vie鈥�, rien que de la vie, 鈥� des 鈥渢ranches de vie鈥� sans intrigues et sans grosses aventures. Le 鈥渞oman鈥�, disait-il, est la forme la plus r茅cente de l'art litt茅raire. Il se d茅gage 脿 peine aujourd'hui des proc茅d茅s de la f茅erie qu'il a employ茅s tout d'abord. Il a s茅duit, par un certain charme romanesque, les imaginations na茂ves. Mais, maintenant que le go没t s'茅pure, il faut rejeter tous ces moyens inf茅rieurs, simplifier et 茅lever cet art qui est l'art de la vie, qui doit 锚tre l'histoire de la vie. 禄听 (p.246)

芦 C'est un 茅vocateur d'芒mes, sans rival pour nous faire p茅n茅trer les dedans d'un 锚tre dont il nous montre aussi les dehors comme si on le voyait, et cela sans qu'on remarque jamais ses proc茅d茅s, ses mots, ses intentions, ses malices d'茅crivain. Il sait cr茅er surtout l'atmosph猫re de ses contes avec un incomparable g茅nie. 禄 (p.254)

芦 Il est parmi les prosateurs deux groupes qui passent leur temps 脿 s'entre-m茅priser : ceux qui travaillent presque trop leur phrase, et ceux qui ne la travaillent pas assez. Les premiers n'arrivent jamais 脿 l'Acad茅mie ; les seconds, 脿 moins d'锚tre vides comme l'Od茅on un jour de premi猫re, y parviennent presque toujours. Leur prose coule, coule, incolore, insipide, sans mordre l'esprit, sans secouer la pens茅e, sans troubler les nerfs. On appelle cela 锚tre correct. Mais celle des autres est compliqu茅e, machin茅e, cribl茅e d'intentions, h茅riss茅e de proc茅d茅s, sem茅e de nuances. Tout y est voulu, m茅dit茅, pr茅par茅. Chaque adjectif a des lointains et chaque verbe un son qui doit s'accorder avec l'id茅e qu'il exprime. En une page, jamais deux fois la m锚me allure de phrase ne doit se reproduire, jamais deux mots pareils, jamais deux consonances ne se doivent rencontrer 脿 cent lignes de distance, et il doit exister m锚me dans le retour des lettres initiales des mots, une certaine sym茅trie myst茅rieuse qui concourt 脿 l'harmonie de l'ensemble. Un des plus curieux, et des plus originaux, et des plus puissants parmi ces 茅crivains, est assur茅ment L茅on Cladel [l'auteur de Ompdrailles ou le Tombeau des lutteurs]. [鈥�] Cette oeuvre vient d'锚tre publi茅e en volume. Cladel y d茅ploie toutes ses ressources d'ajusteur de mots, toute la vari茅t茅 de ses moyens, y pousse 脿 l'exc猫s son habilit茅 de styliste difficile. 禄 (p. 73-74)

芦 Comment se fait-il que, presque au m锚me moment, ces deux romanciers : Edmond de Goncourt, l'homme des psychologies difficiles, profondes, subtiles, et 脡mile Zola, l'homme des tableaux vigoureux, des 茅tudes hardies et brutales, aient choisi ce m锚me sujet d茅licat et jusqu'ici m茅pris茅 : la jeune fille听? Depuis qu'on fait vraiment des romans en France, un seul,听Paul et Virginie, nous montre un coeur de jeune fille. Mais c'est l脿 plut么t un po猫me qu'une 茅tude d'observation, et Virginie nous appara卯t bien plus comme une image que comme un 锚tre r茅el. [鈥�] Virginie, c'est la jeune fille, et non pas une jeune fille. 禄听 (p.377)

芦 Il est fort diff茅rent, en effet, de cr茅er un type de roman ou d'observer scrupuleusement la vie. Les 茅crivains de l'茅cole dont M. [Octave] Feuillet est un mod猫le con莽oivent un personnage qu'ils veulent faire s茅duisant ou odieux suivant leurs id茅es arr锚t茅es, leur caprice ou leur d茅sir de plaire. Ils le forment 脿 leur gr茅 au lieu de le subir. 禄 (p.378)

脌 propos de听Ch茅rie听d'Edmond de Goncourt et听La Joie de vivre听d'脡mile Zola :
芦 Point d'intrigue. Ce n'est pas un roman, c'est le tableau d'une 芒me de fillette. On la voit, cette jeune 芒me, vivre, s'agiter, grandir, s'affirmer dans ce jeune corps dont on suit de m锚me le d茅veloppement pr茅matur茅 [鈥�]. C'est bien l脿 un livre d'analyse d茅finitif, plus charmant, plus empoignant, que s'il contenait des aventures et des p茅rip茅ties amoureuses. [鈥�] Tout autre est l'oeuvre de Zola. C'est aux champs que le puissant romancier fait grandir sa jeune fille, 芒me simple et droite, ignorant les d茅tours et les subtilit茅s. Il a pris un 锚tre g茅n茅reux, qui va souffrir de la vie. [鈥�] Puis l'茅crivain 茅largit son image, agrandit sa donn茅e. L'histoire de cette jeune fille devient l'histoire de notre race enti猫re, histoire sinistre, palpitante, humble et magnifique, faite de r锚ves, de souffrances, d'espoirs et de d茅sespoirs, de honte et de grandeur, d'infamie et de d茅sint茅ressement, de constante mis猫re et de constante illusion. Dans l'ironie am猫re de ce livre听La Joie de vivre, 脡mile Zola a fait entrer une prodigieuse somme d'humanit茅. 禄 (p.381)

芦 Elle (George Sand) ne semble m锚me pas avoir connu cette sensation singuli猫re et puissante de cesser d'锚tre soi pour devenir ce qu'on 茅crit, pour revivre dans un personnage r锚v茅. 禄 (p.59)

脌 propos de听Fille de Fille听de Jules Gu茅rin :
芦 J'aime ce livre parce qu'il est vrai, et sans tendances. [鈥�] Tu n'id茅alises pas. Tu dis les choses telles qu'elles sont. [鈥�] Plus que les grands effets, j'aime ces petits d茅tails pr茅cis r茅v茅lant l'observateur, l'homme qui a v茅cu et retenu. 禄 (p.330)

芦 L'influence de ces romans 脿 sentiments extr锚mes fut pr茅dominante. Nous nous en ressentons encore. Les h茅ros et les h茅ro茂nes, toujours en proie 脿 un d茅lire de d茅licatesse, 脿 une exaltation ininterrompue, ont troubl茅 dans notre race le tout simple bon sens que la nature y avais mis. Il est ais茅 de se rendre compte de cette singuli猫re et rapide modification, par la lecture des oeuvres les plus typiques, reflets pr茅cis des esprits 脿 notre si猫cle comme au si猫cle dernier. Prenons pour exemple, d'un c么t茅, les livres de George Sand qui peuvent servir de type du roman id茅aliste. [鈥�] Or, dans tous ces romans, de la premi猫re 脿 la derni猫re ligne, on vit dans une sentimentalit茅 exalt茅e, dans une tension constante des id茅es chevaleresques et anormales, dans une atmosph猫re sublime et troublante, excessivement raffin茅e, qui fausse bien vite dans tout esprit excitable la simple et saine notion de l'existence r茅elle. 禄 (p.88)

脌 propos d'脌 rebours听de Huysmans :
芦 Je ne pourrais tenter l'analyse compl猫te du livre de Huysmans, de ce livre extravaguant et d茅sopilant, plein d'art, de fantaisie bizarre, de style p茅n茅trant et subtil, de ce livre qu'on pourrait appeler 鈥渓'histoire d'une n茅vrose鈥�. Mais pourquoi donc ce n茅vros茅 m'appara卯trait-il comme le seul homme intelligent, sage, ing茅nieux, vraiment id茅aliste et po猫te de l'univers, s'il existait ? 禄 (p.407)

芦 Le romancier moderne cherche avant tout 脿 surprendre l'humanit茅 sur le fait. Ce qu'il a donc int茅r锚t 脿 d茅gager d'abord dans toute action humaine, c'est le mobile initial, l'origine myst茅rieuse du vouloir, et surtout les d茅terminants communs 脿 toute la race, les impulsions instinctives. [鈥�] Le romancier se trouve donc plac茅 dans cette alternative : faire le monde tel qu'il le voit, lever les voiles de gr芒ce et d'honn锚tet茅, constater ce qui est sous ce qui para卯t, montrer l'humanit茅 toujours semblable sous ses 茅l茅gances d'emprunt, ou bien se r茅soudre 脿 cr茅er un monde gracieux et conventionnel comme l'ont fait George Sand, Jules Sandeau et Octave Feuillet.禄 (p.98)

芦 La bas-fondmanie, qui s茅vit assur茅ment, n'est qu'une r茅action trop violente contre l'id茅alisme exag茅r茅 qui pr茅c茅da. [鈥�] l'茅tude unique et continue de ce qu'on appelle les bas-fonds serait aussi illogique que la repr茅sentation constante d'un monde po茅tiquement parfait. [鈥�] Donc, ne voir dans l'humanit茅 qu'une classe d'individus (que cette classe soit d'en haut ou d'en bas), qu'une cat茅gorie de sentiments, qu'un seul ordre d'茅v茅nements, est assur茅ment une marque d'茅troitesse d'esprit, un signe de myopie intellectuelle. Balzac, que nous citons tous, quelles que soient nos tendances, parce que son g茅nie 茅tait aussi vari茅 qu'茅tendu, 鈥� Balzac consid茅rait l'humanit茅 par ensembles, les faits par masses, il cataloguait par grandes s茅ries d'锚tres et de passions. Si nous semblons aujourd'hui abuser du microscope, et toujours 茅tudier le m锚me insecte humain, tant pis pour nous. C'est que nous sommes impuissants 脿 nous montrer plus vastes. Mais, rassurons-nous. L'茅cole litt茅raire actuelle 茅largira sans doute peu 脿 peu les limites de ses 茅tudes, et se d茅barrassera, surtout, des partis pris. 禄 (p.101-103)

芦 Dans le roman tel que le comprenaient nos a卯n茅s, on recherchait les exceptions, les fantaisies de l'existence, les aventures rares et compliqu茅es. On cr茅ait avec cela une sorte de monde nullement humain, mais agr茅able 脿 l'imagination. Cette mani猫re de proc茅der a 茅t茅 baptis茅e : 鈥淢茅thode ou Art id茅aliste.鈥� Du roman, tel qu'on le comprend aujourd'hui, on cherche 脿 bannir les exceptions. On veut faire, pour ainsi dire, une moyenne des 茅v茅nements humains et en d茅duire une philosophie g茅n茅rale, ou plut么t d茅gager les id茅es g茅n茅rales des faits, des habitudes, des moeurs, des aventures qui se reproduisent le plus g茅n茅ralement. [鈥�] La vie a des 茅carts que le romancier doit 茅viter de choisir, 茅tant donn茅 sa m茅thode actuelle. Les n茅cessit茅s imp茅rieuses de son art doivent lui faire souvent m锚me sacrifier la v茅rit茅 stricte 脿 la simple mais logique vraisemblance. Ainsi les accidents sont fr茅quents. Les chemins de fer broient des voyageurs, la mer en engloutit, les chemin茅es 茅crasent les passants pendant les coups de vent. Or, quel romancier de la nouvelle 茅cole oserait, au milieu d'un r茅cit, supprimer par un de ces accidents impr茅vus un de ses personnages principaux ? La vie de chaque homme 茅tant consid茅r茅e comme un roman, chaque fois qu'un homme meurt de cette mani猫re, c'est cependant un roman que la nature interrompt brusquement. Dans ce cas, nous n'avons pas le droit de copier la nature. Car nous devons toujours prendre les moyennes et les g茅n茅ralit茅s. 禄 (p.102-103)

芦 Mais la recherche des seuls ph茅nom猫nes psychologiques a pr茅occup茅 de tout temps les chercheurs. Jadis les philosophes avaient le monopole de ces 茅tudes, qu'ils exposaient en des livres graves. Aujourd'hui, ce sont surtout les romanciers observateurs qui s'efforcent de p茅n茅trer et d'expliquer l'obscur travail des volont茅s, le profond myst猫re des r茅flexions inconscientes, les d茅terminants tant么t plus instinctifs que raisonn茅s, et tant么t plus raisonn茅s qu'instinctifs [鈥�]. Les uns, qui sont purement des objectifs, au lieu de mettre 脿 jour la psychologie des personnages en des dissertations explicatives, la font simplement appara卯tre par leurs actes. Les dedans se trouvent ainsi d茅voil茅s par les dehors, sans aucune argumentation psychologique. Les autres, comme M. Paul Bourget, font pour ainsi dire la g茅ographie morale des gens qu'ils pr茅sentent au lecteur et ils entrent jusqu'au profond de leur 芒me pour d茅voiler les mobiles de leurs actions. On pourrait appeler ceux-ci des m茅taphysiciens, et ceux-l脿 des metteurs en sc猫ne. Mais il faut encore distinguer parmi les romanciers deux grandes tendances g茅n茅rales. L'une qui pousse les analystes 脿 simplifier l'芒me humaine observ茅e ; 脿 faire, en quelque sorte, la somme des nuances de m锚me nature pour frapper le lecteur par un trait typique, par une note unique et caract茅ristique ; l'autre qui les d茅termine au contraire 脿 saisir et 脿 montrer une 脿 une les plus vagues, les plus fugitives sensations de la pens茅e, les plus obscures 茅volutions de la volont茅, 脿 ne n茅gliger aucun d茅tail d'aucune nature, aucune nuance d'aucune sorte. Ces derniers auraient donc, au contraire, une propension 脿 compliquer. On pourrait les appeler les subtils. [鈥�] Parmi les 茅crivains class茅s d猫s aujourd'hui comme des ma卯tres (je ne parle que des observateurs artistes), Flaubert repr茅sente parfaitement le type du romancier essentiellement objectif, tandis que les fr猫res Goncourt sont des subtils. 禄 (p.394-395)

脌 propos de听Monstres parisiens听de Catulle Mend猫s :
芦 Il n'a qu'un souci m茅diocre de la r茅alit茅, et se contente de demeurer dans le possible, par suite, sans doute, de cette certitude que 芦 tout arrive 禄. Je veux dire par l脿 qu'au lieu de chercher 脿 frapper l'esprit par la vraisemblance 茅clatante, ind茅niable, des caract猫res et des faits, ce que veulent obtenir les r茅alistes en n茅gligeant les v茅rit茅s exceptionnelles pour ne choisir que les v茅rit茅s constantes, il aime, il pr茅f猫re les personnages qui ont un grain d'anormal, et les sujets o霉 se m锚le un peu d'茅trange. 禄 (p.396)

脌 propos de听L'Irr茅parable听de Paul Bourget :
芦 Tout pr茅occup茅 des ph茅nom猫nes myst茅rieux de l'芒me, il les suit avec une subtilit茅 s茅rieuse et les exprime en une langue pr茅cise, un peu philosophique, mais qui d茅voile merveilleusement toutes les obscures 茅volutions de la pens茅e et de la volont茅 chez l'锚tre humain. [鈥�] Il laisse appara卯tre sans cesse ses d茅ductions, ne laissant pas au lecteur le choix et la libert茅, soit de conclure dans un sens ou dans l'autre, soit de ne point conclure du tout. Paul Bourget qui avait pris, comme po猫te et comme critique, une place 茅minente parmi les 茅crivains de ce temps, vient de se placer au premier rang des romanciers observateurs, psychologues et artistes. 禄 (p.398)

芦听Don Quichotte, ce roman des romans, est une oeuvre d'imagination, et, bien que traduit, il nous donne la sensation d'une merveille d'art inestimable.听Gil Blas听est une oeuvre d'imagination,听Gargantua听茅galement, et aussi l'adorable livre de Gautier,听Mademoiselle de Maupin. Et ils vivront 茅ternellement, parce qu'ils sont anim茅s de ce souffle qui vivifie. En dehors de l'art, pas de salut. L'art, est-ce le style ? dira-t-on. Non assur茅ment, bien que le style en soit une large partie. Balzac 茅crivait mal ; Stendhal n'茅crivait pas ; Shakespeare traduit nous donne des soul猫vements d'admiration. L'art, c'est l'art, et je n'en sais pas plus.听Opium facit dormire quia habet virtutem dormitiviam. L'art nous donne la foi dans l'invraisemblable, anime ce qu'il touche, cr茅e une r茅alit茅 particuli猫re, qui n'est ni vraie, ni croyable, et qui devient les deux par la force du talent. 禄 (p.21-22)

芦 Nous ne connaissons gu猫re que deux romans du 18猫me si猫cle :听Gil Blas听et Manon Lescaut. Tous deux sont baptis茅s chefs-d'oeuvre, bien que le second soit 脿 mon avis incomparablement sup茅rieur au premier, en ce sens qu'il nous renseigne sur les moeurs, les coutumes, la morale (?) et les mani猫res d'aimer de cette 茅poque charmante et libertine. C'est le roman naturaliste du temps. 禄 (p.10)

芦 Pour 锚tre 茅mu, il faut que je trouve, dans un livre, de l'humanit茅 saignante ; il faut que les personnages soient mes voisins, mes 茅gaux, passent par les joies et les souffrances que je connais, aient tous un peu de moi, me fassent 茅tablir, 脿 mesure que je lis, une sorte de comparaison constante, faisant frissonner mon coeur 脿 des souvenirs intimes, et 茅veillent 脿 chaque ligne des 茅chos de ma vie de chaque jour. Et voil脿 pourquoi听L'脡ducation sentimentale听me bouleverse, et pourquoi le roquefort avari茅 de M. Folantin [le h茅ros de听脌 vau-l'eau听de Huysmans] fait courir en ma bouche des fr茅missements sinistres de rem茅morance. 禄 (p.13)

芦 Nous avons rejet茅 le myst茅rieux qui n'est plus pour nous que l'inexplor茅. Dans vingt ans, la peur de l'irr茅el n'existera plus m锚me dans le peuple des champs. Il semble que la Cr茅ation ait pris un autre aspect, une autre figure, une autre signification qu'autrefois. De l脿 va certainement r茅sulter la fin de la litt茅rature fantastique. [鈥�] Quand l'homme croyait sans h茅sitation, les 茅crivains fantastiques ne prenaient point de pr茅cautions pour d茅rouler leurs surprenantes histoires. Ils entraient, du premier coup, dans l'impossible et y demeuraient, variant 脿 l'infini les combinaisons invraisemblables, les apparitions, toutes les ruses effrayantes pour enfanter l'茅pouvante. Mais, quand le doute eut p茅n茅tr茅 enfin dans les esprits, l'art est devenu plus subtil. L'茅crivain a cherch茅 les nuances, a r么d茅 autour du surnaturel plut么t que d'y p茅n茅trer. Il a trouv茅 des effets terribles en demeurant sur la limite du possible, en jetant les 芒mes dans l'h茅sitation, dans l'effarement. [鈥�] L'extraordinaire puissance terrifiante d'Hoffmann et d'Edgar Poe vient de cette habilet茅 savante, de cette fa莽on particuli猫re de coudoyer le fantastique et de troubler, avec des faits naturels o霉 reste pourtant quelque chose d'inexpliqu茅 et de presque impossible. 禄 (p.256-257)

Sur Tourgueniev :
芦 Et il mettait dans ses r茅cits un grand horizon, ce que les peintres appellent 鈥渄e l'air鈥�, une largeur de pens茅e infinie en m锚me temps qu'une pr茅cision minutieuse. 禄 (p.259)

芦 Zola est, en litt茅rature, un r茅volutionnaire, c'est-脿-dire un ennemi f茅roce de ce qui vient d'exister. [鈥�] 脡lev茅s dans le romantisme, impr茅gn茅s des chefs-d'oeuvre de cette 茅cole, tout secou茅s d'茅lans lyriques, nous traversons d'abord la p茅riode d'enthousiasme qui est la p茅riode d'initiation. Mais quelque belle qu'elle soit, une forme devient fatalement monotone, surtout pour les gens qui ne s'occupent que de litt茅rature, qui en font du matin au soir, qui en vivent. Alors un 茅trange besoin de changement na卯t en nous ; les plus grandes merveilles m锚me, que nous admirions passionn茅ment, nous 茅coeurent parce que nous connaissons trop les proc茅d茅s de production, parce que nous sommes du b芒timent, comme on dit. Enfin nous cherchons autre chose, ou plut么t nous revenons 脿 autre chose ; mais cet 鈥渁utre chose鈥� nous le prenons, nous le remanions, nous le compl茅tons, nous le faisons n么tre ; et nous nous imaginons, de bonne foi parfois, l'avoir invent茅. C'est ainsi que les lettres vont de r茅volution en r茅volution, d'茅tape en 茅tape, de r茅miniscence en r茅miniscence ; car rien maintenant ne peut 锚tre neuf. MM Victor Hugo et 脡mile Zola n'ont rien d茅couvert. 禄 (p.311-312)

芦 Donc, pour Zola, la v茅rit茅 seule peut produire des oeuvres d'art. Il ne faut donc pas imaginer ; il faut observer et d茅crire scrupuleusement ce qu'on a vu. Ajoutons que le temp茅rament particulier de l'茅crivain donnera aux choses qu'il d茅crira une couleur sp茅ciale, une allure propre, selon la nature de son esprit. Il a d茅fini ainsi son naturalisme : 鈥淟a nature vue 脿 travers un temp茅rament鈥�; et cette d茅finition est la plus claire, la plus parfaite qu'on puisse donner de la litt茅rature en g茅n茅ral. Ce TEMP脡RAMENT est la marque de fabrique ; et le plus ou moins de talent de l'artiste imprimera une plus ou moins grande originalit茅 aux visions qu'il nous traduira. Car la v茅rit茅 absolue, la听v茅rit茅 s猫che, n'existe pas, personne ne pouvant avoir la pr茅tention d'锚tre un miroir parfait. 禄 (p.313-314)

芦 Mais fils des romantiques, romantique lui-m锚me dans tous ses proc茅d茅s, il porte en lui une tendance au po猫me, un besoin de grandir, de grossir, de faire des symboles avec les 锚tres et les choses. [鈥�] Ses enseignements et ses oeuvres sont 茅ternellement en d茅saccord. Qu'importent, du reste, les doctrines, puisque seules les oeuvres restent ; et ce romancier a produit d'admirables livres qui gardent quand m锚me, malgr茅 sa volont茅, des allures de chants 茅piques. Ce sont des po猫mes sans po茅sies voulues, sans les conventions adopt茅es par ses pr茅d茅cesseurs, sans aucune des rengaines po茅tiques, sans parti pris, des po猫mes o霉 les choses, quelles qu'elles soient, surgissent 茅gales dans leur r茅alit茅, et se refl猫tent 茅largies, jamais d茅form茅es, r茅pugnantes ou s茅duisantes, laides ou belles indiff茅remment, dans ce miroir grossissant mais toujours fid猫le et probe que l'茅crivain porte en lui.听Le Ventre de Paris听n'est-il pas le po猫me des nourritures ?听L'Assommoir听le po猫me du vin, de l'alcool et des so没leries ? Nana n'est-il pas le po猫me du vice ? 禄听 (p.314-315)

芦 Oh ! je ne nie point qu'on ait souvent abus茅 de la description 脿 outrance ; je ne conteste pas qu'on ait fait souvent le principal de l'accessoire ; je ne mets pas en doute que la psychologie soit la chose essentielle des romans vivants, mais je crois que retrancher la description de ces ouvrages, ce serait supprimer l'indispensable mise en sc猫ne, en d茅truire la vraisemblance palpable, enlever tout le relief des personnages, leur 么ter leur physionomie caract茅ristique, et n茅gliger volontairement de leur donner le fameux coup de pouce artistique. Ce serait, en un mot, supprimer tout le travail de l'artiste pour ne laisser subsister que la besogne du psychologue. Dans tout roman de grande valeur il existe une chose myst茅rieusement puissante : l'atmosph猫re sp茅ciale, indispensable 脿 ce livre. Cr茅er l'atmosph猫re d'un roman, faire sentir le milieu o霉 s'agit猫rent les 锚tres, c'est rendre possible la vie du livre. Voil脿 o霉 doit se borner l'art descriptif ; mais sans cela rien ne vaut. Voyez avec quel soin Dickens sait indiquer les lieux o霉 s'accomplit l'action. Et il fait plus que les indiquer, il les montre, les rend familiers, rendant ainsi plus vraisemblables, n茅cessaires m锚me les p茅rip茅ties du drame qui, expos茅 en un autre cadre, perdrait son relief et son 茅motion. Quant il nous pr茅sente un personnage, il le d茅crit jusque dans ses tics, dans les moindres habitudes de son corps, dans ses mouvements ordinaires ; et il insiste, il se r茅p猫te. [鈥�] ce romancier a pouss茅 aussi loin que possible l'art de donner une vie ext茅rieure 脿 ses figures, de les rendre palpables comme des 锚tres rencontr茅s, en poussant jusqu'脿 l'exag茅ration ce besoin de d茅tail physique. 禄 (p.40-41)

芦 Il semble qu'on pourrait classer les romans en deux cat茅gories bien distinctes : ceux qui sont nets et ceux qui sont vagues. Les premiers sont les romans bien mis en sc猫ne, les seconds les romans expliqu茅s simplement par la psychologie. Quelque extr锚me que soit le m茅rite de ces derniers, ils restent toujours confus pour moi, et lourds, comme indigestes et indistincts. Ils ont leur type dans les remarquables oeuvres psychologiques de Stendhal dont la valeur n'appara卯t que par la r茅flexion, dont les qualit茅s semblent cach茅es au lieu de sauter aux yeux, d'锚tre lumineuses, color茅es, mises en place par la main d'un artiste. Les dedans des personnages ont besoin d'锚tre comment茅s par leurs gestes. [鈥�] Je vais plus loin. Je consid猫re que le romancier n'a jamais le droit de qualifier un personnage, de d茅terminer son caract猫re par des motifs explicatifs. Il doit me le montrer tel qu'il est et non me le dire. Je n'ai pas besoin de d茅tails psychologiques. Je veux des faits, rien que des faits, et je tirerai les conclusions tout seul. [鈥�] Chez le romancier, le philosophe doit 锚tre voil茅. 禄 (p.41-42)

芦 Mais, si le peuple 茅tait capable de lire les romanciers, les vrais romanciers, il y pourrait trouver le plus utile des enseignements, la science de la vie. Tout l'effort litt茅raire aujourd'hui tend 脿 p茅n茅trer la nature humaine et 脿 l'exprimer telle qu'elle est, 脿 l'expliquer dans les limites de la stricte v茅rit茅. Quel service plus grand peut-on rendre 脿 un pays que de lui apprendre ce que sont les hommes, 脿 quelque classe qu'ils appartiennent, de lui apprendre 脿 se conna卯tre lui-m锚me ? C'est l脿, j'en conviens, le moindre souci des romanciers. Ils s'adressent 脿 la t锚te seule de la nation ; que les politiciens s'occupent du bas. 禄 (p.275)

芦 Ce qu'on appelle aujourd'hui le roman de moeurs est d'invention assez moderne. Je ne le ferai pas remonter 脿听Daphnis et Chlo茅, cette 茅glogue po茅tique, sur laquelle s'extasient les esprits doctes et tendres qu'exalte l'antiquit茅, ni 脿 l'脗苍别, conte grivois, que refit en le d茅veloppant, Apul茅e, ce d茅cadent classique. Je ne m'occuperai pas non plus, dans cette tr猫s courte 茅tude sur l'茅volution du roman moderne depuis le commencement de ce si猫cle, de ce qu'on appelle le roman d'aventures, lequel nous vient du Moyen Age, et, n茅 des r茅cits de chevalerie, continu茅 par Mlle de Scud茅ry, et plus tard modifi茅 par Fr茅d茅ric Souill茅 et Eug猫ne Sue, semble avoir eu son apoth茅ose dans ce conteur de g茅nie que fut Alexandre Dumas p猫re. [鈥�] De Lesage descend la lign茅e des fantaisistes spirituels qui, regardant le monde de leur fen锚tre, un lorgnon sur l'oeil, une feuille de papier devant eux, psychologues souriants, plus ironiques qu'茅mus, nous ont montr茅, avec de jolis dehors d'observation et des 茅l茅gances de styles, de fringantes marionnettes. [鈥�] De J-J. Rousseau descend la grande famille des 茅crivains romanciers-philosophes, qui ont mis l'art d'茅crire, tel qu'on le comprenait autrefois, au service d'id茅es g茅n茅rales. Ils prennent une th猫se et la mettent en action. Leur drame n'est pas tir茅 de la vie, mais con莽u, combin茅 et d茅velopp茅 en vue de d茅montrer le vrai ou le faux d'un syst猫me. Chateaubriand [鈥�], fut le grand continuateur du philosophe de Gen猫ve ; et Mme Sand a tout l'air d'avoir 茅t茅 le dernier enfant g茅nial de cette descendance. [鈥�] R锚veurs, utopistes, po猫tes, peu pr茅cis et peu observateurs, mais pr锚cheurs 茅loquents, artistes et s茅ducteurs, ces romanciers n'ont gu猫re aujourd'hui de repr茅sentants parmi nous. Mais de l'Abb茅 Pr茅vost nous arrive la puissante race des observateurs, des psychologues, des v茅ritalistes. C'est avec听Manon Lescaut听qu'est n茅e l'admirable forme du roman moderne. 禄听 (p.378-379)

芦 Sous la R茅volution et sous l'Empire, la litt茅rature sembla morte. Elle ne peut vivre qu'aux 茅poques de calme, qui sont des 茅poques de pens茅e. [鈥�] La r茅surrection fut 茅clatante. Une l茅gion de po猫tes surgit, qui s'appel猫rent A. Lamartine, A. de Vigny, A. de Musset, Baudelaire, Victor Hugo et deux romanciers apparurent, de qui date la r茅elle 茅volution de l'aventure imagin茅e 脿 l'aventure observ茅e, ou mieux 脿 l'aventure racont茅e, comme si elle appartenait 脿 la vie. Le premier de ces hommes [鈥�], se nomma Stendhal, et le second, le g茅ant des lettres modernes, aussi 茅norme que Rabelais, ce p猫re de la litt茅rature fran莽aise, fut Honor茅 de Balzac. Stendhal gardera surtout une valeur de pr茅curseur : c'est le primitif de la peinture de moeurs. Ce p茅n茅trant esprit, dou茅 d'une lucidit茅 et d'une pr茅cision admirables, d'un sens de la vie subtil et large, a fait couler dans ses livres un flot de pens茅es nouvelles, mais il a si compl猫tement ignor茅 l'art, ce myst猫re qui diff茅rencie absolument le penseur de l'茅crivain, qui donne aux oeuvres une puissance presque surhumaine, qui met en elles le charme inexprimable des proportions absolues et un souffle divin qui est l'芒me des mots assembl茅s par un engendreur de phrases, il a tellement m茅connu la toute puissance du style qui est la forme ins茅parable de l'id茅e, et confondu l'emphase avec la langue artiste, qu'il demeure, malgr茅 son g茅nie, un romancier de second plan. [鈥�] Mais devant Balzac on ose 脿 peine critiquer. Un croyant oserait-il reprocher 脿 son dieu toutes les imperfections de l'univers ? Balzac a l'茅nergie f茅condante, d茅bordante, immod茅r茅e, stup茅fiante d'un dieu, mais avec les h芒tes, les violences, les imprudences, les conceptions incompl猫tes, les disproportions d'un cr茅ateur qui n'a pas le temps de s'arr锚ter pour chercher la perfection. [鈥�] Derri猫re lui, une 茅cole se forma bient么t, qui, s'autorisant de ce que Balzac 茅crivait mal, n'茅crivit plus du tout, et 茅rigea en r猫gle la copie pr茅cise de la vie. M. Champfleury fut un des plus remarquables chefs de ces r茅alistes, dont un des meilleurs, Duranty, a laiss茅 un fort un curieux roman : Le Malheur d'Henriette G茅rard. 禄 (p. 380-382)

Sur Flaubert:

芦 Il imaginait d'abord des types ; et, proc茅dant par d茅duction, il faisait accomplir 脿 ces 锚tres les actions caract茅ristiques qu'ils devaient fatalement accomplir avec une logique absolue, suivant leurs temp茅raments. La vie donc qu'il 茅tudiait si minutieusement ne lui servait gu猫re qu'脿 titre de renseignement. Jamais il n'茅nonce les 茅v茅nements ; on dirait, en le lisant, que les faits eux-m锚mes viennent parler, tant il attache d'importance 脿 l'apparition visible des hommes et des choses. [鈥�] Dans听Madame Bovary, chaque personnage est un type, c'est-脿-dire le r茅sum茅 d'une s茅rie d'锚tres appartenant au m锚me ordre intellectuel. 禄 (p.85-86)

脌 propos de听厂补濒补尘尘产么听:
芦 Est-ce l脿 un roman ? N'est-ce pas plut么t une sorte d'op茅ra en prose ? Les tableaux se d茅veloppent avec une magnificence prodigieuse, un 茅clat, une couleur et un rythme surprenants. [鈥�] Et les personnages, b芒tis en h茅ros, semblent toujours en sc猫ne, parlant sur un mode superbe, avec une 茅l茅gance forte ou charmante, ont l'air de se mouvoir dans un d茅cor antique et grandiose. 禄 (p.87)

芦 Il avait une conception du style qui lui faisait enfermer dans ce mot toutes les qualit茅s qui font, en m锚me temps, un penseur et un 茅crivain. Aussi, quand il d茅clarait : 芦 Il n'y a que le style 禄, il ne faudrait pas croire qu'il entend卯t : 芦 Il n'y a que la sonorit茅 ou l'harmonie des mots. 禄 [鈥�] Car il n'imaginait pas des 芦 styles 禄 comme une s茅rie de moules particuliers dont chacun porte la marque d'un 茅crivain et dans lequel on coule toutes ses id茅es ; mais il croyait au style, c'est-脿-dire 脿 une mani猫re unique, absolue, d'exprimer une chose dans toute sa couleur et son intensit茅. [鈥�] Le style devait donc 锚tre, pour ainsi dire, impersonnel et n'emprunter ses qualit茅s qu'脿 la qualit茅 de la pens茅e et 脿 la puissance de vision. 禄 (p.110-111)

芦 Il a tout vu, cet homme, il a tout compris, il a tout senti, il a tout souffert, d'une fa莽on exag茅r茅e, d茅chirante et d茅licieuse. Il a 茅t茅 l'锚tre r锚veur de la Bible, le po猫te grec, le soldat barbare, l'artiste de la Renaissance, le manant et le prince, le mercenaire Matho et le m茅decin Bovary. [鈥�] Heureux ceux qui ont re莽u du 芦 je-ne-sais-quoi 禄 dont nous sommes en m锚me temps les produits et les victimes, cette facult茅 de se d茅multiplier ainsi par la puissance 茅vocatrice et g茅n茅ratrice de l'Id茅e. 禄 (p.409-410)

芦 C'est 脿 Gustave Flaubert que l'on doit l'accouplement du style et de l'observation moderne. Mais la poursuite de la v茅rit茅, ou plut么t de la vraisemblance amenait peu 脿 peu la recherche passionn茅e de ce qu'on appelle aujourd'hui le document humain. [鈥�] Les plus personnels des romanciers contemporains qui ont apport茅 dans la chasse et l'emploi du document l'art le plus subtil et le plus puissant sont assur茅ment les fr猫res de Goncourt. Dou茅s, en outre, de natures extraordinairement nerveuses, vibrantes, p茅n茅trantes, ils sont arriv茅s 脿 montrer, comme un savant qui d茅couvre une couleur nouvelle, une nuance de la vie presque inaper莽ue avant eux. [鈥�] Pour les d茅butants qui apparaissent aujourd'hui, au lieu de se tourner vers la vie avec une curiosit茅 vorace [鈥�], ils ne regardent plus qu'en eux-m锚mes, observent uniquement leur 芒me, leur coeur, leurs instincts, leurs qualit茅s ou leurs d茅fauts, et proclament que le roman d茅finitif ne doit 锚tre qu'une autobiographie. [鈥�] Cette tendance vers la personnalit茅 茅tal茅e 鈥� car c'est la personnalit茅 voil茅e qui fait la valeur de toute oeuvre, et qu'on nomme g茅nie ou talent 鈥� cette tendance n'est-elle pas une preuve de l'impuissance 脿 observer, 脿 observer la vie 茅parse autour de soi, comme ferait une pieuvre aux innombrables bras ? Et cette d茅finition, derri猫re laquelle se barricada Zola dans la grande bataille qu'il a livr茅e pour ses id茅es, ne sera-t-elle point toujours vraie, car elle peut s'appliquer 脿 toutes les productions de l'art litt茅raire et 脿 toutes les modifications qu'apporteront les temps : un roman, c'est la nature vue 脿 travers un temp茅rament. 禄 (p.382-384)

芦 Un romancier ne devrait lire que de la science, car, s'il sait comprendre, il apercevra par elle comment on sera, comment on pensera, comment on sentira dans cent ans. Les 茅tudes et les d茅couvertes d'Herbert Spencer, de M. Pasteur et quelques autres pr茅parent 脿 toutes les observations mieux que la lecture des plus grands po猫tes, car elles jettent nos esprits vers des hypoth猫ses d'une r茅alit茅 pr茅cise et inattendue qui seront demain des croyances, remplac茅es plus tard par d'autres. 禄 (p.396)

芦 Le romancier a besoin de p茅n茅tration, d'id茅es g茅n茅rales, d'observation profonde et minutieuse des hommes, et surtout une suite s茅v猫re dans l'encha卯nement des pens茅es et des 茅v茅nements d'o霉 d茅pend la composition d'un livre. L'observation du chroniqueur doit porter sur les faits bien plus que sur les hommes, le fait 茅tant la nourriture m锚me du journal, et ce doit 锚tre encore bien plus de l'appr茅ciation que de l'observation. [鈥�] Les qualit茅s ma卯tresses du romancier, qui sont l'haleine, la tenue litt茅raire, l'art du d茅veloppement m茅thodique, des transitions et de la mise en sc猫ne, et surtout la science difficile et d茅licate de cr茅er l'atmosph猫re o霉 vivront les personnages, deviennent inutiles et m锚me nuisibles dans la chronique qui doit 锚tre courte et hach茅e, fantaisiste, sautant d'une chose 脿 une autre et d'une id茅e 脿 la suivante sans la moindre transition, sans ces pr茅parations minutieuses qui demandent tant de peine au faiseur de livres. [鈥�] S'il fallait pousser plus loin cette analyse on remarquerait encore que le chroniqueur pla卯t surtout parce qu'il pr锚te aux choses qu'il raconte son tour d'esprit, l'allure de sa verve, et qu'il les juge toujours avec la m锚me m茅thode, leur applique le m锚me proc茅d茅 de pens茅e et d'expression auquel le lecteur du journal s'est habitu茅. Le romancier, au contraire, doit, tout en donnant 脿 son oeuvre la marque de son originalit茅 propre, se faire autant de temp茅raments qu'il met en sc猫ne de personnes, il doit appr茅cier avec leurs jugements divers, voir la vie avec leurs yeux, donner le reflet des faits et des choses dans tous ces esprits contraires, diff茅remment organis茅s suivant leur temp茅rament physique et les milieux o霉 ils se sont d茅velopp茅s.禄 (p.40-42)

芦 Le corps de la V茅nus de Milo, la t锚te de la Joconde, la figure de Manon Lescaut hantent notre 芒me et l'茅meuvent, et vivront toujours dans le coeur de l'homme, et troubleront toujours tous les artistes, tous les songeurs, tous ceux qui d茅sirent et poursuivent une forme entrevue et insaisissable. Les 茅crivains nous ont laiss茅 seulement trois ou quatre de ces types de gr芒ce qu'il nous semble avoir connus, qui vivent en nous comme des souvenirs, de ces visions si palpables qu'elles ont l'air de r茅alit茅s. 禄 (p.212-213)

芦 Cette fille diverse, complexe, changeante, sinc猫re, odieuse et adorable, pleine d'inexplicables mouvements de coeur, d'incompr茅hensibles sentiments, de calculs bizarres et de na茂vet茅 criminelle, n'est-elle pas admirablement vraie ? Comme elle diff猫re des mod猫les de vice ou de vertu pr茅sent茅s sans complications, par les romanciers sentimentalistes, qui imaginent des types invariables, sans comprendre que l'homme a toujours d'innombrables faces. [鈥�] Et puisqu'on parle toujours d'茅coles litt茅raires, n'est-il pas curieux et instructif de voir comment ce livre a surv茅cu et demeure et demeurera par la seule force de la sinc茅rit茅, par l'茅clatante vraisemblance des personnages qu'il fait appara卯tre. [鈥�] Seule, cette nouvelle immorale et vraie, si juste qu'elle nous indique 脿 n'en pouvoir douter l'茅tat de certaines 芒mes 脿 ce moment pr茅cis de la vie fran莽aise, si franche qu'on ne songe pas m锚me 脿 se f芒cher de la duplicit茅 des actes, reste comme une oeuvre de ma卯tre, une de ces oeuvres qui font partie de l'histoire d'un peuple.禄 (p.215-216)

芦 L'oeil, le plus admirable des organes humains, est ind茅finiment perfectionnable ; et il arrive, quand on pousse, avec intelligence, son 茅ducation, 脿 une admirable acuit茅. [鈥�] Tout le combat terrible que Zola raconte dans son 艗uvre admirable, toute cette lutte infinie de l'homme avec la pens茅e, toute cette bataille superbe et effroyable de l'artiste avec son id茅e, avec le tableau entrevu et insaisissable, je les vois et je les livre, moi, ch茅tif, impuissant, mais tortur茅 comme Claude, avec d'imperceptibles tons, avec d'ind茅finissables accords que mon oeil seul, peut-锚tre, constate et note ; et je passe des jours douloureux 脿 regarder, sur une route blanche, l'ombre d'une borne en constatant que je ne puis la peindre. 禄 (p.287)