Michel Houellebecq
(1956-鈥)
Dossier
Le roman selon Michel Houellebecq
Le naturalisme huysmansien de Michel Houellebecq, par Gabrielle Roy-Chevarier, 16 janvier 2016 |
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Introduction. L'id茅e d'un rapprochement entre la vision du roman de Michel Houellebecq et celle de Joris-Karl Huysmans, 茅pigone du mouvement de la d茅cadence 脿 la fin du XIXe si猫cle, m'est venue lors de la lecture de听Soumission听(2015). Dans ce dernier roman de Houellebecq, un dialogue s'茅tablit en effet entre Fran莽ois, professeur sp茅cialiste de Huysmans, et ce dernier, naturaliste impertinent. L'auteur d'脌 rebours听voit sa vision d茅senchant茅e du monde et son parcours spirituel se d茅calquer sur le personnage houellebecquien, lui-m锚me partag茅, dans une France devenue islamique, entre l'ennui de sa propre existence et le d茅sir d'une r茅demption par la conversion religieuse. Or, par-del脿 ce rapprochement circonstanciel (pour lequel Huysmans fournit un mat茅riau th茅matique essentiel au roman de Houellebecq, tant par les id茅es v茅hicul茅es dans ses oeuvres que par sa biographie), il est 茅galement frappant de constater 脿 quel point l'oeuvre romanesque de Houellebecq est, de mani猫re g茅n茅rale, tr猫s 芦听huysmansienne听禄.听L'intuition 脿 l'origine de ce travail est ainsi que l'intertexte huysmansien dans听Soumission听conf猫re un 茅clairage nouveau 脿 la vision du monde et 脿 la pratique du roman de Houellebecq, en les repla莽ant dans un contexte de pens茅e propre 脿 la fin du XIXe si猫cle (que l'on pourrait m锚me situer plus pr茅cis茅ment au d茅but des ann茅es 1880). Ce contexte est notamment celui de la d茅couverte de Schopenhauer par les 茅crivains fran莽ais, le philosophe se trouvant sans surprise parmi les influences majeures de Huysmans comme de Houellebecq, tous les deux aussi profond茅ment marqu茅s par Baudelaire. Mais ce contexte que Houellebecq actualise est aussi directement li茅 脿 l'histoire du roman, 茅tant celui du r猫gne, encore sans partage, du naturalisme zolien dans le paysage romanesque fran莽ais. Le naturalisme se distingue du r茅alisme en ce qu'il se pr茅sente comme une 芦听m茅thode听禄 et prend racine dans le discours positiviste et m茅dical de l'茅poque听: on y retrouve les influences d'Auguste Comte (admir茅 par Houellebecq, qui 茅crit plusieurs articles sur le positivisme) et du physiologiste Claude Bernard. Au risque de trop r茅sumer, le naturalisme s'inspire de la m茅thode exp茅rimentale de Claude Bernard et du positivisme en g茅n茅ral en ce qu'il proc猫de par hypoth猫se a priori plut么t que par empirisme听: la th茅orie pr茅c猫de l'exp茅rience, bien qu'elle soit fond茅e sur une observation rigoureuse de la r茅alit茅. Le roman naturalisme se trouve alors 脿 d茅montrer, plut么t qu'脿 d茅couvrir, des m茅canismes sociaux ou psychologiques, et forme par l脿 m锚me un syst猫me illustrant une certaine vision du monde听: nous sommes ici aux antipodes du roman d'aventures.听Chez Huysmans, le naturalisme se d茅leste de l'enthousiasme g茅n茅ral qu'a la soci茅t茅 de son 茅poque pour les progr猫s techniques et scientifiques, son hypoth猫se a priori 茅tant celle d'un monde en d茅route, ennuyeux et m茅diocre, que l'individualisme simplifie et dans lequel la libert茅 est une fiction, puisque l'individu est prisonnier de la souffrance de ses d茅sirs (le plus souvent vils) ou de l'ennui de les voir satisfaits. La m锚me vision du monde, directement import茅e de Schopenhauer, se retrouve chez Houellebecq, d猫s ses premiers 茅crits. On peut citer l'exemple de cet entretien de 1995 o霉 il parle de son 芦听intuition que l'univers est bas茅 sur la s茅paration, la souffrance et le mal听禄 (Interventions, p. 39)听:
Chez Huysmans comme chez Houellebecq, c'est trop souvent cette vision du monde qu'on retient, le pessimisme radical et spectaculaire, au d茅triment de ses cons茅quences esth茅tiques pour le roman, c'est-脿-dire des moyens formels ou techniques, voire des jeux et des truchements mis en place pour la porter, pour la rendre cr茅dible au lecteur. Or l'art de ces deux romanciers, de Houellebecq en particulier, est loin d'锚tre un art de la transparence, de la simple transposition d'observations ou de notes prises sur le monde. C'est 脿 l'inverse un art o霉 se joue 脿 plein l'agilit茅 du romancier, qui doit d茅montrer son hypoth猫se exp茅rimentale, son parti pris sur le monde, 脿 l'aide de la mise en r茅cit. L'un de ces truchements, qui rapproche de nouveau Houellebecq de Huysmans, est celui du personnage. Invariablement, chez l'un comme chez l'autre, le personnage central des romans sera un 锚tre mou, impuissant, maladif, insignifiant. Houellebecq commente听:
Dans une entrevue r茅dig茅e sous le pseudonyme d'Anna Meunier, Huysmans pr茅sente aussi comme une particularit茅 de ses romans 芦听le type unique qui tient la corde dans chacune de ses oeuvres听禄听: 芦听Cyprien Tibaille, Andr茅, Folantin et des Esseintes ne sont, en somme, qu'un seul et m锚me personnage, transport茅 dans des milieux qui diff猫rent.听禄 (En marge, p. 68) Ce 芦听type unique听禄 peut sembler, chez Huysmans comme chez Houellebecq, n'锚tre que le double de son auteur (Houellebecq pr茅nomme d'ailleurs souvent ses personnages 芦听Michel听禄 et se met lui-m锚me en sc猫ne dans听La Carte et le Territoire). En r茅alit茅, il s'av猫re plut么t 锚tre un outil de pr茅dilection pour l'exploration d茅senchant茅e du monde, un 芦听antih茅ros听禄 qui est moins l'incarnation d'un 茅crivain sans imagination, puisant dans sa propre biographie faute de mieux, que ce qui permet de rendre pensable une hypoth猫se exp茅rimentale.听L'exemple du personnage montre l'effet trompeur de l'insignifiance, qui semble s'accompagner d'un effacement du travail romanesque, ou faire du roman un genre qui va de soi, pouvant exprimer sans filtre la r茅alit茅 banale de la vie quotidienne. Chez Houellebecq comme chez Huysmans, le genre romanesque se pr茅sente comme un choix g茅n茅rique conscient et r茅fl茅chi, comme le prouvent 脿 la fois leur pr茅f茅rence marqu茅e pour la po茅sie et leur m茅fiance du roman. Dans plusieurs de ses essais, Huysmans attaque de mani猫re virulente le 芦听romanesque听禄, dont il voudrait extraire toute trace de ses propres romans. Il ne s'agit pas de dire que Houellebecq 芦听s'inspire听禄, ou 芦听copie听禄 Huysmans, autant dans sa vision que dans sa pratique du roman ; les deux auteurs se distinguent en effet par les cons茅quences esth茅tiques de leur 芦听naturalisme听禄. Si Huysmans, surtout dans ses oeuvres pr茅c茅dant sa conversion au catholicisme, tente de d茅construire le genre 脿 m锚me ses romans, d'en explorer les limites esth茅tiques, notamment par un rejet du d茅terminisme zolien (脌 rebours听va avoir une influence sur toute une g茅n茅ration d'茅crivains, eux aussi 芦听en crise听禄 avec le genre romanesque), Houellebecq se r茅v猫le 锚tre un h茅ritier beaucoup plus fid猫le au naturalisme comme m茅thode romanesque. Ce n'est pas dire que Houellebecq cherche 脿 construire une oeuvre qui se pr茅sente comme une vaste enqu锚te sociale, lieu commun des grands projets romanesques du r茅alisme et du naturalisme. Ce qu'on doit associer au 芦听naturalisme听禄 n'est pas une vis茅e globale, un succ茅dan茅 de l'ambition de Zola, mais une m茅thode et un a priori esth茅tique qui font du roman non pas un outil de repr茅sentation directe du monde, mais une machine exp茅rimentale proposant une hypoth猫se convaincante sur la condition humaine, dont les outils conceptuels sont largement fournis par la philosophie et la pens茅e du XIXe si猫cle (Schopenhauer, Auguste Comte) et par l'affirmation d'une solidarit茅 entre le genre romanesque et les sciences pures, l'influence majeure 茅tant, pour Houellebecq, Niels Bohr (m茅canique quantique), plut么t que Claude Bernard, comme pour Zola. 脌 travers la vision naturaliste de Houellebecq se r茅v猫le aussi une grande conscience des mat茅riaux romanesques mis 脿 la disposition de l'茅crivain dans sa d茅marche exp茅rimentale, ainsi que du r么le du romancier dans la fabrication du 芦听r茅el听禄 montr茅听: en cela, ultimement, il se rapproche de Huysmans, pour son usage particulier du 芦听document听禄, qui 茅vide et alimente 脿 la fois la mati猫re romanesque, et pour le d茅sir de porter sur le monde un regard qui soit aussi tributaire d'une interrogation m茅taphysique. 1- Le roman comme machine exp茅rimentale. Le d茅but de la carri猫re d'茅crivain de Houellebecq (c'est-脿-dire les ann茅es 1990) est marqu茅 par une pratique mixte听: plusieurs recueils de po茅sie,听La Poursuite du bonheur听(1991),听Le Sens du combat听(1996),听Renaissance听(1999), s'intercalent entre deux romans,听Extension du domaine de la lutte听(1994) et听Les Particules 茅l茅mentaires听(1998). Comme la critique s'interroge sur cette double pratique d'茅criture, Houellebecq est souvent appel茅 脿 commenter les rapports entre la po茅sie et le roman. S'il ressort de ce travail comparatif certaines d茅finitions 茅cul茅es du roman 鈥 en tout cas pour un 芦听tsariste听禄 鈥 (le roman est d茅crit comme un genre omnivore, comme un genre n茅cessairement 芦听impur听禄 pour 锚tre int茅ressant), ou si, parfois, le d茅bat est 茅vit茅 gr芒ce 脿 l'id茅e 芦听d'oeuvre听禄, d'un livre unique d茅cloisonnant les genres, la comparaison entre po茅sie et roman permet aussi 脿 Houellebecq d'aborder la question sous un angle esth茅tique, ce qui conf猫re 脿 son choix de genre un poids intellectuel. Dans des essais comme 芦听Jacques Pr茅vert est un con听禄 (1992) ou 芦听L'absurdit茅 cr茅atrice听禄 (1995), la question esth茅tique se pense selon deux axes听: d'abord par le biais du rapport entre fond et forme, puis par celui du rapport au monde, du probl猫me de la perception听: 芦听Toute perception s'organise sur une double diff茅rence听: entre l'objet et le sujet, entre l'objet et le monde. La nettet茅 avec laquelle ces distinctions sont envisag茅es a des implications philosophiques profondes, et c'est sans arbitraire qu'on peut distribuer les m茅taphysiques existantes le long de ces deux axes.听禄 (Interventions, p. 33-34). Alors que l'ambition de la po茅sie est celle d'assurer une corr茅lation maximale entre la vision du monde et la forme esth茅tique, celle du roman est 脿 l'inverse de saper toute possibilit茅 d'une vision univoque, non ambigu毛. Le langage po茅tique, que Houellebecq pr茅f猫re au langage prosa茂que (celui-l脿 m锚me qui sert de mat茅riau au roman), cr茅e un 芦听effet d'illimitation听禄 (Interventions, p. 32), la possibilit茅 d'un 芦听discours fonci猫rement a-logique听禄 (Interventions, p. 32), qui permet d'embrasser une r茅alit茅 plus vaste听:
La faiblesse du roman est d'utiliser, 脿 l'inverse de la po茅sie, un langage prosa茂que, qui 芦听organise des r茅flexions, des arguments, des faits ; au fond, il organise surtout des faits. [鈥 Tout aspect qualitatif ou 茅motif dispara卯t de notre vision du monde.听禄 (Interventions, p. 31) Or l'affirmation de faits condamne 脿 une vision partielle, incompl猫te du monde, bien que le but inverse soit habituellement vis茅. Autrement dit, la langue prosa茂que d茅voile, plus qu'elle ne camoufle, l'茅chec qu'il y a 脿 vouloir dire le monde. C'est cet 茅chec que reconduirait le roman, s'il ne pouvait aussi 锚tre le lieu d'un assemblage de faits contradictoires, d'affirmations compl茅mentaires qui, pris ensemble, re-complexifient le rapport au monde. C'est pourquoi on peut lire 诲别谤谤颈猫谤别 les th茅ories de Bohr, que convoque Houellebecq, une r茅flexion sur l'art du roman. Le langage prosa茂que du roman ne sert par 脿 exprimer un rapport direct au monde, mais 脿 construire un 芦听malaise conceptuel听禄听:
La distinction esth茅tique que trace Houellebecq entre po茅sie et roman s'illustre par sa critique de po猫tes comme Jacques Pr茅vert et de romanciers comme Alain Robbe-Grillet. Les uns comme les autres se 芦听trompent听禄 esth茅tiquement, non pas parce qu'ils produisent des oeuvres formellement mauvaises, mais parce qu'ils partent du principe que le monde 脿 d茅crire est simple, stable et univoque.听脌 titre d'exemple, les romanciers 芦听Minuit听禄 fondent leur pratique sur une assertion fausse, qui est celle d'une connaissance possible du monde par l'茅radication du sentiment, de la subjectivit茅. Il s'agit plus pr茅cis茅ment de l'erreur de croire qu'une oeuvre esth茅tique peut na卯tre d'un contact direct, imm茅diat, au monde (la 芦听position esth茅tique听禄 茅tant au contraire pour Houellebecq, comme je le montrerai plus tard, celle d'un retrait, d'une suspension momentan茅e des d茅sirs et des actions)听:
La faiblesse fondamentale du roman, c'est-脿-dire la mat茅rialit茅 m锚me de son langage, telle que port茅e 脿 son comble par le Nouveau roman, devient, au fur et 脿 mesure que Houellebecq voit son oeuvre de romancier prendre de l'ampleur, moins un 茅cueil esth茅tique qu'une force 脿 exploiter. Devant le constat d'une impossibilit茅 de dire le monde, de passer outre la question 茅pineuse des conditions de la perception esth茅tique (je ne sais pas ici s'il s'agit d'une influence de Kant, que Houellebecq a beaucoup lu, ou de Schopenhauer), se dessine l'id茅e de la possibilit茅 de jouer avec les visions et les discours port茅s sur le r茅el, 脿 explorer, gr芒ce au roman, les mani猫res concurrentes ou contradictoires dont se pense le monde. C'est cette id茅e qui est d茅velopp茅e dans le long (et int茅ressant) entretien entre Houellebecq et Martin de Haan (2004)听: 芦听C'est-脿-dire qu'au fond de tout ce que j'茅cris, il y a une vaste tentative d'茅lucidation [du] monde qui m'entoure.听禄 (p. 26) Houellebecq r茅v猫le, par ses romans, les limites du langage prosa茂que, en montrant le monde non pas comme une entit茅 stable, qu'il est possible de d茅crire dans son ensemble, mais comme un vaste texte avec lequel le roman joue, son mat茅riau 茅tant surtout 芦听rapport茅听禄 : 芦听en fait, mon mat茅riau, ce n'est pas vraiment le monde. On ne peut en parler. Le monde, c'est aussi l'ensemble de ce qui a 茅t茅 茅crit sur le monde听禄听(p. 10) :
Le romancier, 脿 l'inverse du po猫te qui se livre entier (et le monde avec lui), se r茅v猫le donc 锚tre, plut么t qu'un scribe d茅crivant le monde qui l'entoure, un pasticheur de discours. Le but du roman n'est pas d'imiter le r茅el, mais de donner un effet de r茅el, tout en critiquant, souvent avec humour, les conceptions, les r茅cits, les fictions cr茅茅es dans la vie de tous les jours, mais aussi dans la fiction elle-m锚me, pour saisir le monde听: 芦听Dans les passages dr么les [de听Plateforme], 脿 part听Le Guide du routard, j'avais envie de me payer les best-sellers am茅ricains.听禄 (Interventions听2, p. 201-202) Un mat茅riau de pr茅dilection est fourni par le domaine de la publicit茅. Pour Houellebecq, les publicit茅s, les brochures, voire les manuels d'utilisateur, repr茅sentent le monde, le d茅crivent听:
Houellebecq s'oppose donc 脿 toute vision mat茅rialiste du monde, mais aussi au 芦听r茅alisme听禄 dans l'esth茅tique du roman听: il s'agit, selon lui, d'une conception fausse, d'une pr茅tention qui n'a aucun fondement. Il remarque plut么t la mani猫re dont les 茅crivains les moins 芦听r茅alistes听禄, les romanciers de la litt茅rature fantastique ou de science-fiction, parviennent 脿 donner une impression de r茅el non pas par une observation rendue avec minutie, mais par le pastiche de mat茅riaux non litt茅raires :
Il y a en fait chez Houellebecq un plaisir avou茅 (et tr猫s 茅vident 脿 la lecture de ses romans), pour le document pris tel quel 鈥 que ce soit un guide automobile, un guide touristique 鈥 qui rappelle le plaisir qu'avait aussi Huysmans pour l'exposition purement descriptive de 芦听documents听禄, d'objets, de bibelots, de sons, de couleurs, plaisir qui est moins celui de 芦听dire听禄 le monde que celui de l'assembler ou de le d茅sassembler, comme un jouet (m茅taphore qui est d'ailleurs employ茅e par Houellebecq). La m茅taphore qui convient cependant le mieux au genre romanesque est celle de la 芦听machine听禄, que Houellebecq emprunte 脿 Pascal, et qui permet de mieux saisir l'enjeu esth茅tique du roman. Le roman est une machine qui ne vise aucunement la transcendance, l'atteinte de l'essence des 锚tres et des choses, mais la simple exposition des discours et points de vue port茅s sur le monde. Il offrir une impression de r茅alit茅 et de coh茅rence sans pour autant livrer de secrets m茅taphysiques听: 芦听Il faut dire en gros [affirme Pascal]听: cela se fait par figure et mouvement, car cela est vrai. Mais de dire quels, et composer la machine, cela est ridicule; car cela est inutile, et incertain, et p茅nible.听禄 (Interventions听2, p. 247) 2- La dynamique du roman听: danger et euphorie des descentes. Si la po茅sie, selon Houellebecq, permet de parler du monde 芦听tel que les hommes le per莽oivent听禄 (Interventions, p. 31), et permet surtout d'approcher sa part de myst猫re et de beaut茅 gr芒ce 脿 sa capacit茅 d' 芦听茅tablir une parole diff茅rente [que le langage prosa茂que] sur la m锚me r茅alit茅听禄 (Interventions, p. 31), le roman se pr茅sente quant 脿 lui comme le genre devant tirer parti des faiblesses et des pr茅tentions de la langue prosa茂que, compos茅e d'assertions fausses, de clich茅s, de r茅cits digestibles permettant de ne pas avoir 脿 fr么ler l'ab卯me m茅taphysique qui est celui d'un monde sans signification ni transcendance. Ce monde se r茅v猫le n茅anmoins intrigant et le romancier en Houellebecq supplante le po猫te de par son go没t pour l'茅lucidation d'hypoth猫ses听:
Le roman devient pour Houellebecq une machine lui permettant de r茅fl茅chir aux 芦听ph茅nom猫nes in茅dits听禄 du monde contemporain, parce qu'il les enferme dans un syst猫me clos et in茅luctable听: 芦听J'aime, en g茅n茅ral le fait de raconter les fins, les trucs qui se terminent vraiment.听禄 (M. de Haan, p. 21) Le but du romancier naturaliste 芦听contemporain听禄 n'est pas de montrer les rouages de sa machine, mais bien de les camoufler听: l'hypoth猫se que v茅hicule le roman ne doit pas appara卯tre comme telle au premier abord, mais plut么t se r茅v茅ler comme une explication convaincante, voire irr茅futable, du monde. C'est donc tout naturellement que le romancier-machiniste, suivant les pr茅ceptes 芦听positivistes听禄 formul茅s d'abord par Pascal, prend la place de Dieu. En effet, bien que le romancier pr茅tende suivre une d茅marche scientifique, exp茅rimentale, la machine romanesque ne pr茅sente pour lui aucun myst猫re et ses hypoth猫ses de d茅part se trouvent toujours v茅rifi茅es听: 芦听Ce qui est certain, c'est que je suis dans un syst猫me o霉 l'auteur a toujours raison et c'est tout. Je suis Dieu, quoi.听禄 (M. de Haan, p. 23) Zola, dans听Le Roman exp茅rimental, contourne ce probl猫me logique en insistant sur la part de 芦听g茅nie听禄 du romancier, sur sa cr茅ativit茅 comme artiste, qui lui permettent d'inventer les situations narratives d茅montrant, sans que cette 芦听machination听禄 ne soit visible, la v茅racit茅 des hypoth猫ses sous-jacentes (Zola, p. 65-67). Autrement dit, le naturalisme fournit au romancier une m茅thode non seulement 芦听scientifique听禄, mais aussi 芦听romanesque听禄, puisqu'il se pr茅sente comme le seul cadre conceptuel, aux yeux de Houellebecq, permettant de 芦听dire听禄 quelque chose du monde, l'hypoth猫se g茅n茅rale de d茅part permettant simplement de canaliser et d'ordonner la mati猫re romanesque听:
La m茅thode naturaliste se pr茅sente ainsi comme une m茅thode utile, le point de d茅part de la dynamique romanesque que t芒che d'instaurer Houellebecq ; elle est au coeur de son 芦听art听禄 du roman.听L'hypoth猫se, la th猫se, l'affirmation parfois excessivement g茅n茅ralisante, qui se trouvent partout dans l'oeuvre romanesque de Houellebecq, ne sont pas con莽ues par le romancier comme autant de v茅rit茅s qu'il voudrait inculquer 脿 ses lecteurs, mais comme autant de points de d茅part dont le roman peut explorer les cons茅quences, comme autant de points de vue sur le monde 鈥 qui ne sont pas n茅cessairement ceux de l'auteur 鈥 que le roman expose, s'approprie, assemble, selon le principe de compl茅mentarit茅 de Bohr. Le naturalisme houellebecquien se r茅v猫le ainsi dans cette volont茅 de pure exposition de points de vue, souvent choquants (et qui ont valu bien des ennuis au romancier) de th猫ses et opinions sur le monde听:
La th猫se, autrement dit, est un mat茅riau romanesque de pr茅dilection, parce qu'elle sous-tend un r茅cit globalisant, une perception du monde 脿 explorer. Mais elle fait aussi partie int茅grante d'une stylistique romanesque, et Houellebecq ne se cache pas du plaisir que rev锚t pour lui le principe m锚me de la th猫se听:
Il y a un effet dynamique de la th猫se, de la g茅n茅ralisation, de la th茅orie, qui constitue 脿 la fois un mat茅riau narratif venant compenser l'impossibilit茅 de v茅ritablement dire quoi que ce soit du monde et un moyen pour l'auteur de jouer avec l'arbitraire, de faire du roman l'espace de ce jeu听:
Naturalisme d'ob茅dience 芦huysmansienne禄 oblige, la 芦听machine听禄 du roman, une fois lanc茅e, ne tourne pas en rond, elle ne cherche pas 脿 simplement exposer des id茅es sur le monde ; l'hypoth猫se de d茅part, qui sera d茅montr茅 avec 芦听art听禄, est plut么t celle d'une chute in茅vitable听:
Au coeur de l'art du roman de Houellebecq se trouve ce pessimisme radical, cet historicisme si particulier au discours social de la fin du XIXe si猫cle, mais surtout la volont茅 d'en faire une dynamique pour ses romans, c'est-脿-dire l'enjeu d'un tour de force qui lui permette de montrer, en m锚me temps que la triste situation du monde, ses ressources cr茅atives et son intelligence :
Le romancier, dans la folle 芦听descente听禄 que pr茅sente un roman, joue avec la forme, les variations de style, l'usage altern茅 du document et de la narration, dans un jeu dynamique qu'il m猫ne avec son lecteur qui, esp猫re-t-il, se laissera peut-锚tre simplement aller 脿 芦听ce plaisir 脿 la fois intellectuel et sensuel qu'on 茅prouve devant une descente r茅ussie [鈥听禄 (Ennemis publics, p. 231)听sans trop poser de questions听:
3- Le roman comme art 芦听humaniste听禄听?. La dynamique interne du r茅cit, sa d茅cadence mesur茅e et r茅fl茅chie, se fait aux d茅pens du personnage romanesque, cet 芦听锚tre moyen听禄, 芦听normal 脿 80%听禄 (芦听Entretien avec Michel Houellebecq听禄, p. 24), qui ne poss猫de ni libert茅, encore moins de libre arbitre, cette notion 茅tant tout au plus une 芦听fiction utile听禄听: 芦听Disons qu'il y a des zones, des moments d'instabilit茅 structurelle听禄 (芦听Entretien avec Michel Houellebecq听禄, p. 23), conc猫de le romancier. Le personnage houellebecquien est en effet 鈥 et il ressemble en cela au pauvre employ茅 de bureau qu'est Folantin de la nouvelle de Huysmans听脌 vau-l'eau听鈥 un 锚tre schopenhauerien, projet茅 dans la r茅alit茅 芦听postmoderne听禄, o霉 s'est complexifi茅 le monde 芦听comme volont茅 et repr茅sentation听禄, ainsi que Houellebecq l'explique dans son essai 芦听Approches du d茅sarroi听禄听:
Cette analyse du monde selon le cadre philosophique de Schopenhauer, bien qu'elle condamne comme une illusion la libert茅 individuelle, condamne aussi l'art qui ne cherche pas 脿 d茅passer la simple repr茅sentation, dans un monde o霉 tout est m茅diatis茅. Pour Schopenhauer, l'art est l'un des moyens de transcender le temps circulaire de la volont茅 en permettant l'acc猫s au monde des Id茅es. Ce n'est pas exactement ce que cherche 脿 faire Houellebecq gr芒ce 脿 ses romans听: il d茅crit 脿 plusieurs reprises l'incapacit茅 qu'a l'art de transformer la r茅alit茅, d'imprimer sa trace, d'atteindre 脿 l'essence des choses, mais aussi sa propre r茅pugnance 脿 proposer, dans ses romans ou dans la vie, des solutions, une r茅ponse aux probl猫mes qu'il d茅crit. Houellebecq pense cependant qu'il est possible de s'extraire du monde, de faire un 芦听pas de c么t茅听禄 et d'atteindre une position esth茅tique听:
Par l'hypoth猫se exp茅rimentale, qui oriente l'observation du r茅el au lieu de lui 锚tre soumise, une sortie du monde est possible, et le romancier 芦听machiniste听禄 (ou 芦听chirurgien听禄, si on pr茅f猫re la m茅taphore zolienne), voit sa parole prendre une valeur esth茅tique. Le romancier s'extrait en effet du flux des repr茅sentations en ce qu'il cherche 脿 en faire la synth猫se, ou 脿 en proposer une synth猫se circonstancielle ; pour pouvoir parler des m茅canismes sociologiques, poser un constat, il lui faut mettre 脿 distance les d茅terminismes auxquels sont assujettis les individus.听Au lieu de d茅crire cette position esth茅tique du romancier en des termes li茅s 脿 la cr茅ation, Houellebecq pr茅f猫re rester du c么t茅 de la science. De machiniste, il devient ethnologue (ou zoologue, selon l'humeur du jour), l'objectif 茅tant de mettre le mieux possible l'humanit茅 脿 distance听: 芦听il faut voir les humains dans un sens comme des animaux 茅trangers听禄, soutient-il dans l'entrevue accord茅e 脿 Martin de Haan (p. 19). Houellebecq affirme ainsi la n茅cessit茅 de se placer hors du monde pour pouvoir en parler, l'activit茅 esth茅tique n'advenant pas gr芒ce 脿 la critique ou 脿 l'ironie, mais gr芒ce au recul et 脿 l'observation, gr芒ce 脿 un point de vue 鈥 celui du scientifique exp茅rimental 鈥 o霉 la synth猫se, m锚me advenant enti猫rement dans et pour la fiction, est possible听:
Cette distanciation n茅cessaire du romancier, paradoxalement, ne renforce pas ce qui peut appara卯tre comme une forme de froideur ou de m茅pris pour l'humanit茅. Au contraire, elle t茅moigne d'un grand int茅r锚t pour la condition humaine, au point o霉 Houellebecq parle de son activit茅 de romancier comme d'un 芦听destin听禄, d'une vocation humaniste听:
Cette perspective permet de mieux comprendre la nature m茅thodologique du positivisme de Houellebecq, qui permet de circonscrire, de donner forme 脿 la 芦听retranscription de ces ph茅nom猫nes humains听禄. La perspective d'une compr茅hension d'inspiration positiviste de l'humanit茅, qui prend appui sur un le 芦听devoir听禄 du romancier de creuser la mati猫re spontan茅ment partag茅e par les gens qu'il c么toie, explique aussi l'int茅r锚t que rev锚tent pour le romancier la science-fiction et le fantastique. Ces genres romanesques permettent en effet non pas seulement de d茅crire la condition humaine, mais de l'茅lucider, de la raisonner, de d茅passer, en un mot, le simple constat empirique听:
La science-fiction permet en fait non seulement de montrer la soci茅t茅 actuelle par sa mise 脿 distance, mais d'ouvrir de nouvelles possibilit茅s existentielles, de penser l'individu dans un contexte in茅dit, peut-锚tre m锚me lib茅r茅 de sa d茅cadence programm茅e听:
芦听L'humanisme听禄 de Houellebecq, si on peut le nommer ainsi, se transpose sur son art du roman par l'ambition, tr猫s balzacienne, de proposer une vision du monde, et donc de dire quelque chose sur le monde, par opposition 脿 ce qui pourrait appara卯tre comme un pur exercice rh茅torique, un jeu avec les discours et les repr茅sentations forgeant le monde contemporain qui n'a d'autre but que de convaincre le lecteur. C'est selon cette perspective que doit se comprendre la critique virulente que fait Houellebecq du Nouveau roman (et plus particuli猫rement de Robbe-Grillet, son coll猫gue agronome), avec lequel il admet avoir toujours men茅 une lutte sourde. Ce que Houellebecq reproche 脿 Robbe-Grillet, dans son essai 芦听Coupes de sol听禄 (2008), est de ne pas oser dire quelque chose sur le monde听; le nouveau romancier s'茅vade plut么t dans une repr茅sentation consciente d'elle-m锚me, o霉 le r茅el observ茅 se dissout dans le pur langage, selon un parti pris esth茅tique que Houellebecq rejette avec force听:
Houellebecq propose plut么t, en bon exp茅rimentateur, de prendre le 芦听risque听禄 de l'erreur, de l'hypoth猫se erron茅e, mais au moins de faire le pari du roman, c'est-脿-dire de la valeur esth茅tique et intellectuelle de la mise en r茅cit romanesque听:
Le roman, comme objet esth茅tique, a en effet la particularit茅 (脿 laquelle renonce d'embl茅e le romancier qui ne veut jamais poser d'hypoth猫se), de rendre pensable l'ambigu茂t茅 et ce, malgr茅 les efforts du 芦听machiniste-ethnologue听禄 dans le contr么le de chaque virage, tout au long de la 芦听descente听禄 que constitue son r茅cit.听Or cette ambigu茂t茅, affirme Houellebecq, provient de l'茅l茅ment du r茅cit duquel on n'attendait plus rien : le personnage. Houellebecq cite l'exemple de Dostoievski, son romancier de pr茅dilection, dont l'oeuvre 芦听est absolument satur茅e de th猫ses听禄 mais o霉, pourtant, 芦听malgr茅 tout ses efforts, l'ambigu茂t茅 prend le dessus听禄 (芦听Entretien avec Michel Houellebecq听禄, p. 16). Le personnage romanesque ne peut jamais, ontologiquement, 锚tre parfaitement lisse, ni dans le bien, ni dans le mal听: une part d'instabilit茅 lui incombe, qui emp锚che le genre romanesque d'avoir un sens univoque听:
Pour conclure, je pense que cette part d'ambigu茂t茅 que remarque Houellebecq dans le roman, ambigu茂t茅 qui lui semble intrins猫que au genre, d茅place quelque peu l'enjeu de son pessimisme g茅n茅ral听: le roman, en quelque sorte, 芦听sauve听禄 l'humanit茅 de ce qu'en fait l'observation clinique. En effet, il me semble que la m茅thode exp茅rimentale, que d茅poussi猫re Houellebecq, sert d'outil narratif bien plus que de justification d'une vision du monde absolue. Pour 茅crire des romans et faire d'eux autant d'hypoth猫ses cherchant 脿 茅lucider le monde, souligne-t-il lui-m锚me d猫s ses premiers essais sur le sujet, il faut 芦听croire听禄 en la valeur esth茅tique et intellectuelle du genre. Bien que le discours du roman ne soit pas de nature scientifique, litt茅rature et science peuvent 鈥 et doivent 鈥 partager l'ambition de d茅crire le monde.听En fait, malgr茅 le cynisme apparent de Houellebecq, qui formule des th茅ories pour le moins d茅primantes sur la condition sociale contemporaine et pr茅dit m锚me, parfois, la fin du monde occidental, une forme d'humanisme transpara卯t 诲别谤谤颈猫谤别 son choix de devenir romancier. Machiniste expert, il s'int茅resse n茅anmoins, en premier lieu 鈥 et c'est par l脿 qu'il introduit son recueil de textes critiques,听Interventions听鈥 aux interrogations existentielles qui d茅coulent n茅cessairement des 茅tats de faits qu'il observe et que ses romans tentent de d茅montrer. Isomorphe 脿 l'homme, le roman devrait normalement pouvoir tout en contenir. C'est 脿 tort par exemple qu'on s'imagine les 锚tres humains menant une existence purement mat茅rielle. Parall猫lement en quelque sorte 脿 la vie, ils ne cessent de se poser des questions qu'il faut bien 鈥 faute d'un meilleur terme 鈥 qualifier de philosophiques. J'ai observ茅 ce fait dans toutes les classes de la soci茅t茅, y compris les plus humbles, et jusqu'aux plus 茅lev茅es. La douleur physique, la maladie m锚me, la faim sont incapables de faire taire totalement cette interrogation existentielle. Le ph茅nom猫ne m'a toujours troubl茅, et plus encore la m茅connaissance qu'on en a ; cela contraste si vivement avec le r茅alisme cynique qui est de mode depuis quelques si猫cles, lorsqu'on souhaite parler de l'humanit茅. (Interventions, p. 7) Ouvrages cit茅s :
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Bibliographie
Ouvrages cit茅s |
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Cette bibliographie, en cours d'茅laboration, ne contient qu'une partie des entretiens et essais de Michel Houellebecq. |
Michel Houellebecq,听Interventions, Flammarion, 1998. Michel Houellebecq,听Interventions 2, Flammarion, 2009. Michel Houellebecq et Bernard-Henri L茅vy,听Ennemis publics, Paris, Flammarion/Grasset & Fasquelle, 2008. Martin de Haan, 芦 Entretien avec Michel Houellebecq 禄, 听dans Sabine van Wesemael (茅d.),听Michel Houellebecq, Amsterdam/New York, Rodopi, CRIN 43, 2004 |
Citations
Michel Houellebecq,听Interventions, Flammarion, 1998. |
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芦听Introduction听禄 : 芦Isomorphe 脿 l'homme, le roman devrait normalement pouvoir tout en contenir. C'est 脿 tort par exemple qu'on s'imagine les 锚tres humains menant une existence purement mat茅rielle. Parall猫lement en quelque sorte 脿 la vie, ils ne cessent de se poser des questions qu'il faut bien 鈥 faute d'un meilleur terme 鈥 qualifier de philosophiques. J'ai observ茅 ce fait dans toutes les classes de la soci茅t茅, y compris les plus humbles, et jusqu'aux pus 茅lev茅es. La douleur physique, la maladie m锚me, la faim sont incapables de faire taire totalement cette interrogation existentielle. Le ph茅nom猫ne m'a toujours troubl茅, et plus encore la m茅connaissance qu'on en a ; cela contraste si vivement avec le r茅alisme cynique qui est de mode depuis quelques si猫cles, lorsqu'on souhaite parler de l'humanit茅.禄 (p. 7) 芦Les "r茅flexions th茅oriques", par cons茅quent, m'apparaissent comme un mat茅riau romanesque aussi bon qu'un autre, et meilleur que beaucoup d'autres. [鈥 Tout devrait au fond pouvoir se transformer en un livre unique, que l'on 茅crirait jusqu'aux approches de la mort [鈥.禄 (p. 7) 芦La seule chose en r茅alit茅 qui me paraisse vraiment difficile 脿 int茅grer dans un roman, c'est la po茅sie. [鈥 Il y a la po茅sie, il y a la vie ; entre les deux il y a des ressemblances, sans plus.禄 (p. 8)
芦 脌 l'茅poque on 茅coutait Vian, Brassens鈥 Amoureux qui se b茅cotent sur les bancs publics, babyboom, construction massive de HLM pour loger tout ce monde-l脿. Beaucoup d'optimisme, de foi en l'avenir, et un peu de connerie. 脌 l'茅vidence, nous sommes devenus beaucoup plus intelligents.禄 (p. 12) 芦 pourquoi la po茅sie de Pr茅vert est-elle si m茅diocre, 脿 tel point qu'on 茅prouve une sorte de honte 脿 la lire ? L'explication classique (parce que son 茅criture 芦听manque de rigueur听禄) est tout 脿 fait fausse ; 脿 travers ses jeux de mots, son rythme l茅ger et limpide, Pr茅vert exprime en r茅alit茅 parfaitement sa conception du monde. La forme est coh茅rente avec le fond, ce qui est le maximum qu'on puisse exiger d'une forme. [鈥 Si Pr茅vert 茅crit, c'est qu'il a quelque chose 脿 dire ; c'est tout 脿 son honneur. Malheureusement, ce qu'il a 脿 dire est d'une stupidit茅 sans bornes ; on en a parfois la naus茅e. [鈥 Si Jacques Pr茅vert est un mauvais po猫te c'est avant tout parce que sa vision du monde est plate, superficielle et fausse. Elle 茅tait d茅j脿 fausse de son temps ; aujourd'hui sa nullit茅 appara卯t avec 茅clat, 脿 tel point que l'oeuvre enti猫re semble le d茅veloppement d'un gigantesque clich茅. Sur le plan philosophique et politique, Jacques Pr茅vert est avant tout un libertaire c'est-脿-dire, fondamentalement, un imb茅cile.禄 (p. 12-13) 芦听Le Mirage de Jean-Claude Guiguet听禄,听Les Lettres fran莽aises听27, septembre 1992. 芦 Jean-Claude Guiguet a pris le risque maximum听: celui de la perfection formelle. Aussi loin de l'effet clip pub que du r茅alisme crachotant, tr猫s loin 茅galement de l'exp茅rimental arbitraire听: il n'y a dans ce film d'autre recherche que celle de la beaut茅 pure.禄 (p. 18) 芦听L'absurdit茅 cr茅atrice听禄,听Les Inrockuptibles听13, 1995. [Sur la po茅sie] : 芦la po茅sie parle autrement du monde, mais elle parle bel et bien du monde, tel que les hommes le per莽oivent. C'est exactement 脿 ce point qu'il [Jean Cohen]prend un risque consid茅rable听: car si les strat茅gies d茅viantes de la po茅sie ne sont pas 脿 elles-m锚mes leur propre but, si la po茅sie est vraiment plus qu'une recherche ou un jeu sur le langage, si elle vise vraiment 脿 茅tablir une parole diff茅rente sur la m锚me r茅alit茅, alors on a affaire 脿 deux visions du monde, irr茅ductibles.禄 (p. 31) 芦Le langage prosa茂que organise des r茅flexions, des arguments, des faits ; au fond, il organise surtout des faits. [鈥 Tout aspect qualitatif ou 茅motif dispara卯t de notre vision du monde. C'est la r茅alisation parfaite de la sentence de D茅mocrite听: 芦听Le doux et l'amer, le chaud et le froid, la couleur ne sont que des opinions; il n'y a de vrai que les atomes et le vide.听禄 Texte d'une beaut茅 r茅elle mais restreinte, qui 茅voque irr茅sistiblement la fameuse 茅criture Minuit, dont l'influence se poursuite depuis une quarantaine d'ann茅es, justement parce qu'elle correspond 脿 une m茅taphysique d茅mocrit茅enne rest茅e largement majoritaire ; tellement majoritaire qu'elle est parfois confondue avec le programme scientifique dans son ensemble, alors que celui-ci n'a conclu avec elle qu'une alliance de circonstance [..] destin茅e 脿 lutter contre la pens茅e religieuse.禄 (p. 31-32) 芦Les d茅viances po茅tiques visent au contraire 脿 cr茅er un "effet d'illimitation", or le champ de l'affirmation envahit l'ensemble du monde, sans laisser subsister l'en-dehors de la contradiction.禄 (p. 32) 芦Toute perception s'organise sur une double diff茅rence听: entre l'objet et le sujet, entre l'objet et le monde. La nettet茅 avec laquelle ces distinctions sont envisag茅es a des implications philosophiques profondes, et c'est sans arbitraire qu'on peut distribuer les m茅taphysiques existantes le long de ces deux axes. [鈥 La m茅taphysique de D茅mocrite, 脿 l'oppos茅, porte ces deux distinctions 脿 leur maximum de clart茅 [鈥. En principe la cause semble entendue, et la po茅sie condamn茅e 鈥 sympathique r茅sidu d'une mentalit茅 pr茅logique, celle du primitif ou de l'enfant. Le probl猫me est que la m茅taphysique de D茅mocrite est fausse. Pr茅cisons听: elle n'est plus compatible avec les donn茅es de la physique du XXe si猫cle. En effet, la m茅canique quantique invalide toute possibilit茅 d'une m茅taphysique mat茅rialiste, et conduit 脿 revoir de fond en comble les distinctions entre l'objet, lesujet et le monde.禄 (p. 33-34) 芦Le principe de compl茅mentarit茅 introduit par Bohr est une sorte de gestion fine de la contradiction听: des points de vue compl茅mentaires sont simultan茅ment introduits sur le monde听: chacun d'entre eux, pris isol茅ment, peut 锚tre exprim茅 sans ambigu茂t茅 en langage clair; chacun d'entre eux, pris isol茅ment, est faux. Leur pr茅sence conjointe cr茅e une situation nouvelle, inconfortable pour la raison; mais c'est uniquement 脿 travers ce malaise conceptuel que nous pouvons acc茅der 脿 une repr茅sentation correcte du monde.禄 (p. 36) 芦听Entretien avec Jean-Yvers Jouannais et Christophe Duchatelet听禄,听Art Press听199, 1995. 芦Avant tout, je crois, l'intuition que l'univers est bas茅 sur la s茅paration, la souffrance et le mal; la d茅cision de d茅crire cet 茅tat de choses, et peut-锚tre de la d茅passer. La question des moyens 鈥 litt茅raires ou non 鈥 est seconde. L'acte initial c'est le refus radical du monde tel quel; c'est aussi l'adh茅sion aux notions de bien et de mal. La volont茅 de creuser ces notions, de d茅limiter leur empire, y compris 脿 l'int茅rieur de moi. Ensuite, la litt茅rature doit suivre. Le style peut 锚tre vari茅; c'est une question de rythme interne, d'茅tat personnel. Je ne m'inqui猫te pas trop des questions de coh茅rence; il me semble que cela viendra de soi-m锚me. 禄(p. 39) 芦[...] un roman devrait pouvoir d'ouvrir 脿 n'importe quelle page, et 锚tre lu ind茅pendamment du contexte. Le contexte n'existe pas. Il est bon de se m茅fier du roman; il ne faut pas se laisser pi茅ger par l'histoire; ni par le ton, ni par le style. De m锚me, dans la vie quotidienne, il faut 茅viter de se laisser pi茅ger par sa propre histoire 鈥 ou, plus insidieusement, par la personnalit茅 qu'on s'imagine 锚tre la sienne. Il faudrait conqu茅rir une certaine libert茅 lyrique ; un roman id茅al devrait pouvoir comporter des passages versifi茅s, ou chant茅s.禄 (p. 40) 芦Actuellement, nous nous d茅pla莽ons dans un syst猫me 脿 deux dimensions听: l'attractivit茅 茅rotique et l'argent. Le reste, le bonheur et le malheur des gens, en d茅coule. Pour moi, il ne s'agit nullement d'une th茅orie听: nous vivons effectivement dans une soci茅t茅 simple, dont ces quelques phrases suffisent 脿 donner une description compl猫te.禄 (p. 41-42) 芦Je suis quand m锚me un peu surpris quand on me dit que j'effectue des portraits psychologiques r茅ussis d'individus, de personnages听: c'est peut-锚tre vrai, mais d'un autre c么t茅 j'ai souvent l'impression que les individus sont 脿 peu pr猫s identiques, que ce qu'ils appellent leur moi n'existe pas vraiment, et qu'il serait en un sens plus facile de d茅finir un mouvement historique. Il y a peut-锚tre l脿 les pr茅mices d'une compl茅mentarit茅 脿 la Niels Bohr听: onde et particule, position et vitesse, individu et histoire. Sur un plan plus litt茅raire, je ressens vivement la n茅cessit茅 de deux approches compl茅mentaires听: le path茅tique et le clinique. D'un c么t茅 la dissection, l'analyse 脿 froid, l'humour; de l'autre la participation 茅motive et lyrique, d'un lyrisme imm茅diat.禄(p. 45) 芦听Lettre 脿 Lakis Proguidis听禄,听L'Atelier du roman听10, 1997. 芦Sans nul doute le XXe si猫cle restera comme l'芒ge du triomphe dans l'esprit du grand public d'une explication scientifique du monde, suppos茅e par lui associ茅e 脿 une ontologie mat茅rialiste et au principe d茅terminisme local. C'est ainsi par exemple que l'explication des comportements humains par une liste br猫ve de param猫tres num茅riques [鈥 gagne chaque jour du terrain. En ces mati猫res, le romancier fait de toutes 茅vidence partie du grand public. La construction D'un personnage romanesque devra donc, s'il est honn锚te, lui appara卯tre comme un exercice un peu formel et vain; somme toute, une fiche technique serait bien suffisante. C'est p茅nible 脿 dire, mais la notion de personnage romanesque me para卯t pr茅supposer l'existence peut-锚tre pas d'une 芒me, mais au moins d'une certaine profondeur psychologique. On doit au minimum convenir que l'exploration progressive d'une psychologie fut longtemps consid茅r茅e comme l'une des sp茅cialit茅s du romancier, et que cette r茅duction radicale de ses pouvoirs ne peut que l'amener 脿 une certaine h茅sitation sur le bien-fond茅 de ses pratiques.禄 (p. 52) 芦Peut-锚tre plus grave encore听: comme le montrent 茅loquemment les exemples de Dosto茂evski ou de Thomas Mann, le roman est un lieu naturel pour l'expression de d茅bats ou de d茅chirements philosophiques. C'est un euph茅misme de dire que le triomphe du scientisme restreint dangereusement l'espace de ces d茅bats; l'ampleur des d茅chirements.禄 (p.52) 芦听Dans ces conditions, le roman, prisonnier d'un comportementalisme 茅touffant, finit par se tourner vers sa seule, son ultime planche de salut听: l'听芦听茅criture听禄 (脿 ce stade, le mot de 芦听style听禄 n'est plus gu猫re employ茅听: par assez impressionnant, manque de myst猫re). En somme il y aurait d'un c么t茅 la science, le s茅rieux, la connaissance, le r茅el. De l'autre la litt茅rature, sa gratuit茅, son 茅l茅gance, ses jeux formels [鈥. Le spectacle a son c么t茅 triste. Je n'ai jamais pu, pour ma part, assister sans un serrement de coeur 脿 la d茅bauche de techniques mise en oeuvre par tel ou tel 芦听formaliste-Minuit听禄 pour un r茅sultat final aussi monde. Pour tenir le coup, je me suis souvent r茅p茅t茅 cette phrase de Schopenhauer听: "La premi猫re 鈥 et pratiquement la seule 鈥 condition d'un bon style, c'est d'avoir quelque chose 脿 dire" 禄. (p. 53) [Po茅sie semble supplanter le roman] : 芦Au fond si j'茅cris des po猫mes, c'est peut-锚tre avant tout pour mettre l'accent sur un manque monstrueux et global [鈥 C'est peut-锚tre aussi que la po茅sie est la seule mani猫re d'exprimer ce manque 脿 l'茅tat pur, 脿 l'茅tat natif; d'exprimer simultan茅ment chacun de ses aspects compl茅mentaires. C'est peut-锚tre pour laisser le message minimal suivant听: "Quelqu'un, au milieu des ann茅es 199鈥, a vivement ressenti l'茅mergence d'un manque monstrueux et global; dans l'incapacit茅 de rendre compte clairement du ph茅nom猫ne, il nous a cependant, en t茅moignage de son incomp茅tence, laisse quelques po猫mes." 禄 (p. 56) 芦听Approches du d茅sarroi听禄,听Genius Loci, La Diff茅rence, 1993. La logique du supermarch茅 induit n茅cessairement un 茅parpillement des d茅sirs; l'homme du supermarch茅 ne peut organiquement 锚tre l'homme d'une seule volont茅, d'un seul d茅sir. D'o霉 une certaine d茅pression du vouloir chez l'homme contemporain听: non que les individus d茅sirent moins, ils d茅sirent au contraire de plus en plus; mais leurs d茅sirs ont acquis quelque chose d'un peu criard et piaillant听: sans 锚tre de purs simulacres, ils sont pour une large part le produit de d茅terminations externes 鈥 nous diront publicitaires au sens large. Rien en eux n'茅voque cette force organique et totale, tourn茅e avec obstination vers son accomplissement, que sugg猫re le mot de 芦听volont茅听禄. D'o霉 un certain manque de personnalit茅, perceptible chez chacun. (p. 72) Schopenhauer (repr茅sentation)听: Profond茅ment infect茅e par le sens, la repr茅sentation a perdu toute innocence. On peut d茅signer comme innocente une repr茅sentation qui se donne simplement comme telle, qui pr茅tend simplement 锚tre l'image d'un monde ext茅rieur (r茅el ou imaginaire, mais ext茅rieur); en d'autres termes qui n'inclut pas en elle-m锚me son commentaire critique. L'introduction massive dans les repr茅sentations de r茅f茅rences, de d茅rision, de second degr茅, d'humour a rapidement min茅 l'activit茅 artistique et philosophique en la transformant en rh茅torique g茅n茅ralis茅e. (p. 72) On notera par contraste la relative bonne sant茅 de la litt茅rature pendant la m锚me p茅riode. [鈥 La litt茅rature est, profond茅ment, un art conceptuel, c'est m锚me, 脿 proprement parler, le seul. Les mots sont des concepts; les clich茅s sont des concepts. Rien ne peut 锚tre affirm茅, ni茅, relativis茅, moqu茅 dans le secours des concepts, et des mots. D'o霉 l'茅tonnante robustesse de l'activit茅 litt茅raire, qui peut se refuser, s'autod茅truire, se d茅cr茅ter impossible sans cesser d'锚tre elle-m锚me. (p.74) 芦il n'a m锚me jamais 茅t茅 aussi simple qu'aujourd'hui de se placer, par rapport au monde, dans une position esth茅tique听: il suffit de faire un pas de c么t茅. Et ce pas lui-m锚me, en derni猫re instance, est inutile. Il suffit de marquer un temps d'arr锚t; d'茅teindre la radio, de d茅brancher la t茅l茅vision; de ne plus rien acheter, de ne plus rien d茅sirer acheter. Il suffit de ne plus participer, de ne plus savoir; de de suspendre temporairement toute activit茅 mentale. Il suffit, litt茅ralement, de s'immobiliser pendant quelques secondes.禄 (p. 80) 芦听Entretien avec Sabine Audrerie听禄,听Encore听5, avril 1997. 芦Po茅sie comme vision du monde plus myst茅rieuse, pr茅sence de la beaut茅; 脟a peut se rencontrer dans un roman, mais c'est beaucoup plus rare, on est entra卯n茅 par la m茅canique des 茅v茅nements et des personnages. Sans jouer sur les mots, on peut probablement dire que la part active dans un roman est de l'ordre de la po茅sie.禄 (p.109-110) 芦Mon 茅poque de pr茅dilection 鈥 en po茅sie, comme en musique 鈥 reste la premi猫re p茅riode du romantisme allemand. [鈥 Je ne me situe ni pour ni contre aucune avant-garde, mais je me rends compte que je me singularise par le simple fait que je m'int茅resse moins au langage qu'au monde. Je suis fascin茅 par les ph茅nom猫nes in茅dits du monde dans lequel nous vivons, et je ne comprends pas comment les autres po猫tes arrivent 脿 s'y soustraire听: vivent-ils touts 脿 la campagne? [鈥 je suis effroyablement perm茅able au monde qui m'entoure. 禄(p. 110-111) 芦听Entretien avec Val猫re Staraselski听禄,听尝'贬耻尘补苍颈迟茅, 5 juillet 1996. 芦Mes personnages ne sont ni riches, ni c茅l猫bres; ce ne sont pas non plus des marginaux, des d茅linquants ni des exclus. On peut trouver des secr茅taires, des techniciens, des employ茅s de bureau, des cadres. [鈥 Donc des gens tout 脿 fait moyens, a priori peu attirants d'un point de vue romanesque. C'est sans doute cette pr茅sence d'un univers banal, rarement d茅crit (d'autant plus rarement que les 茅crivains le connaissent mal) qui a surpris dans mes livres 鈥 en particulier dans mon roman.禄 (p. 115) Voil脿 une chose que beaucoup de gens ressentent听: par brefs instants, ils vivent; pourtant, leur vie prose dans son ensemble n'a ni direction ni sens. C'est pour cela qu'il est devenu difficile d'茅crire un roman honn锚te, d茅nu茅 de clich茅s, dans lequel, pourtant, il puisse y avoir une progression romanesque. Je ne suis pas tr猫s certain d'avoir trouv茅 une solution ; j'ai l'impression qu'on peut proc茅der par injection brutale dans la mati猫re romanesque de th茅orie et d'histoire. (p. 116) |
Michel Houellebecq,听Interventions 2, Flammarion, 2009. |
芦听Entretien avec Christian Authier听禄,听L'Opinion ind茅pendante, janvier 2002. [脌 propos d'un acharnement contre Houellebecq concernant sa pens茅e sur l'Islam]: 芦En trois ans l'exigence de normalit茅 est devenue plus grande. Tout le monde s'est tromp茅听: moi, l'茅diteur, l'attach茅e de presse鈥 personne n'avait vu d'o霉 viendraient les probl猫mes. R茅ellement, personne ne songeait 脿 l'islam qui n'est pas le sujet principal du livre, mais juste un 茅l茅ment de la toile de fond.禄 (p. 195) [Th茅orie sur l'Histoire] 芦J'ai une th茅orie en g茅n茅ral au sujet de l'Histoire听: il est inutile de convoquer des 茅poques tr猫s lointaines pour expliquer l'Histoire r茅cente. Il suffit de se reporter une ou deux g茅n茅rations en arri猫re, et l'茅tat global est r茅capitul茅. Cela m'茅nerve toujours quand on 茅voque les splendeurs du Moyen 脗ge andalou ou je ne sais quoi, car cela n'a plus aucun effet en pratique. 禄(p. 196) [脌 propos du positivisme]: 芦 J'aime bien cette id茅e selon laquelle il ne sert 脿 rien d'expliquer psychologiquement les faits sociologiques, c'est tr猫s positiviste comme point de vue. Si je m'interroge d'un point de vue psychologique, je peux effectivement trouver des explications comme la pr茅sence des images porno qui rendent la r茅alit茅 un peu fade [鈥 Tout cela est cr茅dible, mais c'est surtout l'aspect sociologique qui me frappe. Les rapports humains ont globalement d茅cru.禄 (p.197) [Influence de Schopenhauer] 芦Si l'on consid猫re que le d茅sir est mauvais, ce qui est mon cas, [la prostitution] est une solution. Pour supprimer le d茅sir, il faut le satisfaire, c'est le plus simple. De ma part, ce n'est pas une position maximaliste.禄 (p. 199) 芦Je crois comme Dostoievski que l'on devrait demander 脿 tout porteur d'id茅es g茅n茅reuses et g茅n茅rales de faire le bonheur d'une personne en particulier. C'est vrai que mes personnages sont tous politiquement nihilistes. [鈥 C'est rationnel.禄 (p. 199) [Go没t pour le pastiche, travail du style] : 芦Dans les passages dr么les [de Plateforme], 脿 part听Le Guide du routard, j'avais envie de me payer les best-sellers am茅ricains. Plus g茅n茅ralement, j'avais envie de faire un livre qu'on puisse lire sans s'arr锚ter. J'ai sacrifi茅 des choses 脿 la fluidit茅 du r茅cit et 脿 sa vitesse. Je suis revenu aussi 脿 un usage plus classique des temps, sur une base impartfait et pass茅 simple 茅prouv茅e, ce qui rend le livre plus limpide et lui donne une c么t茅 plus classique. (p. 201-202) 芦Chez moi, le fait de voir revivre l'茅poque, m锚me dans ses aspects les plus minimes, fait partie des plaisirs de lecteur des romans du pass茅. Alors, je m'y autorise dans mes propres livres. [鈥 Les romans doivent 锚tre situ茅s. C'est dans le logique du roman. Il a besoin du pr茅sent.禄 (p. 202) 芦Il y a quelque chose qui manque dans mes romans et que l'on veut me faire prononcer dans la r茅alit茅听: c'est le message rassurant final. [鈥 L'expression n茅gative pure n'est plus accept茅e.禄 (p. 203) 芦听Consolation technique听禄,听Lanzarote et autres textes, Librio, 2002. 芦Quel serait l'int茅r锚t d'une litt茅rature qui pr茅tendrait parler de l'humanit茅 en excluant toute consid茅ration personnelle ? Hein ? Les 锚tres humains sont bien plus identiques qu'ils ne l'imaginent dans leur pr茅tention comique ; il est bien plus facile qu'on ne l'imagine d'atteindre l'universel en parlant de soi. C'est l脿 un second paradoxe听: parler de soi est une activit茅 fastidieuse, et m锚me r茅pugnante ; 茅crire sur soi est, en litt茅rature, la seule chose qui vaille, 脿 tel point qu'on mesure 鈥 classiquement et avec justesse 鈥 la valeur des livres 脿 la capacit茅 d'implication personnelle de leur auteur. C'est grotesque si l'on veut, c'est m锚me d'une impudeur d茅mente, mais c'est ainsi.禄 (p.听212) 芦听Sortir du XXe si猫cle听禄,听Nouvelle Revue fran莽aise听561, avril 2002, r茅茅dit茅 dans听Lanzarote et autres textes, Librio, 2002. 芦听La litt茅rature ne sert 脿 rien. Si elle servait 脿 quelque chose, la racaille gauchiste qui a monopolis茅 le d茅bat intellectuel tout au long du XXe si猫cle n'aurait m锚me pas pu exister. [鈥 en quoi les intuitions de Dosto茂evski ont-elles influenc茅 le mouvement historique ? Absolument en rien. Marxistes, existentialistes, anarchistes et gauchistes de toutes esp猫ces ont pu prosp茅rer et infecter le monde connu exactement comme si Dosto茂evski n'avait jamais 茅crit une ligne. Ont-ils au moins apport茅 une id茅e, une pens茅e neuve par rapport 脿 leurs pr茅d茅cesseurs du roman ? Pas la moindre. Si猫cle nu, qui n'a rien invent茅. Avec cela, pompeux 脿 l'extr锚me.禄 (p. 221) 芦Compte tenu de l'extraordinaire, de la honteuse m茅diocrit茅 des "sciences humaines" au XXe si猫cle, compte tenu aussi des progr猫s accomplis pendant la m锚me p茅riode par les sciences exactes et la technologie, on peut s'attendre 脿 ce que la litt茅rature la plus brillante, la plus inventive de la p茅riode soit la litt茅rature de science-fiction.禄 (p. 222) [ Sur la litt茅rature de science-fiction] : 芦Dans sa grande p茅riode, la litt茅rature de science-fiction pouvait faire ce genre de choses听: r茅aliser une authentique mise en perspective de l'humanit茅, de ses coutumes, de ses connaissances, de ses valeurs, de son existence m锚me; elle 茅tait, au sens le plus authentique du terme, une litt茅rature philosophique. Elle 茅tait aussi, profond茅ment, une litt茅rature po茅tique [鈥 Sur le plan du style, par contre, il est vrai que la litt茅rature de science-fiction a rarement atteint le niveau de sophistication et d'茅l茅gance de la litt茅rature fantastique 鈥 en particulier anglaise 鈥 du d茅but du si猫cle.禄 (p. 224) 芦Il faudrait encore citer Ballard, Disch, Kornbluth, Spinrad, Sturgeon, Vonnegut et tant d'autres qui parfois en un seul roman, voire en une nouvelle, ont plus apport茅 脿 la litt茅rature que l'ensemble des auteurs du nouveau roman, et que l,茅crasante majorit茅 des auteurs de polars. Sur le plan scientifique et technique, le XXe si猫cle peut 锚tre plac茅 au m锚me niveau que le XIXe si猫cle, Sur le plan de la litt茅rature et de la pens茅e, par contre, l'effondrement est presque incroyable, surtout depuis 1945, et le bilan consternant.禄 ( p. 225) 芦听Pr茅liminaires au positivisme听禄, pr茅face 脿听Auguste Comte aujourd'hui, Michel Bourdeau, Kim茅, 2003. 芦Pascal nous avait d茅j脿 avertis [鈥听: 芦听Il faut dire en gros听: cela se fait par figure et mouvement, car cela est vrai. Mais de dire quels, et composer la machine, cela est ridicule; car cela est inutile, et incertain, et p茅nible.听: Avec son insolence caract茅ristique, cette phrase, tranchante comme le rasoir d'Occam, est d茅j脿 d'inspiration positiviste. Modestie ontologique, soumission 脿 la d茅marche exp茅rimentale, volont茅 d'abord de pr茅dire, d'expliquer s'il se peut听: un style est donn茅, qui, s'il a permis l'ensemble des d茅couvertes scientifiques au cours des cinq derniers si猫cles, tarde 脿 s茅duire un public plus 茅tendu.禄 (p. 247) 芦听Entretien avec Gilles Martin-Chauffier et J茅r么me B茅gl茅听禄,听Paris-Match 3000, octobre 2006. 芦On a vu arriver des gens qui tenaient leur culture du livre de poche 鈥 c'est-脿-dire de la litt茅rature classique, mais aussi de la litt茅rature de genre (polar, fantastique, science fiction); et qui, par contre, avaient peu lu leurs pr茅d茅cesseurs fran莽ais imm茅diats.禄 (p. 257) 芦Alors je pense revenir 脿 mes premi猫res amours听: la science-fiction.听La Possibilit茅 d'un 卯le听est une 茅tape dans cette mutation. La science-fiction me permet de bifurquer cers une litt茅rature plus po茅tique et plus ouverte au r锚ve. Les motivations des personnages peuvent y 锚tre moins dict茅es par une r茅alit茅 qu'on conna卯t tous, d茅j脿 bien r茅sum茅e par la dichotomie balzacienne (le plaisir et l'or). En se projetant dans l'avenir, on peut imaginer d'autres ressorts. (p. 261) 芦听Coupes de sol听禄,听Artforum, septembre 2008. [脌 propos de Robbe-Grillet]: 芦Une lutte sourde et cod茅e s'est ainsi d茅roul茅e entre nous, pendant plusieurs ann茅es. R茅p茅tait-il contre toute 茅vidence que Balzac correspondait 脿 une p茅riode de st茅rilit茅, de glaciation dans la litt茅rature fran莽aise? Je portais aussit么t Balzac au pinacle, affirmant qu'il 茅tait le deuxi猫me p猫re de tout romancier, et que nul, s'il n'avouait 脿 Balzac all茅geance et amour, ne pouvait pr茅tendre avoir compris le premier mot de l'Art du roman. Affirmais-je le pr茅茅minence, dans ma propre 茅criture, de la sociologie sur la psychologie? Il se lamentait aussit么t de la renonciation contemporaine aux ambitions formelles de la litt茅rature pure, de sa r茅duction 脿 une dimension d'exploration sociologique. (p. 278) 芦Ce parti pris de neutralit茅 ath茅orique [de Robbe-Grillet], s'il r猫gne sans partage dans le domaine de la coupe de sols, ne fait nullement l'unanimit茅 en philosophie des sciences. "C'est la th茅orie, et elle seule, qui d茅cide de ce qui doit 锚tre observ茅" note brutalement Einstein. Argumentant davantage, Auguste Comte conclut que sans une th茅orie pr茅alable, m锚me tr猫s approximative, l'observation, condamn茅e 脿 un empirisme sans projet, se r茅duit 脿 une compilation fastidieuse et vie de sens de donn茅es exp茅rimentales. "Une compilation fastidieuse et vide de sens de donn茅es exp茅rimentales" : n'est-ce pas, tr猫s exactement, ainsi que l'on pourrait d茅crire la litt茅rature d'Alain Robbe-Grillet?禄 (p. 281) 芦Se refusant 脿 toute th茅orie pr茅alable 脿 l'observation, Alain Robbe-Grillet se pr茅munit ainsi de tout clich茅 (car tout clich茅 contient une th茅orie succincte, et n'est reconnu comme tel que lorsque la th茅orie est elle-m锚me reconnue comme ancienne, et consid茅r茅e comme d茅pass茅e). 脌 l'oppos茅, ou ouvrant ma litt茅rature aux conceptions th茅oriques qu'on peut 茅laborer sur le monde, je m'expose constamment au risque du clich茅 鈥 et m锚me 脿 vrai dire je m'y condamne, ma seule chance d'originalit茅 consistant (pour reprendre les termes de Baudelaire) 脿 茅laborer des clich茅s neufs.禄 (p. 282) |
Michel Houellebecq et Bernard-Henri L茅vy,听Ennemis publics, Paris, Flammarion/Grasset & Fasquelle, 2008. |
芦C'est mon destin depuis des ann茅es, depuis vingt ou trente ans peut-锚tre, que les gens viennent me voir et me racontent sans m锚me que je les interroge des choses que peut-锚tre ils n'avaient racont茅es 脿 personne, et que m锚me parfois ils n'avaient jamais听辫别苍蝉茅别蝉听鈥 辫别苍蝉茅别蝉 clairement, avant de me les dire. C'est pour cela, tr猫s exactement, que je suis devenu romancier (enfin, soyons pr茅cis听: que j'ai 茅crit quelques romans). Rien, sinon, ne m'y pr茅disposait vraiment听: j'ai toujours pr茅f茅r茅 la po茅sie, j'ai toujours d茅test茅 raconter des histoires. Mais l脿 j'ai senti, d猫s le d茅but (et je sens toujours), comme une esp猫ce de听devoir听(le mot est 茅trange, mais pour le coup je n'en vois pas d'autre)听: j'茅tais requis 脿 sauver les ph茅nom猫nes; 脿 donner de mon mieux une retranscription de ces ph茅nom猫nes humains qui se manifestaient, si spontan茅ment, devant moi.禄 (p. 83) 芦Or s'il y a une id茅e, un seule, qui traverse tous mes romans, jusqu'脿 la hantise parfois, c'est bien celle de听l'irr茅versibilit茅 absolue de tout processus de d茅gradation, une fois entam茅. Que cette d茅gradation concerne une amiti茅, une famille, un couple, un groupement social plus important, une soci茅t茅 enti猫re ; dans mes romans, il n'y a pas de pardon, de retour en arri猫re, de deuxi猫me chance听: tout ce qui est perdu est bel et bien, et 脿 jamais, perdu. C'est plus qu'organique, c'est comme une loi universelle, s'appliquant aussi bien aux objets inertes ; c'est, litt茅ralement,听entropique. 脌 quelqu'un qui est 脿 ce point persuad茅 du caract猫re in茅luctable de tout d茅clin, de toute perte, l'id茅e de r茅action ne peut m锚me pas venir. Si un tel individu ne sera jamais听谤茅补肠迟颈辞苍苍补颈谤别, il sera par contre, et tout naturellement,听conservateur.禄听(p. 118-119) 芦Lorsqu'on s'est p茅n茅tr茅 de ce principe [le positivisme], qu'on l'a pleinement assum茅, dans sa radicalit茅, on sait qu'expliquer le monde c'est simplement le d茅crire. En donner la description la plus pr茅cise, la plus g茅n茅rale. D茅finir les entit茅s, sans perdre de vue le g茅nial principe pos茅 quelques si猫cles plus t么t par Guillaume d'Ockham听: ne pas les multiplier, donc, 芦听plus qu'il n'est n茅cessaire听禄. D茅finir, entre ces entit茅s, des relations le plus souvent, mais pas toujours, math茅matiques. Combiner ces relations math茅matiques pour en construire de nouvelles, selon les principes de la preuve. Les soumettre, sans faiblir, 脿 la d茅marche exp茅rimentale. Lorsque l'exp茅rience vient 脿 contredire la th茅orie, il faut se r茅soudre 脿 un changement de paradigme; 脿 la construction de nouvelles entit茅s. Mais jamais on ne cherche 脿 芦听composer la machine听禄; jamais on n'en vient 脿 se poser la question de savoir ce qu'il y a听诲别谤谤颈猫谤别听les entit茅s physiques que l'on a d茅finies, que l'on peut mesurer; s'il s'agit de mati猫re, ou d'esprit, ou d'un autre agr茅gat mental qu'il pourrait prendre fantaisie 脿 l'homme d'imaginer. On prend cong茅, en somme, et 脿 jamais, des听questions m茅taphysiques. 禄 (p. 150) [...] c'est vrai que je m'obstine 脿 s茅parer le discours litt茅raire 鈥 aussi intense 茅motionnellement, symboliquement profond qu'il puisse 锚tre 鈥 du discours de la v茅rit茅. J'ai l'impression en disant cela d'锚tre un peu born茅, une sorte de vieil emmerdeur calviniste. (Mais c'est peut-锚tre cela que je suis, en effet.) (Remarquez, il a pire; il suffit de consid茅rer la c茅l猫bre proposition 7, qui cl么t l'oeuvre du premier Wittgenstein听: 鈥淪ur ce dont je ne peux parler, j'ai l'obligation de me taire鈥). (p. 179) 芦听L'argumentation de Spinoza (conscient de ses d茅sirs, mais non de leurs causes, d'o霉 sensation de libert茅) me para卯t toujours aussi irr茅futable. Et si je dodeline gentiment de la t锚te lorsque je l'entends employer autour de moi, c'est pour ne pas aggraver mon cas, pour 茅viter les sujets qui f芒chent. Parce que j'ai bien remarqu茅 que les gens, en g茅n茅ral, sont attach茅s 脿 cette fiction de la libert茅 individuelle ; et qu'il s'agit, peut-锚tre d'une fiction utile. Les humains en g茅n茅ral sont d'une surprenant pr茅tention ontologique.听禄 (p. 181) 芦Ce 脿 quoi mes romans me font penser avant tout, c'est aux听descentes听(m茅connues en g茅n茅ral, il n'y a aucun public pour les descentes, c'est un exercice trop abstrait, et les motos de la t茅l茅vision elles-m锚mes h茅sitent, par peur de partir dans les d茅cors). J'ai l'impression d'茅crire un roman lorsque j'ai mis en place certaines forces qui devraient normalement conduire le texte 脿 l'autodestruction, 脿 l'explosion des esprits et des chairs, au chaos total (mas il faut que ce soit des forces naturelles, qui paraissent aussi stupides que la pesanteur ou le destin). Mon travail alors consiste 脿 maintenir la machine sur la route, 脿 la laisser 茅ventuellement fr么ler l'ab卯me, sans lui permettre d'y tomber. C'est 茅puisant si l'on veut, mais pas dans le sens habituel; c'est surtout dangereux. Mes lecteurs en tout cas ne sont pas suppos茅s savoir tout cela. Je donne de l茅gers coups de frein, je contr么le l'angulation du guidon, mais ce sont des micro-variations, en principe imperceptibles de l'ext茅rieur, le r茅sultat doit donner l'impression d'une trajectoire g茅om茅trique et parfaite, inscrite de toute 茅ternit茅.禄 听( p. 230-231) 芦Enfin, il est toujours bon que le lecteur se rende compte que je peux 茅crire n'importe quoi. Ce sont des esp猫ces d'interventions arbitraires de l'auteur, qui par l脿 manifeste son contr么le sur le texte ; s'il se passe toujours ce qui est pr茅vu, dans un livre, c'est quand m锚me assez ennuyeux. Techniquement, c'est li茅 脿 la fonction des chapitres ; assez souvent chez moi, quand un chapitre se termine, il y a un risque de d茅rapage vers autre chose au d茅but du suivant. C'est pourquoi les passages qu'on pourrait qualifier de po茅tiques, dans les sens o霉 ils n'ont vraiment rien 脿 voir avec l'intrigue, interviennent plus facilement en d茅but de chapitre.禄 (p. 231) 芦Je r锚vais d茅j脿 tout enfant de subjuguer l'humanit茅, de la s茅duire comme de la heurter, et finalement d'y imprimer ma marque ; mais je r锚vais aussi de rester dans l'ombre, de me dissimuler 诲别谤谤颈猫谤别 mes cr茅ations. Le moins qu'on puisse dire est que c'est compl猫tement rat茅.禄 听(p. 232) |
Martin de Haan, 芦 Entretien avec Michel Houellebecq 禄, 听dans Sabine van Wesemael (茅d.),听Michel Houellebecq, Amsterdam/New York, Rodopi, CRIN 43, 2004. |
[Sur Lovecraft et le r茅alisme] : 芦C'est un peu bizarre, au fond, parce que Lovecraft, tout en 茅tant antir茅aliste, produit une forte impression de r茅alit茅 C'est-脿-dire que l'appellation de 芦听contes mat茅rialistes d'茅pouvante听禄 employ茅e par Bergier est assez juste, en fait. On n'A pas du tout l'impression d'锚tre dans un univers onirique, chez Lovecraft, mais dans un univers qui produit une forte impression de pr茅sence 鈥 mat茅rielle, r茅elle. Je pense que c'est une chose qu'aurait eu du mal 脿 assumer; qu'il 茅tait philosophiquement mat茅rialiste mais se voulait esth茅tiquement id茅aliste, et que c'est en partie contre son gr茅 que le r茅alisme prend le dessus.禄 (p. 10) [Sur Lovecraft]: 芦Il y a s没rement un point commun [dans son oeuvre], c'est d'employer des mat茅riaux non litt茅raires, je veux dire des mat茅riaux emprunt茅s 脿 l'encyclop茅die plut么t qu'脿 l'examen, soit des sentiments, soit du monde ext茅rieur.禄 (p. 10) [Sur l'antir茅alisme de Houellebecq] : 芦Il y a en effet l'id茅e qu'il faut exag茅rer, d'une part, Mais, d'autre part, je rois que j'ai toujours aim茅 lire ind茅pendamment du contenu. Les guides techniques pour acheter des autos, par exemple, 莽a me passionne. Ou les tests comparatifs de la FNAC, j'adore ce genre de lectures. [...] Donc en fait, mon mat茅riau, ce n'est pas vraiment le monde. On ne peut en parler. Le monde, c'est aussi l'ensemble de ce qui a 茅t茅 茅crit sur le monde.禄 (p. 10) [Sur les publicit茅s, brochures, et ce qu'elles repr茅sentent du monde] : Il y a un vocabulaire, il y a des clich茅s. On apprend qu'il y a certaines traditions chez Mercedes (souvent d茅sign茅e 芦听la firme de Stuttgart听禄)鈥 une culture. [鈥听La publicit茅 cr茅e un ensemble de fables modernes. Il y a plusieurs cat茅gories de gens modernes. On est incit茅 脿 se reconna卯tre dans une de ces cat茅gories, et donc 脿 choisir certaines marques, suivant qu'on est, disons, un amoureux du classicisme ou de la d茅contraction. (p. 11) 芦Ce qui est frappant chez Lovecraft, pour en revenir 脿 lui, c'est qu'en utilisant des choses qui ne font pas partie de la description du r茅el, mais qui sont d茅j脿 des m茅diatisations, par exemple des extraits de comptes rendus, d'observations scientifiques ou d'articles de journaux, il obtient une impression de tr猫s forte r茅alit茅. En fait, au lieu de se placer comme observateur, comme narrateur, il utilise des t茅moignages convergents. Donc il imite soit le style d'un journaliste, soit le style d'un scientifique, soit celui d'un homme du peuple鈥 [pastiche]听: Oui oui. Et le r茅sultat, c'est que son fantastique en devient plus irr茅futable que celui des autres, parce qu'on a l'impression que ce n'est pas un narrateur qui a invent茅 l'histoire听: des t茅moignages s'accumulent, pour aboutir 脿 la m锚me conclusion. (p. 11-12) 芦[le roman] c'est comme des pi猫ces d'un jouet qu'on assemblerait听: le style fait partie des pi猫ces. Mais je vois pas vraiment de raison pour laquelle le style devrait transcender toutes les autres pi猫ces.禄 (p. 12) [Point de vue du romancier]:听芦 le but essentiel, c'est d'avoir un point de vue qui n'est pas tout 脿 fait celui d'un individu immerg茅 dans l'actualit茅 pr茅sente. Il est facile de parler avec une certaine distance des ann茅es 70, par exemple, mais pour parler de la m锚me mani猫re de l'actualit茅, il faut se projeter un peu dans l'avenir, c'est une esp猫ce de n茅cessit茅, un effet de distanciation. C'est pour avoir ce point de vue pour lequel tout est d茅j脿 advenu.禄 (p. 15) [Sur les th猫ses]: 芦Tout le monde a des th猫ses. Les 锚tres humains ont des th猫ses, y compris mes personnages. [鈥 Il y a un plaisir des th猫ses en elles-m锚mes; par exemple, une des th猫se qui m'a valu le plus d'ennuis, c'est celle de l'脡gyptien dans Plateforme, th猫se selon laquelle, en gros, plus une religion est monoth茅iste, plus elle est stupide. C'est apparemment paradoxal, mais ce n'est pas si b锚te. Enfin, je ne sais pas au fond ce que j'en pense.禄 (p. 16) [Ambigu茂t茅 du genre romanesque]听: 芦C'est li茅 aux personnages, 脿 l'existence de personnages. Il est impossible de d茅crire un personnage franchement sympathique ou franchement antipathique jusqu'au bout. L'oevure de Dosto茂evski, par exemple, est absolument satur茅e de th猫ses, et pourtant, malgr茅 tout ses efforts, l'ambigu茂t茅 prend le dessus. [...]听Don Quichotte, c'est d茅j脿 franchement ambigu, dans son principe m锚me. On peut le lire des tas de fois sans savoir si Don Quichotte est ridicule ou admirable. Ou bien si Sanche Panza pr茅sente une vraie sagesse ou bien le contraire, 茅tant simplement un minable sans envergure鈥 D'un autre point de vue, je trouve pourtant que c'est quand m锚me un peu bizarre d'opposer le roman 脿 la po茅sie. C'est qu'il m'arrive de mettre dans un roman des choses que j'aurais parfaitement pu mettre dans un recueil de po猫mes.禄 (p. 16-17) 芦Enfin, il est toujours bon que le lecteur se rende compte que je peux 茅crire n'importe quoi, Ce sont des esp猫ces d'interventions arbitraires de l'auteur, qui par l脿 manifeste son contr么le sur le texte; s'il se passe toujours ce qui est pr茅vu, dans un livre, c'est quand m锚me assez ennuyeux. Techniquement, c'est li茅 脿 la fonction des chapitres; assez souvent chez moi, quand un chapitre se termine, il y. Un risque de d茅rapage vers autre chose au d茅but du suivant. C'est pourquoi les passages qu'on pourrait qualifier de po茅tiques, dans les sens o霉 ils n'ont vraiment rien 脿 voir avec l'intrigue, interviennent plus facilement en d茅but de chapitre.禄 (p. 19) 听[Sur l'effet de g茅n茅ralisation]: 芦C'est le principe de la g茅n茅ralisation qui m'int茅resse, pas le contenu. Par exemple, 脿 un moment donn茅, quand Bruno raconte sa vie 脿 Michel, Michel lui dit que la plupart des gens qu'il conna卯t ont men茅 des vies comparables. On ne sait absolument pas en quoi consistent ces vies 芦听comparables听禄, mais c'est l'affirmation qui compte. De m锚me, dans Extension, il m'arrive de dire au lecteur qu'il est dans le m锚me cas, arbitrairement, sans justification. [...] Je suis toujours attir茅 par une affirmation impressionnante et pr茅tentieuse, de telle affirmations ont un vrai charme 脿 mes yeux. Il me semble qu'il n'y en a pas mal chez Marx, par exemple. Et si Marx a r茅ussi, c'est 脿 mon avis parce qu'il avait un vrai sens de la formule. [...] Enfin, la litt茅rature doit surtout 锚tre convaincante quand on la lit. Il s'agit de ne pas laisser d'issue au lecteur. [...] Ce qui est certain, c'est que je suis dans un syst猫me o霉 l'auteur a toujours raison et c'est tout. Je suis Dieu, quoi. Donc l'ambigu茂t茅 arrive dans la mesure o霉 je m'abstiens de porter un jugement sur mes cr茅atures; mais aucun de leurs mouvements ne m'est incompr茅hensible.听禄 (p. 22-23) [Mat茅riau du roman]: 芦Les humains vivent dans un monde est en grande partie compos茅 de textes, de textes sur le monde. On vit dans un univers qui est enti猫rement culturellement fa莽onn茅, au sens large du terme [...] 脌 y r茅fl茅chir, c'est quand m锚me curieux qu'on puisse me reprocher que mes personnages aient des id茅es. Pace que les gens ont des id茅es, 莽a fait partie du monde.禄 (p. 26) [vulgarit茅 du roman] : 芦c'est un peu vulgaire, dans un roman, d'avoir des personnages qui expriment des id茅es. Sans doute, c'est parce que l'茅criture est cens茅e 锚tre une esp猫ce d'acc猫s imm茅diat au r茅el 鈥 vision quasi mystique, en fait, qui est celle des po猫tes herm茅tiques fran莽ais. Donc avoir des 茅l茅ments d茅j脿 m茅diatis茅s, c'est un peu vulgaire. L'id茅al classique qui s'est install茅 dans le roman fran莽ais, c'est de se placer devant un objet parfaitement inint茅ressant, mettons une chaise en plastique, et de d茅gager par son 茅criture l'essence de cet 锚tre. Donc la chaise en plastique est un sujet noble, car comme il n'a absolument aucun int茅r锚t, l'int茅r锚t ne peut venir que du style de l'auteur. Voil脿 l'id茅e sous-jacente. Il y a, au fond un peu de vanit茅 pu茅rile l脿-dedans听: "Je vais 茅crire des choses magnifiques sur un sujet absolument sans int茅r锚t." 禄 (p. 26-27) |