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Roger Nimier, Hussard 脿 la rescousse d'une litt茅rature en p茅ril.

Roger Nimier est n茅 脿 Paris le 31 octobre 1925 et est mort au volant de son Aston-Martin le 28 septembre 1962 脿 La-Celle-Saint-Cloud, accident qui a immortalis茅 son image de 芦 hussard 禄 furieux de vivre et passionn茅 par la vitesse. C'est l'article de Bernard Frank 芦 Grognards et Hussards 禄, paru aux听Temps modernes听en 1952, mais aussi l'attitude d茅sinvolte et impertinente de Nimier qui lui ont valu sa r茅putation d'enfant terrible du monde litt茅raire et l'ont d茅sign茅 comme le chef de file de la droite litt茅raire d'apr猫s-guerre. Or, comme le souligne Olivier Fr茅bourg dans听Roger Nimier, trafiquant d'insolences, cette l茅gende est n茅e d'un malentendu cr茅茅 par la confusion entre le romancier et les personnages de ses romans, tous suicidaires, f茅rus de jeunesse et de l'uniforme. Fr茅bourg remarque en effet que 芦 Nimier n'abusa ni de l'excentricit茅, ni de la d茅bauche romantique [鈥�] il d茅testait le path茅tique et les confessions d茅plac茅es. Nimier fut un 茅crivain consciencieux, fascin茅 par la听Vie de Ranc茅. Les intellectuels l'insupportaient, il se donna un air d茅gag茅, se moqua du dandysme et de la pr茅ciosit茅. 禄 (p. 27)

脡crivain pr茅coce, Nimier publie entre l'芒ge de 23 et 28 ans six romans :听Les 脡p茅es听(1948),听Perfide听别迟听Le Hussard bleu听(1950),听Les Enfants tristes听(1951),听Amour et n茅ant听别迟听Histoire d'un amour听(1953). Il fait par la suite un voeu de silence pendant dix ans, silence malheureusement prolong茅 ind茅finiment par son accident de voiture en 1962.听D'Artagnan amoureux, ou cinq ans avant, roman sur lequel il travaillait au moment de l'accident sera publi茅 deux mois apr猫s sa mort. Nimier a collabor茅 脿 de nombreuses revues : il a 茅t茅 r茅dacteur en chef de la revue听翱辫茅谤补,听a collabor茅 脿 la revue听Arts听et il a fond茅听La Parisienne. En 1954, il est devenu le directeur litt茅raire du Nouveau F茅mina, et de 1956 jusqu'脿 sa mort, conseiller litt茅raire aux 脡ditions Gallimard.

La publication d'un essai mi-politique, mi-litt茅raire,听Le Grand d'Espagne听(qu'il d茅die 脿 Bernanos), fait de Nimier non seulement le porte-parole de la g茅n茅ration 芦 qui a eu 20 ans en 1945 禄, mais aussi l'incarnation d'une jeunesse m茅lancolique, frustr茅e et insoumise, qui s'affirme en s'opposant haut et fort 脿 l'existentialisme :

L'humanisme est toujours tr猫s prudent dans ses principes, tr猫s imp茅ratif dans ses mandements. Il nous d茅fend clairement de tuer nos semblables, sans nous expliquer pourquoi les autres sont nos semblables. On me r茅pondra que ces choses-l脿 鈥渟e sentent鈥�. Ce n'est pas impossible. Mais dans le domaine des sensations, l'humeur est dominante, chaque instant est un argument nouveau et enfin, il n'est pas jur茅 que tous les habitants de la terre sortent du m锚me atelier, puisque aussi bien il n'y a plus de sculpteur. Tout 脿 coup, si nos voisins nous apparaissent comme des insectes ou de purs 茅trangers, rien ne nous emp锚chera d'en supprimer quelques-uns. Les moustiques tu茅s, les r茅sistants fusill茅s, les fascistes abattus, ces choses-l脿 ne se comptent plus. C'est une affaire d'impatience ou de col猫re. (Le Grand d'Espagne, p. 75-76)

Fasciste, gaulliste, maurrassien, 芦 ou tout simplement baroque 禄 (Fr茅bourg, p. 26), Nimier choque et surprend par ses prises de position politiques que Marc Dambre, dans听Roger Nimier, Hussard du demi-si猫cle听voit comme autant d'appels 脿 une r茅formation compl猫te de la civilisation. 芦 Pour une g茅n茅ration qui avait le jeune 芒ge de Roger Nimier, le bonheur 茅tait une id茅e neuve, dont le caract猫re fragile et menac茅 accentuait l'attrait 禄 茅crit Dambre (p. 12), selon qui Nimier est avant tout un r茅volutionnaire nostalgique des 芦 anciens Ordres humains 禄 (p. 13) : la Monarchie, l'Arm茅e et la Litt茅rature. Sa vie durant, Nimier se fera alors le d茅fenseur du plus important de ces trois Ordres, la Litt茅rature, dont le destin est pour lui intrins猫quement li茅 脿 celui de la civilisation toute enti猫re . La virulence avec laquelle Nimier s'oppose 脿 la litt茅rature 芦 d'avant-garde 禄 ne doit donc pas seulement 锚tre per莽ue comme un acte politique, mais aussi comme une prise de position esth茅tique. Or, l'heure est grave, car les 茅crivains, enivr茅s par le progr猫s et la facilit茅, ne voient pas que le roman court 脿 sa perte :

C'est que le roman est devenu confortable, depuis听Melmoth听辞耻听Le Vengeur. Il a rejoint la trag茅die du XVIIIe. Cons茅quence inqui茅tante, Jean Paulhan l'a remarqu茅e, les romans ne sont plus romanesques. Ainsi des trag茅dies, apr猫s Racine, qui n'茅taient plus tragiques. Au fait, nous sommes apr猫s Balzac. Il s'ensuit une ressemblance commode entre les 茅crivains. Les sp茅cialistes disparaissent ; du m锚me coups les sp茅cialit茅s pharmaceutiques se r茅pandent : le roman selon Mauriac, pour pr茅venir la nostalgie, l'adult猫re et le retour d'芒ge. Selon Montherlant, 脿 l'usage des filles qui se sentent un grand vide dans le coeur. Le public fran莽ais n'est pas tellement excit茅. Il sait ordonner ses r锚ves. Il n'ignore pas qui lui plaira, non plus qu'il n'ignore ce qui l'aidera 脿 mieux dormir (ou 脿 mieux vivre, si on pr茅f猫re employer les grands mots) : histoires d'amour, h茅ro茂sme, vague 脿 l'芒me. Chacun se soigne 脿 domicile, les critiques litt茅raires signant les ordonnances. (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, p. 13)

C'est en fait l'industrie litt茅raire toute enti猫re que Nimier pointe du doigt. 芦 Les choses seraient moins graves si la litt茅rature n'茅tait pas devenue force sociale, valeur d'exportation 禄, d茅nonce Nimier. Cynique, il ajoute dans son article 芦 Le prix de a r茅flexion 禄 (1960) :

Tout serait plus simple, si des sujets clairs 茅taient propos茅s aux romanciers. Les prix ne devraient pas se nommer Goncourt, F茅mina, Monthyon, mais plut么t Prix du Bon Jeune Homme (Une enfance, des boutons, une inqui茅tude, un printemps, un amour, sera-t-elle mienne ?), Prix du Monde Moderne (On est quoi ? On n'est rien. Un whisky, vieux ? Et ta crise spirituelle ? Soyons lucides. Non, une gauloise, s'il te pla卯t), Prix de la Vie Sociale (Un avocat. Il sait parler. Bel homme. Son cousin m茅decin. Son neveu r茅volt茅. Son fr猫re officier en Alg茅rie. Le monde est petit. Le monde est le monde). Mais ces 茅preuves int茅ressantes, qui existent d'une certaine fa莽on, ne sont pas avou茅es comme il le faudrait. De sorte que les journaux ne peuvent c茅l茅brer officiellement le G茅nie de l'Adult猫re, de l'Objet, de la Sc猫ne champ锚tre, du Couple, g茅nies qui existent cependant, pour l'ornement d'une grande industrie : l'茅dition.

Cet 茅tat de crise du monde litt茅raire n'est pas uniquement le r茅sultat d'une convergence malheureuse de l'茅conomie, de la litt茅rature et de la politique, il est surtout li茅 脿 l'aveuglement des 茅crivains qui se laissent bercer par leurs illusions sur l'Art, illusions dont la plus navrante est celle d'une litt茅rature d'apr猫s-guerre novatrice et capable de transformer le monde.

Il fut entendu, en 1945, qu'on entrait dans une grande 茅poque. Ce lotissement nocturne [St-Germain] pr茅tendait 脿 deux ressources bien faites pour attirer l'amateur : la fille facile et la litt茅rature compliqu茅e. Le bon sens est revenu et le gar莽on facile, beaucoup plus joli, voisine aujourd'hui avec l'茅crivain qui est toujours une jeune femme et toujours raconte sa vie avec un path茅tique calme. Saint-Germain ne doit pas imaginer, pour autant, avoir invent茅 la p茅d茅rastie ou le roman naturaliste. Ces formes honorables et surann茅es de l'art litt茅raire existaient depuis longtemps, bien avant que l'existentialisme, devenant un humanisme, se pr茅cipit芒t dans toutes les traditions 茅prouv茅es : l'inqui茅tude de la jeunesse, choisir son destin, assumer la condition f茅minine, penser son temps et m锚me avec ses mains, autant de probl猫mes paroissiaux dont le R茅v茅rends P猫res Gide, Bourget, etc., nous entretenaient souvent pendant le car锚me. Cet aspect traditionnel est si profond que les 茅crivains du Montana ou du Village y ont trouv茅 le meilleur d'eux-m锚mes鈥� Les drames sociaux de Sartre, les enqu锚tes sociologiques de Simone de Beauvoir, les romans po茅tiques d'Albert Vidalie, les beaux po猫mes classiques de Jean Genet, l'exotisme fi茅vreux d'Albert Cossery 鈥� in茅vitablement d猫s qu'on prononce ces noms de grand talent on se retrouve en 1900. Ce n'est pas un tort. D'autres 茅crivains sont beaucoup plus anciens. Le gentil La Varende se croyait bien du XVIIe si猫cle, Montherlant penche pour le XVIe et Jacques Chardonne a situ茅, sans embarras, le centre de gravit茅 de son oeuvre en 1880. (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?,听p. 122.)

Romans intelligents, romans soporifiques.

En v茅rit茅, constate Nimier, la litt茅rature dite 芦 moderne 禄 est profond茅ment ennuyeuse. Tout comme ces 茅crivains 脿 la mode du Faubourg Saint-Germain, les 茅crivains ayant oubli茅 que le roman doit avant tout 锚tre romanesque le tuent 脿 force de le rendre trop complexe et intellectualis茅. Faulkner, le bien-aim茅 des Modernes fran莽ais (mais qui n'est aim茅 d'eux que parce que Proust, trop ancien, semble futile et d茅suet), est ainsi durement malmen茅 par Nimier :

C'est ici le moment d'茅tudier, 脿 propos du Hameau et 脿 propos de Faulkner, comment ce grand 茅crivain peut 锚tre aussi ennuyeux. Ce que les critiques nomment obscurit茅 par pudeur poss猫de en effet son vrai nom. Et cet ennui consid茅rable, d'une si riche et si parfaite 茅tendue, m茅rite toute notre attention. L'ennui peut na卯tre dans des familles tr猫s 茅loign茅es, tenir 脿 sept ou huit causes. Par exemple, 脿 la fadeur naturelle d'un esprit qui s'茅panche niaisement ; ou 脿 la fureur ing茅nue d'une grande 芒me qui brame et raconte sa destin茅e, sans choisir et en soufflant tr猫s fort ; ou 脿 la s茅cheresse m茅canique ; ou 脿 la m茅diocrit茅 du langage ; ou encore aux miasmes qui se d茅gagent d'un sujet, mais cela est plus rare 鈥� car on ne s'ennuie pas en lisant Les Petits Bourgeois et Bouvard et P茅cuchet r茅conforte 脿 l'occasion. Il est 茅vident que Faulkner ne doit rien 脿 ces cat茅gories. Il ne s'extasie pas comme Steinbeck, il ne s'abandonne pas comme Thomas Wolfe, il ricane peu et, m锚me de Le Hameau, il n'abuse pas des conventions naturalistes. C'est autre chose, qui tient d'abord 脿 la confusion voulue du r茅cit. Loin de d茅concerter, les changements de temps et de personnages entra卯nent la monotonie. Cette confusion entretenue veut faire entrer, en d茅sordre, des p茅rip茅ties nombreuses dans le m锚me panier. Elle s'accro卯t d'un langage biblique et tortur茅, o霉 l'entrechoquement des mots vise 脿 un effet de simultan茅it茅. On n'est pas devant ceci ou cela, ce geste, ce souvenir, cette intention, mais tout 脿 la fois, comme une r茅alit茅 grin莽ante, faite de membres enchev锚tr茅s. (Journ茅es de lecture II, p. 94)

Si le plaisir ou l'ennui qui na卯t de la lecture est ce qui distingue les bons romans des mauvais, la cause profonde de cette s茅lection naturelle par le lecteur n'est pas tributaire de ses go没ts subjectifs. L'ennui 脿 la lecture d'un roman est au contraire la preuve irr茅futable qu'un grave p茅ch茅 a 茅t茅 commis, p茅ch茅 auquel beaucoup trop d'茅crivains modernes succombent : celui de c茅der aux attraits de l'intelligence.

Comme alors [la R茅volution de 1789] nous avons trois ordres 鈥� le peuple, une bourgeoisie et des intellectuels. Ces derniers sont dans le camp de la sueur et des ampoules, fa莽on polie de pr茅ciser qu'ils sont hors du jeu. Parasites dans le monde du fer et du p茅trole, ils ne comprennent pas qu'ils sont aussi condamn茅s par une bourgeoisie qui r锚ve la nuit 脿 Poincar茅, et un prol茅tariat qui a du vague 脿 l'芒me en pensant 脿 Maurice Thorez. (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?听p. 12.)

Selon Nimier, une litt茅rature cr茅茅e par le 芦 troisi猫me ordre 禄, celui des intellectuels, ne peut que finir 芦 au sanatorium 禄. En effet, le roman est avant tout un jeu, une invention et l'intelligence est 芦 incapable d'inventer les choses ou de jouer avec elles, il faut qu'elle les d茅monte.禄 (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, p.14.) Ce qui donne, aux yeux de Nimier, de la cr茅dibilit茅 脿 un romancier, est donc sa b锚tise. L'茅crivain ne doit pas t芒cher de comprendre ce qu'il fait (芦 ce serait trop facile de cr茅er en sachant ce qu'on a cr茅茅.禄), mais il lui faut plut么t accepter l'aventure du roman qui, comme toute aventure, est fond茅e 芦 sur l'erreur, la pr茅cipitation, la t茅m茅rit茅.禄

Un 茅crivain intelligent est donc, comme Faulkner, condamn茅 脿 锚tre ennuyeux. Plus encore, l'exemple de Maurice Blanchot montre l'ampleur de l'茅chec vers lequel se destine celui qui veut faire de la litt茅rature 脿 partir d'id茅es :

Tous les 茅crivains ne sont pas aussi b锚tes qu'ils en ont l'air. Quelques-uns sont intelligents. Maurice Blanchot est un des plus intelligents. On ne saurait l'accuser d'avoir le coeur sec, car il sait s'exprimer, quand il veut, par de belles m茅taphores qui prouvent un don po茅tique int茅ressant. Avec tout cela, il n'茅crit pas seulement des livres distingu茅s et tristes, mais ce qu'on peut imaginer de plus d茅lirant et de plus fade 脿 la fois, de plus insipide dans le genre insignifiant. 脌 c么t茅 d'eux, les trait茅s philosophiques de Gabriel Marcel paraissent croustillants, les pi猫ces de Maurice Clavel ont du naturel et les essais de Georges Duhamel ont du mordant.

On r茅pondra tr猫s justement que Maurice Blanchot n'a jamais voulu 茅crire听Les Trois Mousquetaires听et qu'il faut le juger d'apr猫s son dessein, m锚me si ce dessein para卯t absurde. [鈥�]
Si on a beaucoup compar茅 Giraudoux 脿 un p锚cheur de perles, qui ramenait d'ailleurs de jolis coquillages, Blanchot, lui, ne circule qu'en scaphandre. Un jour il d茅couvrit qu'il y avait mieux encore et qu'il suffisait de trancher le tuyau qui le reliait au monde ext茅rieur. Le voil脿, asphyxi茅 dans son armure, immobile au milieu des fonds sous-marins ; c'est la paix des profondeurs : Maurice Blanchot jouit de la meilleure r茅putation dans les milieux intellectuels.(Journ茅es de lecture II, p. 41 et 43.)

Pour une 茅mancipation du romancier.

Si Nimier s'oppose 脿 la gauche - autant politique que litt茅raire - qui selon lui scl茅rose la soci茅t茅 fran莽aise, cela ne fait pas pour autant de lui le d茅fenseur d'une litt茅rature v茅hiculant les valeurs de la droite. Par-del脿 ses assauts impertinents et boutades de toutes sortes 脿 l'encontre de la gauche 芦 bien-pensante 禄 de l'apr猫s-guerre, Nimier d茅veloppe un discours sur le roman qui s'茅carte de toute affiliation politique. Plus encore, il s'av猫re que les nombreuses r茅criminations 脿 l'encontre de la vision sartrienne de la litt茅rature ne vise pas un enjeu proprement politique mais plut么t celui,听a priori听non politis茅, d'un enjeu esth茅tique. Autrement dit, ce que Nimier reproche 脿 la gauche litt茅raire, ce n'est pas tant son 芦 existentialisme humaniste 禄 que la mani猫re dont elle asservit la litt茅rature 脿 des fins politiques, la d茅pouillant ainsi de son but v茅ritable. Ainsi, devant 芦 l'茅chec regrettable 禄 de l'existentialisme, incapable de renouveler le roman, Nimier propose, dans son article 芦 Existe-t-il une nouvelle litt茅rature ? 禄, paru dans la revue听翱辫茅谤补听le 10 octobre 1951, un programme pour une nouvelle litt茅rature :

Le premier point du programme est celui-ci : la politique est morte. Nous venons au milieu de grands bouleversements de l'histoire. Il est 茅vident que nos livres profiteront de ces bouleversements, mais la pens茅e partisane en sera absente. On ne cherchera plus 脿 d茅montrer un univers socialiste ou fasciste. [鈥�] Il ne s'agira pas l脿 d'impartialit茅. L'homme moderne s'est tellement int茅gr茅 脿 la politique qu'elle est devenue constituante de son 锚tre. On d茅crira un communiste comme on dit d'une personne qu'elle a les yeux bleus. [鈥�]Ici, les fameuses th茅ories de l'engagement et de la tour d'ivoire sont d茅pass茅es. L'茅crivain avance dans le monde, entre dans les pi猫ges tendus par l'茅poque, mais en sort indemne. (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?,听p. 47.)

Cette figure de l'茅crivain, qui avance dans le monde sans pourtant se laisser contaminer id茅ologiquement par les discours de son 茅poque est, selon Nimier, incarn茅e par l'auteur du听Docteur Jivago, Pasternak. Ce romancier a en effet le m茅rite d'avoir refus茅 le prix Nobel, le jugeant 芦 鈥渋mm茅rit茅鈥� en raison de sa signification politique 禄. Pour Nimier, dans l'article 芦 Mourir pour Nobel 禄, ce refus du Prix Nobel (d茅crit comme 茅tant 芦 un prix litt茅raire interm茅diaire entre le prix de bonne camaraderie et le prix de r茅citation 禄), est un de ces actes courageux qui donnent espoir en la p茅rennit茅 de la litt茅rature. Pasternak n'est cependant pas digne de l'admiration de Nimier seulement 脿 cause de son m茅pris pour la reconnaissance institutionnelle : son roman, par sa facture, est lui-m锚me embl茅matique de ce que Nimier d茅crit comme 茅tant le travail d'un v茅ritable romancier :

On a lu 莽脿 et l脿, et on l'a d茅plor茅 gravement, que Pasternak ignorait les techniques modernes 鈥� phrase qu'on croirait trouv茅e dans la bouche d'un de ses personnages, 脿 la veille de la guerre de 14. Le critique de la Pravda, lui non plus, n'est pas content de cette oeuvre qu'il juge d茅mod茅e. En France comme en U.R.S.S., il semble qu'on veuille la juger suivant des crit猫res politiques. Pr茅cis茅ment, Le Docteur Jivago condamne une politique pour des motifs litt茅raires. Ce qu'il hait parmi les chefs bolcheviks, ce qui lui permet de reconna卯tre qu'ils ont tort, c'est leur phras茅ologie. Il voit le mensonge dans les proclamations affich茅es sur les murs, 脿 leur style m锚me. [鈥�] Tant de lourdeur et de nervosit茅 caract茅risent l'homme nouveau de la r茅volution, dont le Docteur Jivago s'茅loigne de tout son coeur. (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, p. 117-118.)

Le r么le du romancier n'est pas de proclamer 脿 travers ses personnages son all茅geance 脿 l'une ou l'autre des grandes id茅ologies de son temps, mais 脿 l'inverse de toujours se placer d'un point de vue litt茅raire. La litt茅rature, bien que d茅crivant le monde, ne doit 锚tre au service que d'elle-m锚me. Cependant, par son rapport m锚me au monde qu'il d茅crit, le roman a un impact sur le lecteur, sur sa perception du monde. Nimier ne fait qu'une courte allusion au 芦 r么le 禄 que devrait avoir le romancier et ce, dans l'essai 芦 Les 茅crivain sont-ils b锚tes ? 禄 茅crit en 1947 :

Le r么le de ces hommes peu communs [les 茅crivains] n'est-il pas de remettre en sc猫ne quelques terribles 茅vidences ? Il faut donc remercier ceux qui nous empoignent pour nous coller les yeux sur nous-m锚mes : ils nous pr茅cipitent 脿 l'eau. Ensuite, 脿 nous de nous sauver. Michaux nous jette sur notre culpabilit茅. Bernanos sur notre l芒chet茅. Malraux sur l'h茅ro茂sme et sa surprenante naissance. Pour cette t芒che, ils ont besoin de violence, de col猫re, d'exigence.

L'茅crivain id茅al, plus particuli猫rement le romancier, tout en refusant de s'engager politiquement, aurait donc un r么le social, puisque le roman d茅voile certaines v茅rit茅s au lecteur, qui se voit 脿 cause d'elles oblig茅 d'agir pour 芦 se sauver 禄. Mais, 脿 la diff茅rence de ces romanciers trop intelligents que Nimier abhorre, l'action du romancier id茅al ne doit pas se situer dans la sph猫re publique et politique, mais bien dans une sph猫re moins bien d茅finie : l'intimit茅 du lecteur. Or, c'est en faisant appel au lecteur et 脿 sa capacit茅 脿 se 芦 laisser pr茅cipiter dans l'eau 禄 que le romancier parvient 脿 cr茅er un espace proprement litt茅raire, un espace o霉 ce ne sont pas les id茅es, mais bien un 茅lan purement 茅motif qui guide le r茅cit. Cet espace qui donne au roman tout son romanesque, c'est celui du r锚ve : 芦 Entre la perception 鈥� qui est voir 鈥� et l'imaginaire 鈥� qui est revoir 鈥� il y a le savoir. [鈥�] Ce qui importe n'est pas de voir ou d'avoir vu, mais de croire. 禄 (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, p.16.) Le r锚ve ne s'oppose pas 脿 la r茅alit茅, il est en quelque sorte un surcro卯t de r茅alit茅, une r茅alit茅 qui, b茅n茅ficiant du contact avec l'imaginaire, deviendrait une forme de savoir. Cependant, le r锚ve n'est nullement une r茅alit茅 embellie, car Nimier admire par-dessus tout ces 茅crivains 芦 lyriques 禄 qui, tel C茅line, savent torturer 芦 les phrases pour leur faire pousser de beaux cris 禄 (Journ茅es de lecture II, p. 63) et qui exploitent sans pudeur 芦 la sensibilit茅 moderne, sa veulerie, sa bonne volont茅, ses terreurs, ses coups de sang 禄 (Journ茅es de lectures II, p. 84).

Contre le r茅alisme : le roman comme espace du r锚ve, du jeu et de l'aventure.

Marcel Aym茅 est pour Roger Nimier l'un des rares 茅crivains de son temps qui sache r锚ver. Or, c'est justement le r锚ve qui donne 脿 l'oeuvre d'Aym茅 son caract猫re essentiel :

Dans la perspective de Marcel Aym茅, il ne subsiste rien de ces d茅lices du songe que les romantiques d茅crivaient 脿 grand renfort de bleu p芒le et de rose. Ici, le r锚ve est promen茅 en laisse par une r茅alit茅 imposante, qui prend volontiers les traits d'une m猫re de famille. [鈥�]
[Le r锚ve] n'est pas une r茅v茅lation, il est d'un usage constant. Ce qui 茅tait projet, ambition, vision 茅th茅r茅e chez les romantiques, se limite au r么le d'une nourriture quotidienne. On ne saurait dire non plus que le r锚ve, comme il en 茅tait chez Proust, soit un sorte de glu, destin茅e 脿 capturer les objets, un jour. Ce sont des r锚ves 脿 fleur de terre, d'un souffle pauvre. Ils s'intercalent parmi les heures de notre vie, docilement, malgr茅 leur apparente libert茅. (Journ茅es de lecture, p. 36.)

Le r锚ve dont parle Nimier ne rel猫ve pas d'une r茅alit茅 fantasmagorique permettant au personnage, voire au romancier, de fuir les contraintes du monde r茅el. Le r锚ve rel猫ve plut么t d'un rapport unique 脿 la r茅alit茅, qui, de donn茅e stable, unidimensionnelle et facilement descriptible, devient une projection avec laquelle il est possible de jouer. C'est pourquoi le 芦vrai 禄 roman, selon Nimier, n'est pas le roman r茅aliste qui se contente de montrer en mille pages 芦 une soci茅t茅 normale o霉 toutes les tables ont quatre pieds, tous les hommes un seul coeur 禄 (Journ茅es de lecture II, p. 178.) mais un roman qui s'articulerait autour de la r茅alit茅 vue telle qu'elle est. 芦 Mais comment est-elle ? 禄 se demande Nimier. 芦 Rectifions : voir la r茅alit茅 telle qu'elle est la plus forte. 禄 (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, p. 15.) De nouveau, l'id茅e que le mat茅riau premier de l'茅crivain n'est pas son intelligence mais bien sa perception du monde r茅el (donc la perception qui pour lui est la plus forte) semble au coeur des pr茅occupations de Nimier. C'est ainsi que le romancier peut, au moyen de techniques d茅j脿 employ茅es par le pass茅, cr茅er, en r茅inventant la r茅alit茅, une r茅alit茅 plus 芦 r茅elle 禄 que ne le ferait une simple description. Ce pouvoir du roman, de toujours se renouveler 脿 partir d'une m锚me r茅alit茅 est, selon Nimier, un pouvoir qu'il ne partage pas avec son grand concurrent, le cin茅ma. Les cin茅astes tombent en effet dans le pi猫ge r茅aliste duquel le roman a su se sortir :

Tout se passe en effet comme si les metteurs en sc猫ne et les sc茅naristes ignoraient que la litt茅rature, par exemple, existe depuis longtemps. Loin de pr茅server leur fra卯cheur d'芒me, cette ignorance les perd. Ils veulent refaire, image par image, ce qui a 茅t茅 fait mot par mot. La rapidit茅 d'une action, les diff茅rentes dimensions du monde, le hasard et l'esprit, tout cela leur d茅pla卯t au plus haut point. Leur id茅al est une action plate mais embrouill茅e. C'est ainsi que le cin茅ma, en 1954, date, au mieux de 1884. Nos metteurs en sc猫ne d茅fendent un r茅alisme gratuit et st茅rile (leur r茅alisme, par un contradiction imb茅cile, est devenu de l'art pour l'art), qui leur fait composer fans les meilleurs cas, des films que nous avons l'impression de conna卯tre par coeur. (Vari茅t茅s: l'air du temps, p. 45-46)

La r茅alit茅 que travaille le romancier, cet 芦 espace du r锚ve 禄, n'est pas une r茅alit茅 compl猫tement int茅rioris茅e, subjectiv茅e : la r茅alit茅 reste toujours pour Nimier une donn茅e ext茅rieure au romancier et 脿 ses personnages. C'est ce qui donne au roman sa valeur ludique, valeur essentielle pour l'茅closion du romanesque. Prenant de nouveau 脿 partie Maurice Blanchot, son souffre-douleur, Nimier constate l'effet asphyxiant d'une r茅alit茅 qui aurait perdu sa qualit茅 premi猫re : exister hors de l'锚tre.

Il y eut un temps o霉 les romanciers croyaient 脿 l'existence d'un monde ext茅rieur devant lequel 茅tait plac茅 leur h茅ros. Ces primitifs se nommaient Dickens ou Fielding. Puis, l'univers a bascul茅 dans la conscience du h茅ros ; nous n'avons plus vu les choses qu'脿 travers celui-ci. La distinction des deux ordres ne fut pas abandonn茅 pour autant : nous e没mes, d'un c么t茅, des 茅l茅ments intellectuels et sociaux, de l'autre, un monologue int茅rieur bourbeux o霉 l'inconscient intervenait r茅guli猫rement pour qu'on ne risque pas de l'oublier. Ces renversements, tr猫s bien illustr茅s par les oeuvres de Joyce ou de Virginia Woolf, n'ont pas suffi. Avec les livres de Maurice Blanchot, nous sommes 脿 l'extr锚me pointe de cette recherche. Il place le lecteur de l'autre c么t茅 des choses : le roman a lieu derri猫re un mur. Nous n'en voyons rien et nous n'en entendons gu猫re plus. Nous n'avons que l'espoir d'en reconstituer deux ou trois minces fragments avec beaucoup de patience et d'humilit茅. Si, par hasard, au d茅tour d'une phrase, nous franchissions ce mur, nous d茅couvririons imm茅diatement qu'il n'茅tait qu'une premi猫re enceinte : tout se passait beaucoup plus loin dans un vide irrespirable. (Journ茅es de lecture II, p. 42.)

L'Aventure contre l'H茅ro茂sme : les influences d'Alain et de Balzac.

Dans le roman id茅al, les personnages n'茅voluent donc pas dans une r茅alit茅 faite d'id茅es, mais bien dans un d茅cor avec lequel le romancier joue pour y d茅velopper son espace cr茅atif. Pour Nimier, Balzac est le romancier id茅al : il a compris que le personnage n'茅tait pas le reflet d'une psychologie complexe, mais bien de l'espace dans lequel il 茅volue :

Les romanciers modernes varient les points de vue, changent les perspectives. Balzac travaille plus : il d茅place les d茅cors, construit un nouveau th茅芒tre s'il le faut. Ainsi Marsay n'est-il plus le m锚me d'un roman 脿 l'autre. Ce n'est pas l'芒ge qui d茅termine son aspect, c'est l'existence d'un nouvel univers qui tient ses personnages serr茅s les uns contre les autres. (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, p. 159-160.)

Cette d茅couverte que fait Nimier de cet espace romanesque 鈥� non pas plac茅 au sein de la psychologie du personnage mais bien 脿 l'ext茅rieur, en dehors du personnage, sur les lieux m锚mes 脿 travers lesquels il se construit 鈥� est tributaire de la pens茅e du philosophe Alain, sur qui Nimier a 茅crit plusieurs essais. En effet, Alain, lecteur que Nimier admire particuli猫rement, a su appr茅cier le roman pour ses qualit茅s essentielles. Le roman, avant d'锚tre une oeuvre de r茅flexion et de compr茅hension du monde, est un art du divertissement. Ainsi, chez Alain,

l'action y est c茅l茅br茅e comme le vrai bonheur humain. La cr茅ation du regard est continu茅e. 鈥淚l arrive continuellement quelque chose de neuf par la richesse ext茅rieure.鈥� Et encore : 鈥� Il faut que le temps m猫ne le jeu, et que l'homme suive. Ann茅es d'apprentissage.鈥� Voici donc une philosophie du divertissement innocent, un art de courir apr猫s la balle, qui se poursuivra en courant apr猫s les h茅ros de roman. L'univers romanesque apporte un m茅lange de repos et d'茅nergie aussi salubre que l'air de la mer. [鈥�] Enfin, voici un monde cr茅茅, o霉 le r锚ve est canalis茅 et ne risque plus de se r茅pandre en pens茅es furieuses. (Journ茅es de lecture II, p. 26.)

Le roman est d'abord et avant tout un art du r茅cit. C'est pourquoi tous les romans de Balzac sont de 芦 vrais 禄 romans car, selon Alain (et Nimier 脿 sa suite) : 芦 ils ne sont que peintures de pens茅es, et pour mieux dire, r锚veries des personnages ; au lieu que l'芒me du roman est dure sans 茅gard, sans piti茅, l'aventure va vite et 茅crase les pens茅es. 禄 (Journ茅es de lecture II, p. 17.)

芦 Un roman est une aventure 禄, affirme Nimier (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, p. 15), mais une aventure o霉 ce n'est pas le h茅ros qui m猫ne, mais le d茅filement continu des d茅cors et paysages dans lesquels le place le romancier. L'aventure que pr么ne Nimier n'en est donc pas une c茅l茅brant l'h茅ro茂sme. Plus simplement, c'est une aventure o霉 le personnage, tout comme le lecteur, est appel茅 脿 courir apr猫s la balle. Le roman conclut donc un pacte avec le lecteur, lui garantissant un plaisir pur, quelquefois des v茅rit茅s crues qui lui permettront de se remettre en question, mais jamais un programme de vie ou de soci茅t茅 :听芦 脡crire un roman comme s'il allait emp锚cher la guerre d'茅clater, parce que le h茅ros s'y montre plein de bonne volont茅, est une duperie dans un syst猫me ferm茅 comme celui du monde moderne, qui n'a certainement pas emprunt茅 au christianisme le principe de la r茅ciprocit茅 des pri猫res. 禄 (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, p. 48)

Le roman comme 芦 cr茅ation romanesque continu茅e, d'ailleurs au grand galop 禄 (Journ茅es de lecture II, p. 16), ou comme divertissement pur qui ne m猫ne ni 脿 la r茅demption du h茅ros ni 脿 celle du lecteur, n'est cependant pas un genre compl猫tement ouvert, d茅sordonn茅. 脌 la puissance du r茅cit, du romanesque pur, Nimier oppose la n茅cessit茅 d'un ordre, d'une forme classique venant r茅guler et rendre intelligible l'action du r茅cit. De cette tension entre forme et contenu na卯t le roman :

Un roman est une aventure. Une aventure 脿 la recherche d'un ordre, c'est entendu ; mais enfin, il faut partir. Et l'intelligence est 茅ternellement arriv茅e ; elle regarde. Elle ne s'inqui猫te pas. [鈥�] L'aventure finie, l'ordre se met de lui-m锚me dans les choses. La derni猫re page, on s'en aper莽oit tout 脿 coup, 茅tait d茅j脿 dans la premi猫re. Il y a cette unit茅 dans l'茅parpillement, ce chant d茅cid茅 脿 travers les rumeurs et cette sorte d'inflexible fid茅lit茅, la vie. (Les 茅crivains sont-ils b锚tes?听p. 15-16)

Faulkner, b锚te noire 芦 favorite 禄 de Nimier, incarne parfaitement la figure du romancier incapable de reconna卯tre le besoin d'ordre d'un roman:

[鈥�] les grands romans de Faulkner laissent dans le souvenir des r茅pliques ou des sc猫nes admirables. Oui, cela fut, et, 脿 travers le marmonnement des nourrices, 脿 travers les racontars des vieilles filles, la l茅gende du Sud revit. Il n'es est pas moins vrai que l'ensemble de cette oeuvre donne, techniquement, l'impression d'un immense brouillon. Un bric-脿-brac purement d茅coratif alourdit cette construction. Nous traversons, 脿 la suite de la cam茅ra, trop de pi猫ces vides ; nous 茅tudions trop de sentiments conserv茅s dans l'alcool comme des foetus, et puis, soudain, nous rentrons dans la v茅rit茅 des choses qui est leur ordre. [鈥�] Dans l'incoh茅rence, nous go没terons les plaisirs et les difficult茅s de la d茅couverte. Mais pourquoi donc Faulkner r茅dige-t-il des romans, quand il 茅tait si simple d'茅crire des vers ? Et pourquoi raconter l'histoire du Sud quand il suffisait d'茅crire le Nouveau Testament 鈥� une superproduction, cette fois-ci en chr茅tiens, en scope et en couleurs ? 禄 (Journ茅es de lecture II, p. 97)

En bref, on ne peut que remarquer l'茅tonnant classicisme de la vision du roman du hussard tapageur et iconoclaste qu'茅tait cens茅 锚tre Nimier. Son art du roman n'est pas 脿 proprement parler la vision artistique d'un romancier, mais plut么t celle d'un lecteur voulant 茅crire. Les recherches formelles, intellectuelles et esth茅tiques de son 茅poque ne touchent pas et impressionnent encore moins cet 芦 esprit vivant volontiers parmi les 芒mes du XVIIe si猫cle 禄, pour qui le divertissement n'est pas une forme de dissipation, mais une recherche presque m茅taphysique. En guise de conclusion, voici quelques lignes du seul texte de Nimier commentant concr猫tement sa pratique comme 茅crivain, pratique elle aussi v茅cue comme une aventure, celle de la d茅couverte de l'茅criture par l'oubli de soi.

Donnons 脿 cet homme enferm茅 [dans ses r锚ves] des cahiers et des crayons comme on ferait 脿 un 茅colier. [鈥�] Il sera difficile 脿 cet homme de ne pas 茅crire ce qu'il a con莽u de lui-m锚me et de sa triste condition. Il passera sur sa maladresse et sur l'ennui naturel de promener sans cesse une main sur du papier. Il saura qu'il se parle 脿 soi-m锚me, mais dans une oreille 鈥� qu'il se regarde, mais dans un miroir. L'image, le son, lui seront instruction et l'encourageront peut-锚tre 脿 suivre son r茅cit. Sa solitude deviendra moins grande parce que celle de l'univers d茅crit occupera toute la place. Il reprendra d茅sespoir 鈥� mais en lui-m锚me cette fois-ci et non plus dans les murs qui lui sont impos茅s, comme des aide-m茅moire qui gu茅rissent de l'illusion. [鈥�] Je n'ai pas grand mal 脿 comprendre tous les hommes et je ne m'entends avec aucun. Les hommes coup茅s en tranches 鈥� la tranche de la bonne humeur, celle de la faim, celle du courrier 鈥� je sais que c'est plus difficile. Je savais surtout que ce r茅gime ne me convenait pas, je n'aurais aucun plaisir 脿 en reconna卯tre les ravages chez les autres.

Beurrer du papier blanc avec le mot 芦 moi 禄, n'茅tais pas non plus un proc茅d茅 id茅al 脿 mes yeux. C'est pourquoi j'ai tent茅 tout d'abord de me d茅crire 脿 la troisi猫me personne, assur茅 d'y prendre du plaisir et de la solidit茅. Jusqu'au bout, je n'ai pas su. J'avais envie de lever le doigt et de r茅pondre 脿 la place de mon personnage. C'est 脿 quoi j'ai fini par consentir, jugeant que j'茅tais bien libre. [鈥�]
Car l'ennui de me tenir assis devant mes cahiers, cette cruelle 茅preuve que je m'imposais au milieu des 茅preuves, m'avait un peu m没ri, me donnant parfois de l'orgueil, parfois aussi le go没t de la v茅rit茅, parfois m锚me l'app茅tit de me conna卯tre.
Cet app茅tit, pourtant, je ne l'avais jamais eu plus d'une minute 脿 la fois 鈥� minutes perdues dans un grand bonheur involontaire : celui de ne pas m'int茅resser 脿 moi . (Journ茅es de lecture II, p. 190-192)
听

Liste des ouvrages cit茅s :

• Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, Paris, Rivages, 1990.
• Journ茅es de lecture, Paris, Gallimard, 1965.
• Journ茅es de lecture II: 1951-1962, Paris, Gallimard,1995.
• Le Grand d'Espagne, Paris, 脡ditions de la table ronde, 1962.
• Vari茅t茅s: l'air du temps, 1945-1962, Paris, Arl茅a, 1999.
• Correspondance 1950-1962听(avec Jacques Chardonne), Paris, Gallimard, 1984.

Les 茅crivains sont-ils b锚tes?, Paris, Rivages, 1990.

Journ茅es de lecture, Paris, Gallimard, 1965.

Journ茅es de lecture II: 1951-1962, Paris, Gallimard,1995.

Le Grand d'Espagne, Paris, 脡ditions de la table ronde, 1962.

Vari茅t茅s: l'air du temps, 1945-1962, Paris, Arl茅a, 1999.

Correspondance 1950-1962听(avec Jacques Chardonne), Paris, Gallimard, 1984.

Note: Ce recueil d'essai a comporte une s茅lection faite de fa莽on posthume par Marc Dambre 脿 partir des essais et articles 茅crits par Roger Nimier pour divers journaux et revues. Sont indiqu茅s le lieux et l'ann茅e de parution de chacun des textes pr茅sent茅s ici.

芦 Les 茅crivains sont-ils b锚tes ?禄,听La Condition humaine, 鈥渘um茅ro manifeste pour conserver le titre鈥�, juin 1947, p. 11-21.

芦 Comme alors [la R茅volution de 1789] nous avons trois ordres 鈥� le peuple, une bourgeoisie et des intellectuels. Ces derniers sont dans le camp de la sueur et des ampoules, fa莽on polie de pr茅ciser qu'ils sont hors du jeu. Parasites dans le monde du fer et du p茅trole, ils ne comprennent pas qu'ils sont aussi condamn茅s par une bourgeoisie qui r锚ve la nuit 脿 Poincar茅, et un prol茅tariat qui a du vague 脿 l'芒me en pensant 脿 Maurice Thorez. 禄 (p. 12)

芦 C'est que le roman est devenu confortable, depuis听Melmoth听辞耻听Le Vengeur. Il a rejoint la trag茅die du XVIIIe. Cons茅quence inqui茅tante, Jean Paulhan l'a remarqu茅e, les romans ne sont plus romanesques. Ainsi des trag茅dies, apr猫s Racine, qui n'茅taient plus tragiques. Au fait, nous sommes apr猫s Balzac.听Il s'ensuit une ressemblance commode entre les 茅crivains. Les sp茅cialistes disparaissent ; du m锚me coups les sp茅cialit茅s pharmaceutiques se r茅pandent : le roman selon Mauriac, pour pr茅venir la nostalgie, l'adult猫re et le retour d'芒ge. Selon Montherlant, 脿 l'usage des filles qui se sentent un grand vide dans le coeur. Le public fran莽ais n'est pas tellement excit茅. Il sait ordonner ses r锚ves. Il n'ignore pas qui lui plaira, non plus qu'il n'ignore ce qui l'aidera 脿 mieux dormir (ou 脿 mieux vivre, si on pr茅f猫re employer les grands mots) : histoires d'amour, h茅ro茂sme, vague 脿 l'芒me. Chacun se soigne 脿 domicile, les critiques litt茅raires signant les ordonnances. 禄 (p. 13)

[脌 propos de l'intelligence] : 芦 Tout le monde sait que l'intelligence n'a pas d'id茅es saines et qu'elle finira au sanatorium. Incapable d'inventer les choses ou de jouer avec elles, il faut qu'elle les d茅monte. Ce serait trop facile de cr茅er en sachant ce qu'on a cr茅茅. 禄 (p. 14)

[脌 propos de l'intelligence] : 芦 Elle pr茅serve plus qu'elle ne donne, car le contraire de la b锚tise, c'est la g茅n茅rosit茅. Pour la v茅rit茅, il suffit d'ouvrir les yeux et de voir 鈥� voir la r茅alit茅 telle qu'elle est. Mais comment est-elle ? Rectifions : voir la r茅alit茅 telle qu'elle est la plus forte. D茅sarmer les choses, voil脿 d茅j脿 tout un destin d'茅crivain. 禄 (p. 14-15)

芦 Comment les gens intelligents vivraient-ils des romans ? Ils ne se trompent pas et toutes les aventures sont fond茅es sur l'erreur, la pr茅cipitation, la t茅m茅rit茅. 禄 (p. 15)

芦 Un roman est une aventure. Une aventure 脿 la recherche d'un ordre, c'est entendu ; mais enfin, il faut partir. Et l'intelligence est 茅ternellement arriv茅e ; elle regarde. Elle ne s'inqui猫te pas. [鈥�] L'aventure finie, l'ordre se met de lui-m锚me dans les choses. La derni猫re page, on s'en aper莽oit tout 脿 coup, 茅tait d茅j脿 dans la premi猫re. Il y a cette unit茅 dans l'茅parpillement, ce chant d茅cid茅 脿 travers les rumeurs et cette sorte d'inflexible fid茅lit茅, la vie. 禄 (p. 15-16)

芦 Entre la perception 鈥� qui est voir 鈥� et l'imaginaire 鈥� qui est revoir 鈥� il y a le savoir. [鈥�] Ce qui importe n'est pas de voir ou d'avoir vu, mais de croire. 禄 (p. 16)

芦 Il est remarquable que le meilleurs romans se lisent comme s'ils allaient arriver : un pass茅 dans l'avenir. 禄 (p. 16)

芦 Des t茅moins s茅rieux sont venus de Bordeaux pour affirmer que Fran莽ois Mauriac poss猫de de l'agr茅ment dans la conversation ; dans un salon, il rappelle sans ennui Mme Verdurin. Ce qui explique sans doute la crasse de ses romans, honteux m茅lange d'eau b茅nite et d'eau de bidet, comme chacun sait. 禄 (p. 18)

芦 Le r么le de ces hommes peu communs [les 茅crivains] n'est-il pas de remettre en sc猫ne quelques terribles 茅vidences ? Il faut donc remercier ceux qui nous empoignent pour nous coller les yeux sur nous-m锚mes : ils nous pr茅cipitent 脿 l'eau. Ensuite, 脿 nous de nous sauver. Michaux nous jette sur notre culpabilit茅. Bernanos sur notre l芒chet茅. Malraux sur l'h茅ro茂sme et sa surprenante naissance. Pour cette t芒che, ils ont besoin de violence, de col猫re, d'exigence. 禄 (p. 18)

芦 La litt茅rature engag茅e, avec son air martial et ses bonnes r茅solutions, est sympathique dans le mesure o霉 les fayots sont sympathiques dans un r茅giments de cavalerie. 禄 (p. 19)

芦 Les choses seraient moins graves si la litt茅rature n'茅tait pas devenue force sociale, valeur d'exportation. 禄 (p. 20)

芦 Tout s'est donc pass茅 de 45 脿 50, en France, comme si nos Alli茅s, 脿 peine lib茅r茅s d'une occupation japonaise par nos troupes, s'茅taient jet茅s sur Edouard Dujardin, El茅mir Bourges, Alphonse de Chateaubriant et puis, bizarrement, Joseph Kessel et Saint-Exup茅ry. [鈥�] Mais 脿 quelques ann茅es de distance, nous sommes amen茅s 脿 nous demander si nous n'avions pas 茅t茅 choisir aux U.S.A. ce qui nous ressemblait le plus. Un grand nombre de nos 茅crivains 茅taient d茅consid茅r茅s pour des raisons politiques ou morales. On n'avait plus le droit de lire C茅line, mais il y avait Miller. On accusait Proust de futilit茅 : il restait Faulkner. On n'aimait plus Montherlant 鈥� et on se p芒mait sur le moindre ligne d'Hemingway. Je ne veux pas dire que nos cousins d'Am茅rique nous copiaient, mais seulement que nous poss茅dions d茅j脿 leurs techniques, leurs go没ts, depuis longtemps ; il n'y avait pas rupture d'un pays 脿 l'autre, ce n'茅tait pas deux civilisations si diff茅rentes. 禄 (p. 34-35)

芦 Il est dr么le de penser qu'aux yeux de Ga毛tan Picon et du parti intellectuel qu'il repr茅sente, la litt茅rature doit aller 脿 l'objet, abandonner les phrases, 锚tre actuelle, etc. et que ses trois espoirs reconnus, ses favoris, les gens de lettres qu'il trouve vraiment corpuchics, sont Genet, No毛l Devaulx, Julien Gracq, dont le seul point commun est l'usage d'une phrase longue, classique, nuanc茅e, plus proche d'Esprit Fl茅chier que de Sartre. 禄 (p. 39)

[脌 propos d'un programme pour une nouvelle litt茅rature] 芦 Le premier pont du programme est celui-ci : la politique est morte. [鈥�] On ne cherchera plus 脿 d茅montrer un univers socialiste ou fasciste. [鈥�] L'homme moderne s'est tellement int茅gr茅 脿 la politique qu'elle est devenue constituante de son 锚tre. On d茅crira un communiste comme on dit d'une personne qu'elle a les yeux bleus. 禄

芦 Ici, les fameuses th茅ories de l'engagement et de la tour d'ivoire sont d茅pass茅es. L'茅crivain avance dans le monde, entre dans les pi猫ges tendus par l'茅poque, mais en sort indemne. 禄 (p. 47)

芦 脡crire un roman comme s'il allait emp锚cher la guerre d'茅clater, parce que le h茅ros s'y montre plein de bonne volont茅, est une duperie dans un syst猫me ferm茅 comme celui du monde moderne, qui n'a certainement pas emprunt茅 au christianisme le principe de la r茅ciprocit茅 des pri猫res. Donc, de ce c么t茅-l脿, le champ est libre. 禄 (p. 48)

芦 Le romantisme 茅tait n茅 apr猫s la tourmente. Voici une litt茅rature d'entre les tourmentes. Dans ce petit miroir qui s'appelle aujourd'hui, l'histoire des hommes se refl猫te parfaitement. Chaque romancier, d茅sormais, ressemble 脿 Marcel Proust : un malade qui veut recomposer, non plus sa vie, mais celle de tous les hommes. 禄 (p. 48)

芦 On ira plus loin avec plus de vraisemblance quand on cessera de se sp茅cialiser dans un genre litt茅raire. Telle est la conqu锚te de la nouvelle litt茅rature. On ne voit pas pourquoi un roman n'aurait pas droit, successivement ou simultan茅ment, 脿 la sentimentalit茅, aux 芦 gros mots 禄, 脿 la puret茅, m锚me 脿 la m茅taphysique ! Le probl猫me sera de sauvegarder l'unit茅 du monde 脿 travers ces aspects violemment oppos茅s. C'est un probl猫me d'茅quilibre ou de composition musicale. Ici intervient le langage. [鈥�] Il serait temps de consid茅rer les mots avec plus de simplicit茅, comme des instruments d'expression, qui font ce qu'ils peuvent (ou plut么t ce que nous pouvons) et non pas comme le fondement de la civilisation ou de la morale. 禄 (p. 48-49)

芦 Il y eut, dans la litt茅rature contemporaine, des sujets interdits. Ils ne concernaient pas tant le corps (largement exploit茅 par Lawrence, Miller, Joyce) que l'芒me. On craignait le ridicule, on montrait de la pudeur 脿 l'茅gard de certaines vertus. Le roman moderne fut assez g茅n茅ralement pessimiste. Il redouta plus que tout la fadeur, la niaiserie. 禄 (p. 49)

芦 Au jour du jugement dernier, chacun se pr茅sentera un livre sous le bras, pour sa justification. Mais comme le Seigneur, 脿 l'avance fatigu茅, risque d'en choisir un au hasard afin d'asseoir son opinion, il convient que ces innombrables romans oublient l'individu au profit du monde, ou retrouvent le monde dans chaque individu. Attention : si le lecteur id茅al est un juge, chaque mot va compter et il faudra savoir les grammaires secr猫tes du coeur humain comme un pr茅venu doit conna卯tre son emploi du temps. 禄 (p. 50)

[Nimier d茅fend l'id茅e que] 芦 l'茅crivain n'est pas obligatoirement un proph猫te ou un fonctionnaire 禄 (p. 60)

芦 La sensibilit茅 moderne, sa veulerie, sa bonne volont茅, ses terreurs, ses coups de sang trouvent chez cet auteur [C茅line] leur meilleure illustration, tant il est vrai qu'un solitaire en sait plus qu'un si猫cle entier. 禄 (p. 89)

芦 De m锚me que la couleur noie le dessin chez Claude Monet, l'茅motion fait 茅clater les r茅cits de C茅line. Elle d茅sarticule la phrase, lui imposant le rythme du coeur des surprises, des angoisses 鈥� brouillard o霉 percent les jugements d'une incomparable lucidit茅. 禄 (p. 90)

芦 Dans une 茅poque o霉 beaucoup braillaient, il a domin茅 dans l'exquis. 禄 (p. 94)

[脌 propos du style de C茅line :] 芦 voici le fils d'une dentelli猫re : tr猫s exact 脿 placer les mots, en 茅quilibre sur l'interjection, sp茅cialiste du souffle et du poumon, interpr猫te des battements de coeur. Ses phrases de trois mots ont incommod茅 certains lecteurs ceux-l脿 se disent amoureux de Voltaire, ils n'en aiment que la virgule. On r茅pondra que les phrases de C茅line se portent bien, crient vigoureusement, venues 脿 terme. Bien peu d'erreurs dans ces manuscrits qui r茅clament dix mille pages de brouillon. C茅line, comme Val茅ry et pour les m锚mes raisons, n'茅crira jamais : 芦 La marquise sortit 脿 cinq heure. 禄 (p. 103)

[脌 propos du听Docteur Jivago听de Pasternak] : 芦 On a lu 莽脿 et l脿, et on l'a d茅plor茅 gravement, que Pasternak ignorait les techniques modernes 鈥� phrase qu'on croirait trouv茅e dans la bouche d'un de ses personnages, 脿 la veille de la guerre de 14. Le critique de la Pravda, lui non plus, n'est pas content de cette oeuvre qu'il juge d茅mod茅e. En France comme en U.R.S.S., il semble qu'on veuille la juger suivant des crit猫res politiques. Pr茅cis茅ment, Le Docteur Jivago condamne une politique pour des motifs litt茅raires. Ce qu'il hait parmi les chefs bolcheviks, ce qui lui permet de reconna卯tre qu'ils ont tort, c'est leur phras茅ologie. Il voit le mensonge dans les proclamations affich茅es sur les murs, 脿 leur style m锚me. [鈥�] Tant de lourdeur et de nervosit茅 caract茅risent l'homme nouveau de la r茅volution, dont le Docteur Jivago s'茅loigne de tout son coeur. 禄 (p. 117-118)

芦 Certes, Pasternak est id茅aliste et l'id茅alisme est appr茅ci茅 sur tous les continents, mais c'est un id茅aliste qui ouvre les yeux et qui ne force pas la voix. Les auteurs modernes, en Am茅rique par exemple, s'茅meuvent quand ils d茅couvrent qu'un homme et une femme n'appartiennent pas au m锚me sexe 鈥� et tout ce qui s'ensuit. Le h茅ros de Pasternak dit des choses beaucoup plus inconvenantes.听Pr茅voyant une crise cardiaque, il d茅clare 脿 ses amis qu'il s'agit de la maladie des temps modernes, qu'elle tient 脿 ce que 鈥榣'immense majorit茅 d'entre nous est contrainte 脿 une duplicit茅 constante.' 禄 (p. 118)

芦 Parce qu'il a 茅crit听Le Docteur Jivago, Boris Pasternak n'a aucun besoin du Prix Nobel. Il n'humanise pas, il ne b锚le pas, il ne construit pas, il ne juge m锚me pas, il veut mourir dans son pays. C'est un petit-bourgeois, la Pravda a raison, c'est un artiste, il sait tr猫s bien parler tout seul. Plut么t que de mourir pour Alfred Nobel, Pasternak a choisi sa libert茅. 禄 (p. 118)

芦 Il fut entendu, en 1945, qu'on entrait dans une grande 茅poque. Ce lotissement nocturne pr茅tendait 脿 deux ressources bien faites pour attirer l'amateur : la fille facile et la litt茅rature compliqu茅e. Le bon sens est revenu et le gar莽on facile, beaucoup plus joli, voisine aujourd'hui avec l'茅crivain qui est toujours une jeune femme et toujours raconte sa vie avec un path茅tique calme.听Saint-Germain ne doit pas imaginer, pour autant, avoir invent茅 la p茅d茅rastie ou le roman naturaliste. Ces formes honorables et surann茅es de l'art litt茅raire existaient depuis longtemps, bien avant que l'existentialisme, devenant un humanisme, se pr茅cipit芒t dans toutes les traditions 茅prouv茅es : l'inqui茅tude de la jeunesse, choisir son destin, assumer la condition f茅minine, penser son temps et m锚me avec ses mains, autant de probl猫mes paroissiaux dont le R茅v茅rends P猫res Gide, Bourget, etc., nous entretenaient souvent pendant le car锚me. Cet aspect traditionnel est si profond que les 茅crivains du Montana ou du Village y ont trouv茅 le meilleur d'eux-m锚mes鈥μ齃es drames sociaux de Sartre, les enqu锚tes sociologiques de Simone de Beauvoir, les romans po茅tiques d'Albert Vidalie, les beaux po猫mes classiques de Jean Genet, l'exotisme fi茅vreux d'Albert Cossery 鈥� in茅vitablement d猫s qu'on prononce ces noms de grand talent on se retrouve en 1900. Ce n'est pas un tort. D'autres 茅crivains sont beaucoup plus anciens. Le gentil La Varende se croyait bien du XVIIe si猫cle, Montherlant penche pour le XVIe et Jacques Chardonne a situ茅, sans embarras, le centre de gravit茅 de son oeuvre en 1880. 禄 (p. 122)

[脌 propos des prix litt茅raires] : 芦 tout serait plus simple, si des sujets clairs 茅taient propos茅s aux romanciers. Les prix ne devraient pas se nommer Goncourt, F茅mina, Monthyon, mais plut么t Prix du Bon Jeune Homme (Une enfance, des boutons, une inqui茅tude, un printemps, un amour, sera-t-elle mienne ?), Prix du Monde Moderne (On est quoi ? On n'est rien. Un whisky, vieux ? Et ta crise spirituelle ? Soyons lucides. Non, une gauloise, s'il te pla卯t), Prix de la Vie Sociale (Un avocat. Il sait parler. Bel homme. Son cousin m茅decin. Son neveu r茅volt茅. Son fr猫re officier en Alg茅rie. Le monde est petit. Le monde est le monde). Mais ces 茅preuves int茅ressantes, qui existent d'une certaine fa莽on, ne sont pas avou茅es comme il le faudrait. De sorte que les journaux ne peuvent c茅l茅brer officiellement le G茅nie de l'Adult猫re, de l'Objet, de la Sc猫ne champ锚tre, du Couple, g茅nies qui existent cependant, pour l'ornement d'une grande industrie : l'茅dition. 禄 (p. 149-150)

芦 Cependant, un tr猫s grand public se pr茅cipite sur les 茅crivains originaux, qui cultivent eux-m锚mes leur fleur bleue, leurs secr猫tes cact茅es. Le succ猫s d'ouvrages comme Zazie, l'Homme sans qualit茅s, Tristes Tropiques est sympathique. Il n'entra卯ne pourtant aucune r茅volution du go没t litt茅raire, aucun changement dans l'organisation de la librairie. [鈥�] Parlons 脿 peine de livres d茅lectables, comme听Les Fruits du Congo, d'Alexandre Vialatte ;听Salut camarades, de Marc Bernard, ou听Le Tout sur le tout, de Henri Calet. Ces exemples prouvent qu'il existe en France une litt茅rature riche, vari茅e, mal commode par l脿 m锚me, car on la r茅sumerait difficilement. Par ses couleurs subtiles, elle 茅chappe aux op茅rations de reconnaissance de la critique. Elle refuse aussi de pousser 脿 l'ombre des ch锚nes officiels. Elle r茅clame la libert茅, en litt茅rature, c'est la solitude ; et l'air, c'est le silence des caves d'茅diteur. Heureusement, il y survient parfois une inondation. 禄 (p. 152).

芦 Les romanciers modernes varient les points de vue, changent les perspectives. Balzac travailler plus : il d茅place les d茅cors, construit un nouveau th茅芒tre s'il le faut. Ainsi Marsay n'est-il plus le m锚me d'un roman 脿 l'autre. Ce n'est pas l'芒ge qui d茅termine son aspect, c'est l'existence d'un nouvel univers qui tient ses personnages serr茅s les uns contre les autres. 禄 (p. 159-160)

[脌 propos de听Ferragus听de Balzac :] 芦 J'ouvrais ce livre chez un de mes plus anciens amis [鈥�]. C'est une r茅union tr猫s anim茅e, certainement, et les femmes qui s'y trouvent sont certainement plus intelligentes, complexes et bondissantes (comme le dit l'abonn茅e des Arts) que les h茅ro茂nes de Balzac. Aucune n'a d'ailleurs les yeux allum茅s par la fi猫vre et par l'amour. Tout cela vit. La vie n'en reste pas moins une entreprise inutile. Lire Balzac vaut mieux. 禄 (p. 161)

芦 Et 脿 la lecture de cette oeuvre [celle de Saint-John Perse], on en vient 脿 essayer de d茅finir la litt茅rature, 脿 l'芒ge o霉 nous la voyons : ou d'exaltation ou de d茅nigrement, ou Saint-John Perse ou C茅line 鈥� mais toujours lyrique. 禄 (p. 185-186)

芦 Comptable de l'univers, l'茅crivain s'endort 脿 la peine. Observateur de petits faits vrais, il 茅touffe de sarcasme, Stendhal en a fait l'exp茅rience. Mais contemplateur de la totalit茅 des choses, voyant et voyant toutes choses 脿 la fois, il devient le plus utile des hommes. Il calme les m茅faits du temps, et, par sa parole, il fait un jardin magnifique de la banlieue terrestre. Proust le savait bien qui fit une voli猫re de ses salons, une for锚t vierge de M. de Charlus et comme une odeur d'aub茅pine du regret de la vie. 禄 (p. 186)

芦 Donnons 脿 cet homme enferm茅 des cahiers et des crayons comme on ferait 脿 un 茅colier. [鈥�] Il sera difficile 脿 cet homme de ne pas 茅crire ce qu'il a con莽u de lui-m锚me et de sa triste condition. Il passera sur sa maladresse et sur l'ennui naturel de promener sans cesse une main sur du papier. Il saura qu'il se parle 脿 soi-m锚me, mais dans une oreille 鈥� qu'il se regarde, mais dans un miroir. L'image, le son, lui seront instruction et l'encourageront peut-锚tre 脿 suivre son r茅cit. Sa solitude deviendra moins grande parce que celle de l'univers d茅crit occupera toute la place. Il reprendra d茅sespoir 鈥� mais en lui-m锚me cette fois-ci et non plus dans les murs qui lui sont impos茅s, comme des aide-m茅moire qui gu茅rissent de l'illusion. 禄 (p. 190)

芦 Je n'ai pas grand mal 脿 comprendre tous les hommes et je ne m'entends avec aucun. Les hommes coup茅s en tranches 鈥� la tranche de la bonne humeur, celle de la faim, celle du courrier 鈥� je sais que c'est plus difficile. Je savais surtout que ce r茅gime ne me convenais pas, je n'aurais aucun plaisir 脿 en reconna卯tre les ravages chez les autres.听

芦 Beurrer du papier blanc avec le mot "moi", n'茅tait pas non plus un proc茅d茅 id茅al 脿 mes yeux. C'est pourquoi j'ai tent茅 tout d'abord de me d茅crire 脿 la troisi猫me personne, assur茅 d'y prendre du plaisir et de la solidit茅. Jusqu'au bout, je n'ai pas su. J'avais envie de lever le doigt et de r茅pondre 脿 la place de mon personnage. C'est 脿 quoi j'ai fini par consentir, jugeant que j'茅tais bien libre. 禄 (p. 191-192)

芦 Car l'ennui de me tenir assis devant mes cahiers, cette cruelle 茅preuve que je m'imposais au milieu des 茅preuves, m'avait un peu m没ri, me donnant parfois de l'orgueil, parfois aussi le go没t de la v茅rit茅, parfois m锚me l'app茅tit de me conna卯tre.听Cet app茅tit, pourtant, je ne l'avais jamais eu plus d'une minute 脿 la fois 鈥� minutes perdues dans un grand bonheur involontaire : celui de ne pas m'int茅resser 脿 moi. 禄 (p. 192)

芦 [鈥�] chez nos romantiques, l'exp茅rience est presque toujours romanesque 鈥� romanesque mais non boiteuse. C'est le monde inspir茅 par le sommeil, celui des bons r锚ves que les Dieux inspirent au guerrier, comme 脿 l'enfant sage. 禄 (p. 23)

芦 [L'admiration d'Alain] pour Claudel et Romain Rolland nous est moins utile. Il parle fort bien de L'otage, mais peut-锚tre parce que Turelure est un personnage balzacien. Il cite fr茅quemment Jean-Christophe, mais sans doute parce que c'茅tait la 芦 recherche du temps perdu 禄 de sa jeunesse. On n'a pas assez vu que le succ猫s de Romain Rolland fut un enchantement vague, caus茅 par le go没t de la sensiblerie et des orages int茅rieurs, enchantement que Proust dissipa ais茅ment. 禄 (p. 23)

芦 Dans la perspective de Marcel Aym茅, il ne subsiste rien de ces d茅lices du songe que les romantiques d茅crivaient 脿 grand renfort de bleu p芒le et de rose. Ici, le r锚ve est promen茅 en laisse par une r茅alit茅 imposante, qui prend volontiers les traits d'une m猫re de famille. 禄 (p. 36)

芦 Ces h茅ros [des livres d'Aym茅] ne sont pas brillants. La vie ne s'occupe pas de les r茅genter, elle ne les entra卯ne pas dans le plein de son cours : ils sont cahot茅s sur les rivages, ils 茅chouent et ils s'enfoncent dans une terre molle qui leur para卯t nourrissante 鈥� quand elle se nourrit d'eux-m锚mes.Il ne s'agit gu猫re de savoir si ces m茅diocres m茅ritent leur sort. Ils sont ainsi et voil脿 tout. C'est un naturalisme sans grands mots, sans effet de noir 鈥� le gris suffit bien 脿 sa t芒che. 禄 (p. 37)

芦 Enfin se pr茅cise ici un des caract猫res essentiels de l'oeuvre de Marcel Aym茅 : la place qu'y tient le r锚ve. Il n'est pas une r茅v茅lation, il est d'un usage constant. Ce qui 茅tait projet, ambition, vision 茅th茅r茅e chez les romantiques, se limite au r么le d'une nourriture quotidienne. On ne saurait dire non plus que le r锚ve, comme il en 茅tait chez Proust, soit un sorte de glu, destin茅e 脿 capturer les objets, un jour. Ce sont des r锚ves 脿 fleur de terre, d'un souffle pauvre. Ils s'intercalent parmi les heures de notre vie, docilement, malgr茅 leur apparente libert茅. 禄 (p. 38)

芦 Nombreux sont les 茅crivains qui s'interrogent pour savoir comment ils se comporteront 脿 l'茅gard de leurs personnages, s'ils doivent observer le genou plut么t que le cerveau, la digestion plut么t que la pens茅e. Alain, notre lecteur, se conduit bien autrement. Il feint d'ignorer le langage des habitants de l'茅toile Stendhal, de la constellation Balzac. [鈥�] Pour Alain, la cr茅ation romanesque est une cr茅ation continu茅e, d'ailleurs au grand galop. 禄 (p. 15-16)

芦 Tandis qu'il bavarde [Alain], l'essentiel se produit. 芦 Les romans de Balzac sont des r茅cits, et c'est le r茅cit qui manque dans presque tous les romans ; car ils ne sont que peintures de pens茅es, et pour mieux dire, r锚veries des personnages ; au lieu que l'芒me du roman est dure sans 茅gard, sans piti茅, l'aventure va vite et 茅crase les pens茅es.' 禄 (p. 17)

芦 L'action y est c茅l茅br茅e comme le vrai bonheur humain. La cr茅ation du regard est continu茅e. 芦 Il arrive continuellement quelque chose de neuf par la richesse ext茅rieure. 禄 Et encore : 芦 Il faut que le temps m猫ne le jeu, et que l'homme suive. Ann茅es d'apprentissage. 禄

芦 Voici donc un philosophie du divertissement innocent, un art de courir apr猫s la balle, qui se poursuivra en courant apr猫s les h茅ros de roman. L'univers romanesque apporte un m茅lange de repos et d'茅nergie aussi salubre que l'air de la mer. [鈥�] Enfin, voici un monde cr茅茅, o霉 le r锚ve est canalis茅 et ne risque plus de se r茅pandre en pens茅es furieuses. 禄 (p. 26)

芦On sait avec quelle rapidit茅 Balzac 茅difie et d茅truit les fortunes. Le temps balzacien est fonci猫rement h茅t茅rog猫ne, ses petits rouages ont des griffes d'argent, il se compte par cent mille francs gagn茅s ou perdus. 禄 (p. 29)

芦 Tous les 茅crivains ne sont pas aussi b锚tes qu'ils en ont l'air. Quelques-uns sont intelligents. Maurice Blanchot est un des plus intelligents.听On ne saurait l'accuser d'avoir le coeur sec, car il sait s'exprimer, quand il veut, par de belles m茅taphores qui prouvent un don po茅tique int茅ressant. Avec tout cela, il n'茅crit pas seulement des livres distingu茅s et tristes, mais ce qu'on peut imaginer de plus d茅lirant et de plus fade 脿 la fois, de plus insipide dans le genre insignifiant. 脌 c么t茅 d'eux, les trait茅s philosophiques de Gabriel Marcel paraissent croustillants, les pi猫ces de Maurice Clavel ont du naturel et les essais de Georges Duhamel ont du mordant.听On r茅pondra tr猫s justement que Maurice Blanchot n'a jamais voulu 茅crire听Les Trois Mousquetaires听et qu'il faut le juger d'apr猫s son dessein, m锚me si ce dessein para卯t absurde. 禄 (p. 41)

芦 Il y eut un temps o霉 les romanciers croyaient 脿 l'existence d'un monde ext茅rieur devant lequel 茅tait plac茅 leur h茅ros. Ces primitifs se nommaient Dickens ou Fielding. Puis, l'univers a bascul茅 dans la conscience du h茅ros ; nous n'avons plus vu les choses qu'脿 travers celui-ci. La distinction des deux ordres ne fut pas abandonn茅 pour autant : nous e没mes, d'un c么t茅, des 茅l茅ments intellectuels et sociaux, de l'autre, un monologue int茅rieur bourbeux o霉 l'inconscient intervenait r茅guli猫rement pour qu'on ne risque pas de l'oublier.听Ces renversements, tr猫s bien illustr茅s par les oeuvres de Joyce ou de Virginia Woolf, n'ont pas suffi. Avec les livres de Maurice Blanchot, nous sommes 脿 l'extr锚me pointe de cette recherche. Il place le lecteur de l'autre c么t茅 des choses : le roman a lieu derri猫re un mur. Nous n'en voyons rien et nous n'en entendons gu猫re plus. Nous n'avons que l'espoir d'en reconstituer deux ou trois minces fragments avec beaucoup de patience et d'humilit茅. Si, par hasard, au d茅tour d'une phrase, nous franchissions ce mur, nous d茅couvririons imm茅diatement qu'il n'茅tait qu'une premi猫re enceinte : tout se passait beaucoup plus loin dans un vide irrespirable. 禄 (p. 42)

芦 Si on a beaucoup compar茅 Giraudoux 脿 un p锚cheur de perles, qui ramenait d'ailleurs de jolis coquillages, Blanchot, lui, ne circule qu'en scaphandre. Un jour il d茅couvrit qu'il y avait mieux encore et qu'il suffisait de trancher le tuyau qui le reliait au monde ext茅rieur. Le voil脿, asphyxi茅 dans son armure, immobile au milieu des fonds sous-marins ; c'est la paix des profondeurs : Maurice Blanchot jouit de la meilleure r茅putation dans les milieux intellectuels. 禄 (p. 43)

芦 Chez Hermann Broch, le chaos n'est jamais gratuit. Ce n'est pas un d茅bordement verbal fait d'humeurs et de hasard p芒teux comme celui d'un Wolfe. Les r锚ve de Virgile sont aussi des apparitions, qui concernent l'esp猫ce humaine et son destin.听On a devin茅 qu'il ne s'agit pas d'histoire, encore moins d'histoire romanc茅e.听La Mort de Virgile听est 脿 placer au niveau des livres qui ont cr茅茅 leur sujet et leur forme. 禄 (p. 49)

芦 Bruno [le personnage du roman de Roland Cailleux,听Une lecture] est touch茅 par l'id茅al, chez Proust, un climat intellectuel. Moi c'茅tait bien le contraire : je ne l'entendais parler que de sensations, de couleurs neuves, d'intimit茅. Mais ne tombons pas dans le pi猫ge, n'avouons pas ces souvenirs honteux. Il faut vite prendre un air grave et d茅clarer : "La dur茅e, chez Proust, a un caract猫re post-spatial et presque d茅lirant." 禄 (p. 55)

芦 C'est en quoi C茅line est unique, c'est en quoi 鈥� pas plus que celle de Proust 鈥� son influence n'est facile 脿 dig茅rer. Son r么le est beaucoup plus lointain que celui d'un ma卯tre, toujours oblig茅 de se justifier, d'enseigner 脿 ses disciples les m茅rites du demi-tour droite qui m猫ne 脿 l'Acad茅mie et du demi-tour gauche qui conduit au prix Nobel. Il est bien, en effet, le d茅nonciateur du roman et il a parfaitement r茅ussi sa d茅monstration : ce roman qui s'est ext茅nu茅 pour devenir plus r茅aliste, plus intime, plus vraisemblable, n'a r茅ussi qu'脿 s'aplatir et 脿 s'immobiliser sous quelques aspects, d'int茅r锚t in茅gal : l'affiche de m茅tro (Visitez l'Italie ou le roman stendhalien. Mangez les bonnes p芒tes Lustucru ou le roman humaniste. Allez fr猫res ou le banc de m茅tro engag茅), l'oeuvre d'art (nous avons quelques jolis exemples en France), les sp茅cialit茅 pharmaceutiques (le roman pour adolescent, pour jeune m茅nage, pour indigne national, pour prix litt茅raire). 禄 (p. 59)

芦 Enfin, C茅line vint, qui tortura les phrases pour leur faire pousser de beaux cris. Mais 鈥� et le prestige de听Voyage au bout de la nuit听tient 脿 cet aspect m锚l茅 鈥� il prit une habitude, celle de se livrer d茅sesp茅r茅ment. Entre 鈥榯out dire' qui justifie la confession et 鈥榬etenir le plus possible' qui explique le style, il partait pour un voyage plus grand encore 鈥� la chronique terrible de notre temps, avec un air de chanson, tout au loin, tout au fond des maux. 禄 (p. 63)

芦 C'est ici le moment d'茅tudier, 脿 propos du听Hameau听et 脿 propos de Faulkner, comment ce grand 茅crivain peut 锚tre aussi ennuyeux. Ce que les critiques nomment obscurit茅 par pudeur poss猫de en effet son vrai nom. Et cet ennui consid茅rable, d'une si riche et si parfaite 茅tendue, m茅rite toute notre attention.听L'ennui peut na卯tre dans des familles tr猫s 茅loign茅s, tenir 脿 sept ou huit causes. Par exemple, 脿 la fadeur naturelle d'un esprit qui s'茅panche niaisement ; ou 脿 la fureur ing茅nue d'une grande 芒me qui brame et raconte sa destin茅e, sans choisir et en soufflant tr猫s fort ; ou 脿 la s茅cheresse m茅canique ; ou 脿 la m茅diocrit茅 du langage ; ou encore aux miasmes qui se d茅gagent d'un sujet, mais cela est plus rare 鈥� car on ne s'ennuie pas en lisant听Les Petits Bourgeois听别迟听Bouvard et P茅cuchet听r茅conforte 脿 l'occasion.听Il est 茅vident que Faulkner ne doit rien 脿 ces cat茅gories. Il ne s'extasie pas comme Steinbeck, il ne s'abandonne pas comme Thomas Wolfe, il ricane peu et, m锚me de Le Hameau, il n'abuse pas des conventions naturalistes. C'est autre chose, qui tient d'abord 脿 la confusion voulue du r茅cit. Loin de d茅concerter, les changements de temps et de personnages entra卯nent la monotonie. Cette confusion entretenue veut faire entrer, en d茅sordre, des p茅rip茅ties nombreuses dans le m锚me panier. Elle s'accro卯t d'un langage biblique et tortur茅, o霉 l'entrechoquement des mots vise 脿 un effet de simultan茅it茅. On n'est pas devant ceci ou cela, ce geste, ce souvenir, cette intention, mais tout 脿 la fois, comme une r茅alit茅 grin莽ante, faite de membres enchev锚tr茅s. 禄 (p. 94)

芦 On se demande si on ne p茅n猫tre pas plut么t, en lisant Faulkner, sur un plateau de cin茅ma. Auteur de sc茅narios, l'illustre romancier n'a-t-il pas d茅couvert 脿 Hollywood le secret de d茅nouer les situations les plus absurdes, ou bien d'en masquer l'indigence. 禄 (p. 96)

芦 脌 quoi l'on r茅pondra que les grands romans de Faulkner laissent dans le souvenir des r茅pliques ou des sc猫nes admirables. Oui, cela fut, et, 脿 travers le marmonnement des nourrices, 脿 travers les racontars des vieilles filles, la l茅gende du Sud revit. Il n'es est pas moins vrai que l'ensemble de cette oeuvre donne, techniquement, l'impression d'un immense brouillon. Un bric-脿-brac purement d茅coratif alourdit cette construction. Nous traversons, 脿 la suite de la cam茅ra, trop de pi猫ces vides ; nous 茅tudions trop de sentiments conserv茅s dans l'alcool comme des foetus, et puis, soudain, nous rentrons dans la v茅rit茅 des choses qui est leur ordre. [鈥�] Dans l'incoh茅rence, nous go没terons les plaisirs et les difficult茅s de la d茅couverte. Mais pourquoi donc Faulkner r茅dige-t-il des romans, quand il 茅tait si simple d'茅crire des vers ? Et pourquoi raconter l'histoire du Sud quand il suffisait d'茅crire le Nouveau Testament 鈥� une superproduction, cette fois-ci en chr茅tiens, en scope et en couleurs ? 禄 (p. 97)

芦 Cette objectivit茅 n'est pas celle des anciens romans am茅ricains. Tandis que Dos Passos, Hemingway, forcent la brutalit茅 et l'茅tranget茅 des choses (on ajouterait volontiers 芦 leur soudainet茅 禄), Julien Green laisse 脿 la vie son opacit茅 naturelle. Ses personnages parlent, il ne nous renseigne pas sur leurs intentions, 脿 peine sur leurs 茅motions. En revanche, les visages, leurs grimaces, nous sont pr茅sents et on conna卯t peu d'exemples de conversations aussi br没lantes. On penserait 脿 Bernanos, s'il n'y avait une diff茅rence essentielle. Chez Green, tout, sauf quelques mots, est d'un aspect uniforme. 禄 (p. 124)

芦 S'il parle de lui, c'est en romancier plut么t qu'en bon jeune homme. Il est d茅j脿 romancier n茅gativement, tant il est mal fait pour l'expression des id茅es. Quand une th猫se appara卯t, dans un de ses livres, elle para卯t bien fade au prix des cr茅atures vivantes que nous voyons d'agiter. 禄 (p. 127)

芦 Nous l'avons dit : il est romancier, il sait fabriquer un univers, et il est remarquable que son besoin de confession ne le g锚ne pas dans cette entreprise : le monde, tel qu'il le recr茅e, subsiste autour de lui. 禄 (p. 128)

芦 Il apparut comme l'illustrateur de la psychologie du comportement, celui qui le premier mettait en sc猫ne des h茅ros, dont la temporale disait les passions, dont l'humidit茅 de la paupi猫re prouvait la concupiscence et dont l'attitude g茅n茅rale 茅tait d'une brute sensitive, surveill茅e par cinq ou six appareils de contr么le, judicieusement dispos茅s par le romancier. L'homme cessant d'锚tre un personnage de trag茅die, devenait un animal au poil fris茅, 脿 la forme trapu, 脿 l'oeil sanguin, r芒bl茅 de partout et capable, cependant, de ressentir le malheur du monde. 禄 (p. 175)

芦 Sans doute il aurait aim茅 脿 composer un roman comme Tolsto茂 en faisait. Ici, une diff茅rence surprenante intervient. Si Tolsto茂 navigue facilement dans le calme et la simplicit茅, c'est peut-锚tre aussi parce qu'une 芒me ravag茅e, un caract猫re f茅roce font de l'apaisement un miracle. D茅j脿 cruellement atteint par quelque id茅e fixe, Maupassant n'en croit pas moins que le monde existe r茅ellement et qu'il est plus important que l'homme. O霉 Tolsto茂 prend la soci茅t茅 pour refuge, Maupassant y voit une mati猫re premi猫re dans laquelle on peut s'agiter 脿 loisir. Un simple go没ter, dans听Anna Kar茅nine, devient un 茅v茅nement tr猫s pr茅cieux, une halte, dont profitera le h茅ros au coeur trouble. Chez Maupassant, ce ne sera plus qu'une des mille pages d'une soci茅t茅 normale, o霉 toutes les tables ont quatre pieds, tous les hommes un seul coeur. 禄 (p. 178)

芦 D'autres auteurs, Jules Romains, Roger Martin du Gard, sont partis de la sociologie pour arriver au roman. Mais ils nous ont propos茅 leurs travaux comme un inventaire. L'adresse de Paul Morand est de pr茅senter ses conclusions comme de simples remarques et de nous donner une loi g茅n茅rale 脿 travers une m茅taphore cocasse. 禄 (p. 205)

芦 Aujourd'hui, en relisant ces vingt-sept volumes, leur place r茅elle appara卯t bien. Jules Romains fait suite 脿 Balzac et 脿 Zola. Mais, au lieu de les imiter et de peindre une soci茅t茅 par pi猫ces d茅tach茅es, il a trouv茅 le moyen de nous donner l'impression d'un mouvement universel. [鈥�]听Le probl猫me 茅tait de nous pr茅senter des h茅ros nombreux, vari茅s et de faire que nous pensions encore 脿 tous les autres lorsqu'un seul est en sc猫ne. La tr猫s grande souplesse de cette oeuvre autorise ce tour de force. Comme le ferait une cam茅ra, elle nous entra卯ne 脿 gauche, nous ram猫ne en arri猫re. Le prodige est qu'elle garde son 茅quilibre. Nous n'avons jamais le sentiment que l'auteur en prend 脿 son aise avec nous, qu'il c猫de 脿 son caprice. Et, pourtant, il intervient, il n'h茅site pas 脿 comparer telle attitude d'un ouvrier avec celle d'une femme du monde [鈥�]. Il a un secret : il a bien calcul茅 sa distance 脿 l'茅gard du lecteur. 禄 (p. 226-227)

芦 Qui s'茅tonnerait de la banalit茅 des romans de Simenon aurait tort. Simenon pose probl猫mes s茅rieux. Il est possible qu'il ne donne pas toujours la solution la plus 茅l茅gante de l'茅quation, mais il la r茅sout. Il est dans le vrai du XXe si猫cle, sans exc猫s m锚me de r茅alisme. Ses personnages peuvent rester face 脿 face, ils ont une philosophie r茅elle 脿 茅changer. 禄 (p. 237)

芦 L'humanisme est toujours tr猫s prudent dans ses principes, tr猫s imp茅ratif dans ses mandements. Il nous d茅fend clairement de tuer nos semblables, sans nous expliquer pourquoi les autres sont nos semblables. On me r茅pondra que ces choses-l脿 "se sentent". Ce n'est pas impossible. Mais dans le domaine des sensations, l'humeur est dominante, chaque instant est un argument nouveau et enfin. Il n'est pas jur茅 que tous les habitants de la terre sortent du m锚me atelier, puisque aussi bien il n'y a plus de sculpteur. Tout 脿 coup, si nos voisins nous apparaissent comme des insectes ou de purs 茅trangers, rien ne nous emp锚chera d'en supprimer quelques-uns. Les moustiques tu茅s, les r茅sistants fusill茅s, les fascistes abattus, ces choses-l脿 ne se comptent plus. C'est une affaire d'impatience ou de col猫re. 禄 (p. 75-76)

芦 Ce que j'entends pas un retour au classicisme, ce sont des choses tellement simples qu'on a un peu honte de les dire. Il me semble que les 茅crivains de cette g茅n茅ration chercheront moins que leurs a卯n茅s 脿 passer pour des ing茅nieurs, des g茅n茅raux, des 鈥榩roducteurs' d'id茅es. Ils seront 茅crivains, ce qui est une fa莽on naturelle et chanceuse de passer son temps sur la terre 鈥� 脿 tel point que les officiers, les actrices, les politiciens en retraite l'ambitionnent et r茅digent leurs M茅moires. 禄 (p. 162)

De quoi souffre le cin茅ma ? de b锚tise.

芦 Tout se passe en effet comme si les metteurs en sc猫ne et les sc茅naristes ignoraient que la litt茅rature, par exemple, existe depuis longtemps. Loin de pr茅server leur fra卯cheur d'芒me, cette ignorance les perd. Ils veulent refaire, image par image, ce qui a 茅t茅 fait mot par mot. La rapidit茅 d'une action, les diff茅rentes dimensions du monde, le hasard et l'esprit, tout cela leur d茅pla卯t au plus haut point. Leur id茅al est une action plate mais embrouill茅e.听C'est ainsi que le cin茅ma, en 1954, date, au mieux de 1884. Nos metteurs en sc猫ne d茅fendent un r茅alisme gratuit et st茅rile (leur r茅alisme, par un contradiction imb茅cile, est devenu de l'art pour l'art), qui leur fait composer fans les meilleurs cas, des films que nous avons l'impression de conna卯tre par coeur. 禄 (p. 45-46)

芦 Nous avons dit que les ambitions des uns et des autres [les cin茅astes] 茅taient litt茅raires. Mais la litt茅rature est plus simple dans ses moyens, et aussi plus g茅n茅rale. Elle d茅borde le m茅tier d'茅crivain. Un article de journal, les lettres d'une dame de province ou les m茅moires d'un 芒ne peuvent 锚tre les chefs-d'oeuvre d'une 茅poque. 禄 (p. 47-48)

芦 Stendhal vaut bien Moli猫re. Ce sont les deux grands railleurs sentimentaux de notre litt茅rature. [鈥�] Ce qui est int茅ressant 脿 d茅celer, au cours des si猫cles pr茅c茅dents, c'est la lutte du romantisme et du bonheur 鈥� des airs pench茅s et de la bonne sant茅. Moli猫re et Stendhal ont ceci de commun qu'ils ne montrent pas trop vite leur jeu. Ils affichent un id茅al de simplicit茅, de bonne humeur, ils font semblant de tr猫s bien s'arranger avec l'existence. Il n'en est rien. On n'ignore plus 脿 quel point Moli猫re fut tromp茅, caract猫re romantique par excellence. Et Stendhal ! [鈥�] Son aventure int茅rieure semble bien s'锚tre d茅roul茅e parmi ces beaux visages du XVIIIe qu'il imaginait charmants, parfaits, invent茅s pour le comprendre. Son avenir 茅tait en 1735 aussi s没rement qu'en 1935. 禄 (p. 205)

芦 Chez Dosto茂evski, fraternellement unis, coexistent un proph猫te horrifi茅 du monde moderne, un mystique slave, un auteur de roman-feuilleton qui tirait 脿 la ligne, un observateur comique et un dramaturge, interm茅diaire entre Nietzsche et Alexandra Dumas fils. 禄 (p. 266)

Note听: Ne sont transcrites ici que les citations des lettres que Roger Nimier a envoy茅es 脿 Jacques Chardonne.

Septembre 1950 :

芦 D'ailleurs, un bon 茅crivain ou plut么t une bonne litt茅rature saurait tr猫s bien dig茅rer le langage moderne, qui a sa grammaire, plut么t que ses gros mots. Chez Marcel Aym茅, on trouve des r茅ussites dans ce genre d'id茅e. En somme, il suffirait de prendre deux ma卯tre : Madame de La Fayette et Eug猫ne Sue鈥� 禄 (p. 23)

芦 J'avoue ne pas aimer beaucoup ce qui pla卯t en nous, aux 茅trangers : ils pensent 脿 l'intelligence mais aussi 脿 la faiblesse (leur faiblesse, apr猫s tout, car nous la dig茅rons mieux qu'ils ne savent le faire) ; 脿 la luxure, aussi 脿 la vulgarit茅. 禄 (p. 23)

[脌 propos de ses propres oeuvres] : 芦听Les 脡p茅es, 莽a ne vaut pas un clou. Le reste non plus, d'ailleurs. Je m'en suis aper莽u en feuilletant le听Hussard,听pour aider l'茅diteur anglais. 禄 (p. 70)

芦 J'aurais aim茅 茅crire quelques rares livres, sans mots inutiles, sans d茅clamation et sans malices. Vous m'en aviez donn茅 le go没t. H茅las, l'amour des jolies voitures et des jolies femmes me pousse vers le travail. 禄 (p. 79)

芦 Nourissier : pas lu. Mais le romancier moderne s'est fix茅 pour but de faire travailler son lecteur, de le placer devant des personnages, comme il l'est lui-m锚me dans la vie. Diff茅rence : on a beaucoup plus de temps dans la vie. 禄 (p. 82)

芦 Et puis je suis tellement de votre avis sur les romans. Seuls ceux qui sont des oeuvres d'Art ou ceux qui ressemblent 脿 des m茅moires ont un int茅r锚t :听Adolphe,听La Recherche du Temps perdu,听Romanesques. Hors de l脿, point de salut, mais de l'amusement en lisant vos auteurs am茅ricains, Cecil Saint-Laurent, Dumas, etc鈥� [鈥�] J'aimerais 锚tre dans un journal o霉 Kl茅ber Haedens parlerait des livres nouveaux et moi des anciens. 禄 (p. 84)

芦 Cocteau ne m'a jamais int茅ress茅. Je n'ai aim茅 que des 茅crivains s茅rieux : Bernanos, Chardonne, Sartre.听Il faut revenir 脿 Sartre. On est injuste envers lui.听Vous avez raison pour les h茅ritiers de Giraudoux. Il aura eu plus de disciples que Proust. 禄 (p. 95)

芦 Je jure de ne plus publier de romans avant dix ans 鈥� si la terre et Nimier durent 10 ans.听D'autre part vous pouvez consid茅rer que je n'ai publi茅 jusqu'ici qu'un roman :听Les 脡p茅es听鈥撎�le Hussard bleu, qui sont un seul livre.听Perfide听est un conte,听Les Enfants tristes, une version tr猫s incompl猫te et tr猫s fautive d'un roman que je publierai plus tard (dans dix ans justement). 禄 (p. 101)

芦 Je suis heureux que l'Histoire d'un amour听vous ait plu. Pourtant, 莽a doit 锚tre un roman bien froid et je le sais tr猫s mal compos茅.听Mon travail 脿 Femina qui m'ennuiera un peu aura un avantage : il m'emp锚chera d'茅crire d'autres romans. J'aurais d'ailleurs plus de plaisir 脿 recommence ceux que j'ai publi茅s et qui sont nombreux.听Les听Lettres听de Madame de S茅vign茅 paraissent dans la Biblioth猫qie de la Pl茅iade. C'est un ouvrage qui a bonne r茅putation. C'est mieux que Colette, dieu merci. Colette me semble 锚tre un de ces auteurs qu'on aime 脿 d茅couvrir (Marguerite Audoux, etc鈥�) mais qui ne doivent pas s'茅lever trop haut. [鈥�]听Le Voyage en Italie听de Giono est tr猫s joli. Cependant, il est bavard. 禄 (p. 114)

芦 Je ne suis pas n茅 avant terme. Cependant, mon p猫re 茅tait ing茅nieur, ma m猫re violoniste. Tous deux admirables dans leur profession, d猫s quinze ans. C'est ce que j'ai traduit naturellement en litt茅rature. Aucune importance : c'est du pass茅, ce que je j'ai fait rentre dans cette cat茅gorie aimable, mais coupable : le pass茅. La suite, nous la verrons ensemble. 禄 (p. 139)

芦 La critique est un art royal 鈥� en tout cas un art aristocratique, vous avez raison de la r茅p茅ter. C'est l'intelligence, le go没t, la civilisation, les coutumes, le plaisir, l'aveu, la col猫re ou l'amour qui parlent. Un 茅crivain qui se d茅cide 脿 锚tre un grand critique, comme Sainte-Beuve, prend la route sacr茅e. Cependant Bainville a remarqu茅 qu'il aurait fait un merveilleux historien. C'est de m锚me une famille voisine. Ce serait mon m茅tier v茅ritable. Un jour, peut-锚tre, je serai un grand historien. 禄 (p. 139-140)

芦 Je pensais justement 脿 Chateaubriand ces jours derniers. Je ne partage pas le respect g茅n茅ral pour les听M茅moires d'outretombe. Cette terrible d茅clamation, que vous relevez justement chez Mauriac, cette main perp茅tuelle sur le coeur, g芒che beaucoup de jolies phrases. [鈥�]听Proust et le听Temps perdu, que je relisais ces jours-ci, c'est beaucoup plus vrai en tout cas et plus touchant. L'茅crivain, install茅 dans sa chaire ou se croyant g茅n茅ral, ce ne sera jamais supportable. 禄 (p. 227)