Albert Camus
(1913-1960)
Dossier
Le roman selon Albert Camus
| Le roman selon Albert Camus, par Jonathan Livernois, 7 d茅cembre 2010 |
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La lecture des essais d'Albert Camus et d'une s茅rie de textes circonstanciels (critiques journalistiques, entretiens, etc.) nous incite 脿 consid茅rer ses r茅flexions sur le roman comme autant de jalons du parcours philosophique qui va du听Mythe de Sisyphe听脿听L'Homme r茅volt茅. Le roman doit investir l'absurde (premier cycle du parcours) et est consubstantiel 脿 l'esprit de r茅volte (second cycle du parcours) avec lequel il partage l'imp茅rieux besoin d'unit茅 qui fige le r茅el dans une forme artistique. Mais les consid茅rations sur le roman ne font pas que 芦 servir 禄 le propos de Camus : ce dernier d茅nonce souvent la litt茅rature engag茅e et critique ces romans (cf. sa critique de听La Naus茅e听诲补苍蝉听Alger R茅publicain, 20 octobre 1938) dont le message d茅borde le style. Il semble y avoir une distance entre cette prise de position th茅orique et le contenu des oeuvres romanesques de Camus. L'茅tendue de ce d茅calage reste 脿 d茅couvrir. |
Bibliographie
| Ouvrages cit茅s |
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Essais : L'Homme r茅volt茅, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965 [1951]. Introduction aux 芦 Maximes 禄 de Chamfort, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. Le Mythe de Sisyphe,听诲补苍蝉听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄,1965. Articles et entrevues : 芦 Dossier 鈥淎lger r茅publicain鈥� et 鈥淟e Soir r茅publicain鈥� 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. 芦听Essais critiques听: textes compl茅mentaires 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. 芦听Lettres 脿 un ami allemand听: textes compl茅mentaires 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. 芦 Le Mythe de Sisyphe听: textes compl茅mentaires 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. 芦听Noces听: textes compl茅mentaires d'Albert Camus 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. 芦 Roger Martin du Gard 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. Carnets : Carnets. Mai 1935 - f茅vrier 1942, Paris, Gallimard, 1962. Carnets II. Janvier 1942 - mars 1951, Paris, Gallimard, 1964. Carnets III. Mars 1951 鈥� d茅cembre 1959, Paris, Gallimard, 1989. VIALLANEIX, Paul.听Le Premier Camus听suivi de听脡crits de jeunesse d'Albert Camus, Paris, Gallimard, 1973, 芦 Cahiers Albert Camus 2 禄. |
Citations
| L'Homme r茅volt茅, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965 [1951]. |
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| 芦 鈥� l'art qui se propose, pr茅cis茅ment, d'entrer dans le devenir pour lui donner le style qui lui manque : le roman. 禄 (p. 662) 芦 Il est possible de s茅parer la litt茅rature de consentement qui co茂ncide, en gros, avec les si猫cles anciens et les si猫cles classiques, et la litt茅rature de dissidence qui commence avec les temps modernes. On remarquera alors la raret茅 du roman dans la premi猫re. Quand il existe, sauf rares exceptions, il ne concerne pas l'histoire, mais la fantaisie (Th茅ag猫ne et Charicl茅e, ou l'础蝉迟谤茅别). Ce sont des contes, non des romans. Avec la seconde, au contraire, se d茅veloppe vraiment le genre romanesque qui n'a pas cess茅 de s'enrichir et de s'茅tendre jusqu'脿 nos jours, en m锚me temps que le mouvement critique et r茅volutionnaire. Le roman na卯t en m锚me temps que l'esprit de r茅volte et il traduit, sur le plan esth茅tique, la m锚me ambition. 禄 (p. 662) 芦 Qu'est-ce que le roman, en effet, sinon cet univers o霉 l'action trouve sa forme, o霉 les mots de la fin sont prononc茅s, les 锚tres livr茅s aux 锚tres, o霉 toute vie prend le visage du destin. Le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci, suivant le d茅sir profond de l'homme. Car il s'agit bien du m锚me monde. La souffrance est la m锚me, le mensonge et l'amour. Les h茅ros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n'est ni plus beau ni plus 茅difiant que le n么tre. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin et il n'est m锚me jamais de si bouleversants h茅ros que ceux qui vont jusqu'脿 l'extr茅mit茅 de leur passion, Kirilov et Stavroguine, Mme Graslin, Julien Sorel ou le prince de Cl猫ves. C'est ici que nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n'achevons jamais. 禄听 (p. 666) 芦 Une analyse d茅taill茅e des romans les plus c茅l猫bres montrerait, dans des perspectives chaque fois diff茅rentes, que l'essence du roman est dans cette correction perp茅tuelle, toujours dirig茅e dans le m锚me sens, que l'artiste effectue sur son exp茅rience. 禄听 (p. 668) 芦 Le roman am茅ricain pr茅tend trouver son unit茅 en r茅duisant l'homme, soit 脿 l'茅l茅mentaire, soit 脿 ses r茅actions ext茅rieures et 脿 son comportement. Il ne choisit pas un sentiment ou une passion dont il donnera une image privil茅gi茅e, comme dans nos romans classiques. Il refuse l'analyse, la recherche d'un ressort psychologique fondamental qui expliquerait et r茅sumerait la conduite d'un personnage. 禄听 (p. 668) 芦 Quant 脿 Proust, son effort a 茅t茅 de cr茅er 脿 partir de la r茅alit茅, obstin茅ment contempl茅e, un monde ferm茅, irrempla莽able, qui n'appart卯nt qu'脿 lui et marqu芒t sa victoire sur la fuite des choses et sur la mort. 禄听 (p. 669) 芦 La vraie cr茅ation romanesque, au contraire, utilise le r茅el et n'utilise que lui, avec sa chaleur et son sang, ses passions ou ses cris. Simplement, elle y ajoute quelque chose qui le transfigure. 禄听 (p. 673) 芦 R茅duire l'unit茅 du monde romanesque 脿 la totalit茅 du r茅el ne peut se faire qu'脿 la faveur d'un jugement a priori qui 茅limine du r茅el ce qui ne convient pas 脿 la doctrine. Le r茅alisme dit socialiste est alors vou茅, par la logique m锚me de son nihilisme, 脿 cumuler les avantages du roman 茅difiant et de la litt茅rature de propagande. 禄听 (p. 673) |
| Introduction aux 芦 Maximes 禄 de Chamfort, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. |
| 芦 Nos plus grands moralistes ne sont pas des faiseurs de maximes, ce sont des romanciers. Qu'est-ce qu'un moraliste en effet ? Disons seulement que c'est un homme qui a la passion du coeur humain. 禄 (p. 1099) 芦 C'est que le roman seul est fid猫le au particulier. Son objet n'est pas les conclusions de la vie mais son d茅roulement m锚me. En un mot, il est plus modeste, c'est en cela qu'il est classique. 禄听 (p. 1100) 芦 Et sans doute Chamfort n'a pas 茅crit de roman parce que, peut-锚tre, ce n'茅tait pas l'usage. Mais, on le voit bien, c'est surtout parce qu'il n'aimait ni les hommes ni lui-m锚me. On imagine mal un romancier qui n'aime aucun de ses personnages. Et pas un seul de nos grands romans ne se comprend sans une passion profonde pour l'homme. L'exemple de Chamfort, unique dans notre litt茅rature, peut nous en persuader. 禄听 (p. 1107) |
| Le Mythe de Sisyphe,听诲补苍蝉听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄,1965. |
| 芦 Cr茅er, c'est vivre deux fois. La recherche t芒tonnante et anxieuse d'un Proust, sa m茅ticuleuse collection de fleurs, de tapisseries et d'angoisses ne signifient rien d'autre. 禄 (p. 173) 芦 Il n'y a pas de fronti猫res entre les disciplines que l'homme se propose pour comprendre et aimer. Elles s'interp茅n猫trent et la m锚me angoisse les confond. 禄 (p. 176) 芦 Les grands romanciers sont des romanciers philosophes, c'est-脿-dire le contraire d'茅crivains 脿 th猫se. Ainsi Balzac, Sade, Melville, Stendhal, Dosto茂evski, Proust, Malraux, Kafka, pour n'en citer que quelques-uns. 禄听 (p. 178) 芦 Mais justement le choix qu'ils [les romanciers susnomm茅s] ont fait d'茅crire en images plut么t qu'en raisonnements est r茅v茅lateur d'une certaine pens茅e qui leur est commune, persuad茅e de l'inutilit茅 de tout principe d'explication et convaincue du message enseignant de l'apparence sensible. Ils consid猫rent l'oeuvre 脿 la fois comme une fin et un commencement. Elle est l'aboutissement d'une philosophie souvent inexprim茅e, son illustration et son couronnement. Mais elle n'est compl猫te que par les sous-entendus de cette philosophie. Elle l茅gitime enfin cette variante d'un th猫me ancien qu'un peu de pens茅e 茅loigne de la vie, mais que beaucoup y ram猫ne. Incapable de sublimer le r茅el, la pens茅e s'arr锚te 脿 le mimer. Le roman dont il est question est l'instrument de cette connaissance 脿 la fois relative et in茅puisable, si semblable 脿 celle de l'amour. De l'amour, la cr茅ation romanesque a l'茅merveillement initial et la rumination f茅conde. 禄听 (p. 179) 芦 Je pourrais, au moins dans l'ordre de la cr茅ation, d茅nombrer quelques oeuvres vraiment absurdes . 禄听 (p. 189) |
| 芦 Dossier 鈥淎lger r茅publicain鈥� et 鈥淟e Soir r茅publicain鈥� 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. |
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芦 鈥淟a conspiration鈥� de Paul Nizan 禄. 芦 Et quand il s'agit d'un 茅crivain, c'est sur son oeuvre que l'on peut juger des effets de l'adh茅sion. 芦 鈥淟a gal猫re鈥� d'Andr茅 Chamson 禄. 芦 Le roman historique 鈥� qui n'est pas l'histoire romanc茅e 鈥� est un genre difficile. Et plus encore peut-锚tre le roman d'actualit茅. Voil脿 pourquoi j'ai parl茅 de r茅ussite. Car l'actualit茅 n'offre une mati猫re au cr茅ateur que dans la mesure o霉 elle suscite des probl猫mes 鈥渋nactuels鈥� qui lui donnent son sens. 禄听 (p. 1400. -听Alger r茅publicain, 23 mai 1939) |
| 芦听Essais critiques听: textes compl茅mentaires 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. |
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芦 R茅ponses 脿 Jean-Claude Brisville 禄. 脌 la question 芦 Du r茅cit, de l'essai ou du th茅芒tre, quelle est celle de ces techniques, en tant que cr茅ateur, qui vous donne le plus de satisfaction? 禄, Camus r茅pond : 芦 L'alliance de toutes ces techniques au service d'une m锚me oeuvre. 禄 (p. 1922) 芦 Derni猫re interview d'Albert Camus (20 d茅cembre 1959) 禄. 芦 Faulkner reste pour moi notre grand cr茅ateur vivant. Je viens de lire听A fable. Depuis Melville, personne chez vous n'a parl茅 comme Faulkner de la souffrance. 禄 (p. 1927 -听Venture, printemps-茅t茅 1960) 脌 propos du nouveau roman : 芦 Le go没t des histoires ne mourra qu'avec l'homme lui-m锚me 鈥� 脟a n'emp锚che pas de chercher toujours de nouvelles mani猫res de raconter, et les romanciers dont vous parlez ont raison de d茅fricher de nouveaux chemins. Personnellement, toutes les techniques m'int茅ressent et aucune ne m'int茅resse en elle-m锚me. Si, par exemple, l'oeuvre que je veux 茅crire l'exigeait, je n'h茅siterais pas 脿 utiliser l'une ou l'autre des techniques dont vous parlez,听ou les deux ensemble.听L'erreur de l'art moderne est presque toujours de faire passer le moyen avant la fin, la forme avant le fond, la technique avant le sujet. Si les techniques d'art me passionnent et si je cherche 脿 les poss茅der toutes c'est que je veux pouvoir m'en servir librement, les r茅duire au rang d'outils. 禄 (p. 1927 -听Venture, printemps-茅t茅 1960) |
| 芦听Lettres 脿 un ami allemand听: textes compl茅mentaires 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. |
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芦 鈥淟a vall茅e heureuse鈥� de Jules Roy 禄. 芦 Les 茅crivains d'aujourd'hui parlent de ce qui leur arrive. Tolsto茂 a centr茅听La Guerre et la Paix听autour de la retraite de Russie, qu'il n'avait pas v茅cue. De nos jours, il ne recevrait l'estime de nos contemporains que s'il rempla莽ait le premier Napol茅on par le troisi猫me et s'il pr茅cipitait le prince Andr茅 dans le si猫ge de S茅bastopol, o霉 lui, Tolsto茂, s'茅tait bien battu (sans jamais avoir pu, cependant, y dominer la peur qu'il avait des rats). |
| 芦 Le Mythe de Sisyphe听: textes compl茅mentaires 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. |
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芦 鈥淟a naus茅e鈥� de Jean-Paul Sartre 禄. 芦 Un roman n'est jamais qu'une philosophie mise en images. Et dans un bon roman, toute la philosophie est pass茅e dans les images. Mais il suffit qu'elle d茅borde les personnages et les actions, qu'elle apparaisse comme une 茅tiquette sur l'oeuvre, pour que l'intrigue perde son authenticit茅 et le roman sa vie. 禄 (p. 1417 -听Alger r茅publicain, 20 octobre 1938) 芦 Extraits d'interviews : non, je ne suis pas existentialiste鈥� 禄. 芦 鈥� la technique romanesque am茅ricaine me para卯t aboutir 脿 une impasse. Je l'ai utilis茅e dans l'脡tranger, c'est vrai. Mais c'est qu'elle convenait 脿 mon propos qui 茅tait de d茅crire un homme sans conscience apparente. En g茅n茅ralisant ce proc茅d茅, on aboutirait 脿 un univers d'automates et d'instincts. Ce serait un appauvrissement consid茅rable. C'est pourquoi, tout en rendant au roman am茅ricain ce qui lui revient, je donnerais cent Hemingway pour un Stendhal ou un Benjamin Constant. Et je regrette l'influence de cette litt茅rature sur beaucoup de jeunes auteurs. 禄 (p. 1426 -听Les Nouvelles litt茅raires, 15 novembre 1945) 芦 鈥� je n'imagine pas de litt茅rature sans style. Je ne connais qu'une r茅volution en art, elle est de tous les temps, c'est l'exacte appropriation de la forme et du fond, du langage et du sujet. De ce point de vue, je n'aime, et profond茅ment, que la grande litt茅rature classique fran莽aise. Il est vrai que j'y fais entrer Saint-脡vremond et les ouvrages du marquis de Sade. Il est vrai aussi que j'en excepte certains acad茅miciens, pr茅sents ou pass茅s. 禄 (p. 1426-1427 -听Les Nouvelles litt茅raires, 15 novembre 1945) |
| 芦听Noces听: textes compl茅mentaires d'Albert Camus 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. |
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芦 Rencontre avec Albert Camus 禄. 芦 Eh bien! c'est 脿 l'artiste surtout qu'allait mon culte, au ma卯tre du classicisme moderne, disons au Gide des听笔谤茅迟别虫迟别蝉. Connaissant bien l'anarchie de ma nature, j'ai besoin de me donner en art des barri猫res. Gide m'a appris 脿 le faire. Sa conception du classicisme consid茅r茅 comme un romantisme dompt茅 est la mienne. 禄 (p. 1340 -听Les Nouvelles litt茅raires, 10 mai 1951) 芦 Si un peintre de l'Absurde a jou茅 un r么le dans l'id茅e que je me fais de l'art litt茅raire, c'est l'auteur de l'admirable Moby Dick, l'Am茅ricain Melville鈥� 禄 (p. 1342 -听Les Nouvelles litt茅raires, 10 mai 1951) |
| 芦 Roger Martin du Gard 禄, dans听Essais, introduction par R. Quilliot, textes 茅tablis et annot茅s par R. Quilliot et L. Faucon, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1965. |
| 芦 Lisez, dans听Devenir !,听le portrait du p猫re Mazerelles et de sa femme. D猫s son premier livre, Roger Martin du Gard r茅ussit le portrait en 茅paisseur dont le secret semble avoir 茅t茅 perdu de nos jours. Cette troisi猫me dimension, qui 茅largit son oeuvre, la rend un peu insolite dans la litt茅rature contemporaine. Notre production pourrait en effet, lorsqu'elle est valable, se r茅clamer de Dosto茂evski plut么t que de Tolsto茂. Des ombres passionn茅es ou inspir茅es y tracent le commentaire gesticulant d'une r茅flexion sur la destin茅e. Sans doute, le relief et l'茅paisseur se rencontrent aussi dans les figures de Dosto茂evski ; mais il n'en fait pas, comme Tolsto茂, la r猫gle de sa cr茅ation. Dosto茂evski cherche d'abord le mouvement, Tolsto茂 la forme. Entre les jeunes femmes des听笔辞蝉蝉茅诲茅蝉听et Natacha Rostov, il y a la m锚me diff茅rence qu'entre un personnage cin茅matographique et un h茅ros de th茅芒tre : plus d'animation et moins de chair. Ces faiblesses d'un g茅nie sont du reste compens茅es (et m锚me justifi茅es), chez Dosto茂evski, par l'introduction d'une dimension suppl茅mentaire, spirituelle celle-l脿, qui prend racine dans le p茅ch茅 ou la saintet茅. Mais, 脿 quelques exceptions pr猫s, ces notions sont d茅clar茅es inactuelles par nos contemporains qui n'ont donc retenu de Dosto茂evski qu'un h茅ritage d'ombres. Combin茅 脿 l'influence de Kafka (chez qui le visionnaire l'emporte sur l'artiste), ou 脿 la technique am茅ricaine du roman de comportement, assimil茅e par des artistes qui, nerveusement et intellectuellement, suivent avec toujours plus de peine l'acc茅l茅ration de l'histoire et, pour faire face 脿 tout, n'approfondissent plus rien, cet exemple imp茅rieux a provoqu茅 chez nous une litt茅rature excitante et d茅cevante, dont les d茅faillances sont 脿 la mesure de l'ambition, et dont nul ne peut dire encore si elle 茅puise une mode ou annonce un nouvel 芒ge. Roger Martin du Gard qui commence d'茅crire au d茅but du si猫cle est, au contraire, le seul litt茅rateur de sa g茅n茅ration qu'on puisse placer dans la lign茅e de Tolsto茂. Mais en m锚me temps, il est peut-锚tre le seul (et, dans un sens, plus que Gide ou Val茅ry) 脿 annoncer la litt茅rature d'aujourd'hui, 脿 lui l茅guer les probl猫mes qui l'茅crasent, 脿 autoriser aussi quelques-uns de ses espoirs. 禄 (p. 1131-1132) 芦 Il y a de grandes chances, en effet, pour que l'ambition r茅elle de nos 茅crivains soit, apr猫s avoir assimil茅 les听笔辞蝉蝉茅诲茅蝉, d'茅crire un jour听la听Guerre et la Paix. Au bout d'une longue course 脿 travers les guerres et les n茅gations, ils gardent l'espoir, m锚me s'ils ne l'avouent pas, de retrouver les secrets d'un art universel qui, 脿 force d'humilit茅 et de ma卯trise, ressusciterait enfin les personnages dans leur chair et leur dur茅e. Il est douteux que cette grande cr茅ation soit possible, dans l'茅tat actuel de la soci茅t茅, occidentale et orientale. Mais rien n'emp锚che d'esp茅rer que ces deux soci茅t茅s, si elles ne se d茅truisent pas dans un suicide g茅n茅ral, se f茅condent mutuellement, et rendent la cr茅ation 脿 nouveau possible. R茅servons aussi la chance du g茅nie et qu'un nouvel artiste arrive, 脿 force de sup茅riorit茅 ou de fra卯cheur, 脿 tout enregistrer des pressions qu'il subit, et 脿 dig茅rer l'essentiel de l'aventure contemporaine. Son vrai destin serait alors de fixer dans son oeuvre la pr茅figuration de ce qui sera et d'y faire co茂ncider, exceptionnellement, le pouvoir de proph茅tie et la puissance de la cr茅ation vraie. Ces t芒ches inimaginables ne pourront se priver en tout cas des secrets de l'art du pass茅. 禄 (p. 1132-1133) 芦 Les personnages de Martin du Gard, 脿 la diff茅rence des n么tres, ont quelque chose 脿 engager et 脿 perdre dans les luttes historiques. La pression de l'actualit茅 s'exerce, dans leur 锚tre m锚me, contre des structures traditionnelles qu'elles soient de religion ou de culture. 禄听 (p. 1142) 芦 Sans doute, un romancier se traduit et se trahit dans tous ses personnages en m锚me temps : chacun repr茅sente une de ses tendances ou de ses tentations. 禄听 (p. 1143) |
| Carnets. Mai 1935 - f茅vrier 1942, Paris, Gallimard, 1962. |
| 芦 On ne pense que par image. Si tu veux 锚tre philosophe, 茅cris des romans. 禄 (p. 23) |
| Carnets II. Janvier 1942 - mars 1951, Paris, Gallimard, 1964. |
| 芦 C'est dans la disproportion du ton et de l'histoire que Stendhal met son secret (脿 rapprocher de certains am茅ricains). 禄 (p. 14) 芦 Il y a deux sortes de style : Mme de Lafayette et Balzac. Le premier est parfait dans le d茅tail, l'autre travaille dans la masse et quatre chapitres suffisent 脿 peine 脿 donner l'id茅e de son souffle. Balzac 茅crit non pas听尘补濒驳谤茅听mais听avec听ses fautes de fran莽ais. 禄听 (p. 21) 芦 Par quoi la litt茅rature du XIXe si猫cle et surtout du XXe si猫cle, se distingue-t-elle de celle des si猫cles classiques? Elle est moraliste elle aussi puisqu'elle est fran莽aise. Mais la morale classique est une morale critique (exception faite pour Corneille) 鈥� n茅gative. La morale du XXe, au contraire, est positive : elle d茅finit des听styles de vie. Voyez le h茅ros romantique, Stendhal, (il est bien de son si猫cle mais c'est par l脿), Barr猫s, Montherlant, Malraux, Gide, etc. 禄 (p. 28) 芦 Vous me pr锚tez l'ambition de faire r茅el. Le r茅alisme est un mot vide de sens (Mme Bovary听et听Les 笔辞蝉蝉茅诲茅蝉听sont des romans r茅alistes et ils n'ont rien de commun). 禄听 (p. 32) 芦 Litt茅rature. Se m茅fier de ce mot. Ne pas le prononcer trop vite. Si l'on 么tait la litt茅rature chez les grands 茅crivains on 么terait ce qui probablement leur est le plus personnel. Litt茅rature = nostalgie. L'homme sup茅rieur de Nietzsche, l'ab卯me de Dosto茂evski, l'acte gratuit de Gide, etc., etc. 禄 (p. 35) 芦 (Le roman fran莽ais est psychologique parce qu'il se m茅fie de la m茅taphysique. Il se r茅f猫re constamment 脿 l'humain par prudence.) Il faut avoir lu听La Princesse de Cl猫ves听pour en tirer l'image du roman classique. Il est fort mal compos茅 au contraire. 禄听 (p. 90) 芦 脌 propos du roman am茅ricain : Il vise 脿 l'universel. Comme le classicisme. Mais alors que le classicisme vise un universel 茅ternel, la litt茅rature contemporaine, du fait des circonstances (interp茅n茅tration des fronti猫res) vise 脿 un universel historique. Ce n'est pas l'homme de tous les temps, c'est l'homme de tous les espaces. 禄听 (p. 114) 芦 Mon oeuvre pendant ces deux premiers cycles : des 锚tres sans mensonges, donc non r茅els. Ils ne sont pas au monde. C'est pourquoi sans doute et jusqu'ici je ne suis pas un romancier au sens o霉 on l'entend. Mais plut么t un artiste qui cr茅e des mythes 脿 la mesure de sa passion et de son angoisse. C'est pourquoi aussi les 锚tres qui m'ont transport茅 en ce monde sont toujours ceux qui avaient la force et l'exclusivit茅 de ces mythes. 禄听 (p. 325) 芦 Faulkner. 脌 la question : Que pensez-vous de la jeune g茅n茅ration d'茅crivains, il r茅pond : Elle ne laissera rien de valable. Elle n'a plus rien 脿 dire. Pour 茅crire, il faut avoir enracin茅 en soi les grandes v茅rit茅s premi猫res et dirig茅 son oeuvre vers l'une d'elles ou toutes 脿 la fois. Ceux qui ne savent pas parler de la fiert茅, de l'honneur, de la douleur sont des 茅crivains sans cons茅quence et leur oeuvre mourra avec eux ou avant eux. Goethe et Shakespeare ont r茅sist茅 脿 tout parce qu'ils croyaient au coeur humain. Balzac et Flaubert aussi. Ils sont 茅ternels. Quelle est la raison de ce nihilisme qui a envahi la litt茅rature? La peur. Le jour o霉 les hommes cesseront d'avoir peur, alors ils recommenceront 脿 茅crire des chefs-d'oeuvre, c'est-脿-dire des oeuvres durables. 禄 (p. 331) |
| Carnets III. Mars 1951 鈥� d茅cembre 1959, Paris, Gallimard, 1989. |
| 脌 propos de Fran莽ois Mauriac : 芦 Preuve admirable de la puissance de sa religion : il arrive 脿 la charit茅 sans passer par la g茅n茅rosit茅. Il a tort de me renvoyer sans cesse 脿 l'angoisse du Christ. Il me semble que j'en ai un plus grand respect que lui, ne m'茅tant jamais cru autoris茅 脿 exposer le supplice de mon sauveur, deux fois la semaine, 脿 la premi猫re page d'un journal de banquiers. Il se dit 茅crivain d'humeur. En effet. Mais il a dans l'humeur une disposition invincible 脿 se servir de la croix comme d'une arme de jet. Ce qui en fait un journaliste du premier ordre, et un 茅crivain du second. Dosto茂evski de la Gironde. 禄 (p. 29) 芦 La litt茅rature des pays totalitaires ne meurt pas tant parce qu'elle est dirig茅e que parce qu'elle est coup茅e des autres litt茅ratures. Tout artiste qui, d'avance, n'est pas ouvert 脿 la r茅alit茅 enti猫re est mutil茅. 禄听 (p. 130) 芦 Pour la premi猫re fois apr猫s lecture de听Crime et Ch芒timent, doute absolu sur ma vocation. J'examine s茅rieusement la possibilit茅 de renoncer. Ai toujours cru que la cr茅ation 茅tait un dialogue. Mais avec qui? Notre soci茅t茅 litt茅raire dont le principe est la m茅chancet茅 m茅diocre, o霉 l'offense tient lieu de m茅thode critique? La soci茅t茅 tout court? Un peuple qui ne nous lit pas, une classe bourgeoise qui, dans l'ann茅e, lit la presse et deux livres 脿 la mode. En r茅alit茅 le cr茅ateur d'aujourd'hui ne peut 锚tre qu'un proph猫te solitaire, habit茅, mang茅 par une cr茅ation d茅mesur茅e. Suis-je ce cr茅ateur? Je l'ai cru. Exactement j'ai cru que je pouvais l'锚tre. J'en doute aujourd'hui et la tentation est forte de rejeter cet effort incessant qui me rend malheureux dans le bonheur lui-m锚me, cette asc猫se vide, cet appel qui me raidit vers je ne sais quoi. Je ferais du th茅芒tre, j'茅crirais au hasard des travaux dramatiques, sans me soucier, je serais libre peut-锚tre. Qu'ai-je 脿 faire d'un art estimable ou honn锚te? Et suis-je capable de ce dont je r锚ve? Si j'en suis pas capable, 脿 quoi bon r锚ver? Me lib茅rer de cela aussi et consentir 脿 rien! D'autres l'ont fait qui 茅taient plus grands que moi. 禄听 (p. 207-208) 芦 Musil : Un grand projet qui suppose tous les moyens de l'art, qu'il n'a pas. D'o霉 cette oeuvre 茅mouvante par ses 茅checs, non par ce qu'elle dit. Cet interminable monologue o霉 le g茅nie brille par endroits et que jamais l'art n'illumine en son entier. 禄听 (p. 223) |
| VIALLANEIX, Paul.听Le Premier Camus听suivi de听脡crits de jeunesse d'Albert Camus, Paris, Gallimard, 1973, 芦 Cahiers Albert Camus 2 禄. |
| 芦 Ce qu'on peut gagner en lisant Stendhal : le m茅pris du para卯tre. 禄 (p. 202) |
