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Quand le critique John Charpentier 茅crivait, dans le聽Mercure de France聽du 15 mai 1929, que Julien Green 茅tait 芦 le plus beau temp茅rament romanesque de sa g茅n茅ration [1] 禄, il entendait complimenter le don d'invention du jeune 茅crivain. Ce mot peut toutefois 锚tre pris dans un sens plus large, car ce temp茅rament de romancier se manifeste de fa莽on singuli猫re non seulement dans les fictions de Green, mais aussi dans son oeuvre critique. Les entretiens et articles qu'il a publi茅s au long de sa carri猫re, ainsi que son vaste聽Journal聽(1919-1998), fourmillent de r茅flexions originales sur cette forme litt茅raire 脿 laquelle il doit son renom.

Les id茅es de Julien Green sur l'art romanesque ne pr茅sentent pas toutes un 茅gal int茅r锚t. Sa vision de l'histoire du roman, par exemple, manque d'ampleur, et semble parfois inexistante. En 1927, Green d茅clare tout net 芦 ne [pas croire] 脿 l'茅volution du roman [2] 禄. Il ajoute, en guise de pr茅cision, que聽Tristan et Iseult聽ne diff猫re pas substantiellement de la production romanesque contemporaine : comme聽脌 la Recherche du temps perdu听辞耻听Jean-Christophe, cette oeuvre constitue en effet 芦 l'茅tude d'un caract猫re, du d茅veloppement de ce caract猫re ou d'une passion dans un r茅cit en prose entrecoup茅 de dialogues [3] 禄. Rien ne change. De la m锚me mani猫re, Green tient pour non avenue la soi-disant 芦 crise du roman [4] 禄, qui a d茅fray茅 la chronique litt茅raire dans les ann茅es 1920. Nul besoin, selon lui, de s'inqui茅ter pour l'avenir de cette forme, dont la souplesse suffit 脿 garantir la p茅rennit茅 [5]. Plus tard dans sa carri猫re, certes, constatant de profondes transformations dans le monde litt茅raire, Green aura l'impression d'appartenir 脿 une 茅poque r茅volue. Il d茅plorera la 芦 m茅diocrit茅 extr锚me 禄 s茅vissant dans les lettres (25 ao没t 1954 [6]) et se demandera enfin si le XIXe si猫cle 芦 ne mourra vraiment qu'avec ceux qui sont n茅s aux environs de 1900 禄 (10 ao没t 1971). Ses propos sur le roman, bref, ne sont pas sans dimension historique; mais de l脿 ne vient pas leur principal int茅r锚t.

Les consid茅rations de Julien Green sur la finalit茅 du roman sont 茅galement minces et peu nombreuses. 脌 quoi sert le roman? 脌 rien, r茅pond d'abord Julien Green dans une conf茅rence de 1950, en ajoutant toutefois que le roman peut profiter 脿 l'茅crivain et au lecteur, par la lumi猫re qu'il jette sur la condition humaine [7]. Green ne s'茅tend pas sur cette question. Il ne semble gu猫re pr茅occup茅, 脿 vrai dire, de justifier son art, au contraire de son contemporain Georges Duhamel, dont l'oeuvre traduit une constante pr茅occupation de faire valoir 鈥� selon ses termes 鈥� le 芦 mandat 禄 social du romancier [8].

Pour Green, la question importante n'est pas ce que le roman doit accomplir, ni quels changements il a subi au cours de son histoire : l'茅crivain s'int茅resse plut么t 脿 ce qui constitue la nature profonde du roman, c'est-脿-dire aux 茅l茅ments qui entrent n茅cessairement dans la composition d'un roman authentique.听Chez Green, ces r茅flexions n'aboutissent pas 脿 une recette d'茅criture [9]. Il ne cessera jamais de r茅p茅ter que la cr茅ation romanesque proc猫de 脿 coups de surprises, qu'elle n'a pas la clart茅 d'une op茅ration alg茅brique. Le romancier, selon lui, doit 芦 savoir se perdre dans la for锚t obscure 禄 (22 avril 1932). Mais malgr茅 cette incertitude inh茅rente 脿 la cr茅ation romanesque, Green estime que certaines conditions, certains ph茅nom猫nes sous-tendent n茅cessairement l'art du romancier. Ce sont ces consid茅rations qui forment la part substantielle et originale de sa conception du roman.

Dans les prochaines pages, je tenterai donc de rassembler et d'organiser l'essentiel de ce que Green a 茅crit sur son art, afin de mettre en lumi猫re sa vision du roman. Beaucoup de chercheurs se sont int茅ress茅s 脿 l'oeuvre romanesque de Green et ont tent茅 d'en d茅gager les marques distinctives [10]; pour ma part, je me limiterai 脿 son oeuvre critique, corpus assez riche pour 锚tre trait茅 ind茅pendamment.听On verra d'abord quelles qualit茅s, d'apr猫s Julien Green, un romancier digne de ce nom doit r茅unir, puis par quels proc茅d茅s il cr茅e son oeuvre. Enfin, je me pencherai sur la question du langage, qui repr茅sente, aux yeux de Green, un probl猫me capital pour tout 茅crivain.

Le romancier.

脌 lire Julien Green, on s'aper莽oit bien vite que son discours sur le roman s'accompagne, le plus souvent, d'un discours sur le romancier. Au sujet d'une oeuvre de Tolsto茂,听搁茅蝉耻谤谤别肠迟颈辞苍, il remarque : 芦 il y avait derri猫re toutes ces phrases un homme qui ne mentait pas [11] 禄. Un passage du聽Lys dans la vall茅e, 茅crit-il dans son聽Journal, 芦 est si faux, si manifestement invent茅, et en m锚me temps si vrai, car on sent que le gar莽on, c'est l'auteur 禄 (13 f茅vrier 1934). De m锚me, ses essais sur Emily Bront毛 (1926) et Nathaniel Hawthorne (1928) pr茅sentent une forte orientation biographique, qui n'est pas sans rappeler les聽Trois Ma卯tres聽de Stefan Zweig ou聽Les Confessions sans p茅nitence聽de Georges Duhamel. C'est que, dans l'esprit de Julien Green, l'auteur est ins茅parable de son oeuvre.

En effet, le romancier porte en lui-m锚me la source de toutes ses histoires. Son r么le, nous dit Green, est de fouiller son 芦 inconscient [12] 禄 pour en tirer la mati猫re de son oeuvre. C'est cette d茅marche qui distingue le bon romancier du mauvais. Le second, 芦 faux explorateur 禄, se contente de suivre le chemin battu des conventions litt茅raires; tandis que le premier, en se plongeant 脿 l'int茅rieur de lui-m锚me, accomplit un acte de 芦 courage [13] 禄 qui donne 脿 ses 茅crits une r茅sonance profonde et sinc猫re. Cette 芦 descente vers les r茅gions inf茅rieures [14] 禄 a d'ailleurs des retomb茅es salvatrices : en explorant les replis de sa psych茅, et en les mettant au jour, le romancier 茅prouve une forme de lib茅ration. Green va jusqu'脿 affirmer : 芦 Les seuls livres qui comptent sont ceux dont on peut dire que聽l'auteur serait mort 茅touff茅 s'il ne les avait pas 茅crits聽禄 (5 mai 1956) [15].

Cette exploration de l'inconscient, toutefois, n'a rien d'un examen pointilleux et scientifique. Ce que pr么ne Julien Green n'est pas un naturalisme appliqu茅 脿 la vie int茅rieure. Au contraire, c'est gr芒ce 脿 un 芦 don [16] 禄 rare et fugitif que le v茅ritable romancier parvient 脿 sonder les tr茅fonds de son 芒me. Il est, comme le protagoniste d'un roman de Green, un 芦 visionnaire [17] 禄, c'est-脿-dire qu'il sait se placer dans un 芦 茅tat second [18] 禄 qui lui donne acc猫s 脿 son inconscient. L脿, des images s'imposent 脿 son esprit avec une telle vivacit茅, une telle pr茅cision, qu'elles en prennent 芦 l'autorit茅 particuli猫re 脿 un souvenir [19] 禄.

Mais certains auraient beau poss茅der ce don de vision, ils n'en seraient pas plus avanc茅s. La source du roman, comme on l'a vu, r茅side dans l'inconscient de l'茅crivain. Pour donner lieu 脿 la cr茅ation romanesque, ajoute cependant Julien Green, cette source doit absolument 锚tre聽corrompue, c'est-脿-dire peupl茅e de cauchemars et de turpitudes, de 芦 monstres [20] 禄 et de 芦 d茅sirs [21] 禄. Cette th茅orie, Julien Green la professe 脿 bien des reprises : 芦 le talent du romancier plonge ses racines dans le p茅ch茅 禄 (29 mars 1948), 芦 么tez le p茅ch茅 et vous 么tez l'oeuvre 禄 (3 mai 1954), 芦 un roman est fait de p茅ch茅 comme une table est faite de bois 禄 (27 octobre 1955), 芦 avec quoi un roman est-il fait, sinon avec du mal? 禄 (29 mars 1957). Un roman dont l'origine serait pure ne contiendrait aucun conflit, aucun myst猫re, ne susciterait aucune d茅couverte; ce serait un amas de 芦 prudentes platitudes 禄 (1er f茅vrier 1945), et non un roman. La qui茅tude, pour Green, est un 茅tat d'芒me st茅rile : 芦 On n'a jamais vu de saint 茅crire un roman 禄 (21 mai 1948).

脌 lire ces phrases, on comprend non seulement pourquoi les romans de Green sont d'une noirceur si notoire [22], mais aussi pourquoi l'茅crivain pr茅conise explicitement, dans son聽Journal, une litt茅rature sans bons sentiments :

[鈥�] la vertu, dans les romans, est en g茅n茅ral repr茅sent茅e d'une fa莽on ridicule, quelles que puissent 锚tre les intentions de l'auteur. [鈥�] Le blanc est une couleur (si c'en est une) dont les romanciers se servent mal; ils sont beaucoup plus habiles avec le noir (11 juin 1943).

Cette question du rapport entre roman et p茅ch茅 ne semble devenir br没lante, pour Julien Green, qu'脿 partir des ann茅es 1940. Une formule de Mauriac [23] fait sur lui une vive impression et le m猫ne 脿 un constat qu'il r茅affirmera souvent par la suite :

Le mot de Mauriac : 鈥淧urifier la source鈥� a l'air de r茅soudre la question et ne fait que l'embrouiller, car la source m锚me du roman est empoisonn茅e, et, priv茅e des poisons qui la composent, elle voit s'alt茅rer sa nature. Je ne crois pas qu'il y ait de roman qui ne contienne de poison (24 d茅cembre 1944).

Une telle d茅claration peut 茅tonner de la part de n'importe quel croyant, mais elle est particuli猫rement frappante sous la plume de Julien Green. Enfant, celui-ci exprimait 脿 ses parents son souhait d'芦 锚tre 禄 un jour saint Fran莽ois d'Assise [24]. Le 23 juin 1938, il confiait le m锚me d茅sir 脿 son聽Journal, en y ajoutant une nuance de regret : 芦 J'aurais voulu 锚tre un saint, c'est tout. 禄 脌 l'茅poque o霉 il 茅crit cette phrase, rien ne laisse supposer que Green a pris conscience de la contradiction fondamentale entre son aspiration 脿 la puret茅 morale et son 茅tat de romancier. Mais dans les ann茅es 1940, il reconna卯t enfin la nature peccamineuse de la cr茅ation romanesque, et va m锚me jusqu'脿 l'embrasser :

Dans la crainte d'offenser Dieu, [un homme scrupuleux] 茅crira de prudentes platitudes, et qui sait si Dieu ne veut pas le risque? Qui sait si ce n'est pas l脿 le moyen de lui plaire et d'accomplir sa vocation? 禄 (1er f茅vrier 1945).

L'invention romanesque.

Le vrai romancier, comme on l'a vu, pr茅sente deux traits essentiels : il est un p茅cheur et un visionnaire. Ce fait comporte plusieurs implications pour l'acte cr茅ateur.听D'abord, si le romancier est t茅moin d'une vision, et que son r么le consiste 脿 rapporter ce qu'il a vu, il faut en d茅duire qu'il ne cr茅e pas son oeuvre 脿 coups de choix d茅lib茅r茅s. Le terme d'芦 invention 禄, que j'ai employ茅 plus haut, soul猫ve ainsi quelques difficult茅s. Julien Green l'utilise tout au long de sa carri猫re, et tr猫s fr茅quemment dans les ann茅es 1920 et 1930 [25]. Mais dans certains passages du聽Journal, lui donnant le sens de 芦 fabrication 禄, il le r茅cuse, le jugeant impropre 脿 rendre la vraie nature de son art. 芦 Le romancier n'invente rien, il devine 禄, 茅crit-il par exemple, le 5 f茅vrier 1933. Le 29 octobre 1949, son propos se fait plus explicite :

Mon roman avance lentement, trop peut-锚tre, mais la nettet茅 de la vision est 脿 ce prix, me semble-t-il. Je pourrais couvrir une plus grande surface de papier chaque jour, mais alors聽j'inventerais聽et d'une certaine fa莽on, je mentirais au lieu de d茅crire le plus v茅ridiquement possible ce que je vois [26].

Ainsi, le r么le du romancier ne consiste pas 脿聽fabriquer聽des r茅cits 鈥� cela reviendrait 脿 芦 mentir [27] 禄. Il doit plut么t d茅crire ce qu'il voit; non pas dans le monde sensible, 脿 l'instar de Flaubert [28] ou des naturalistes [29], mais en son for int茅rieur, o霉 s'茅labore une r茅alit茅 tout aussi v茅ritable que la r茅alit茅 objective.听脢tre visionnaire, en effet, ce n'est pas seulement聽voir, c'est aussi聽croire聽脿 ce que l'on voit. Green pr茅tend qu'un 芦 vrai cr茅ateur 禄, comme Balzac ou Dickens, est un 锚tre 芦 na茂f [30] 禄. Il n'appartient pas 脿 cette esp猫ce d'hommes 芦 trop intelligents, trop malins [31] 禄 pour croire 脿 leurs propres r茅cits et en 茅prouver de fortes 茅motions. Ces auteurs blas茅s laissent le lecteur froid. En revanche, si l'茅crivain est convaincu de la r茅alit茅 de son histoire et de ses personnages, sa foi se communique au lecteur. Voil脿 ce qui donne toute sa force 脿 l'oeuvre d'un grand romancier comme Tolsto茂. Green dit, par exemple, de聽La Mort d'Ivan Ilitch聽: 芦 On y croit parce que l'auteur y a cru 禄 (24 novembre 1932).听搁茅蝉耻谤谤别肠迟颈辞苍聽suscite chez lui, plusieurs ann茅es plus tard, un commentaire analogue : 芦 l'茅motion est si vraie chez l'auteur qu'elle se reproduit telle quelle chez le lecteur 禄 (3 mars 1948).

La na茂vet茅 est un bien fragile. Si, pour assouvir sa curiosit茅, le romancier examine de trop pr猫s le processus cr茅ateur, il dissipe la brume qui entoure son art, et devient ainsi un de ces auteurs incr茅dules dont la France offre h茅las tant d'exemples [32]. Comme le r茅p猫te souvent Julien Green, 芦 plus un romancier a de sens critique et moins il est apte 脿 croire ce qu'il raconte [33]. 禄 Il faut bien saisir l'importance de cet enjeu. La na茂vet茅 de l'茅crivain, selon Green, n'ajoute pas seulement 脿 la valeur du roman; elle est un des聽traits essentiels聽de tout roman v茅ritable : 芦 Si un romancier ne croit pas ce qu'il raconte, il doit faire un autre m茅tier [34]. 禄

脌 lire de tels propos, on serait tent茅 de croire que Julien Green force le trait. Un romancier peut-il vraiment聽croire, dans la plus forte acception du mot, au fruit de son imagination?聽Or de nombreux passages du聽Journal聽et des essais de Green r茅v猫lent dans quelle mesure celui-ci pr茅sente la cr茅ation du romancier, et surtout chacun de ses personnages, comme une entit茅 autonome et tangible. Le romancier, lit-on en effet, a pour 芦 but 禄, non pas de cr茅er des 芦 automates 禄, mais de 芦 donner le jour 脿 des聽锚tres humains聽[35] 禄. L'expression est saisissante, et Green en tire les conclusions qui s'imposent. Ainsi, il est impensable, pour tout 芦 vrai romancier [36] 禄, de revenir sur les actions de ses personnages, ou de modifier apr猫s coup la substance de leurs paroles. Ces actions et ces paroles 茅manent apr猫s tout d'芦 锚tres humains 禄; elles appartiennent au domaine de la r茅alit茅 plut么t qu'脿 celui de la fiction. Si la vision est pr茅cise 鈥� et elle ne l'est pas toujours [37] 鈥� l'茅crivain se sait donc en pr茅sence d'une v茅rit茅 objective, et par cons茅quent inflexible. Pour reprendre les termes de Julien Green :

[鈥�] dans l'esprit du vrai romancier, une certaine esp猫ce d'arbitraire est exclue. [鈥�] Car plusieurs actes sont possibles, mais un seul est effectivement accompli et c'est celui-l脿 qu'il faut d茅couvrir, l'acte unique entre tous les possibles, celui qui vraiment a 茅t茅 fait dans l'histoire que nous conte le romancier [38].

Bien entendu, cette vision des choses exclut d'office tout plan pr茅alable : le romancier risquerait, par ce proc茅d茅 pourtant r茅pandu, de figer ses personnages dans un pose artificielle, leur 么tant ainsi jusqu'脿 l'apparence de v茅rit茅 [39]. Pour Green, l'action s'茅labore en cours de route et elle est 芦 l'oeuvre des personnages 禄 (27 mars 1941), c'est-脿-dire de l'inconscient [40]. 芦 Je n'ai jamais pu faire vivre un plan 禄, 茅crit-il dans son聽Journal聽le 13 novembre 1948. Green reconna卯t que certains grands romanciers ne sont pas de son avis. Flaubert, par exemple, 脿 qui il voue pourtant une profonde admiration, a d茅termin茅 d'avance l'action de聽Madame Bovary聽et de聽L'脡ducation sentimentale, au lieu de la laisser s'茅laborer naturellement. Ces grandes oeuvres forment toutefois des exceptions : 芦 il faut 锚tre Flaubert pour cela 禄 (5 f茅vrier 1933).

De m锚me que la m茅thode du plan d茅taill茅 convient mal 脿 la cr茅ation romanesque, de m锚me le romancier doit 茅viter 脿 tout prix les 芦 mod猫les courants [41] 禄, qui risquent 茅galement d'adult茅rer sa vision et de faire de ses personnages des pantins, plut么t que des 锚tres de chair et de sang. Le romancier se m茅fie de toute influence [42]. Il doit sans cesse lutter contre les attentes du public, les conventions romanesques, et m锚me les 芦 clich茅s qu'il s'est fabriqu茅s lui-m锚me et qui le dispensent de r茅fl茅chir 禄 (25 f茅vrier 1933). Seule sa vision doit pr茅sider 脿 l'茅criture.听Bref, le romancier se livre tout entier 脿 son inconscient. Ses personnages sont les acteurs, lui le 芦 spectateur [43] 禄. Ils entrent en action, lui passe de surprise en 芦 surprise [44] 禄. Comme le dit Green dans une conf茅rence des ann茅es 1940, c'est dans l'芦 obscurit茅 [45] 禄 que le romancier cr茅e son oeuvre.

Green parle souvent de ses personnages dans des termes qui mettent en relief leur vitalit茅 et leur ind茅pendance. Le romancier, 茅crit-il, est 芦 entra卯n[茅] [46] 禄, 芦 bouscul茅 [47] 禄 par ses cr茅atures, il est 芦 pip茅 禄 par ces 锚tres 芦 qui en savent plus long que lui 禄 (7 octobre 1944). Essaie-t-il de les tenir en bride? Ses efforts sont en vain : 芦 Il est certain que je n'ai jamais fait un plan que mes personnages ne l'aient聽mis en pi猫ces听别迟听foul茅 aux pieds聽[48] 禄 (29 d茅cembre 1947). La cr茅ation romanesque, 脿 en croire Julien Green, est un ph茅nom猫ne dont le romancier n'est pas ma卯tre; il l'amorce, certes, mais elle proc猫de malgr茅 lui. Ballot茅 de part et d'autre par ses personnages, il se contente d'observer et de rapporter leurs actions.

Si 茅crire un roman, c'est se laisser entra卯ner, on ne s'茅tonnera pas que Julien Green ait une pr茅dilection pour les oeuvres d'art 鈥� visuelles [49] aussi bien que litt茅raires [50] 鈥� qui semblent cr茅茅es d'un premier mouvement. 脌 l'inverse, tout ce qui sent l'appr锚t 茅veille sa suspicion. Le vrai romancier, selon Green, est un t茅moin fid猫le; il se garde de frelater sa vision, de 芦 mentir 禄, quitte 脿 tol茅rer certaines imperfections dans la composition du r茅cit. Green va m锚me jusqu'脿 pr茅tendre qu'芦 une certaine gaucherie est la marque des oeuvres sinc猫res 禄 (24 juin 1932).

L'芦 entra卯nement 禄 auquel s'abandonne le romancier suppose aussi un certain rythme qu'on retrouve effectivement dans les fictions de Green, et que celui-ci pr茅conise. Le roman, pour Green, doit respirer la force, l'茅lan, la vigueur : 芦 Il faudrait qu'脿 chaque page on e没t l'impression d'une irr茅sistible pouss茅e int茅rieure 禄 (20 juillet 1949). L'茅crivain parle avec admiration des聽Diaboliques聽de Barbey d'Aurevilly : 芦 Le ton, l'inspiration religieuse, la rage, la verve, l'insolence, l'impatience, l'adjectif en coup de poing, tout y est 禄 (5 mars 1952). Chez Villiers de L'Isle-Adam, ce sont les m锚mes qualit茅s qu'il vante : 芦 [鈥�] le fignolage de la phrase violente, l'effet subit, la fin qui vous coupe le souffle, les phrases en capitales, la verve. Grand plaisir 禄 (28 mars 1952). Une formule lapidaire, dans son聽Journal, r茅sume bien sa pens茅e : 芦 ce qui est beau n'est jamais lent 禄 (24 octobre 1971).

L'obstacle de la langue.

脌 lire le聽Journal, on ne peut qu'锚tre frapp茅 par les difficult茅s qu'茅prouve Julien Green 脿 茅crire ses romans. Le 23 septembre 1932, il se d茅charge le coeur : 芦 J'ai des moments de doute qui me ravagent de tristesse. Il y a vraiment trop loin de ce que j'茅cris 脿 ce que j'aurais voulu 茅crire. 禄 Le 8 septembre 1938, on per莽oit les m锚mes accents de lassitude : 芦 Les mots qu'il faut mettre en rang comme de vieux chiens savants, fatigu茅s des tours qu'on exige de leur bonne volont茅... 禄 Le 6 f茅vrier 1970, il dit avoir v茅cu 芦 une journ茅e de d茅couragement 禄 脿 relire les 茅preuves de聽Si j'茅tais vous鈥�聽Pour illustrer sa peine, Green va m锚me jusqu'脿 茅voquer une fois, 脿 demi-mots, la figure de Sisyphe : 芦 J'en suis 脿 la page 177. Ce roman [脡辫补惫别蝉], je le vois comme une masse qu'il faut sans cesse arr锚ter 脿 mi-chemin d'une pente, redresser, emp锚cher qu'elle ne glisse et ne d茅vie... 禄 (12 ao没t 1931).

Si 茅crire un roman consiste 脿 se laisser 芦 entra卯ner 禄 par des personnages autonomes, d'o霉 viennent ce labeur et cette affliction? Il faut noter, avant tout, que l'acte de vision peut 锚tre laborieux, et m锚me impossible, quand les images ne se pr茅sentent pas 脿 l'茅crivain avec toute la nettet茅 souhaitable. Ce probl猫me a souvent entrav茅 Julien Green, qui dit avoir tour 脿 tout perdu et retrouv茅, au fil des ans, le 芦 don du romancier [51] 禄 : 芦 J'茅cris mes romans quand je me sens pouss茅 脿 le faire, et quand je ne vois rien, comme maintenant, depuis des semaines, je souffre, mais je n'茅cris pas 禄 (12 octobre 1959).

Mais un autre obstacle s'av猫re encore plus imposant : la langue. La vision a beau 锚tre pr茅gnante, les d茅fauts de ce moyen d'expression sont tels que le romancier peine 脿 la coucher par 茅crit. Julien Green nie avec force la maxime de Boileau : 芦 Ce que l'on con莽oit bien s'茅nonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent ais茅ment [52] 禄; et il affirme pour sa part : 芦 Quand ma pens茅e bondit, ma parole tr茅buche 禄 (18 juin 1941).

Cette difficult茅 n'est pas d'ordre personnel. Selon Julien Green, la langue pose deux difficult茅s majeures auxquelles tout romancier doit faire face. D'abord, elle est tra卯tresse. Green 茅crit que certaines phrases lui paraissent 芦 suspectes parce que trop bien venues 禄 (15 ao没t 1944). Il se dit m茅fiant du 芦 pi猫ge des mots, [du] d茅terminisme cr茅茅 par les phrases qui appellent d'autres phrases 禄 (26 mars 1944). En effet, si le vrai romancier se laisse entra卯ner par ses personnages, il doit, en revanche, r茅sister sans cesse 脿 la pente o霉 les mots menacent de le faire glisser. Autrement, il tombe dans la facilit茅, dans la formule toute faite, et il d茅nature sa vision. Un d茅veloppement, dans le聽Journal, rend bien cette id茅e :

Les mots, quelquefois, s'assemblent comme d'eux-m锚mes聽et forment des images qui peuvent avoir un certain air de v茅rit茅 auquel le mauvais 茅crivain et le lecteur inattentif se laissent prendre.听La v茅rit茅 de vision demande un effort beaucoup plus rude, une esp猫ce de don de soi (22 octobre 1931) [53].听Mais, m锚me si l'茅crivain exerce une constate vigilance 脿 l'茅gard de la langue, celle-ci s'av猫re trop lourde et rigide pour exprimer fid猫lement sa vision. Ce triste constat revient souvent dans l'oeuvre de Julien Green : 芦 J'essaie d'茅crire, mais j'ai l'impression curieuse que les mots me ha茂ssent et que je les assemble de force 禄 (23 septembre 1932); 芦 La langue et la plume sont toujours en retard sur l'esprit 禄 (4 juillet 1943).

Un instrument aussi imparfait doit bien s没r n'锚tre employ茅 qu'avec la plus grande retenue. Il faut en limiter les d茅g芒ts. Ainsi, Green juge qu'il faut mettre la langue enti猫rement au service de la mati猫re, de sorte qu'elle s'interpose le moins possible entre celle-ci et le lecteur. Il s'agit d'芦听humilier le style聽et [de] faire en sorte que le sujet se d茅fende tout seul [54] 禄.听Plus concr猫tement, ce principe consiste 脿 rechercher par-dessus tout la simplicit茅 et la pr茅cision des termes [55], de mani猫re 脿 conf茅rer aux phrases toute la l茅g猫ret茅 d'un 芦 souffle 禄 (6 ao没t 1931). La langue du romancier ne doit surtout pas sentir la contrainte. Un style trop recherch茅 pr茅sente une multitude de petits obstacles qui retiennent le lecteur et l'emp锚chent de se laisser transporter par le r茅cit. Julien Green n'a que du d茅dain pour 芦 les livres o霉 les mots donnent l'impression d'avoir 茅t茅 tir茅s du cerveau de l'auteur, un 脿 un, comme les sous d'un porte-monnaie d'avare 禄 (15 janvier 1929) [56].

Certains 茅crivains, comme Rousseau et Duguet, atteignent parfois l'id茅al de Green. Leur style, 芦 fluide, rapide et facile 禄, 芦 pur et coulant [57] 禄, ne fait pas obstacle. D'autres auteurs c茅l猫bres n'ont pas la main aussi heureuse. Flaubert, par exemple :

[鈥�] le plus souvent le style, le fameux style de Flaubert聽se place comme un 茅cran entre le sujet et l'茅motion que ce sujet doit produire, un 茅cran magnifique, j'en conviens, un 茅cran tout h茅riss茅 de joyaux (23 octobre 1931) [58].

Sur la question du style, Julien Green semble 茅voluer quelque peu dans les ann茅es 1950. Il 茅crit, dans son聽Journal聽: 芦 Jadis, j'admirais cela [l'id茅e d'un style qui n'attire pas l'attention] plus qu'aujourd'hui. Il me faut un style dont la puret茅 me soit sensible 脿 tout moment et聽je ne veux pas d'un style invisible聽[59] 禄 (28 novembre 1955). Toutefois, cette 茅volution ne para卯t gu猫re substantielle. C'est 脿 la m锚me 茅poque, je le rappelle, que Green vante le style 芦 facile 禄 et 芦 coulant 禄 de Rousseau et de Duguet, qui permet au lecteur de s'immerger dans le sujet. Et le r么le primordial de la langue, pour lui, demeure le m锚me : serrer d'aussi pr猫s que possible la vision du romancier. Une langue qui remplit ces conditions est聽transparente, mais elle n'est pas聽invisible, car sa fid茅lit茅 脿 la vision sous-jacente a, en elle-m锚me, une valeur esth茅tique. 芦 La beaut茅, c'est la pr茅cision, l'exactitude des termes 禄 (17 septembre 1956) [60].

De m锚me que la langue doit se faire aussi transparente que possible, ainsi elle doit peindre聽au premier degr茅聽la vision du romancier, sans s'茅lever dans l'analyse et l'abstraction. Ce principe explique une r茅serve qu'茅met Julien Green 脿 l'茅gard de la litt茅rature classique : le fran莽ais du temps de Montaigne, 茅crit-il, 芦 n'avait pas cette tendance vers l'abstrait qu'elle doit au XVIIe si猫cle et qui l'a, je crois, d茅natur茅e 禄 (20 septembre 1950) [61]. On comprend aussi pourquoi Green reproche 脿 bien des romanciers leur recours aux explications psychologiques, qui sollicitent l'entendement du lecteur au lieu de livrer directement un objet 脿 son regard. Ces d茅veloppements abstraits 芦 encombrent 禄 le r茅cit (4 mai 1931), un peu comme de 芦 tr猫s gros meubles 禄 laiss茅s en plan par l'茅crivain, et que le lecteur est forc茅 de 芦 d茅m茅nager 禄 pour y voir clair (12 mars 1949).

Pour conclure ce tour d'horizon, il reste 脿 souligner l'unit茅 du discours de Julien Green. Dans son聽Journal, celui-ci observe chez bien des 茅crivains une tendance 脿 gommer leurs palinodies pour donner 脿 leur oeuvre un semblant de coh茅rence. Green n'est pas le moindrement tent茅 par ce genre de coquetterie. 芦 J'ai vari茅, je varierai encore 禄, d茅clare-t-il franchement, le 5 f茅vrier 1939. Sans ignorer les 茅volutions qui se font jour dans son oeuvre critique 鈥� notamment sur la part de p茅ch茅 dans la cr茅ation romanesque 鈥�, il faut n茅anmoins reconna卯tre que Green a tenu des propos largement coh茅rents sur son art. Certains 茅l茅ments en ressortent avec une force particuli猫re et apparaissent comme des constantes. 1) Au moyen de son don de vision, le romancier explore les profondeurs de son 芒me p茅cheresse; l脿, il d茅couvre la mati猫re de son oeuvre. 2) Le romancier ne cr茅e pas son oeuvre d茅lib茅r茅ment : il doit observer, dans le th茅芒tre de son inconscient, des personnages dou茅s d'une vie autonome, et se laisser conduire par eux de surprise en surprise. 3) Le romancier doit peindre fid猫lement cette vision, mais le seul instrument dont il dispose, le langage, tend 脿 la d茅former. Pour rem茅dier 脿 cette d茅faillance, il 茅crit dans une langue simple, pr茅cise, concr猫te, qui forme un 茅cran aussi transparent que possible entre la vision et le lecteur.

Ces observations font appara卯tre 脿 quel point le romancier, tel que le con莽oit Julien Green, est une figure singuli猫re. En plus de r茅unir des dons exceptionnels, il est pr锚t 脿 scruter l'芒me humaine dans ses zones les plus sordides, 脿 voisiner avec le p茅ch茅, 脿 se laisser rudoyer par ses personnages, 脿 lutter contre la langue r茅calcitrante; bref, 脿 s'infliger une multitude de peines pour accomplir et relater fid猫lement son sombre voyage. Dans de pareilles circonstances, comment se trouve-t-il des gens pour prendre la plume? La r茅ponse 脿 cette question demeure floue. Dans l'obscurit茅 quant 脿 sa propre condition, le romancier suit tout simplement un mouvement int茅rieur. Il s'imagine, sans bien comprendre pourquoi, qu'il 芦 n'est cr茅茅 que pour cr茅er lui-m锚me 禄, et que 芦 ce serait m锚me un tr猫s grand p茅ch茅 que de ne pas 茅crire 禄 (20 f茅vrier 1945).鈥�

Notes聽(Voir, plus bas, les r茅f茅rences compl猫tes) :

[1] J. Charpentier, 芦 Revue de la Quinzaine. Les Romans 禄, p. 170.
[2] F. Lef猫vre, 芦 Une heure avec Julien Green romancier 禄, p. 1024.
摆3闭听Ibid.
[4] Sur cette p茅riode critique dans l'histoire du roman, voir notamment M. Raimond,听La Crise du roman, des lendemains du Naturalisme aux ann茅es vingt.
[5] F. Lef猫vre, 芦 Une heure avec Julien Green romancier 禄, p. 1025.
[6] Les dates indiqu茅es entre parenth猫ses 脿 la suite de citations se rapportent au聽Journal聽de Julien Green. Voir, dans la bibliographie, les divers volumes du聽Journal聽et les ann茅es qu'ils couvrent respectivement.
[7] J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1469. D茅j脿 en 1932, il affirmait : 芦 Je crois 脿 la litt茅rature comme 脿 quelque chose qui porte en soi son existence et sa valeur. 禄 Voir sur ce point P. Bost, 芦 Les 茅crivains et la politique : Julien Green 禄, p. 1282.
[8] G. Duhamel,听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier, p. 181.
[9] Voir sur ce point le Journal 脿 la date du 27 mars 1941. Green y raconte comment, dans son cours sur le roman, il a affirm茅 脿 la surprise de ses 茅l猫ves qu'un romancier 茅crit sans 芦 r猫gle 禄 ni 芦 recette 禄.
[10] Souvent, ces chercheurs ont fait appel aux 茅crits critiques de Green pour 茅clairer son oeuvre romanesque. Voir par exemple J. Petit,听Julien Green, 芦 l'homme qui venait d'ailleurs 禄, M. Eigeldinger,听Julien Green et la tentation de l'irr茅el, A. Tamuly,听Julien Green 脿 la recherche du r茅el, P. Brodin,听Julien Green. Aucun, toutefois, ne semble avoir abord茅 ces 茅crits comme un tout autonome, sauf J. Uijterwaal dans聽Julien Green. Personnalit茅 et cr茅ation romanesque聽(voir en particulier les pages 134-152), qui se penche essentiellement sur les passages du聽Journal聽touchant 脿 la litt茅rature. Tous ces ouvrages sont anciens : les 茅tudes litt茅raires semblent s'int茅resser assez peu, de nos jours, 脿 l'oeuvre greenienne, si l'on en excepte la part autobiographique, laquelle suscite davantage de travaux.
[11] J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1460.
[12] Green emploie lui-m锚me ce terme de psychanalyse : voir notamment son interview de 1971 avec J. Chalon, 芦 脌 l'occasion de la publication de聽L'Autre, Julien Green a d茅fini le credo du bon romancier : 鈥淔ais ce que tu crois, advienne que pourra鈥� 禄, p. 1525.
[13] J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1470.
摆14闭听Ibid.
[15] Je souligne. On trouve de fr茅quentes allusions 脿 ce principe dans l'oeuvre de Green. Voir notamment le聽Journal聽脿 la date du 30 mars 1933 et 芦 Le m茅tier de romancier 禄, p. 1418.
[16] L'id茅e que la facult茅 de vision constitue le 芦 don du romancier 禄 revient 脿 plus d'une reprise dans l'oeuvre de Green. Voir notamment le聽Journal聽脿 la date du 16 octobre 1949 et 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1464 et 1468.
[17] Le roman en question s'intitule聽Le Visionnaire听(1934).
[18] J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1465. Dans 芦 Un commentaire in茅dit 禄, Julien Green pr茅sente l'茅tat dans lequel le romancier cr茅e son oeuvre comme une sorte de 芦 sommeil 禄 (p. 1431). Ailleurs, comme une hallucination (voir le聽Journal, 1er juillet 1991).
[19] J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1464.
[20] Green 茅crit en effet dans son聽Journal, le 1er f茅vrier 1945, que si le romancier 芦 ne subit pas lui-m锚me l'envo没tement de cette chose monstrueuse qui sort de son cerveau 鈥� car le roman est un monstre 鈥� il n'茅crit plus de romans, il en fabrique 禄.
[21] 芦 Le d茅sir est la source impure d'o霉 l'on tire parfois des romans sombres et po茅tiques, et si l'on essaie de purifier la source, plus de romans 禄 Voir le聽Journal, 15 juillet 1946.
[22] G. Picon 茅crit, par exemple, que l'oeuvre greenienne d茅gage 芦 un sentiment m茅taphysique d'茅touffement, d'irr茅alit茅, de malaise, aux couleurs de la plus personnelle obsession 禄 (芦 Julien Green 禄, p. 1343).
[23] F. Mauriac,听Dieu et Mammon, p. 820. Mauriac 茅crit : 芦 Le plus humble pr锚tre me dira, apr猫s Maritain : 鈥淪oyez pur, devenez pur, et votre oeuvre aussi refl茅tera le ciel. Purifiez d'abord la source鈥︹�� 禄. Green cite ce mot dans son聽Journal聽notamment aux dates suivantes : 15 juillet 1946, 19 f茅vrier 1948, 21 mai 1948, 3 mai 1954.
[24] J. Green,听Partir avant le jour, p. 838.
[25] Voir notamment le聽Journal聽脿 la date du 14 f茅vrier 1931 et les entretiens suivants : F. Lef猫vre, 芦 Une heure avec Julien Green romancier 禄, p. 1023; M. Dard, 芦 Visites. M. Julien Green 禄, p. 1027, Christian Melchior-Bonnet, 芦 Courrier des lettres : avec Julien Green 禄, p. 1289.
[26] Voir aussi J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1465-1466, o霉 l'auteur tient un propos similaire : 芦 [L'茅crivain] a les yeux baiss茅s et il 茅crit, mais il regarde, sachez-le bien, ou alors ce n'est pas un vrai romancier. S'il est paresseux, son attention se rel芒chera tr猫s vite et alors, au lieu de regarder, il inventera ce qu'il n'est plus en 茅tat de voir, il se mettra 脿 mentir. 禄
[27] Le m锚me mot revient dans J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1466.
[28] 芦 [鈥�] les pr茅ceptes 茅nonc茅s par Flaubert sur la mani猫re d'茅crire un roman ne me paraissent pas toujours bons. Que devient non pas l'inspiration, mais la simple invention dans un livre o霉 le moindre fait doit trouver sa contrepartie dans la vie r茅elle, dans l'exp茅rience personnelle de l'auteur? 禄 (5 f茅vrier 1933).
[29] 芦 Il va de soi que le romancier qui se soumet 脿 cette esp猫ce de vision int茅rieure, et qui m锚me la provoque, n'a pas beaucoup de rapports avec le romancier issu de l'茅cole naturaliste et qui, lui, se propose de prendre le monde tel qu'il le voit autour de lui. 禄 J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1461-1462.
摆30闭听Ibid., p. 1463, 1464, 1466.
摆31闭听Ibid., p. 1463.
[32] 芦 Les Fran莽ais [鈥�] sont trop intelligents pour croire aux histoires qu'ils racontent; ils sont toujours pr锚ts 脿 faire au lecteur sceptique un clin d'oeil de connivence, de nos jours surtout, comme pour lui dire 鈥淣ous savons bien, n'est-ce pas, que cela n'est pas vrai!鈥� 禄 (29 d茅cembre 1947).
[33] J. Chalon, 芦 脌 l'occasion de la publication de聽L'Autre, Julien Green a d茅fini le credo du bon romancier : 鈥淔ais ce que tu crois, advienne que pourra鈥� 禄, p. 1525. Voir aussi J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1471, ainsi que deux entretiens, l'un de 1951 : D. Marion, 芦 Avec Julien Green 禄, p. 1506; l'autre de 1967 : G. Rolin, 芦 Julien Green entre Journal et Roman 禄, p. 1524.
[34] J. Chalon, 芦 脌 l'occasion de la publication de聽L'Autre, Julien Green a d茅fini le credo du bon romancier : 鈥淔ais ce que tu crois, advienne que pourra鈥� 禄, p. 1525.
[35] J. Green, 芦 Le m茅tier de romancier 禄, p. 1424. Je souligne.
[36] L'expression revient souvent dans l'oeuvre de J. Green. Voir notamment 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1462.
[37] 芦 Il faut qu'il [le romancier dont l'attention est distraite] recommence, qu'il biffe cette phrase. Le personnage n'a pas dit cela, n'a pas fait ce geste. L'auteur a mal vu, mal entendu. 禄 Voir J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1466.
[38] J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1466-1467. Voir aussi l'entretien avec S. Lannes, 芦 La passion du bonheur 禄, p. 1531 : 芦 Je suis le spectateur de ce que j'茅cris. C'est, je ne dirai pas l'objet du hasard, parce que je crois que c'est le contraire du hasard. 禄
[39] Voir, sur la question du plan d茅taill茅, J. Green, 芦 Le m茅tier de romancier 禄, p. 1424.
[40] 芦 Ce qui est frappant dans les livres que j'ai 茅crits sans savoir o霉 j'allais, c'est qu'ils sont compos茅s m茅thodiquement comme s'ils ob茅issaient 脿 un plan pr茅cis; c'est le subconscient qui menait le jeu. 禄 Voir P. Vannini, 芦 Julien Green : l'histoire d'un sudiste 禄, p. 1724. Voir aussi le聽Journal聽脿 la date du 12 octobre 1959 : 芦 C'est l'inconscient qui 茅crit mes livres 禄.
[41] J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1470.
[42] J. Green 茅crit dans son聽Journal, le 27 mai 1950, qu'il 芦 vien[t] de lire pour la premi猫re fois un roman de Dosto茂evski 禄. Pourquoi si tard? 芦 Je me m茅fiais de lui, instinctivement [鈥�] Aujourd'hui, il m'appara卯t clairement que je craignais qu'il ne me g锚n芒t. 禄 Cette crainte s'explique bien quand on se rappelle 脿 quel point il est crucial, pour Green, que la vision soit pure, c'est-脿-dire d茅pourvue d'apports externes.
[43] J. Green, 芦 La passion du bonheur 禄, p. 1531.
[44] 芦 Tout ce qui leur arrive [脿 mes personnages] est pour moi une surprise. 禄 Voir M. Dard, 芦 Visites. M. Julien Green 禄, p. 1027.
[45] J. Green, 芦 Le m茅tier de romancier 禄, p. 1423.
[46] R. Bourget-Pailleron, 芦 La nouvelle 茅quipe. III. [鈥�] Julien Green 禄, p. 1286. Je souligne.
[47] J. Barois, 芦 Le romancier Julien Green a vu en Am茅rique Williamsburg, ville du XVIIIe si猫cle, ressuscit茅e par la fantaisie de Rockefeller 禄, p. 1282.
[48] Je souligne.
[49] Voir par exemple les quelques lignes consacr茅es 脿 un tableau de Manet, dans le聽Journal, 脿 la date du 24 juin 1932.
[50] 芦 J'ai vu g芒ter d'excellents livres par la fa莽on dont l'auteur s'acharnait 脿 la correction du d茅tail; il en r茅sultait des ouvrages o霉 tout ce qui vit et palpite dans les pages de premier jet, mourait sous une esp猫ce de glacis. 禄 J. Green, 芦 Comment j'ai 茅crit聽Le Visionnaire聽禄, p. 1390.
[51] J. Green, 芦 Gen猫se du roman 禄, p. 1464.
[52] 芦 鈥淐e qui se con莽oit bien...鈥� Oh, comme cela est faux! 禄 (8 septembre 1938).
[53] Je souligne.
[54] F. Lef猫vre, 芦 Une heure avec Julien Green romancier 禄, p. 1024. Je souligne.
[55] 芦 Le beau style, [m'a dit un jour Julien Green], ne serait-ce pas d'appliquer le mot juste de la fa莽on la plus simple? 禄 Voir A. Rousseaux, 芦 Silhouettes. M. Julien Green 禄, p. 1028.
[56] Voir aussi ce que Green dit du style de Claudel : 芦 Claudel pousse ses lourdes phrases comme un bouvier ses boeufs, mais ce n'est pas un vain exercice. Les boeufs ont beaucoup 脿 dire 禄 (7 janvier 1981).
[57] Ces citations du聽Journal聽se rapportent respectivement 脿 Rousseau (10 janvier 1974) et 脿 Duguet (15 d茅cembre 1955).
[58] Je souligne.
[59] Je souligne.
[60] Voir aussi une remarque similaire dans le聽Journal聽(3 mars 1976) : 芦 Chez [Thomas De Quincey], la beaut茅 de la langue tient 脿 sa pr茅cision, 脿 l'infaillible propri茅t茅 des termes qu'il emploie. 禄 Voir aussi la note 55 du pr茅sent travail.
[61] Voir aussi, dans le聽Journal聽(27 juin 1935), un passage sur la litt茅rature populaire de la Renaissance, 芦 si vive, si alerte et souvent si humaine 禄, qui a 茅t茅 芦 contrari茅e 禄 par la 芦 litt茅rature de cour 禄 au XVIIe si猫cle.

Bibliographie :

Journal de Julien Green (dans l'ordre chronologique) :

• GREEN, Julien.听Les Ann茅es faciles (1926-1934), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 3-354.
• GREEN, Julien.听Derniers Beaux Jours (1935-1939), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 355-516.
• GREEN, Julien.听Devant la porte sombre (1940-1942), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 517-698.
• GREEN, Julien.听L'艗il de l'ouragan (1943-1945), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 699-884.
• GREEN, Julien.听Le Revenant (1946-1950), dans聽艗uvres compl猫tes IV,聽Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 885-1148.
• GREEN, Julien.听Le Miroir int茅rieur (1950-1954), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 1149-1381.
• GREEN, Julien.听Le Bel Aujourd'hui [D茅but] (1955), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 1383-1471.
• GREEN, Julien.听Le Bel Aujourd'hui [Suite] (1956-1957), dans聽艗uvres compl猫tes V, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1977, p. 3-121.
• GREEN, Julien.听Vers l'invisible (1958-1966), dans聽艗uvres compl猫tes V, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1977, p. 123-415.
• GREEN, Julien.听Ce qui reste de jour (1966-1972), dans聽艗uvres compl猫tes V,聽Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1977, p. 417-644.
• GREEN, Julien.听La Bouteille 脿 la mer (1972-1976), dans聽艗uvres compl猫tes VI, Xavier Galmiche, Giovanni Lucera, Gilles Siouffi et Damien Vorreux (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1990, p. 23-291.
• GREEN, Julien.听La Terre est si belle鈥� (1976-1978), dans聽艗uvres compl猫tes VI, Xavier Galmiche, Giovanni Lucera, Gilles Siouffi et Damien Vorreux (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1990, p. 293-523.
• GREEN, Julien.听La Lumi猫re du monde (1978-1981), dans聽艗uvres compl猫tes VI, Xavier Galmiche, Giovanni Lucera, Gilles Siouffi et Damien Vorreux (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1990, p. 525-778.
• GREEN, Julien.听L'Avenir n'est 脿 personne (1990-1992), Paris, Fayard, 1993.

Autres oeuvres de Julien Green :

• GREEN, Julien. 芦 Comment j'ai 茅crit Le Visionnaire 禄, dans聽艗uvres compl猫tes II, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1389-1392.
• GREEN, Julien. 芦 Gen猫se du roman 禄, dans聽艗uvres compl猫tes III, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1458-1473.
• GREEN, Julien. 芦 Le m茅tier de romancier 禄, dans聽艗uvres compl猫tes III, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1414-1430.
• GREEN, Julien. 芦 Un commentaire in茅dit 禄, dans聽艗uvres compl猫tes II, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1429-1431.
• GREEN, Julien.听Partir avant le jour, dans聽艗uvres compl猫tes V, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1977, p. 647.

Entretiens avec Julien Green :

• BAROIS, Jean. 芦 Le romancier Julien Green a vu en Am茅rique Williamsburg, ville du XVIIIe si猫cle, ressuscit茅e par la fantaisie de Rockefeller 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes II, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1282-1283.
• BOST, Pierre. 芦 Les 茅crivains et la politique : Julien Green 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes II,聽Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1281-1282.
• BOURGET-PAILLERON, Robert. 芦 La nouvelle 茅quipe. III. [鈥�] Julien Green 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes II, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1286-1287.
• CHALON, Jean. 芦 脌 l'occasion de la publication de L'Autre, Julien Green a d茅fini le credo du bon romancier : 鈥淔ais ce que tu crois, advienne que pourra鈥� 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes III,聽Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1414-1430.
• DARD, Michel. 芦 Visites. M. Julien Green 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes I, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1972, p. 1026-1027.
• LANNES, Sophie. 芦 La passion du bonheur 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes VI, Xavier Galmiche, Giovanni Lucera, Gilles Siouffi et Damien Vorreux (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1990, p. 1523-1539.
• LEF脠VRE, Fr茅d茅ric. 芦 Une heure avec Julien Green romancier 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes I,听Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1972, p. 1022-1026.
• MARION, Denis. 芦 Avec Julien Green 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes III, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1506.
• ROLIN, Gabrielle. 芦 Julien Green entre Journal et Roman 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes III, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1524.
• ROUSSEAUX, Andr茅. 芦 Silhouettes. M. Julien Green 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes I,聽Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1972, p. 1028.
• VANNINI, Philippe. 芦 Julien Green : l'histoire d'un sudiste 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes VII, Mich猫le Raclot et Giovanni Lucera, (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1994, p. 1716-1727.

Autres sources :

• BRODIN, Pierre.听Julien Green, Paris, 脡ditions universitaires, 1963.
• CHARPENTIER, John. 芦 Revue de la Quinzaine. Les Romans 禄,听Mercure de France, no 742, 1929, p. 166-171.
• DUHAMEL, Georges.听D茅fense des lettres. Biologie de mon m茅tier,聽Paris, Mercure de France, 1937.
• EIGELDINGER, Marc.听Julien Green et la tentation de l'irr茅el, Paris, 脡ditions des Portes de France, 1947.
• MAURIAC, Fran莽ois.听Dieu et Mammon, dans聽艗uvres romanesques et th茅芒trales compl猫tes, t. II, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1979, p. 775-831.
• PETIT, Jacques.听Julien Green, 芦 l'homme qui venait d'ailleurs 禄, Paris, Descl茅e De Brouwer, 1969.
• PICON, Ga茅tan. 芦 Julien Green 禄, dans Raymond Queneau (dir.),听Histoire des litt茅ratures, t. III, Paris, Gallimard, coll. 芦 Encyclop茅die de la Pl茅iade 禄, 1967, p. 1342-1343.
• TAMULY, Annette.听Julien Green 脿 la recherche du r茅el, Sherbrooke, Naaman, 1976.
• UIJTERWAAL, Johannes.听Julien Green. Personnalit茅 et cr茅ation romanesque, Assen, Van Gorcum et Cie, 1968.

On trouvera ci-dessous, dans l'ordre chronologique, un floril猫ge de citations mettant en lumi猫re la conception du roman de Julien Green.

GREEN, Julien. 芦 La seconde mort de Lord Byron 禄, dans聽艗uvres compl猫tes I, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1972, p. 1007-1009.

DIVERS.听芦 Appendice II. Documents 禄 dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes I, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1972, p. 1019-1032.

GREEN, Julien.听Les Ann茅es faciles (1926-1934), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 3-354.

GREEN, Julien. 芦 Comment j'ai 茅crit Le Visionnaire 禄, dans聽艗uvres compl猫tes II, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1389-1392.

GREEN, Julien. 芦 Un commentaire in茅dit 禄, dans聽艗uvres compl猫tes II, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1429-1431.

DIVERS. 芦 Appendice IV. Documents 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes II, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1156-1158.

GREEN, Julien.听Derniers Beaux Jours (1935-1939), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 355-516.

GREEN, Julien.听芦 Le m茅tier de romancier 禄, dans聽艗uvres compl猫tes III, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1414-1430.

GREEN, Julien.听Devant la porte sombre (1940-1942), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 517-698.

GREEN, Julien.听L'艗il de l'ouragan (1943-1945), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 699-884.

GREEN, Julien.听芦 La philosophie de l'escalier 禄, dans聽艗uvres compl猫tes II, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1146-1148.

GREEN, Julien.听芦 Avant-propos 禄, dans聽艗uvres compl猫tes II, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1526-1527.

GREEN, Julien. 芦 La honte 禄, dans聽艗uvres compl猫tes II, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1156-1158.

GREEN, Julien.听Le Revenant (1946-1950), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 885-1148.

GREEN, Julien.听芦 Gen猫se du roman 禄, dans聽艗uvres compl猫tes III, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1458-1473.

DIVERS.听芦 Appendice V. Documents 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes III, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1973, p. 1503-1528.

GREEN, Julien.听Le Miroir int茅rieur (1950-1954), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 1149-1381.

GREEN, Julien.听Le Bel Aujourd'hui [D茅but] (1955), dans聽艗uvres compl猫tes IV, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1975, p. 1383-1471.

GREEN, Julien.听Le Bel Aujourd'hui [Suite] (1956-1957), dans聽艗uvres compl猫tes V, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1977, p. 3-121.

GREEN, Julien.听Vers l'invisible (1958-1966), dans聽艗uvres compl猫tes V, Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1977, p. 123-415.

GREEN, Julien.听Ce qui reste de jour (1966-1972), dans聽艗uvres compl猫tes V,聽Jacques Petit (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1977, p. 417-644.

GREEN, Julien.听La Bouteille 脿 la mer (1972-1976), dans聽艗uvres compl猫tes VI, Xavier Galmiche, Giovanni Lucera, Gilles Siouffi et Damien Vorreux (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1990, p. 23-291.

GREEN, Julien.听La Terre est si belle鈥� (1976-1978), dans聽艗uvres compl猫tes VI, Xavier Galmiche, Giovanni Lucera, Gilles Siouffi et Damien Vorreux (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1990, p. 293-523.

GREEN, Julien.听La Lumi猫re du monde (1978-1981), dans聽艗uvres compl猫tes VI, Xavier Galmiche, Giovanni Lucera, Gilles Siouffi et Damien Vorreux (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1990, p. 525-778.

LANNES, Sophie.听芦 La passion du bonheur 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes VI, Xavier Galmiche, Giovanni Lucera, Gilles Siouffi et Damien Vorreux (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1990, p. 1523-1539.

GREEN, Julien.听L'Avenir n'est 脿 personne (1990-1992), Paris, Fayard, 1993.

VANNINI, Philippe. 芦 Julien Green : l'histoire d'un sudiste 禄, dans Julien Green,听艗uvres compl猫tes VII, Mich猫le Raclot et Giovanni Lucera, (茅d.), Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1994, p. 1716-1727.

Texte paru en 1924.

芦 J'ai connu des personnes dont l'esprit et le coeur me semblaient fauss茅s parce qu'elles se moquaient de ces fleurs d茅color茅es qu'on trouve parfois dans les livres; mais ces fleurs ne me font pas rire. Elles 茅taient belles lorsqu'elles 茅taient vivantes; mortes, elles se parent d'une gr芒ce 茅trange; elles ont perdu couleur et parfum, mais elles font encore songer 脿 la beaut茅. On trouve de ces fleurs dans Byron. 禄 (p. 1009)

Ci-dessous, des extraits d'entretiens publi茅s de 1927 脿 1930.听

[Propos rapport茅s par Fr茅d茅ric Lef猫vre (1927)].
芦 J'ai 茅crit聽惭辞苍迟-颁颈苍猫谤别聽pour voir, comme on dit, et avec la certitude que personne n'en voudrait.听J'avais d'abord compos茅 un plan bien sagement. Mon intention premi猫re 茅tait de faire de聽惭辞苍迟-颁颈苍猫谤别聽un roman d'amour. Mais, bient么t, j'abandonnai mon plan.听Il faut que j'invente au fur et 脿 mesure et que j'茅crive sans aucune pr茅m茅ditation. Mon vrai travail ne commence qu'au moment o霉 je m'assois 脿 ma table de travail. 禄 (p. 1022-1023)

芦 Le roman que j'茅cris est pour moi la grande r茅alit茅 mais, quand il est fini, j'oublie compl猫tement les personnages auxquels j'ai donn茅 la vie.听J'ai une tendance 脿 imaginer ce qui est le plus contraire 脿 moi. Ce qui n'est pas imagin茅 n'a pas de valeur pour moi et je ne pourrais m锚me pas raconter un accident que j'aurais vu... 禄 (p. 1023)

芦 Le roman objectif, c'est le roman d'o霉 le moi est chass茅. On nous dit que le moi est ha茂ssable et, d'autre part, que le style c'est l'homme m锚me. Je pense ne pas faire violence 脿 ces deux maximes en les rapprochant pour en tirer une troisi猫me v茅rit茅 qui est que, dans un certain genre de roman, le style est ha茂ssable. J'entends par style une certaine mani猫re de dire les choses par laquelle l'auteur se peint lui-m锚me, m锚me lorsqu'il ne parle pas 脿 la premi猫re personne. Le style qui accroche l'oeil ne vaut rien, me semble-t-il, pour le roman objectif, parce que le style c'est l'auteur et qu'on ne doit pas songer 脿 l'auteur dans un livre de ce genre. Il faut donc humilier le style et faire en sorte que le sujet se d茅fende tout seul. Que le lecteur soit donc toujours en pr茅sence d'un fait, non d'une phrase. Il va de soi que cette r猫gle ne peut s'appliquer qu'脿 une certaine forme de roman, et je suis tout pr锚t 脿 convenir qu'elle n'est vraie que pour moi et qu'elle est fausse pour le reste du monde. Mais qu'elle soit vraie pour moi, cela j'en suis tout 脿 fait s没r. 禄 (p. 1024)

芦 Ce qui me surprend le plus, c'est qu'on puisse se pr茅occuper de l'avenir du roman. L'avenir du roman est l'avenir de la litt茅rature m锚me. Lorsque les hommes ne voudront plus qu'on leur raconte des histoires, il n'y aura plus de roman, mais il n'y aura plus de litt茅rature et ce jour est encore trop 茅loign茅 pour qu'il puisse nous int茅resser. 鈥淟e roman c'est la prose, et la prose c'est tout鈥�, dit L茅on Daudet. En tout cas, le roman est presque toute la prose, et la prose c'est presque tout. Il n'y a donc pas lieu de s'inqui茅ter beaucoup. Je ne crois pas 脿 l'茅volution du roman. C'est un moule excellent dont les plus grands 茅crivains n'ont jamais paru se lasser. Prenez聽Tristan et Iseult. Si, par roman on entend l'茅tude d'un caract猫re, du d茅veloppement de ce caract猫re ou d'une passion dans un r茅cit en prose entrecoup茅 de dialogues, il ne me semble pas qu'on ait beaucoup avanc茅 depuis l'oeuvre dont M. B茅dier nous a donn茅 une si parfaite adaptation.听A-t-on trouv茅 une formule plus large et qui laisse plus de libert茅 脿 l'auteur? Je ne le crois pas. On n'a pas invent茅 de m茅thode meilleure que celle qui consiste 脿 prendre une histoire par son commencement (autant que possible), 脿 pr茅senter les personnages les uns apr猫s les autres, et 脿 les faire parler.听Je n'entends pas bien ce qu'on veut dire par roman moderne. 脌 en croire certains, le roman tel qu'il est aujourd'hui est sorti du XIXe si猫cle.听脌 mon avis, le roman est 脿 peu pr猫s tel qu'il a toujours 茅t茅 et tel, sans doute, qu'il sera toujours. Mais on confond sans cesse le contenu avec le contenant.听Ensuite, le roman a pour lui de r茅unir bien des genres en un seul. Le roman le plus d茅pouill茅, le plus dur, contient plusieurs 茅l茅ments. C'est une narration qui tend au th茅芒tre. Je ne veux pas dire par l脿 que le roman ne soit que du th茅芒tre plus la narration, plus l'analyse, plus, etc. Je veux dire qu'on n'est pas romancier si l'on n'est pas, dans une certaine mesure, dramaturge, et dramaturge autant que narrateur. Personne n'est plus que moi attach茅 脿 la distinction des genres, mais je suis persuad茅 que le vrai romancier est virtuellement ma卯tre en plusieurs genres et qu'il est n茅cessaire qu'il en soit ainsi.听J'ai l'air de demander beaucoup, de rendre les choses plus difficiles encore qu'elles ne le sont d茅j脿. Cependant, et j'y reviens, c'est justement parce que le roman satisfait 脿 la fois le temp茅rament du narrateur et celui du dramaturge, entre autres, qu'il a des chances de survivre 脿 tous les autres genres. Il demande moins de sacrifices que le th茅芒tre, aussi a-t-il plus d'adeptes. L'homme qui 茅crit a beaucoup de choses 脿 dire et le roman est, tout compte fait, la formule qui permet d'en dire le plus long et de la fa莽on la plus explicite. 禄 (p. 1024-1025)

[Propos rapport茅s par Andr茅 Rousseaux (1927)].
芦 Je ne songe 脿 me comparer ni 脿 Stendhal ni 脿 Balzac, vous le pensez bien. Mais si j'ai les yeux fix茅s sur un ma卯tre, c'est plut么t sur Balzac. J'aime qu'un personnage de roman 茅limine peu 脿 peu, 脿 mesure que le livre avance, tout ce qui n'est pas essentiel, qu'il devienne entier, que la passion qui l'anime s'approche de l'茅tat pur... C'est ce que je trouve chez Balzac. Le h茅ros d'un de ses romans est d'abord envelopp茅, comme il convient, dans une peinture de moeurs. Mais tout se concentre de page en page, et se r茅duit pour aboutir, en d茅finitive, 脿 l'analyse d'un cas psychologique. Voil脿, 脿 mon avis, l'exemple devant lequel il faut se placer si l'on veut suivre la tradition du roman fran莽ais. [...] Je ne veux pas refaire un livre aussi centr茅 qu'Adrienne Mesurat. Il me semble plus conforme 脿 la vie qu'un roman n'ait pas qu'un h茅ros, mais plusieurs, une famille par exemple. Je pense 脿 Tolsto茂, qui atteint ainsi une si criante vraisemblance. 禄 (p. 1026)

[Propos rapport茅s par Michel Dard (1929)].
芦 Dans聽尝茅惫颈补迟丑补苍, j'ai peint plusieurs passions et j'ai voulu que l'茅clairage leur v卯nt de droite et de gauche. Mais en r茅alit茅, il n'y a l脿 qu'une seule passion sous plusieurs formes. Ce que j'ai voulu montrer, c'est l'activit茅 de la passion humaine qui peut tout 脿 la fois le bien et le mal. 禄 (p. 1027)

芦 Je n'aper莽ois jamais 脿 l'avance le sujet de mes livres. Je me mets 脿 ma table et j'茅cris. Ce que je vois le mieux, ce sont mes personnages. [...] Je mets d'abord mes personnages aux prises avec la vie la plus commune. Puis j'invente au fur et 脿 mesure. Tout ce qui leur arrive est pour moi une surprise. Ce que j'aurais pr茅vu 脿 l'avance, je ne saurais le bien voir. Un plan tue mon livre. Pourtant, je ne prise rien tant que la composition; mais je crois qu'elle na卯t tout naturellement de l'entente quotidienne des personnages et de l'auteur. Elle est donn茅e par surcro卯t, comme le rayonnement de la chaleur. Lorsque j'ai 茅crit quelque chose, je ne puis d'ailleurs rien y changer. Un homme que j'ai repr茅sent茅 assis ne peut plus 锚tre debout pour moi. Ce que j'ai 茅crit devient d'une v茅rit茅 exclusive qui ne me laisse aucun jeu. Le r锚ve a enfin co茂ncid茅 avec la vie. 禄 (p. 1027)

[Propos rapport茅s par Andr茅 Rousseaux (1929)].
芦 Le beau style, [m'a dit un jour Julien Green], ne serait-ce pas d'appliquer le mot juste de la fa莽on la plus simple? 禄 (p. 1028)

芦 [...] M. Julien Green r茅plique qu'il ne sait pas parler de ce qu'il a vu, qu'il ne prendra jamais Paris pour cadre d'un roman parce qu'il le conna卯t trop; et s'il 茅voque toujours la province dans ses livres, ajoute-t-il, c'est qu'il n'y a jamais v茅cu, ce qui lui permet de l'imaginer. 禄 (p. 1028)

芦 [...] M. Julien Green d茅clare qu'un roman ne serait pas vivant si l'auteur n'茅tait pas surpris lui-m锚me par les actes de ses personnages. 禄 (p. 1028)

[Propos rapport茅s par Ir猫ne Briar猫s (1929)].
芦 Je ne sais jamais d'avance,听dit Julien Green, quel sera mon sujet. Vous ne trouverez, d'ailleurs, dans mes livres aucune transposition de la vie : tout y est cr茅茅 par mon imagination et rien n'est pris sur le vif. 禄 (p. 1028)

芦 J'admire qu'on puisse se servir de la r茅alit茅, la mettre, pour ainsi dire toute vive, dans un roman, et lui donner l'apparence d'une聽chose vraie; quant 脿 moi, je ne l'ai jamais pu. J'ai essay茅, mais comment vous expliquer cela? C'茅tait toujours le fait r茅el qui avait l'air faux et le fait invent茅, la fiction, qui avait l'air vrai. Aussi ai-je renonc茅 脿 cette m茅thode. J'en suis r茅duit 脿 inventer. 禄 (p. 1030)

芦 Regardez dans Dickens, tous les personnages 茅tranges ou sombres sont 茅tonnants. Tous les personnages sympathiques sont ennuyeux, fades et incolores. 禄 (p. 1032)

13 avril 1926
芦 Ce que je fais, je le fais 脿 peu pr猫s comme l'arbre fait ses fruits, avec quelque chose de son inconscience. Je ne peux rien faire qui ne me soit naturel. 禄

20 avril 1926
芦 Lecture de聽Villette, de Charlotte Bront毛. Roman pauvre d'invention et sans beaucoup de personnages, mais d'une grande richesse d'observation. L'auteur ne parle que de ce qu'il conna卯t bien. 禄

21 avril 1926
芦 Mon roman [Adrienne Mesurat] avance difficilement, mais il en a 茅t茅 de m锚me pour聽惭辞苍迟-颁颈苍猫谤别. Il m'est n茅cessaire de faire connaissance avec mes personnages avant de trouver grand plaisir 脿 茅crire ce livre. 脌 l'heure qu'il est, je n'en connais l'intrigue que dans les grandes lignes, et il y a beaucoup de d茅tails, je pourrais dire tous les d茅tails, que j'imaginerai chemin faisant. Je n'ai jamais pu suivre un plan. Chez moi, le plan tue l'imagination. 禄

22 avril 1926
芦 Admirable聽Villette, avec tes faiblesses, ton ignorance des 芒mes, tes r茅flexions na茂ves, tes personnages impossibles, combien peu de livres te valent! Combien de livres aujourd'hui donnent-ils l'impression d'un 茅crivain aussi probe et aussi volontaire, aussi r茅solument attach茅 脿 la v茅rit茅, quand m锚me cette v茅rit茅 serait la plus ingrate et la moins romanesque possible! 禄

18 mai 1926
芦 Le texte de Byron [Manfred] m'a sembl茅 d'une incroyable pauvret茅. Manfred sait tout, par cons茅quent il est d茅go没t茅 de tout et d茅fie Dieu et la nature 脿 tout propos. On n'a pas assez dit, on n'a m锚me pas dit du tout que le romantisme, o霉 l'on veut voir une sorte d'explosion de jeunesse, n'est en v茅rit茅 pas autre chose qu'une bruyante manifestation de s茅nilit茅. Ce manque de confiance dans la vie, cette horreur de soi, cela n'est pas la jeunesse et Byron fait figure d'un vieillard d茅sabus茅. Donnez-moi au contraire le XVIIe si猫cle 脿 l'芒me vigoureuse et positive, j'y reconnais la marque de la jeunesse, sa fiert茅, sa joie. 禄

5 septembre 1926
芦 J'茅cris tous les jours. La semaine derni猫re, je pensais qu'Adrienne [la protagoniste d'Adrienne Mesurat, roman que Green est en train d'茅crire] allait commettre un vol, et bien loin d'agir ainsi, elle prend sur ses 茅conomies pour fournir l'argent n茅cessaire. Je la croyais moins scrupuleuse, mais c'est qu'il lui reste plus de chemin 脿 parcourir que je ne pensais. 禄

10 octobre 1926
芦 J'en suis 脿 la page 126 de mon roman [Adrienne Mesurat] qui n'est pas pr猫s d'锚tre fini. Je ne sais plus comment arr锚ter mes personnages. 禄

5 octobre 1928
芦 Page 178 de mon roman [尝茅惫颈补迟丑补苍]. Voici la v茅rit茅 sur ce livre : je suis tous les personnages. 禄

10 octobre 1928
芦 C'est une distraction puissante que d'茅crire un roman. Tout 脿 l'heure je travaillais 脿 la page 180. Dialogue entre Mme Grosgeorge et Ang猫le, sur la route. J'ai eu de grandes difficult茅s 脿 mettre cela debout, mais pendant deux ou trois heures je n'ai pu penser qu'脿 ces deux femmes et 脿 toutes les choses d茅sagr茅ables que l'une trouvait 脿 dire 脿 l'autre. Pendant ce temps-l脿, j'ai compl猫tement oubli茅 mes soucis. 禄

11 octobre 1928
芦 Page 182. C'est une sc猫ne de th茅芒tre plut么t qu'un chapitre de roman, mais ces longs dialogues donnent de l'air, ouvrent des fen锚tres dans la masse compacte du r茅cit. Et puis il faut que le lecteur connaisse le son de la voix des personnages. 禄

27 octobre 1928
芦 Page 197. La fin de ce livre me g锚ne beaucoup. Je ne vois plus bien l'ordre des sc猫nes, l'ordre qui s'impose, mais il me semble que les personnages grandissent un peu, et c'est l脿 l'essentiel... 禄

13 novembre 1928
芦 Mon livre avance passablement. De petites circonstances naissent les personnages. Ces personnages, je d茅couvre leur caract猫re peu 脿 peu. Comme un plan me g锚nerait! 禄

12 janvier 1929
芦 Lu de M茅rim茅e quelques pages dont l'ennuyeuse perfection me lasse. Il y a des phrases dont l'auteur est trop visiblement satisfait.听Le Vase 茅trusque. Ce ton 茅l茅gant, cette ma卯trise parfaite de ses 茅motions, cette m茅fiance de tout 茅lan, cette phrase brillante et glac茅e... 禄

15 janvier 1929
芦听惭茅尘辞颈谤别蝉 d'outre-tombe. Que de fois on reconna卯t le livre dict茅! Ce style enfl茅 a la grandiloquence d'une cloche. Pourtant, j'aime mieux cela que les livres o霉 les mots donnent l'impression d'avoir 茅t茅 tir茅s du cerveau de l'auteur, un 脿 un, comme les sous d'un porte-monnaie d'avare. Mais comme Chateaubriand 茅crit lorsqu'il parle de son p猫re! Comment oublier 鈥渃ette prunelle 茅tincelante [qui] semblait se d茅tacher et venir vous frapper comme une balle鈥�? 禄

10 f茅vrier 1929
芦 Soir茅e chez Gide. Il y avait, 脿 part Robert et moi, Malraux, Schiffrin et Berl. Longue discussion que j'ai trouv茅 un peu acad茅mique sur le peu d'actualit茅 de la litt茅rature contemporaine. Mais quoi! Un livre digne de ce nom est toujours de son 茅poque par l'esprit qui l'anime. Ce ne sont pas les descriptions de chemin茅es d'usines et de femmes 脿 cheveux courts qui font qu'un livre est de 1928, mais bien ce qui fait le fond m锚me de ce livre, son inqui茅tude, son besoin de r茅volte, etc. 禄

29 octobre 1929
芦 Comme je dis 脿 Curtius les difficult茅s que j'茅prouve 脿 茅crire un roman, il me r茅pond : 鈥淰ous auriez d没 锚tre po猫te鈥�, sans savoir 脿 quel point il dit vrai. 禄

26 mars 1930
芦 Ma nouvelle avance lentement. Je ne veux pas lui donner les contours trop nets d'un r茅cit simplement 鈥渙bjectif鈥�, comme on dit maintenant. Je m'efforce, au contraire, de lui garder ce quelque chose d'ind茅termin茅 qui est propre 脿 l'adolescence. 禄

4 septembre 1930
芦 脡prouv茅 les plus grandes difficult茅s 脿 me remettre au travail. Rien de ce que j'茅cris ne me satisfait. Je me demande si je n'茅crirai pas ce roman 脿 la premi猫re personne. Cela donne au livre un accent de v茅rit茅 qui est inappr茅ciable, mais aussi que de limites impos茅es 脿 l'auteur! Il faut que le romancier soit Dieu le p猫re pour ses personnages. Ainsi il peut 脿 son aise montrer les mobiles de leurs actions. Mais si c'est un des personnages qui raconte l'histoire et qu'il ait l'air de savoir tout ce qui se passe dans l'esprit des autres, cela tourne au proc茅d茅 et l'illusion est bient么t d茅truite. 禄

Sans date聽(p. 76)
芦 La plus dangereuse tentation pour le romancier est d'attaquer son livre sur les points de moindre r茅sistance, et cette tentation ne le quitte jamais. Il y a toujours, en effet, une sc猫ne plus facile 脿 茅crire qu'une autre; celle-l脿, il faut l'茅viter. Il y a toujours une phrase qui se balance toute pr锚te au bout de la plume et qu'il faut 脿 tout prix 茅carter. Redouter que l'encre ne coule d'elle-m锚me. 禄

Sans date聽(p. 76)
芦 C'est lorsqu'un sujet para卯t facile qu'il est, presque toujours, le plus difficile 脿 traiter, car il faut une patience infinie pour le sauver de la banalit茅. 脌 ce propos, je me souviens que Val茅ry disait 脿 peu pr猫s : 鈥淐e qui m'emp锚cherait de faire un roman, ce serait d'avoir 脿 茅crire : 鈥楲a comtesse entra et s'assit'.鈥� De toute 茅vidence, il a mis le doigt sur une des difficult茅s majeures. Mais 鈥渓a comtesse entra et s'assis鈥� est une phrase 脿 laquelle on peut donner en la pla莽ant o霉 il faut une pl茅nitude admirable, un son dramatique, que sais-je la beaut茅 d'un beau vers. Il n'en reste pas moins vrai que tout ce qui entre dans le domaine des portes qu'on ouvre, des lettres qu'on remet, des escaliers qu'on descend, pr茅sente 脿 l'茅crivain scrupuleux des soucis in茅narrables. Oh! bienheureux gens de th茅芒tre! 禄

10 novembre 1930
芦 Achet茅 un portrait de B茅rard que je compte mettre dans mon roman, 脿 moins que mes personnages ne s'y opposent! 禄

28 janvier 1931
芦 Relu聽贬茅谤辞诲颈补蝉, sans ennui mais sans enthousiasme, sans admiration sinc猫re pour toute cette joaillerie d'茅pith猫tes. Il me semble que cette perfection continue a quelque chose d'inhumain, elle tue chaque phrase au passage, sans en rater une. Tout est guind茅, rien de simple qui ne se gourme aussit么t. 脡clat des couleurs et gaucherie des lignes, comme dans les belles mosa茂ques. C'est la belle phrase dans toute sa raideur, le beau style ch茅ri des professeurs, les mots gueul茅s un 脿 un avant d'锚tre 茅crits. Il y a plus de vie dans le d茅braill茅 des lettres, dans le r茅cit de la mort de Le Poittevin. 禄

7 f茅vrier 1931
芦 Tr猫s pr茅occup茅 par mon roman. Il existe une v茅rit茅 脿 laquelle il faut atteindre 脿 tout prix, celle qui est au coeur 鈥渄e tout homme venant en ce monde鈥�. Ce n'est pas une v茅rit茅 de roman, ce n'est pas cet air de vraisemblance qui fait crier d'admiration les amateurs. Non, pour trouver la v茅rit茅 il faut travailler contre soi-m锚me, contre sa pente, contre les facilit茅s que donne l'habitude, contre le succ猫s, contre le public; il faut supprimer toutes les pages o霉 l'amusement du lecteur est le seul objet en vue. Les mots forment une sorte de courant qu'il faut sans cesse remonter; qui c猫de 脿 leur entra卯nement va droit 脿 l'茅chec, car il devient impossible, apr猫s avoir longtemps abus茅 des mots, de leur faire dire la v茅rit茅. 禄

14 f茅vrier 1931
芦 Ce matin, j'ai d茅cid茅 de recommencer la seconde partie de mon roman. Ces pages manquent d'intensit茅; l'intrigue en est conduite avec lenteur et n'est pas en elle-m锚me fort int茅ressante. L'茅clairage, c'est-脿-dire le jeu des contrastes, est trop faible, les paroles des personnages ne viennent pas du plus int茅rieur d'eux-m锚mes et presque partout la v茅rit茅 profonde est sacrifi茅e 脿 une v茅rit茅 conventionnelle, une v茅rit茅 de roman. J'esp猫re que tous mes efforts ne sont pas perdus. J'ai travers茅 des heures p茅nibles, j'ai dout茅 de moi, de ma facult茅 d'invention et m锚me du simple pouvoir d'assembler des mots d'un fa莽on coh茅rente. Plus calme et plus confiant aujourd'hui. 禄

4 mai 1931
芦 Je vois bien les d茅fauts de ce livre dont il faut que je fasse quelque chose de plus concret; il faut 茅galement que je supprime les explications psychologiques dont il a tendance 脿 s'encombrer. 禄

8 mai 1931
芦 Beaucoup lu Flaubert ces temps-ci, les Lettres d'abord,听Madame Bovary聽ensuite. En rouvrant ce livre que j'avais laiss茅 de c么t茅 depuis 1922, j'ai 茅t茅 extr锚mement surpris de me trouver en pr茅sence d'un style quelquefois tr猫s lourd et, somme tout, assez gauche. Mais toutes ces phrases carr茅es rendent un son admirable, le son d'une chose pleine et solide. Est-ce l脿 pourtant le style qu'annon莽aient les lettres? (Un style qui rugira, disait Flaubert.) 禄

23 mai 1931
芦 La recherche du mot propre porte toujours sa r茅compense, le fond m锚me du livre s'en trouvant 脿 la fin enrichi. Employer des termes approximatifs, c'est faire des mots une sorte de p芒te o霉 les phrases s'engluent.
芦 Fini la lecture de聽Madame Bovary. Chose singuli猫re, quelque rigoureuses que soient les descriptions de lieux et de personnes, il ne s'en forme pas dans mon esprit une id茅e pr茅cise et durable et je dois me reporter au texte pour savoir ce qu'茅tait Yonville et quel visage pouvait avoir Emma Bovary. Ce n'est pas une聽vision聽comme chez Balzac ou Dickens, c'est presque un rapport. Cette r茅serve faite, je ne puis qu'admirer. 禄

6 ao没t 1931
芦 La difficult茅 d'茅crire, je l'茅prouve tous les jours, est de trouver le lien invisible qui unit les unes aux autres toutes les phrases d'un livre. Je veux dire que deux phrases 茅tant 茅肠谤颈迟别蝉, il doit en exister une troisi猫me non 茅crite qui joint ces phrases de telle sorte que sans elle les mots trac茅s sur le papier perdent quelque chose de leur sens. Cette phrase id茅ale, on doit en entendre le son, mais seul un mauvais 茅crivain essaierait de l'emprisonner dans les jambages de l'茅criture car elle doit voler comme vole souffle sur les l猫vres d'un homme qui parle, et c'est elle qui fait que la page respire. 禄

12 ao没t 1931
芦 J'en suis 脿 la page 177. Ce roman, je le vois comme une masse qu'il faut sans cesse arr锚ter 脿 mi-chemin d'une pente, redresser, emp锚cher qu'elle ne glisse et ne d茅vie... 禄

19 ao没t
芦 Travaill茅 avec un z猫le suspect. Pour que cela aille aussi vite, 莽a ne peut 锚tre bon. Et puis, avec mes brouillons et mes brouillons de brouillons, je ne sais plus tr猫s bien o霉 j'en suis. Le matin, je travaille 脿 la derni猫re partie du roman, le soir je r茅cris de mon mieux le commencement. Cette m茅thode a du bon. Le d茅but du livre est revu 脿 la lumi猫re de la derni猫re partie. Je sais 脿 la page 3 ce dont tel personnage sera capable deux cents pages plus loin. 禄

24 ao没t 1931
芦 Fini tout 脿 l'heure une grande page de trente-cinq lignes, mais par la cafeti猫re de Balzac, au prix de quelle fatigue! J'en avais une douleur dans le dos. Page 188 (du manuscrit). Hallucination d'脡liane. Je crois que le ton y est; il 茅tait un peu trop bas, puis un peu trop haut dans les sc猫nes pr茅c茅dentes, c'est-脿-dire qu'il passait de la platitude au lyrisme. 禄

9 septembre 1931
芦 Difficult茅s habituelles. Quand j'茅cris trois phrases sans interruption, je suis presque s没re que l'une d'elle va 鈥渟auter鈥�. Crainte incessante de faire d茅railler ce livre en me trompant une fois d'un mot. 禄

23 septembre 1931
芦 Lecture de Havelock Ellis. Combien plus utile me para卯t cette oeuvre que des centaines de romans qui ne nous apprennent rien sur nous-m锚mes, qui ne nous aident pas! 禄

7 octobre 1931
芦 Mon livre [脡辫补惫别蝉] n'est plus loin de sa fin. Dans un roman comme celui-l脿, il faut que l'action 茅clate, si l'on peut dire, tout 脿 la fin, comme un baril de poudre au bout d'une m猫che interminable. 禄

14 octobre 1931
芦 Cet apr猫s-midi j'ai travaill茅 脿 mon livre. Il y a dans ce chapitre un rythme qui me para卯t bon, mais cela est 茅crit tr猫s vite. Je voudrais donner l'impression d'un battement, d'une respiration. 禄

16 octobre 1931
芦 脡crit la page 222 de mon livre. Je voudrais donner un peu l'impression d'un battement de coeur et du rythme du souffle, mais je ne vois pas du tout l'effet que cela peut produire. 禄

18 octobre 1931
芦 Travaill茅 ce matin avec une facilit茅 relative, ce qui m'inspire toujours quelques doutes. Au moment o霉 le vieux monde croule, je me rends compte qu'il est extravagant de tourner des phrases o霉 il est question de fen锚tres qui se d茅tachent des maisons pour voguer dans le ciel comme des nacelles. Cette r锚verie de Henriette, je ne sais de quelle r茅gion obscure de mon enfance elle est mont茅e jusque dans mon livre. 禄

22 octobre 1931
芦 Il y a pour un romancier une r茅alit茅 conventionnelle et une r茅alit茅 qu'on pourrait appeler une r茅alit茅 de vision. Celui dont le m茅tier est de raconter des histoires concevra ce que j'essaie d'exprimer. Les mots, quelquefois, s'assemblent comme d'eux-m锚mes et forment des images qui peuvent avoir un certain air de v茅rit茅 auquel le mauvais 茅crivain et le lecteur inattentif se laissent prendre. La v茅rit茅 de vision demande un effort beaucoup plus rude, une esp猫ce de don de soi. Il ne suffit pas d'茅crire, par exemple : 鈥淓lle recula devant ce regard.鈥� Il faut, par le dedans, voir ce que ces mots d茅crivent. Autrement, la phrase qui viendra ensuite sera un peu moins vraie (c'est-脿-dire qu'elle n'aura pas le son de la v茅rit茅 int茅rieure, qui est la seul v茅rit茅), et la phrase qui viendra apr猫s celle-l脿 encore moins vraie, et ainsi de suite jusqu'脿 ce que l'auteur se soit ressaisi.
Je voudrais montrer dans mon livre la progression pour ainsi dire souterraine de l'id茅e du crime chez 脡liane. Elle se croyait douce et bonne, et elle d茅couvre peu 脿 peu qu'elle est violente et injuste. 禄

23 octobre 1931
芦 J'ai relu聽La L茅gende de saint Julien l'Hospitalier聽et, cette fois, j'ai 茅t茅 d茅莽u. Certes, il y a des phrases qui 脿 elles seules semblent ressusciter tout le Moyen 脗ge, mais le plus souvent le style, le fameux style de Flaubert se place comme un 茅cran entre le sujet et l'茅motion que ce sujet doit produire, un 茅cran magnifique, j'en conviens, un 茅cran tout h茅riss茅 de joyaux. Cela para卯t 茅norme, mais la phrase de Flaubert n'a pas toujours cette beaut茅 de ligne et de mouvement qui fait le grand style (mettons le style de Pascal et celui de Voltaire). Elle avance comme un r茅giment en marche. Le mot semble choisi pour lui-m锚me, il ne se fond pas avec le reste, il se d茅tache avec une 茅nergie continue et fatigante. On aimerait mieux, au prix de quelques d茅fauts, un style qui donn芒t l'impression de respirer comme un 锚tre vivant, avec cette libert茅 qu'avait Flaubert lorsqu'il ne se surveillait pas, lorsqu'il oubliait les affres que lui causait le double g茅nitif de sa聽couronne de fleurs d'oranger听诲补苍蝉听Madame Bovary. 禄

10 d茅cembre 1931
芦 Coup de t茅l茅phone de Thi茅baut, qui me dit trouver trop d'analyse dans la seconde partie de mon roman, et peut-锚tre a-t-il raison. J'ai supprim茅 au crayon rouge la valeur de dix pages dans la partie incrimin茅e. Cela me fait deuil, comme on dit dans les contes de Maupassant, mais je crois que tout ce qu'on peut couper sans nuire au sens d'un livre doit dispara卯tre. 禄

23 d茅cembre 1931
芦 [Robert] m'a conseill茅 de nombreuses coupures. Comment ne pas voir qu'il a raison? On a presque toujours raison de couper. 禄

30 d茅cembre 1931
芦 Lu ce soir un chapitre de聽Mark Rutherford, dont l'aust茅rit茅 me fascine, je ne saurais tr猫s bien dire pourquoi, et me d茅go没te un peu de Chateaubriand dont j'ai repris les聽惭茅尘辞颈谤别蝉 d'outre-tombe. 禄

31 d茅cembre 1931
芦 Tout ce que j'茅cris proc猫de en ligne droite de mon enfance. 禄

18 avril 1932
芦 Pour pouvoir commencer un livre, il me faudrait un objet 脿 regarder, une image que je pourrais placer devant moi et 脿 laquelle je pourrais me聽谤茅蹿茅谤别谤. Ainsi, pour聽惭辞苍迟-颁颈苍猫谤别, j'avais une photographie d'int茅rieur, prise 脿 Savannah dans une maison inconnue, vers 1880 : on voit, au milieu d'un salon d'aspect modeste, une table ronde recouverte d'un tapis, et sur cette table, un livre ferm茅; des fauteuils au cuir d茅chir茅; sur la chemin茅e, un barom猫tre; et de chaque c么t茅 de la porte de grands rideaux solennels qui s'茅cartent pour laisser passer des personnages invisibles. Je crois que presque tous mes personnages sont sortis de cette pi猫ce. En 茅crivant聽Adrienne Mesurat, j'avais sous les yeux la photographie d'une peinture d'Utrillo. 禄

22 avril 1932
芦 J'avais commenc茅 un livre dans l'enthousiasme, puis je l'ai laiss茅 de c么t茅. Il n'y a pas 脿 dire, on ne fait rien de bon si l'on ne va pas assez loin au-devant de soi-m锚me. Il faut savoir se perdre dans la for锚t obscure. 禄

7 mai 1932
芦 Lecture du聽Colonel Jack. Impossible de croire qu'un homme aussi averti que Defoe n'ait pas 茅t茅 un hypocrite. Ces discours moraux qu'il met dans la bouche de voleurs et de putains t茅moignent d'un insolent m茅pris pour le lecteur qu'il suppose capable d'avaler de telles bourdes. Je pense aussi 脿聽Lady Roxana. 禄

22 juin 1932
芦 En rangeant mon manuscrit, tout 脿 l'heure, une question mais venue 脿 l'esprit que je me pose bien souvent. Si au lieu d'茅crire ce matin, j'avais 茅crit apr猫s le d茅jeuner, aurais-je 茅crit la m锚me chose, les m锚mes mots, la m锚me histoire? Si je laissais ce d茅but de roman pour ne le reprendre que dans un mois, aurait-il la suite je vais sans doute lui donner demain? Une page am猫ne-t-elle fatalement une autre page 茅crite de telle fa莽on, ou chaque page jouit-t-elle d'une libert茅 relative qui lui permet d'锚tre ce qu'elle est, ind茅pendamment de la page de la pr茅c猫de? Je ne lirais pas sans ennui un livre donc toutes les pages serait d茅termin茅es par la premi猫re, et cependant j'aime qu'une esp猫ce de fatalit茅 pr茅side 脿 l'oeuvre d'art. Il faut, je crois, que le lecteur ait l'impression qu'il n'aurait pu en 锚tre autrement et qu'autour des personnages flotte malgr茅 tout quelque chose d'ind茅finissable, la possibilit茅 d'autres chose, les mille possibilit茅s dont le destin n'a pas voulu. 禄

24 juin 1932
芦 Je n'ai jamais pu me d茅faire de cette id茅e qu'une certaine gaucherie est la marque des oeuvres sinc猫res. Secr猫tement, je reproche 脿 Manet son 茅l茅gance, cet air d'homme du monde qu'il a en peignant, une esp猫ce de n茅glig茅 de bon ton et quelquefois un manque de s茅rieux, oui, quelque chose qui ressemble 脿 de la frivolit茅, m锚me dans聽Le Balcon聽dont la beaut茅 m'atteint directement. Beaucoup admir茅 le portrait de la jeune veuve au regard fixe et myst茅rieux, mais le groupe de mendiants me semble une chose d'atelier qui n'a de r茅alit茅 nulle part, ni dans le monde r茅el (ou pr茅tendu tel), ni dans le monde imaginaire. 禄

6 juillet 1932
芦 Supprim茅 une partie de ce que j'avais 茅crit hier. Je me suis aper莽u que je prenais le ton enjou茅, que je hais. 禄
芦 Relu une partie de聽Jane Eyre, simplement pour ne pas oublier que c'est un grand roman. J'aime les maladresses de ce livre, ce m茅lange de gaucherie et d'audace, l'intraitable s茅rieux de l'auteur. 禄

17 juillet 1932
芦 Ce que je reproche 脿 Charlotte Bront毛, c'est de ne pas avoir os茅 autant qu'elle aurait pu. Cette femme souvent si hardie avait d'茅tranges timidit茅s lorsqu'il s'agissait de transposer, alors qu'Emily, elle, se jetait dans l'imaginaire avec la fougue du g茅nie. Pourtant, il y a de belles invraisemblances dan聽Jane Eyre, mais dans聽Villette聽on a trop souvent l'impression que chaque personnage a son mod猫le et chaque situation sa contrepartie dans la vie r茅elle, ce qui me g锚ne. 禄

8 ao没t 1932
芦 Sur le pont, j'ai lu聽Almayer's Folly, qui m'a 茅norm茅ment d茅莽u, sans doute parce qu'on m'en avait dit trop de bien. Le th猫me le plus int茅ressant est trait茅 sans audace. L'auteur a recul茅 devant une histoire toute sexuelle et qui aurait pu 锚tre magnifique : ce n'est gu猫re avant la fin qu'un lecteur non pr茅venu comprend de quoi il s'agit vraiment. Faut-il donc tant de courage pour dire qu'un homme a envie de coucher avec sa fille? Quant 脿 l'intrigue amoureuse entre Nina et Dain, elle est digne tout au plus d'un livret d'op茅ra. Il y a des dialogues d'un lyrisme un peu ridicule, des phrases qui ne pouvaient venir que sous la plume d'un jeune 茅crivain ardent et na茂f. Par exemple ceci : 鈥�... un de ces longs regards qui sont les armes les plus terribles de la femme... plus dangereux qu'un coup de poignard...鈥� 禄

23 septembre 1932
芦 Fini聽Barnaby Rudge. Le bourreau est d茅peint avec un sadisme que je suppose inconscient et une force qui rach猫te bien des d茅fauts dans ce livre 茅trange. 禄

30 septembre 1932
芦 En travaillant bien, j'arrive p茅niblement au total de vingt-cinq 脿 trente lignes par jour, et j'en biffe parfois une dizaine. Malgr茅 ces lenteurs, mon livre avance. Je voudrais, dans le personnage de Manuel, faire voir qu'il y a chez l'hypocrite des mouvements de r茅volte contre son hypocrisie et souvent une sinc猫re admiration pour la vertu. Rien de plus nuanc茅, de plus myst茅rieux 脿 lui-m锚me que le caract猫re du v茅ritable hypocrite. 禄

23 octobre 1932
芦 Lecture d'un livre sur Wagner. Il est 茅crit comme on 茅crit aujourd'hui, c'est-脿-dire que pas une phrase un peu longue n'a l'air de se tenir sur ses pieds ni de pouvoir traverser la largeur de la page sans tr茅bucher. 禄

24 novembre 1932
芦 Une personne na茂ve et bien intentionn茅e me demandait aujourd'hui s'il existe des r猫gles pour 茅crire un bon livre. Je lui ai r茅pondu que je n'en connaissais qu'une, qui est de croire fortement 脿 ce qu'on 茅crit. Exemple entre dix mille,听La Mort d'Ivan Ilitch. On y croit parce que l'auteur y a cru. Et j'ai beau chercher, je ne trouve que cette r猫gle-l脿 qui vaille pour toute oeuvre litt茅raire. La v茅rit茅 est avant tout d'ordre int茅rieur. L'erreur est de croire qu'elle peut se trouver tout enti猫re au-dehors de nous-m锚mes, dans l'observation fid猫le de la vie. 禄

24 d茅cembre 1932
芦 En y r茅fl茅chissant [au 芦 livre de Stekel sur les 茅tats d'angoisse nerveuse 禄], j'ai constat茅 que la plus importune de mes phobies, et la plus pers茅cutante, est celle de la mort. Elle est dans tous mes livres. 禄

26 d茅cembre 1932
芦 Le proc茅d茅 de Jane Austen consiste 脿 opposer entre elles des qualit茅s morales qu'elle s'efforce de personnifier, et si je trouve ce proc茅d茅 un peu m茅canique, je me rends au charme d'un 茅crivain dont le sourire n'est jamais une grimace et 脿 qui l'茅motion n'arrache jamais un cri, car les personnes bien 茅lev茅es ne crient pas. Jane Austen reste toujours un peu en de莽脿 de ce qu'elle veut dire, avec une r茅serve exquise qui n'est qu'脿 elle, mais son trait n'en est pas moins d'une nettet茅 admirable. Aupr猫s d'elle, Charlotte Bront毛 para卯t quelqu'un d'茅chevel茅. 禄

30 janvier 1933
芦 Continu茅 la lecture d'Henri Brulard聽avec d茅lices, je dois le dire. Le charme de Stendhal finit par agir m锚me sur quelqu'un d'aussi rebelle que moi devant ce personnage. Il y a des moments o霉 il oublie de se surveiller, et c'est ce qui fait que je le lis avec plaisir, mais quand il s'茅tudie, quand il pense 脿 la figure qu'il fait ou qu'il va faire en 1880, il m'assomme. 禄

5 f茅vrier 1933
芦 Lecture du livre de Dumesnil sur Flaubert. Je crois en avoir retir茅 beaucoup de choses. Mais les pr茅ceptes 茅nonc茅s par Flaubert sur la mani猫re d'茅crire un roman ne me paraissent pas toujours bons. Que devient non pas l'inspiration, mais la simple invention dans un livre o霉 le moindre fait doit trouver sa contrepartie dans la vie r茅elle, dans l'exp茅rience personnelle de l'auteur? Assur茅ment, on fait ainsi聽L'脡ducation sentimentale, mais il faut 锚tre Flaubert pour cela. [...] Le romancier n'invente rien, il devine. Il ne se trompera pas s'il ob茅it 脿 cette voix int茅rieure qui parle en chacun de nous et nous dit quand nous restons dans la v茅rit茅, et quand nous en sortons. La v茅rit茅 int茅rieure est la seule qui soit vraiment essentielle; le reste, si beau, si s茅duisant soit-il, n'est que de l'accessoire, et chez Flaubert il y a toujours le risque de voir l'accessoire prendre la place de ce qui est essentiel : la documentation 茅touffe l'芒me. Chez les romanciers qui ont suivi Flaubert et qui ont 茅cout茅 quelques-uns des plus n茅fastes de ses conseils, l'芒me est tout simplement absente. 禄

8 f茅vrier 1933
芦 Je voudrais que rien en moi n'obscurcisse l'amour de la v茅rit茅. Or, le plaisir est un danger et j'ai 茅t茅 entra卯n茅 sur une pente o霉 il est bien difficile de se retenir. [...] Il faut que mes livres soient meilleurs, que je ne m'茅carte jamais de la v茅rit茅 int茅rieure. Je crois que si je ne c猫de pas 脿 l'attrait d'une vie facile, je finirai par 茅crire un grand livre, et j'esp猫re qu'un jour j'aurai le sentiment de n'avoir pas re莽u plus de choses que j'en ai donn茅. 禄

11 f茅vrier 1933
芦 Bien peu de lecteurs savent que lorsque je d茅chire un personnage dans mes romans, c'est principalement 脿 moi que j'en ai. Par exemple, Philippe dans聽脡辫补惫别蝉. Il y a telles pages que je pourrais citer, qui sont de v茅ritables mises en accusation de moi-m锚me. 禄

25 f茅vrier 1933
芦 Arriv茅 脿 son septi猫me ou huiti猫me livre, l'茅crivain m茅diocre ne travaille plus qu'脿 l'aide de clich茅s qu'il s'est fabriqu茅s lui-m锚me et qui le dispensent de r茅fl茅chir, tout en lui donnant l'illusion qu'il s'exprime d'une fa莽on personnelle. Le v茅ritable 茅crivain en est toujours 脿 son premier livre. 禄

30 mars 1933
芦 Il arrive qu'en nommant les choses on les frappe en plein coeur d'un coup irr茅m茅diable. C'est ce qui fait, par exemple, la pauvret茅 des romans pornographiques; le contenu de ces livres se d茅truit lui-m锚me. 禄
芦 Mon dernier roman est le plus extravagant de tous ceux que j'ai 茅crits jusqu'脿 ce jour, mais si je ne mettais pas cette folie dans mes livres, qui sait si elle ne s'installerait pas dans ma vie? Ce sont peut-锚tre mes livres qui m'ont permis de conserver un semblant d'茅quilibre. 禄

4 avril 1933
芦 Dans tous mes livres, l'id茅e de la peur ou de toute autre 茅motion un peu forte semble li茅e d'une mani猫re inexplicable 脿 un escalier. [...] Je me demande comment j'ai pu si souvent r茅p茅ter cet effet sans m'en apercevoir. Enfant, je r锚vais qu'on me poursuivait dans un escalier. Ma m猫re a eu les m锚mes craintes dans sa jeunesse. Il m'en est peut-锚tre rest茅 quelque chose. Chez bien des romanciers, j'en suis s没r, c'est l'accumulation de聽souvenirs imm茅moriaux聽qui fait qu'ils 茅crivent. Ils parlent pour des centaines de morts, leurs morts; ils expriment enfin tout ce que leurs anc锚tres ont gard茅 au fond d'eux-m锚mes, par prudence ou par pudeur. 禄

12 ao没t 1933
芦 Lu聽Nickelby. Le g茅nie ne para卯t gu猫re dans ce premier volume sauf dans le chapitre qui concerne Squeers et la Dotheboys School. Les personnages comiques ne sont pas toujours comiques, et les聽gentlemen聽sont navrants comme presque tous les gentlemen de Dickens. L'auteur ne sait pas encore donner une id茅e pr茅cise de l'endroit o霉 se passe une sc猫ne, exception faite pour la partie cit茅e plus haut, et o霉 l'on a vraiment une impression de campagne en hiver et de solitude. Dans les 茅pisodes de la Dotheboys School transpara卯t ce go没t de la cruaut茅 que Dickens matait trop bien, par crainte de son public. 禄
芦 Fini聽Nickleby. Squeers punissant Smike dans la voiture est une des sc猫nes les plus p茅nibles et les plus fortes que je connaisse dans la litt茅rature romanesque. Le personnage de Nickleby m'a paru sans grand int茅r锚t, de m锚me que ces effrayantes jeunes filles aux vertus conventionnelles, mais il y a en Squeers une profondeur dans le mal qui rach猫te 脿 mes yeux toutes les petites imperfections du livre. Que Dickens n'aurait-il fait, s'il e没t os茅! 禄

20 ao没t 1933
芦 Relu avec d茅lices聽Les Confessions聽de Rousseau. Cette langue admirable dit tout ce qu'elle veut dire avec les mots les plus ordinaires, des mots dont les Goncourt n'auraient pas voulu. Je ne connais pas d'exemple d'une 茅l茅gance aussi peu affect茅e, mais que cette simplicit茅 a d没 co没ter d'efforts! 禄

21 septembre 1933
芦 L'autre soir, 脿聽Ruy Blas. Il s'y trouve une quantit茅 prodigieuse de mauvais vers et, une fois ou deux par heure, un vers splendide; ce n'est pas beaucoup, ce n'est pas assez. Mais la pi猫ce est adroite et int茅ressante bien qu'on n'y rencontre pas un sentiment qui soit naturel ou simplement humain. La v茅rit茅 en est absente, et absente d'une mani猫re syst茅matique, de m锚me que le soleil est absent de la nuit. 禄

29 septembre 1933
芦 Dans聽Martin Chuzzlewit, le vieil Anthony Chuzzlewit qui va mourir, se l猫ve cependant, trouve la force de s'habiller et va parler 脿 son fils. Ce qu'il dit, personne ne le comprend. C'est un baragouinage d'outre-tombe. Le mourant s'affale presque aussit么t. Sc猫ne effrayante, magnifique, elle tient en une demi-page. 禄

12 octobre 1933
芦 Je lui dit que je le comprends [le monde] de moins en moins. Et puis, je n'arrive pas 脿 croire tout 脿 fait 脿 la r茅alit茅 objective du monde ext茅rieur. Lorsque j'茅cris un livre, il existe au-dedans de moi. Imprim茅, publi茅, il devient une sorte d'apparence ou de signe, comme tout le reste. 禄

18 octobre 1933
芦 Je vais appeler mon livre聽Le Visionnaire.听Au seuil de la nuit, c'est beaucoup trop 鈥渆sth猫te鈥�. 禄

13 f茅vrier 1934
芦 Dans聽Le Lys dans la vall茅e, l'茅pisode du premier baiser m'a paru admirable. Il est si faux, si manifestement invent茅, et en m锚me temps si vrai, car on sent que le gar莽on, c'est l'auteur, et qu'il fait ce que Balzac aurait voulu faire. 禄

14 f茅vrier 1934
芦 Continu茅聽Le Lys dans la vall茅e. C'est un discours entrecoup茅 de dialogues et de m茅lodrame. Mme de Mortsauf consent bien vite, semble-t-il 脿 parler le langage de l'adult猫re; la transition n'est pas m茅nag茅e. Stendhal l'e没t admirablement r茅ussie. Et il y a des paragraphes ridicules d'enflure et d'outrance. Le r茅cit est d茅clamatoire, trop souvent. De temps en temps une trouvaille, car enfin c'est Balzac. 鈥淪es oreilles, petites et bien contourn茅es, 茅taient, suivant son expression, des oreilles d'esclave...鈥� Il y a, malheureusement, 鈥渄es oreilles d'esclave et de m猫re鈥�, ce qui me g芒te un peu la gr芒ce baudelairienne d'oreilles d'esclave. 禄

24 mars 1934
芦 Ce matin, 脿 Passy, l'id茅e m'est venue tout 脿 coup de tout ce qu'il y a d'inexprimable dans ce que nous essayons de dire, la plume 脿 la main. C'est 脿 ce point que, pour moi, 茅crire n'est pas autre chose que faire allusion 脿 ce qu'on ne peut pas exprimer 鈥� parce qu'il n'y a pas de mots... On a beau s'efforcer, quelque chose 茅chappe toujours. Le langage humain ne d茅passe pas certaines limites. 禄

13 octobre 1934
芦 J'ai recommenc茅 six fois mon nouveau roman. Ces d茅buts qui avortent, Jaloux les appelle des ruines. J'aurais voulu situer mon livre dans l'Am茅rique de 1850, mais je crains de tomber dans je ne sais quelle inf芒me reconstruction historique. Et puis, je serais g锚n茅 t么t ou tard par cette id茅e qu'apr猫s tout聽je n'y 茅tais pas聽et que trop de choses m'茅chappent. Tous les m茅moires de l'茅poque ne nous informent pas aussi bien que ne le feraient trios br猫ves minutes聽谤别惫茅肠耻别蝉聽dans le coin d'un salon de Charleston. Les faits historiques ne surgissent pas. Il y a les longues heures d'ennui, les vaines inqui茅tudes, tout ce qui tombe 脿 l'oubli, 脿 tout jamais, parce que personne ne croit que cela vaille la peine d'锚tre not茅.

25 novembre 1934
芦 [Louis Gillet] d茅plore tr猫s justement l'appauvrissement de la langue, la disparition de certaines fa莽ons de parler pittoresques, par exemple 鈥減rendre un pain dans la fourn茅e鈥�, dans Saint-Simon, pour d茅florer une jeune fille avant le mariage. Il dit que le fran莽ais est en train de devenir une langue toute philosophique, m锚me le fran莽ais des romanciers. Il est d'un autre temps, il aime beaucoup de choses que j'aime et qui sont menac茅es. 禄

Texte paru en 1933.

芦 C'est peut-锚tre un tort de pousser 脿 la minutie le souci d'une coh茅rence absolue. J'ai vu g芒ter d'excellents livres par la fa莽on dont l'auteur s'acharnait 脿 la correction du d茅tail; il en r茅sultait des ouvrages o霉 tout ce qui vit et palpite dans les pages de premier jet, mourait sous une esp猫ce de glacis. Je ne veux pas faire l'apologie de la litt茅rature d茅braill茅e (que je d茅teste autant qu'un autre), mais apr猫s tout la vie, qui est le plus grand de tous les romanciers connus et parfois le plus mauvais, a d'茅tranges inadvertances : elle rab芒che, elle oublie, elle se met, comme 脿 plaisir, en contradiction avec elle-m锚me. Dans ses meilleurs moments, alors qu'elle est la plus vraie et qu'elle 茅crit, si je puis dire, avec le plus de bonheur, elle commet d'茅normes b茅vues psychologiques. L'erreur du romancier ordinaire est de vouloir la copier (tout b锚tement), au lieu de s'identifier 脿 elle, et de s'imaginer (s'il l'osait, s'il avait la foi) qu'il est lui-m锚me la vie. 禄 (p. 1390)

芦 D'une fa莽on g茅n茅rale, le lecteur accorde sa confiance 脿 un 茅crivain qui dit聽je. C'est comme si l'emploi de ce pronom engageait la bonne foi de l'茅crivain. [鈥�] Dans un roman 脿 la troisi猫me personne, vous l'avez remarqu茅, quelqu'un se place entre le h茅ros et nous, quelqu'un de g锚nant s'il ne sait pas qu'脿 tout moment il doit s'effacer, quelqu'un d'aussi f芒cheux que le voisin de th茅芒tre qui nous communique ses impressions derri猫re son programme, alors que nous 茅coutons la pi猫ce : l'auteur. Cette force magique de la premi猫re personne pousse l'茅crivain 脿 d'茅tranges indiscr茅tions, car il en arrive assez vite 脿 parler de lui et nous offre une confession au lieu d'un roman; plus tard, n'est-ce pas? il pourra toujours soutenir qu'il s'agit d'une fiction. Ne le croyez pas trop. 禄 (p. 1391)

Texte dat茅 du 27 d茅cembre 1935.

芦 Que toute litt茅rature sorte du r锚ve, j'en suis convaincu; elle en est d'une certaine mani猫re le prolongement et bien des grands livres nous sont venus tout droit du pays obscur o霉 l'homme ne se retrouve que les yeux ferm茅s. Il est entendu que le r锚ve ne doit pas se confondre avec le flou. Le r锚ve, c'est une disposition de l'esprit 脿 accepter le merveilleux. Revenu des r茅gions nocturnes o霉 il a 茅prouv茅 jusqu'脿 l'ivresse les 茅motions de l'amour et de la peur, un 茅crivain qui se met 脿 sa table pour continuer son oeuvre fera passer dans ce qu'il 茅crit quelque chose de ce qu'il a 茅prouv茅 dans ses r锚ves, m锚me s'il croit les avoir oubli茅s. 禄 (p. 1431)

芦 La vie fournit des th猫mes, mais c'est dans le sommeil que s'茅laborent les romans. 禄 (p. 1431)

Ci-dessous, des extraits d'entretiens publi茅s de 1931 脿 1947.

[Propos rapport茅s par Pierre Bost (1932)].
芦 Je crois 脿 la litt茅rature comme 脿 quelque chose qui porte en soi son existence et sa valeur. Je dirais : comme 脿 une religion. Chacun a la sienne; je me suis consacr茅 脿 celle-ci, qui suffit bien 脿 nourrir une vie. Quelqu'un qui a trouv茅 ce sol et qui y vit n'a besoin d'aucune autre terre. 禄 (p. 1281)

[Propos rapport茅s par Jean Barois (1934)].
聽芦 J'ai essay茅 parfois : je n'ai jamais pu [suivre un plan]. J'ai toujours 茅t茅 bouscul茅 par mon sujet. 禄 (p. 1282)

[Propos rapport茅s par Fran莽ois Deroux (1934)].
芦 Quand je commence un livre, je ne sais pas du tout comment il finira. Je me laisse mener par mes personnages que je d茅couvre petit 脿 petit. 禄 (p. 1283)

[Au sujet d'un moment crucial dans l'茅criture du聽Visionnaire聽:] 芦 J'ai compris, mais 脿 ce moment-l脿 seulement, que ces aventures n'茅taient pas r茅elles, que mon h茅ros les avait imagin茅es. Alors, je l'ai dit. Un romancier ne doit pas mentir. 禄 (p. 1283)

[Propos rapport茅s par Robert Bourget-Pailleron (1934)].
芦 Quand je suis 脿 ma table, un d茅doublement se fait en moi. Je vois mes h茅ros, je m'introduis dans leur esprit et, 脿 partir de cet instant, je me confie enti猫rement 脿 eux. C'est un r锚ve qui commence, dont je ne puis mesurer les limites. Jamais je ne consid猫re un sujet. C'est du personnage que je pars, c'est donc 脿 lui qu'il appartiendra de m'entra卯ner vers ce qui sera son destin. Aussi m'est-il impossible de changer apr猫s coup un d茅nouement. Car je crois 脿 la vertu du premier jet, de l'instinct. J'茅cris tr猫s lentement, je ne fais que des corrections de style. Le sens profond demeure toujours intact, son expression seule change. Imaginer plusieurs versions d'une m锚me oeuvre serait pour moi faire plusieurs t茅moignages contradictoires, plusieurs d茅position diff茅rentes, alors qu'il n'y en a qu'une qui soit exacte : la plus fra卯che, celle qui se pr茅sente tout d'abord 脿 l'esprit. Car je m'attache toujours 脿 la vraisemblance. [鈥�] J'observe beaucoup, me dit-il. Les faits, les 锚tres retiennent mon attention d'une fa莽on minutieuse. Mais les r茅sultats de mon observation ne se traduisent pas directement. Il me fait n茅anmoins un point de d茅part solide et c'est l脿 qu'elle me vient en aide. Je m'applique 脿 d茅peindre un milieu, une soci茅t茅. De cet ensemble, quelques silhouettes essentielles se d茅tachent, qui retiennent mon attention, et c'est alors que l'aventure commence. 禄 (p. 1286-1287)

[Propos rapport茅s par Andr茅 Rousseaux (1934)].
芦 Ma premi猫re intention [dans聽Le Visionnaire] fut de mettre le r茅cit dans la bouche d'un des personnages, parce que l'usage de la premi猫re personne oblige l'auteur 脿 une sinc茅rit茅 plus grande et que je voulais, avant tout, faire un livre sinc猫re. [Ce proc茅d茅] limite beaucoup les ressources du romancier qui ne peut 锚tre partout 脿 la fois et qui, cependant, doit 锚tre au courant des plus petits d茅tails d'une action souvent multiforme. En somme, il faut instruire le lecteur sans avoir l'air d'en savoir plus que lui. En r茅compense de la g锚ne qui peut r茅sulter de cette m茅thode, le ton du r茅cit devient le ton de la v茅rit茅 m锚me. Le lecteur est presque forc茅 d'accorder sa confiance 脿 un 茅crivain qui dit 鈥渏e鈥�. 禄 (p. 1288)

[Propos rapport茅s par Christian Melchior-Bonnet (1936)].
芦 On m'茅tonne quand on dit que je suis un r茅aliste. Non, vraiment, je ne crois pas. Je n'ai jamais pu utiliser une 鈥渃hose v茅cue鈥�. Quand j'ai essay茅, c'茅tait toujours le fait r茅el qui avait l'air faux et le fait invent茅 qui avait l'air vrai. 禄 (p. 1289)

芦 Cela m'茅tonne bien aussi quand on dit que je suis un peintre de la province. Je la connais mal. Pourquoi n'avoir pas pris Paris? Parce qu'il y a quelque chose de terrible dans les existences de province o霉 tout conserve le m锚me aspect quelles que soient les modifications profondes de l'芒me. Et ensuite, parce que ne la connaissant pas, je suis plus libre d'imaginer, sans 锚tre arr锚t茅 par maints d茅tails qui, dans Paris, me g锚neraient. Je ne suis vraiment 脿 l'aise et dans ma v茅rit茅, que quand je puis inventer. 禄 (p. 1289)

[Propos rapport茅s par Ga茅tan Picon (1946)].
芦 Ce que je demande au roman, c'est pourtant ce qu'il est plus naturel encore de demander 脿 la po茅sie. Non point d'exprimer, mais de sugg茅rer la r茅alit茅 de l'inexprimable. Et c'est parce que je veux sugg茅rer l'inexprimable, reprend Julien Green, que la forme a tant d'importance pour moi. Vous avez 茅crit que j'茅tais indiff茅rent 脿 la forme. Ce n'est pas vrai. Bien entendu, je ne cherche pas 脿 faire de belles phrases, mais pour que le langage parvienne 脿 sugg茅rer l'inexprimable, il faut lui donner beaucoup de soins. 禄 (p. 1299)

28 f茅vrier 1935
芦 Cette nuit, je me suis demand茅 pourquoi je ne ferais pas le portrait de mes personnages nus. Oui, c'est ainsi que je voudrais les faire voir, dans toute leur v茅rit茅 physique. D'ordinaire, les personnages de roman se r茅duisent 脿 un buste. Ils parlent et remuent les bras, mais le bas du corps, sauf dans les romans dits pornographiques, est chastement d茅rob茅 脿 la curiosit茅 du lecteur. Cependant, le corps dit la v茅rit茅 tout autant que le visage, il a son expression particuli猫re, il est humble, brave, d茅daigneux, fanfaron, joyeux, pensif; le courage se lit dans le dessin des 茅paules et de la poitrine, etc. 禄

2 juillet 1935
芦 Commenc茅聽Bleak House. La derni猫re phrase de la pr茅face pourrait servir d'茅pigraphe 脿 toute mon oeuvre. Voici cette phrase :聽In Bleak House, I have purposely dwelt upon the romantic side of familiar things. Beaucoup de personnages admirablement vus, mais jusqu'ici (p. 250), pas de grands personnages, pas de Sarah Gamp, par exemple. Et l'on sent d茅j脿 une certaine fatigue dans l'invention. L'auteur se rattrape en multipliant les personnages, mais il perd de son agilit茅 et circule parfois difficilement 脿 travers tout le monde. 禄

10 septembre 1935
芦 Travaill茅 脿 mon roman. Ce livre bizarre m'effraie quelquefois. Je l'ai tir茅 du plus profond de moi-m锚me, de mes promenades solitaires, de mes r锚ves. Il s'est fait en grande partie dans mon sommeil. 禄

22 d茅cembre 1935
芦 Assis pr猫s du feu, j'ai relu d'une seul traite聽In The Closed Room, petit livre tranquille et myst茅rieux que j'aime beaucoup. L'auteur est une femme (Frances H. Burnett). Elle a ce don si rare parmi les hommes, le sens de l'invisible. 禄

14 octobre 1936
芦 Un聽recommencement聽de mon livre hier, un autre ce matin. Autrefois, le d茅but d'un livre ne me donnait pas trop de mal. D'une certaine fa莽on, j'茅crivains, dans la premi猫re page, ce qui me passait par la t锚te (mais de quelles profondeurs vient ce qui nous passe par la t锚te?), puis je donnais une suite 脿 cette premi猫re page, et j'allais ainsi, 脿 l'aveuglette, jusqu'脿 la fin. Aujourd'hui, je m'aper莽ois qu'aller 脿 l'aveuglette ne me conduirait plus que dans une voie d茅j脿 fray茅e par moi, et vers un but connu. Il y a en moi quelque chose qui me pousserait 脿 refaire ce que j'ai d茅j脿 fait, si je ne luttais de toutes mes forces contre cet instinct. 禄

22 octobre 1936
芦听Jane Eyre, dans un th茅芒tre de Shaftesbury Avenue. Impossible de tirer une pi猫ce de n'importe quel roman, comme le croient les maladroits. Le dialogue de聽Jane Eyre聽est un dialogue de roman, non un dialogue de th茅芒tre; il est livresque, 茅loquent, aussi peu naturel que possible. 脌 la sc猫ne, cela donne un m茅lodrame assez m茅diocre, tous les d茅fauts de ce grand livre apparaissant 脿 plein. 禄

9 f茅vrier 1937
芦 La pi猫ce de Tchekhov [L'Oncle Vania] m'a donn茅 envie de rentrer chez moi et d'茅crire. Le beau regard triste et tranquille de l'auteur transpara卯t dans ce dialogue d'une simplicit茅 inimitable. Tout vient du coeur, de l'humain. L'humain, tout l'humain est en nous, au fond de notre coeur que nous connaissons si mal. Chaque homme est 脿 lui seul l'humanit茅 tout enti猫re. 禄

2 ao没t 1937
芦 Beaucoup r茅fl茅chi au chapitre que je suis en train d'茅crire en ce moment. Il faut que tout soit racont茅 avec la simplicit茅 la plus grande, que tout vienne du coeur, du meilleur de moi-m锚me, qu'il n'y ait pas une parole de haine, mais seulement le d茅sir de comprendre. Une seule question sera pos茅e. Pourquoi? 禄

15 novembre 1937
芦 Lecture de聽Lamia. Quand je lis Keats, j'ai l'impression d'锚tre un ours dans un torrent de miel, car tout y est d茅licieux. Plus qu'un autre, je crois, Keats a eu ce don si rare d'茅voquer d'une fa莽on pr茅cise ce qu'il d茅crit 脿 peine. Tout l'univers sensible para卯t tenir dans ses vers, mais lorsqu'on y regarde d'un peu pr猫s, dans l'espoir d'analyser cette magie, que trouve-t-on? Ici une 茅paule nue, l脿 une boucle de cheveux dor茅s, l脿 un narcisse... 禄

27 juin 1935
芦 鈥溍� Paris sur Seine, trois bateaux y a...鈥� J'ai relu le conte de Bonaventure des P茅riers qui d茅bute par ces mots. Ce qui monte de ces pages, c'est la rumeur des rues de Paris au XVe si猫cle. Cette litt茅rature populaire, si vive, si alerte et souvent si humaine a 茅t茅 contrari茅e au XVIIe si猫cle par une litt茅rature de cour qui a fini par s'imposer; et c'est dommage. En Angleterre, elle est all茅e son chemin et a triomph茅 dans le th茅芒tre de Shakespeare. On a beau dire, le XVIIe si猫cle fran莽ais est un produit 脿 peu pr猫s inexportable. Traduit, il perd presque tout son pouvoir, presque toute sa聽vertu. C'est la litt茅rature de l'茅lite dans toute sa force. On avait fini par 茅crire pour les sp茅cialistes du genre (sauf Moli猫re qui est la grande exception), pour les connaisseurs. Shakespeare 茅crivait pour tout le monde, pour le聽poulailler聽aussi bien que pour les loges. J'essayais d'expliquer cela 脿 quelqu'un, hier, et j'avais l'air d'茅谤别颈苍迟别谤聽Racine. 禄

8 juillet 1938
芦 Les fen锚tres du salon, grandes ouvertes sur la cour o霉 le vent passe en murmurant 脿 travers les peupliers, cette pi猫ce haute et magnifique o霉 un fauteuil fra卯chement recouvert d'un splendide satin azur voisine avec un si猫ge d茅fonc茅, o霉 le lustre digne d'un palais pend d'un plafond qui se fendille, tout cela m'a paru d'une tr猫s grande聽beaut茅 de roman. Un autre e没t souhait茅 que ce salon f没t en meilleur 茅tat, moi non. J'aime certaines n茅gligences de bonne fa莽on et ce soup莽on de d茅labrement dans un cadre aussi lumineux; une 茅toffe fan茅e et d茅chir茅e ne me chagrine pas le moins du monde, si elle est belle; au contraire, ce qui est battant neuf me g锚ne... 禄

8 septembre 1938
芦 鈥淐e qui se con莽oit bien...鈥� Oh, comme cela est faux! Il y a des jours o霉 ce qui est exprimable me para卯t si loin de l'essentiel que je me demande si cela vaut la peine d'茅crire. Les mots qu'il faut mettre en rang comme de vieux chiens savants, fatigu茅s des tours qu'on exige de leur bonne volont茅... 禄

Sans date, p. 515
芦 Quand j'茅crivais les premiers chapitres d'Adrienne Mesurat, je pensais que t么t ou tard j'en viendrais 脿 parler du pigeon blanc de mon h茅ro茂ne. [...] Je puis dire que cette image m'accompagna d'un bout 脿 l'autre du livre, et je ne sais comment l'occasion de la d茅crire ne me fut pas donn茅e, mais il semblait que le roman n'en voul没t pas.听

Conf茅rence datant probablement de 1941.

聽芦 [鈥�] nous ne d茅passerons jamais une certaine na茂vet茅 intellectuelle et il y aura toujours en nous un enfant qui demandera qu'on lui fasse le r茅cit d'aventures imaginaires. Aussi le romancier m'appara卯t-il comme le descendant en ligne directe des conteurs qui ont promen茅 sur toutes les routes de l'antiquit茅 et du Moyen 脗ge leurs rhapsodies et leurs chansons de geste. [鈥�] Ce r么le d'amuseur public, je n'ai pas besoin de vous dire qu'il le prend parfois terriblement au s茅rieux, 脿 ce point qu'il oublie souvent d'锚tre amusant, mais notre soci茅t茅 est si bizarrement faite que nous avons ce que l'on pourrait appeler des聽amuseurs ennuyeux聽dont les ouvrages sont plac茅s d'autant plus haut qu'ils vont porter la tristesse, le d茅couragement, et m锚me une sorte de d茅sespoir dans l'esprit de milliers de personnes qui se sentaient peut-锚tre tout 脿 fait heureuses avant d'avoir mis le nez dans ces romans 脿 succ猫s. 禄 (p. 1415)

聽芦 Le jour n'est pas si loin o霉 je lus pour la premi猫re fois, et la derni猫re fois, un gros livre maussade qui s'appelait聽An American Tragedy. Je m'empresse de dire tout de suite que ce livre a de grandes qualit茅s : il a d'abord le d茅sir d'锚tre vrai, ce qui est 茅norme; ensuite, il a la puissance, il en a m锚me 脿 l'exc猫s : c'est la puissance d'un lutteur de foire qui fait valoir ses muscles aux yeux d'un public 茅bloui, et cette puissance est telle qu'elle ferait presque oublier une pauvret茅 de style comme je n'en connais pas d'exemple en anglais. 禄 (p. 1415-1416)

聽芦 L'art en est absent d'une fa莽on 茅clatante; pas une phrase ne r茅jouit l'oreille, mais voil脿, il y a la puissance, il y a l'茅norme patience d'un homme qui ne sait pas choisir entre les dix mille faits qui se pr茅sentent 脿 lui et ne sait que les aligner lourdement l'un pr猫s de l'autre, et il y a surtout l'inimitable accent de la v茅rit茅 qui sauve le livre. L'auteur croit tout ce qu'il 茅crit, et nous le croyons avec lui, parce qu'il y croit lui-m锚me. Mais que nous voil脿 loin de la grande litt茅rature! 禄 (p. 1416)

聽芦 Il est bien certain, en effet, que le seul fait d'茅crire un livre est une sorte de lib茅ration et que tout en racontant des histoires invent茅es d'un bout 脿 l'autre, on se d茅barrasse de toutes sortes de choses : le neurasth茅nique assassine toute sa famille, l'amoureux chausse les bottes de Don Juan et l'avare joue avec des billets de banque. 禄 (p. 1418)

聽芦 Ma m茅thode 脿 moi, quand il s'agissait d'茅crire un roman, consistait 脿 m'asseoir 脿 une table ni trop haute ni trop basse, sur une chaise pas trop dure, 脿 prendre une feuille toute blanche et 脿 茅crire le plus lisiblement possible : Chapitre I. Le reste venait je ne sais comment. 禄 (p. 1419)

聽芦 Mais le grief le plus s茅rieux que j'avais contre lui [un pastoureau pyr茅n茅en auteur d'un journal] 茅tait qu'il disait, comme je l'ai indiqu茅 tout 脿 l'heure, tout ce qui lui passait par la t锚te et 脿 tel point qu'on se demandait si l'art d'茅crire n'est pas, en d茅finitive, l'art de choisir. 禄 (p. 1421)

聽芦 En ce qui concerne le roman, je crois qu'un des principes les plus contestables qu'on puisse adopter est celui qui existe qu'on fasse un plan d茅taill茅 du livre avant d'en 茅crire une ligne. 禄 (p. 1421)

聽芦 Or je crois que ce probl猫me du plan est un des faux probl猫mes dont on se pla卯t 脿 alourdir le m茅tier d'茅crivain. Le plus important, 脿 mes yeux, n'est pas de savoir ce qui va se passer dans le livre qu'on veut 茅crire, mais bien de savoir quelle sorte de gens on va y trouver. Car enfin, l'action d茅pend infiniment moins des circonstances que de la fa莽on d'锚tre des personnages. Transportez Harpagon sur les bords de la B茅r茅sina en 1812, il n'en cessera pas pour cela d'锚tre un avare et d'agir comme un avare; ce sera un avare qui aura froid et qui aura peur, mais ce sera un avare. [鈥�] Tant il est vrai que la destin茅e, c'est le caract猫re. Ce mot c茅l猫bre, je voudrais qu'il f没t m茅dit茅 longuement par tous les romanciers dont le grand souci est de trouver un sujet. [鈥�] [D]ans un roman o霉 doivent se retrouver au moins quelques-unes des lois qui r茅gissent notre existence, [il est] naturel de concevoir d'abord les personnages et d'entrevoir au moins ce dont ils sont capables avant de les suivre 脿 travers les complications de leurs destin茅es. 禄 (p. 1422-1423)

聽芦 [D]'une fa莽on g茅n茅rale, je ne puis m'emp锚cher de croire que chercher d'abord son sujet, d'茅tudier ensuite ses personnages, c'est proprement mettre la charrue devant les boeufs; encore une fois pourtant, ceci est une r茅action toute personnelle. J'ai toujours cru, en effet, que le sujet d'un livre 茅tait l'oeuvre des personnages beaucoup plus que du romancier. 禄 (p. 1423)

聽芦 Moi, c'est quand j'ai fini mon livre que j'ai l'impression de conna卯tre, un peu, mes personnages. Je leur ai confi茅 le soin de mener l'intrigue et ils en ont fait ce qu'ils ont voulu, mais ils n'ont pas laiss茅 de me surprendre en cours de route et j'ai pens茅 plus d'une fois qu'ils devaient me trouver bien na茂f de ne pas les avoir mieux devin茅s. J'esp猫re que vous m'excuserez de me citer moi-m锚me et de tirer d'un de mes propres livres un exemple qui vous fera voire dans quelle obscurit茅 travaille quelquefois le romancier. 禄 (p. 1423)

聽芦 Si le romancier 茅tait un cr茅ateur d'automates, il pourrait s'indigner de ce que ses personnages n'agissent pas exactement selon ses pr茅visions; or le but du romancier n'est pas de construire des automates, mais bien de donner le jour 脿 des 锚tres humains, et l'锚tre humain, m锚me le plus banal et le plus terne, est encore ce qu'il y a de plus myst茅rieux en ce monde. 禄 (p. 1424)

聽芦 Je vous parlais tout 脿 l'heure des surprises du romancier. Ces surprises, je crois qu'il est bon que le romancier en ait souvent, car elles sont la marque de la vitalit茅 de ses personnages, comme j'ai essay茅 de vous l'expliquer, mais il est bien clair qu'aucune surprise n'est possible d猫s que le romancier se conforme 脿 un plan, et l脿 est, 脿 mon avis, le grand danger d'une action trop minutieusement concert茅e. Un plan d茅taill茅 tend, en effet, 脿 paralyser l'imagination de l'auteur [鈥�] 禄 (p. 1424)

聽芦 Ce qui peut arriver de plus heureux 脿 un romancier, c'est que ses personnages mettent son plan en pi猫ces et qu'ils agissent contrairement 脿 tous les calculs de leur cr茅ateur, car alors, au lieu de faire ce qu'on appelle un livre bien construit et bien 茅quilibr茅, mais immobile, il produit quelque chose de moins parfait, mais de vivant. La vie elle-m锚me comporte un 茅l茅ment de d茅sordre qui semble inh茅rent 脿 sa nature. [鈥�] 脌 vrai dire, la vie est un 茅trange romancier dont on peut dire presque autant de mal que de bien, mais sur qui, malgr茅 tout, il est indispensable de prendre mod猫le. 禄 (p. 1424-1425)

聽芦 [La vie] ne semble vraie 脿 la sc猫ne que par les artifices dont la bizarrerie et les complications ne nous paraissent toutes simples que parce que notre race en a une longue habitude, et le go没t du public ira toujours instinctivement vers les acteurs qui ressemblent 脿 des acteurs. Au fond, nous allons au th茅芒tre, et je crois aussi que nous lisons des romans, avec l'intention plus ou moins secr猫te de fuir la vie, mais le plus singulier est que, si nous ne la trouvons pas, dans les livres ou derri猫re les feux de la rampe, nous sommes m茅contents. C'est que nous la voulons hauss茅e d'un ton, ou si vous voulez, travaill茅e et accommod茅e par d'adroits sp茅cialistes qui la d茅barrasseront de tout ce qu'elle peut avoir d'ennuyeux ou de terne. 禄 (p. 1427-1428)

聽芦 Nous sommes tous d'accord que ce que nous demandons par-dessus tout 脿 un roman, c'est d'锚tre vrai. Si nous ne pouvons pas croire 脿 l'histoire qu'on nous raconte, elle finit par nous ennuyer, parce que, dans la vie comme dans la litt茅rature, le mensonge est g茅n茅ralement fort ennuyeux. [鈥�] Une histoire fantastique est mon d'锚tre sans charme, mais enfin, je vous parle du roman, et en particulier du roman tel que nous le concevons aujourd'hui. Nous exigeons de lui qu'il nous parle de choses 脿 la fois vraisemblables et int茅ressantes. 禄 (p. 1429)

聽芦 Cette histoire qui fit sourire le Paris litt茅raire de l'茅poque [celle d'un auteur na茂f transposant verbatim dans son oeuvre des 芦 sc猫nes prises sur le vif 禄], prouve que m锚me chez les gens du m茅tier il peut y avoir de ces confusions entre la v茅rit茅 des livres et la v茅rit茅 tout court, que nous propose la vie. Nous sommes l脿 en pr茅sence d'une sorte de myst猫re qui est 脿 la base de tout le probl猫me de l'art. Et la question qui se pose naturellement 脿 notre esprit est la suivante : 鈥淪'il ne suffit pas que le romancier observe fid猫lement la vie pour聽faire vrai, quels principes le guideront quand il voudra 茅crire un livre?鈥� [鈥�] peut-锚tre aussi la r茅ponse la plus sage de toutes serait-elle : 鈥淛e ne sais pas.鈥� 禄 (p. 1430)

聽芦 Ne pas penser 脿 autre chose que ce que l'on est en train d'茅crire est difficile, quelquefois p茅nible, mais cet effort de concentration est indispensable au vrai romancier qui veut聽voir聽ce qu'il d茅crit. 禄 (p. 1430)

聽芦 Les grands romans, je veux dire les romans qui nous donnent une impression de grande v茅rit茅, sont comme une vision provoqu茅e par la r茅alit茅 de la vie; cette vision n'est pas la vie, mais elle se substitue 脿 elle et d'une certaine mani猫re elle est aussi vraie. La vie ne peut fournir au romancier que la mati猫re sur laquelle il travaille, et elle ne peut se retrouver dans nos livres qu'en vertu d'une force obscure que nous appelons parfois talent, parfois g茅nie, sans bien savoir o霉 est la limite des deux ni, vraiment, de quoi il s'agit. 禄 (p. 1430)

25 juillet 1940
芦 Je recopie en la traduisant en anglais la relation de ce que j'ai vu en juin 1940, mais ce travail est d'une lenteur p茅nible. La langue anglaise ne provoque jamais en moi ce d茅sir de perfection lin茅aire que me donne le fran莽ais et j'ai le sentiment de l'茅crire d'une main qui tremble toujours de faire d茅vier la phrase. 禄

2 ao没t 1940
芦 Achev茅 hier le r茅cit de mon voyage de Bordeaux 脿 Lisbonne et commenc茅 un livre de souvenirs qui sera sans doute une histoire de ma vie, mais les premi猫res pages m'en semblent trop聽茅肠谤颈迟别蝉. Et puis, comment parlerais-je de tout? 禄

21 d茅cembre 1940
芦 Le fameux go没t de cendre que donne le pass茅 dans les romans psychologiques, je l'ai eu sur les l猫vres. Il me semble que toutes ces heures consacr茅es au plaisir et dont je voulais si fort conserver la m茅moire, rien n'en reste 脿 pr茅sent, parce que tout cela s'est consum茅 de soi-m锚me, rien, sinon des mots. 脌 quoi bon essayer d'emprisonner un beau visage dans une phrase? La phrase seule demeure et jusqu'au souvenir du visage s'茅vanouit. Peut-锚tre n'avons-nous pas le droit de disputer le pass茅 脿 l'oubli, mais quoi, nous ne voulons l芒cher ce que nous avons eu. La vie nous arrache nos jouets et nous pleurons comme des enfants. 禄

14 f茅vrier 1941
芦 脡crire un livre dans lequel il y aurait le myst猫re des arbres dans la brume, la beaut茅 des rires d'enfants, le reflet de la pluie sur les pav茅s d'une cour parisienne, il faudrait pour cela du temps et une tr猫s grande libert茅 d'esprit. C'茅tait pourtant聽mon聽livre, le livre que j'aurais voulu 茅crire; des fragments 茅pars s'en trouvent un peu partout dans mes r茅cits... Entre le monde et moi, la guerre a op茅r茅 un divorce profond et violent. 禄

27 mars 1941
芦 Je leur ai dit [aux 茅l猫ves de son cours sur l'茅criture romanesque] qu'elles auraient 脿 m'茅crire un d茅but de roman, et j'ai lu la stupeur sur plus d'un visage, mais je ne connais pas d'autre r猫gle pour 茅crire un roman que de se mettre 脿 sa table et de commencer par le chapitre 1er. S'il existe une recette, nous la d茅couvrirons peut-锚tre, elles et moi, mais pour le moment je ne la connais pas. Je leur ai dit qu'elles 茅taient libres d'茅crire ce qu'elles voulaient et de la mani猫re qu'elles l'entendraient, mais je leur ai conseill茅 de commencer par faire le portrait du personnage principal. Et si cela leur chante de faire un plan d'abord, qu'elles en fassent un; pour ma part je n'en fais jamais. [...] J'essaie de leur d茅montrer que le plan d'un livre est l'oeuvre des personnages, qu'il s'agit d'abord de cr茅er des personnages vivants et int茅ressants, et capables d'agir. Qu'elles s'efforcent donc de cr茅er d'abord un personnage, nous verrons ensuite ce dont il est capable; de l脿 d茅coulera l'histoire. 禄

23 mai 1941
芦 Les livres, derni猫re ressource de l'exil. Un livre est une fen锚tre par laquelle on s'茅vade. 禄

13 juin 1941
芦 Virginie. Feuillet茅 un exemplaire d'脡辫补惫别蝉. C'est mon meilleur livre, mon livre le plus聽grown up, le plus difficile 脿 茅crire, le plus r茅fl茅chi, le plus riche, le plus difficile 脿 lire aussi. 禄

7 octobre 1941
芦 Relu聽Les Contemplations聽dans un exemplaire d茅dicac茅 par l'auteur, ce qui augmente mon respect pour ce livre, car Hugo est un des rares 茅crivains pour qui j'ai ce qu'il est convenu d'appeler un culte. 禄

9 octobre 1941
芦 J'ai feuillet茅 ces jours-ci聽Dorian Gray聽avec le d茅sir d'y trouver de bonnes pages, mais n'y ai gu猫re trouv茅 que de bons mots. L'histoire en elle-m锚me est admirable, aussi riche, aussi profonde qu'un mythe grec, mais l'action est des plus faibles et se d茅sagr猫ge entre les mains de ces brillants causeurs que sont les personnages. On ne croit pas 脿 l'assassinat du peintre, ni au suicide de Sybil Vane, ni aux mortelles angoisses du h茅ros. Tout est faux, mais 脿 un tel point que ce faux m锚me finit par atteindre 脿 une sorte de v茅rit茅 芒pre et cruelle. [...] 脌 vingt ans d'admirais ce livre. Il 茅tait fait pour 茅blouir de jeunes nigauds comme moi, et tout ce clinquant de style et de fausse 茅rudition m'agrandissait les yeux d'茅tonnement. L'oeuvre de Wilde diminue d'importance avec les ann茅es (exception faite pour聽De Profundis听别迟听The Ballad of Reading Gaol). La guerre de 1914 a d茅ferl茅 comme une vague sur cette 茅poque d'oaristys; la guerre de 1939 ne peut que l'enfouir un peu plus profond茅ment dans la grande fosse commune de l'oubli. 禄

18 octobre 1941
芦 C'est en descendant au fond de nous-m锚mes que nous rejoignons l'universel, plus qu'en nous m锚lant aux hommes. 禄
芦 Le secret d'une grande oeuvre n'est pas ailleurs que dans cette force irr茅sistible de la v茅rit茅. Il y a un accent qui bouleverserait les plus indiff茅rents. 禄

18 mars 1942
芦 Psychologiquement, [Macbeth] est une des pi猫ces les plus聽jeunes聽de Shakespeare. Le caract猫re des personnages est donn茅 une fois pour toutes d猫s le d茅but, surtout dans le cas de Lady Macbeth qui ne bougera pas : elle pourrait accumuler assassinat sur assassinat pendant quarante actes qu'elle serait toujours la m锚me. Macbeth, lui, cro卯t un peu en hardiesse, mais son caract猫re ne comporte aucune surprise. Lui et sa femme sont comme des locomotives lanc茅es 脿 toute vapeur sur une voie ferr茅e absolument droite; ils ne d茅vient jamais dans le crime; de temps en temps, le coup de sifflet d'un remords, c'est tout, et ils continuent. Et puis, si l'on 么tait les cris dans l'obscurit茅, les mal茅dictions, le tintamarre de l'orage et les poignards 鈥渃hauss茅s de sang鈥�, il resterait une pi猫ce singuli猫rement appauvrie.

30 avril 1942
芦 Traduit les psaumes XLI et XLII. 脌 ce propos, remarqu茅 que dans toutes les traductions re莽ues et autoris茅es, le ton du livre est presque uniform茅ment solennel, ce qui r茅pand comme une teinture d'ennui sur toutes les pages. La familiarit茅 est exclue, l'expression forte et savoureuse qui vient aux l猫vres de l'homme du peuple est savamment 茅dulcor茅e par les timides professeurs dont la t芒che est de faire passer dans leur langue ce livre plein de cris et de larmes, de col猫re et de joie. 禄

6 juillet 1942
芦 Peut-锚tre suis-je un des seuls hommes de ce pays [Les 脡tats-Unis] qui fasse ses livres聽脿 la main, et j'entends cela de bien des mani猫res. Un roman am茅ricain est trop souvent du travail en s茅rie. Les miens, non; mais j'appartiens 脿 une race en voie de disparition. 禄

4 ao没t 1942
芦 Si l'on pouvait se voir soi-m锚me comme un personnage de roman, on obtiendrait de cette fa莽on l'茅quivalent du聽recul聽qu'il faut pour bien saisir le pittoresque de notre vie quotidienne. On verrait par les yeux d'un romancier tout ce qui nous para卯t tant soit peu monotone et incolore, et nous ferions peut-锚tre quelque chose de passionnant de la banalit茅 de tous les jours... 禄

24 janvier 1943
芦 Relu quelques pages dans聽Le Rouge et le Noir, en particulier le chapitre intitul茅 鈥淟e S茅minaire鈥�. J'admirais autrefois plus que je ne le fais aujourd'hui ce morceau o霉 je trouve surtout une sorte de s茅cheresse forcen茅e qui n'est pas sans quelque rapport avec Sade. Je vois bien la beaut茅 de ces pages, mais je ne la go没te plus; elle me transportait jadis, mais, 脿 pr茅sent, je ne vois plus dans l'abb茅 Pinard qu'un 茅pouvantail en soutane, et il ne m'int茅resse plus. 禄

21 mai 1943
芦 Relu聽Henri V, non sans une grande d茅ception. Henri V n'a pas plus de r茅alit茅 que le roi de pique, et c'est une machine 脿 discours, de beaux discours, sans doute, mais o霉 est la v茅rit茅 historique dans tout cela? Henri V 茅tait une sorte de boucher. Il disait qu'une guerre sans massacres ressemblait 脿 de l'andouille sans moutarde, et il fit 茅gorger les chevaliers fran莽ais qu'il retenait prisonniers, apr猫s leur avoir 么t茅 leurs armes. Ce que Shakespeare nous donne est une sorte de mensonge officiel, et il devait bien le savoir. Ennui de se sentir vol茅 par les聽grands, ceux en qui on voulait avoir confiance. 禄

11 juin 1943
芦 Je disais l'autre jour que la vertu, dans les romans, est en g茅n茅ral repr茅sent茅e d'une fa莽on ridicule, quelles que puissent 锚tre les intentions de l'auteur. Quoi de plus effroyablement rat茅 que la Little Nell de Dickens ou que les vertueuses demoiselles de Balzac? L'exception la plus remarquable, 脿 ma connaissance, est la Pr茅sidente de Tourvel. Quelle est la part d'ironie dans le portrait de cette femme? Je n'en sais rien, mais il me para卯t 茅vident que le personnage a聽茅肠丑补辫辫茅聽脿 Laclos et qu'il vit ind茅pendamment de l'auteur. Le blanc est une couleur (si c'en est une) dont les romanciers se servent mal; ils sont beaucoup plus habiles avec le noir, qui est, d'apr猫s Tintoret, la plus belle des couleurs (si c'en est une). 禄

27 juin 1942
芦听Les Mis茅rables聽me sont assez vite tomb茅s des mains. M. Myriel est trop uniform茅ment faux pour conserver le moindre int茅r锚t. Quand j'ai vu cet 茅v锚que 脿 genoux devant un ex-constitutionnel et lui demandant sa b茅n茅diction, j'ai ferm茅 le livre. 禄

19 f茅vrier 1944
芦 Ce qui fait que j'h茅site toujours au d茅but d'un roman, et que je reviens souvent sur ce que j'ai fait pour recommencer 脿 pied d'oeuvre, c'est qu'une fois les premi猫res pages 茅肠谤颈迟别蝉, il va falloir vivre avec les personnages qu'on d茅crit, vivre avec eux pendant trois cents pages, et avec les manies, les d茅fauts et les meubles qu'on leur a donn茅s. 禄

26 mars 1944
芦 Je connais le pi猫ge des mots, le d茅terminisme cr茅茅 par les phrases qui appellent d'autres phrases jusqu'脿 ce que soient prononc茅es les paroles irr茅vocables. 禄

4 juin 1944
摆厂耻谤听The Ring and the Book聽:] 芦 Beaucoup r茅fl茅chi aux probl猫mes que cette oeuvre soul猫ve. La m锚me histoire racont茅e dix fois de suite et chaque fois plus passionnante. Il y a l脿 une r茅ussite exceptionnelle et qui rejoint les grandes r茅ussites du roman. De quel grand roman ne s'茅chappe pas le cri muet de 鈥�Audiatur et altera pars!鈥� [鈥淨ue l'on 茅coute l'autre partie!鈥漖. 禄

20 juin 1944
芦 Lu聽Quatre-vingt-treize聽que je n'avais pas ouvert depuis des ann茅es. Admiration totale pendant deux cents pages, puis tout 脿 coup la lecture devient impossible : c'est trop fabriqu茅, trop uniment faux. Ce qu'il y a de mieux, c'est l'茅pisode du canon et, 脿 la fin du chapitre suivant, ce mot : 鈥淛e suis le fr猫re de l'homme que vous avez fait fusiller.鈥� Magnifiques aussi les pages sur la Vend茅e et celles sur la Convention. Il y a des phrases de bronze, trop m锚me, et Cimourdain est impossible, c'est un h茅ros de carton. Curieuse pourtant l'histoire de Cimourdain et de Gauvain. Hugo a-t-il pens茅 脿 Balzac, 脿 Vautrin et Lucien de Rubempr茅? 禄

15 ao没t 1944
芦 Essay茅 de commencer un roman, mais d茅courag茅 par la ressemblance que je constate entre ce d茅but et mes autres livres. Je ne veux 脿 aucun prix recommencer ce que j'ai fait. Pourtant ces trois ou quatre pages me plaisaient; trop peut-锚tre : il y a certaines phrases qui m'ont paru suspectes parce que trop bien venues; je redoute de la part de certains mots, de certains groupes de mots, une sorte de complaisance 脿 s'allier les uns aux autres. 禄

7 octobre 1944
芦 Hier, 脿 Washington, j'ai d茅cid茅 d'abandonner le roman dont j'avais 茅crit dix-neuf grandes pages. Je l'abandonne 脿 cause de la facilit茅 des dialogues et de la pente o霉 je me suis senti glisser. Si je voulais, comme on dit, faire carri猫re, j'aurais men茅 ce livre 脿 sa fin et il aurait 茅t茅 suivi d'autres livres, avec plus ou moins de succ猫s; mais j'ai d茅j脿 vu trop d'茅crivains g芒ter leur talent en recommen莽ant chaque ann茅e le m锚me livre. Il se peut que je reprenne ce livre, mais en le pr茅sentant d'une fa莽on toute diff茅rente. Il sera 茅crit 脿 la premi猫re personne par quelqu'un qui ne comprendra pas bien de quoi il est vraiment question dans cette histoire. C'est une exp茅rience que j'ai toujours voulu faire parce que je crois que, neuf fois sur dix, c'est ce que fait le romancier : il ne saisit pas toujours tous les aspects du sujet, pip茅 qu'il est par des personnages qui, eux, en savent plus long que lui. Dans le cas pr茅sent, je sais de quoi il s'agit et le lecteur le saura aussi, en sorte qu'il aura sur le narrateur le sentiment d'une sup茅riorit茅 flatteuse. 禄
芦 L'ambition de tout 茅crivain d'imagination est de cr茅er un mythe. 禄

13 octobre 1944
芦 Hier, travaill茅 toute la journ茅e 脿聽Baphomet听摆诲别惫颈别苍诲谤补听Si j'茅tais vous...]. Je crois qu'il est n茅cessaire, dans un roman de ce genre, qu'il y ait un tr猫s fort dosage de r茅alisme, que le vrai fasse passer l'imaginaire, et que le vrai soit d'autant plus exactement vrai que l'imaginaire fait violence au vraisemblable, enfin que ce soit de 鈥渓'impossible probable鈥�, pour reprendre le mot d'Aristote. 禄

16 octobre 1944
芦 Cette histoire d'un homme qui veut devenir quelqu'un d'autre, qui en a assez d'锚tre lui-m锚me, qui veut s'emparer de l'芒me d'une ou de cent personnes diff茅rentes, s'y loger, y vivre, n'est-ce pas l'histoire du romancier lui-m锚me? L'id茅e m'en para卯t si belle (je l'ai port茅e en moi plus de vingt ans sans en avoir compris comme aujourd'hui pleinement, tout le sens), que je crains de demeurer au-dessous du sujet. Je veux m'efforcer de le traiter s茅rieusement, de ne pas c茅der 脿 la veine ironique qui a toujours 茅t茅 si forte en moi, parce que l'ironie est un aspect du doute et qu'il faut 茅crire 脿 une histoire de ce genre pour la faire accepter. 禄

24 d茅cembre 1944
芦 Un peu inquiet au sujet de mon roman. Les personnages passent par vingt transformations, mais je me demande par quelle transformation aura pass茅 l'auteur avant d'avoir 茅crit le mot聽fin. Cette question, je me la pose pour tous mes livres. Il y a l脿 un danger dont je crois qu'on n'a jamais parl茅. Si l'on 茅crit son livre avec trop de lenteur, on risque de ne plus vouloir le finir, parce que celui qui devrait le finir n'est plus la m锚me personne que celui qui l'a commenc茅. 禄
芦 Le mot de Mauriac : 鈥淧urifier la source鈥� a l'air de r茅soudre la question et ne fait que l'embrouiller, car la source m锚me du roman est empoisonn茅e, et, priv茅e des poisons qui la composent, elle voit s'alt茅rer sa nature. Je ne crois pas qu'il y ait de roman qui ne contienne de poison. 禄

26 janvier 1945
芦 Relu le d茅but de聽La Vieille Fille. Le portrait du chevalier de Valois est de premier ordre (choix des d茅tails : il ne rougit que d'un c么t茅 de visage; il est blond et tout en lui est blond : ses mani猫res, ses propos, sa fa莽on de priser; il y aurait une phrase charmante 脿 citer). Mais d猫s la page 4 les digressions commencent, et elles sont assommantes. Des r茅flexions interminables coupent le r茅cit d'une mani猫re qui finit par exasp茅rer le lecteur de 1945, et cela est d'autant plus f芒cheux que les personnages vivent et respirent devant nous. De nos jours encore, le roman n'a pas perdu ce ton bavard que lui a donn茅 Balzac. 禄

1er f茅vrier 1945
芦 Je pose la question sans pouvoir y r茅pondre : l'indiff茅rence religieuse donne au romancier une libert茅 plus grande. Quel scrupule l'arr锚tera lors de la cr茅ation du monde qu'il fait tenir dans les pages de son livre? Un livre sans p茅ch茅 mortel? Il faut 锚tre P茅guy pour en faire un, et P茅guy n'茅tait pas romancier. Or, le vrai romancier ne domine pas son roman, il devient son roman, il s'y plonge. Entre lui et ses personnages, la complicit茅 est plus profonde m锚me qu'il ne le croit et s'ils p猫chent, il p猫che aussi de quelque mani猫re. Il est tout ce qu'est son livre, s'il y croit, s'il se laisse prendre et s'il ne se laisse pas prendre, s'il ne subit pas lui-m锚me l'envo没tement de cette chose monstrueuse qui sort de son cerveau 鈥� car le roman est un monstre 鈥� il n'茅crit plus de romans, il en fabrique. Cela pos茅, et pos茅 sans l'ombre d'un doute dans mon esprit, je voudrais savoir si le fait d'茅crire un roman est compatible avec l'茅tat de gr芒ce. 脌 cette question, je ne puis ni ne veux r茅pondre. Je crains surtout les r茅ponses qu'on me ferait, les solutions ing茅nieuses. Jamais un scrupuleux ne fera un grand roman. Dans la crainte d'offenser Dieu, il 茅crira de prudentes platitudes, et qui sait si Dieu ne veut pas le risque? Qui sait si ce n'est pas l脿 le moyen de lui plaire et d'accomplir sa vocation? 禄

20 f茅vrier 1945
芦 Il arrive un moment o霉 l'茅crivain se juge lui-m锚me avec une lucidit茅 plus grande que dans sa jeunesse, et s'il n'a pas cess茅 de se d茅velopper, il devient sup茅rieur 脿 son oeuvre. Si j'茅crivais ceci en anglais, je me servirais du verbe聽outgrow聽qui dit admirablement ce que je veux dire :聽to outgrow one's own books. L'obsession du n茅ant des choses humaines y est pour quelque chose. Il y aurait beaucoup 脿 dire sur ce point. L'茅crivain qui est devenu la proie de cette pens茅e 茅prouve souvent beaucoup de peine 脿 voir la n茅cessit茅 de ce qu'il 茅crit, et cependant il est n茅cessaire qu'il 茅crive; m锚me si son livre n'est rien, ce livre doit 锚tre 茅crit et, paradoxalement, ce rien doit exister, car l'茅crivain n'est cr茅茅 que pour cr茅er lui-m锚me. Ce serait m锚me un tr猫s grand p茅ch茅 que de ne pas 茅crire.听

Article paru en 1946.

芦 Que de fois, dans un passage obscur du quartier de la Bourse, ne me suis-je pas arr锚t茅 au bas d'un escalier dont la spirale fastueuse s'enroule avec une hautaine nonchalance et part pour un voyage dans les t茅n猫bres! La pomme de cuivre, la rampe de ch锚ne et les marches grises de poussi猫re se parent 脿 mes yeux d'une聽beaut茅 de roman聽qui me suit longtemps apr猫s que j'ai retrouv茅 la rue; je puis me figurer quelques-uns des personnages admirables que la vie, avec son insolente prodigalit茅 de grand 茅crivain, a fait monter et descendre dans ce puits d'ombre, pour le plaisir, semble-t-il, d'茅taler ses dons et de narguer ses imitateurs. 禄 (p. 1147-1148)

Cet 芦 Avant-propos 禄 a paru dans la premi猫re 茅dition de Si j'茅tais vous鈥� (1947).

芦 Le romancier, qui est 脿 la fois tous les personnages de tous ses livres, se transforme, parfois 脿 grand effort, en qui bon lui semble. 禄 (p. 1527)

芦 Deux races d'hommes r茅ussissent le genre d'茅vasion dont je parle : les po猫tes, parmi lesquels je range les romanciers, et les mystiques.听Grosso modo, et avec toutes les r茅serves 脿 faire sur de telles simplifications, on pourrait dire que les po猫tes s'茅chappent de leur moi en le transformant, et les mystiques en oubliant que ce moi existe. 禄 (p. 1527)

Texte non dat茅.

芦 Je voudrais avoir la m锚me confiance [que Th茅ophile Gautier] dans le langage humain ou me sentir moins maladroit quand j'essaie d'assembler des mots, car l'inexprimable est l脿 qui m'arr锚te 脿 chaque coin de page, non seulement quand je m'aventure dans le domaine de l'invisible, mais beaucoup plus ordinairement, alors qu'il s'agit de d茅crire le parfum d'un tilleul, ou le go没t d'une cerise que je veux distinguer du go没t d'une fraise, ou du froid d'une table d'acajou sous ma paume. 禄 (p. 1157)

15 juillet 1946
芦 Le d茅sir est la source impure d'o霉 l'on tire parfois des romans sombres et po茅tiques, et si l'on essaie de purifier la source, plus de romans. 禄

19 ao没t 1946
芦 脌 Rilly, lu聽King John聽avec une admiration presque sans r茅serve. [...] Pour revenir 脿 la rh茅torique de tout 脿 l'heure, j'ai 茅t茅 frapp茅 de voir combien vraisemblable peut 锚tre un discours po茅tique dans la bouche d'un roi. Qui de nos jours aurait le courage, ou le g茅nie, de faire parler Roosevelt comme un tr猫s grand po猫te? ou Hitler? car bons et m茅chants parlent admirablement dans Shakespeare et il ne peut faire que tout ne soit beau. 禄

24 ao没t 1946
芦 Qu'est-ce, me dis-je, que la r茅alit茅 de mes personnages compar茅e 脿 ce qui se fait aujourd'hui dans le monde infernal de la politique et 脿 toutes les menaces de l'avenir? Il devait 锚tre plus facile de croire 脿 ces personnages aux environs de 1900. 禄

3 septembre 1946
芦 Ceci me para卯t curieux : en cherchant des synonymes pour 茅viter des r茅p茅titions de mots, je serre presque toujours de beaucoup plus pr猫s le sens de ma pens茅e, mais il arrive que ne trouvant pas les synonymes dont j'ai besoin, je suis amen茅 脿 dire autrement ce que j'ai en t锚te et vais parfois beaucoup plus loin que je ne pouvais l'esp茅rer; ainsi, le plus banal probl猫me d'euphonie verbale me met sur la piste de quelque chose que je ne soup莽onnais pas, non plus dans le domaine du son, mais dans celui du sens. 禄

31 octobre 1946
芦 Il n'y a que ce que je passe sous silence qui s'exprime dans mes romans (c'est m锚me pour cela que mon vrai journal se trouve enfoui dans ce que聽j'invente). 禄

26 novembre 1946
芦 Beaucoup travaill茅 脿 mon roman. Il y avait une sc猫ne g锚nante, rendue n茅cessaire par quelque chose qu'avait dit un personnage dans un chapitre pr茅c茅dent, mais en elle-m锚me cette sc猫ne me paraissait inutile et tr猫s difficile 脿 voir; cependant, elle devait meubler un laps de temps, occuper l'attention du lecteur. Au d茅but de la seconde partie, en effet, St茅phanie dit 脿 脡lise qu'elle veut lui parler apr猫s le d茅part des 鈥渉ommes鈥�. Les hommes s'en vont. Qu'est-ce que ces deux femmes vont avoir 脿 se dire? Une premi猫re sc猫ne, 茅crite d'un bout 脿 l'autre, m'a paru improbable. J'ai compris qu'il me fallait observer ces personnages de plus pr猫s et les 茅couter tr猫s attentivement. Tout 脿 coup, l'id茅e m'est venue de faire d'脡lise une somnambule, et je me demande aujourd'hui comment je n'y ai pas song茅 plus t么t, car ce trait correspond 脿 la v茅rit茅 d'une mani猫re indiscutable. L'id茅e des grands coups de poing donn茅s dans la porte de St茅phanie m'est venue presque en m锚me temps. Ainsi, une sc猫ne de transition, d'attente, de聽remplissage, est devenue, me semble-t-il, une des plus vraisemblables de cette partie du livre. Elle a 茅t茅 茅crite enti猫rement 脿 la machine, et je ne saurais expliquer pourquoi, mais j'ai l'impression que d'avoir 茅t茅 compos茅e ainsi la prive des nuances qu'on est accoutum茅 de trouver dans un roman et qu'elle est vue un peu comme une sc猫ne dans une pi猫ce de th茅芒tre. 禄

6 octobre 1947
芦 Mis la derni猫re main 脿 mes dialogues le 4. Je suis tr猫s loin d'en 锚tre content, mais il y aura peut-锚tre quelques sc猫nes dont le ton semblera juste. Les parties invent茅es me g锚nent. Je n'y 茅tais pas. Je me souviens de l'ennui avec lequel j'ai lu les sc猫nes de聽La Renaissance, de Gobineau, parce qu'elles 茅taient si manifestement invent茅es et qu'on avait 脿 chaque instant la certitude que les choses ne s'茅taient point pass茅es ainsi. 禄

3 novembre 1947
芦 Mais il y a ceci de vrai, que mes romans laissent entrevoir dans de grands remous ce que je crois 锚tre le fond de l'芒me et qui 茅chappe toujours 脿 l'observation psychologique, la r茅gion secr猫te o霉 Dieu travaille. 禄

Sans date (p. 988-989)
芦 Lecture de聽What Maisie knew聽de Henry James. Je n'ai pu qu'admirer les trente ou quarante premi猫res pages, puis il est arriv茅 un moment o霉 je me suis demand茅 : 鈥淨u'est-ce que tout cela peut bien me faire?鈥� Je vois bien que ce livre est bon, mais comme on se sent loin parfois de toute litt茅rature de ce genre. Comme on se sent loin de toute litt茅rature qui ne nous parle pas de Dieu, qui ne nous donne pas de ses nouvelles! Et puis, dans notre monde de l'ab卯me, le probl猫me de la petite Maisie, tout r茅el et poignant qu'il est, perd consid茅rablement de son importance. A-t-elle faim? A-t-elle froid? Non. Alors? Ainsi raisonneront, je crois, pas mal de lecteurs fran莽ais. 禄

8 d茅cembre 1947
[Sur Moli猫re :] 芦 Je ne l'aime vraiment que lorsqu'il fait fi de nos suffrages et qu'il se parle 脿 lui-m锚me. 禄

29 d茅cembre 1947
芦 鈥淥h! moi, lui ai-je r茅pondu, je cr茅e les personnages et ce sont eux qui font le roman. Si vous croyez qu'ils m'茅coutent! Ils m'envoient promener exactement comme on envoie promener son p猫re, quelquefois.鈥� (Il est certain que je n'ai jamais fait un plan que mes personnages ne l'aient mis en pi猫ces et foul茅 aux pieds.) 鈥淟es Fran莽ais, lui ai-je dit encore, sont trop intelligents pour croire aux histoires qu'ils racontent; ils sont toujours pr锚ts 脿 faire au lecteur sceptique un clin d'oeil de connivence, de nos jours surtout, comme pour lui dire 鈥楴ous savons bien, n'est-ce pas, que cela n'est pas vrai!' Une certaine na茂vet茅 leur manque, qui est tr猫s n茅cessaire. Les romanciers anglo-saxons, en g茅n茅ral, sont beaucoup plus 鈥榞obeurs' : il leur suffit d'茅crire : 鈥楨lle portait une robe de serge bleue', pour sentir cette 茅toffe sous leurs doigts, et si la dame pleure, ils pleurent aussi.鈥� 禄

19 f茅vrier 1948
芦 Pens茅 de nouveau au 鈥減urifier la source鈥� de Mauriac. Est-ce vraiment d'une source purifi茅e que viennent les romans 茅crits par des catholiques? Je commence 脿 croire qu'il n'y a pas de roman sans p茅ch茅 (je ne pense plus 脿 Mauriac, mais bien 脿 moi) et c'est une question de savoir si le roman n'exige pas un minimum de cette fausse libert茅 que donne le p茅ch茅, une d茅livrance de toute contrainte. Un homme qui tremble devant le p茅ch茅 n'茅crira jamais de romans. 禄

3 mars 1948
芦 Relu tout 脿 l'heure, dans聽搁茅蝉耻谤谤别肠迟颈辞苍, l'histoire des deux jeunes r茅volutionnaires qu'on pend. C'est un passage qui m'avait horrifi茅 quand je le lus pour la premi猫re fois (en Italie, en 1917), et aujourd'hui encore il m'a fait battre le coeur d'indignation, d'angoisse. Voil脿 ce que peuvent les mots sous la plume d'un tr猫s grand 茅crivain : l'茅motion est si vraie chez l'auteur qu'elle se reproduit telle quelle chez le lecteur. 禄

29 mars 1948
芦 Beaucoup r茅fl茅chi au roman, ces temps-ci. Il y a ce fait capital, que je n'ai plus envie d'en 茅crire. Et 脿 quoi cela tient-il? Peut-锚tre suis-je d茅courag茅 par la menace d'une guerre. Mais il y aura toujours cette menace, m锚me si la guerre n'茅clate pas. Il faut faire聽als ob, comme dit Adler. Mais il y a autre chose : lutter contre soi-m锚me paralyse l'imagination du romancier, pour la simple raison que le talent du romancier plonge ses racines dans le p茅ch茅, je ne dis pas dans la vie p茅cheresse, mais dans l'id茅e du p茅ch茅. La source du roman est impure. Je r茅sume, et en r茅sumant je simplifie ce qui est tr猫s long 脿 dire et tr猫s complexe. 禄

12 avril 1948
芦 Le romancier est pareil 脿 un 茅claireur charg茅 d'aller voir ce qui se passe tout au fond de l'芒me. Il en revient et raconte ce qu'il a vu. Jamais il ne reste 脿 la surface et il n'habite que les r茅gions les plus obscures. Telle est mon exp茅rience. Je conviens qu'elle n'est pas n茅cessairement celle des autres romanciers. Pens茅 脿 cela ce matin 脿 propos des rapports qui peuvent exister entre le roman et la foi. L'id茅e d'茅crire des romans apolog茅tiques a quelque chose d'horrifiant 脿 mes yeux. J'aimerais mieux ne plus jamais 茅crire que de fabriquer une oeuvre d'imagination qui tende 脿 prouver quoi que ce soit. 禄

21 mai 1948
芦 Longue conversation avec le P猫re Couturier au sujet du romancier. Celui-ci se nourrit de tout ce qu'il voit, de tout ce qu'il lit et de tout ce qu'il entend. La difficult茅, s'il est croyant, commence d猫s qu'il s'assoit 脿 sa table pour 茅crire, car il est n茅cessaire qu'il devienne tous ses personnages et se plonge avec eux dans leurs p茅ch茅s. J'ai pens茅 jadis que c'茅tait l脿 un faux probl猫me, mais en fait il n'existe pas de roman digne de ce nom s'il n'y a complicit茅 entre le romancier et ses cr茅atures, et bien plus qu'une complicit茅 : une identification absolue. C'est pour cela, je pense, qu'on n'a jamais vu de saint 茅crire un roman. Quand je lis les romans dont la source a 茅t茅 鈥減urifi茅e鈥�, je suis 茅merveill茅 de la richesse des poisons qui se trouvent dans chaque personnage! 脭tez le poison, vous tuez le roman. Et si Dieu veut qu'il y ait des oeuvres d'art, comme me le dit le P猫re Couturier, osera-t-on condamner聽Les Liaisons Dangereuses? Que resterait-il de la litt茅rature si on l'expurgeait?聽Esther听别迟听Athalie? (Excellent exemple, en passant de bonnes oeuvres faites avec de bons sentiments.) D茅prim茅 et irrit茅 par cette question. 禄

13 juin 1948
芦 Trop d'茅crivains de notre temps font leurs livres avec leur cerveau, au d茅triment et en d茅pit de leur instinct, or l'instinct, dans bien des cas, c'est le g茅nie, mais ils n'osent y c茅der. Peur du ridicule. 禄

20 ao没t 1948
芦 脡crire des livres console l'茅crivain de tout ce que la vie lui refuse. Peut-锚tre m锚me une vie combl茅e e没t-elle 茅t茅 pour lui une vie st茅rile. L'homme satisfait n'茅crit pas. 禄

27 septembre 1948
芦 Ce matin, 脿 l'aube, r茅fl茅chi 脿 mon roman. Il faut que je le retienne de pencher vers l'茅rotisme [...] J'ai contre l'茅rotisme que c'est avant tout de la facilit茅. Ce n'est plus l'audace, c'est m锚me une sorte de poncif, et il me suffit que la mode s'en soit empar茅e pour que je le d茅teste. 禄

4 octobre 1948
芦 Bien travaill茅. Il y a des jours o霉 les personnages agissent d'eux-m锚mes, surtout lorsqu'ils sont lanc茅s, apr猫s les vingt premi猫res pages. Ils semblent alors prendre le r茅cit en main, disent quelquefois des choses qui me surprennent. 禄

8 octobre 1948
芦 Ce qui s'茅labore en nous, dans les r茅gions les plus secr猫tes de l'imagination, 茅chappe enti猫rement 脿 notre analyse, car il me para卯t certain que ce roman que j'ai embrass茅 d'un seul coup d'oeil dans les circonstances que j'ai dites, s'est fait en moi pendant l'espace de trois ans sans qu'une fois seulement je m'en sois dout茅. 禄

16 octobre 1948
芦 Relu des nouvelles de Balzac. [...] Toutes les parenth猫ses philosophiques m'ont paru assommantes. Le r么le du romancier est de voir et de dire ce qu'il a vu. S'il veut 鈥減enser鈥�, qu'il le fasse ailleurs que dans un roman. Cette parade intellectuelle alourdit et fatigue le r茅cit. 禄

27 octobre 1948
芦 Plaisir de relire.听厂补濒补尘尘产么. Les phrases du d茅but sont d'une r茅sonance merveilleuse. [...] Jamais il ne c猫de 脿 cette esp猫ce de vertige du bavardage qui fait chavirer certains r茅cits de Balzac. 禄

13 novembre 1948
芦 Roman. Tout est improvis茅 dans mes livres. C'est m锚me 脿 cette seule condition que mes personnages peuvent vivre. Flaubert n'e没t jamais admis cela, mais d'autre part je n'ai jamais pu faire vivre un plan. 禄

Sans date (p. 1052)
芦 Mais ce ne sont pas ces extravagantes cochonneries dont je ferais grief 脿 l'auteur [celui-ci n'est pas nomm茅]. Ce que j'ai contre lui, c'est qu'il est lyrique, et les lyriques n'ont jamais le sens de la v茅rit茅. 禄

16 janvier 1949
芦 Je hais tout cet aspect du monde. Je voudrais qu'il n'y e没t pas de d茅sirs charnels, et pourtant c'est cela qui fait qu'on agit, qu'on fait des enfants et qu'on fait des livres. Mon plus grand p茅ch茅 aura 茅t茅 de ne vouloir pas accepter la condition humaine. 禄

18 avril 1949
芦 Fini la premi猫re partie de mon roman. Il y a tant de dialogues que cela ressemble 脿 du th茅芒tre, mais c'est ainsi que le livre s'est pr茅sent茅 脿 moi. Je ne veux 脿 aucun prix l'alourdir d'explications. La page trop dense m'ennuie. Il faut qu'il y ait de l'air.

1er mai 1949
芦 J'ai relu ce que j'ai 茅crit de mon roman. Comment ne verrais-je pas que c'est la transposition de ma propre histoire? L'茅ternelle lutte contre soi-m锚me. J'ai mis en sc猫ne un protestant comme on prend un pseudonyme, mais ici je me cache tr猫s visiblement, si je puis dire. 禄

26 juin 1949
芦 Repris mon roman apr猫s une interruption de quelques jours. Je crois que ce qui me pousse en avant dans ce livre c'est que le drame int茅rieur de Joseph est aussi le mien, avec les transpositions n茅cessaires. 禄

8 juillet 1949
芦 Un peu rebut茅 par mon roman parce que je suis 脿 un endroit o霉 il faut que je donne des explications. Il y en a d茅j脿 deux grandes pages que je vais simplement r茅sumer en deux lignes, car ces pages ne servent pas l'action et c'est l'action qui importe le plus. L'explication psychologique est trop souvent le signe d'une action insuffisamment motiv茅e. Le geste doit r茅v茅ler ce qu'il y a au fond de l'芒me; c'est son r么le; les phrases ne sont que de l'amplification. On voit cela dans presque tous les romans qui s'茅crivent aujourd'hui. 脡poque bavarde et raisonneuse que la n么tre. 禄

18 juillet 1949
芦 Roman. Il faut 茅viter que l'action ne s'enlise dans les conversations comme elle aurait pu le faire dans les d茅veloppements psychologiques. D猫s qu'un personnage s'茅coute parler, lui fermer la bouche. De temps en temps, je reprends le livre depuis son d茅but, j'entends par l脿 que je le feuillette de mani猫re 脿 revoir en quelques secondes le contenu de chaque page. Je vois ainsi si cela avance, si cela bouge, ou si au contraire cela pi茅tine. Il faut qu'au d茅but de la seconde partie, que j'aborde aujourd'hui, il y ait le m锚me 茅lan qu'au d茅but de la premi猫re. Ce sont les personnages m锚mes qui me fournissent l'action, c'est 脿 eux que je m'en remets. D猫s que j'essaie de diriger moi-m锚me l'action, je suis presque s没r de me tromper; eux savent [...] 禄

20 juillet 1949
芦 Comme on sent bien 脿 la lecture qu'un livre est n茅cessaire ou qu'il ne l'est pas, et non tant au lecteur qu'脿 l'auteur m锚me! L'茅lan initial est-il assez fort pour porter le r茅cit jusqu'au bout? Il faudrait qu'脿 chaque page on e没t l'impression d'une irr茅sistible pouss茅e int茅rieure; au lieu de quoi, le plus souvent, on 茅prouve le sentiment d'un pensum dont l'auteur se d茅barrasse parce qu'il lui faut un certain nombre de billets de banque. Il arrive que le livre, au d茅but, subit cette impulsion myst茅rieuse qui vient du dedans, mais qui perd de sa vigueur en cours de route et cesse tout 脿 fait, alors que le livre, lui, continue comme il peut. Ces mots inertes dont on couvre les pages, ces longues phrases de paresseux press茅 d'en finir... J'ai toujours eu la plus grande m茅fiance 脿 l'茅gard d'un livre trop long, parce que c'est souvent le signe d'un manque d'茅nergie et non, comme on le croit, la marque d'un grand labeur. 禄

16 octobre 1949
芦 J'ai dit autrefois que je ne pouvais qu'inventer mais je n'avais pas r茅fl茅chi suffisamment au probl猫me pour m'exprimer d'une fa莽on aussi inexacte. La v茅rit茅 est que je ne sais pas inventer. Il y a en moi quelqu'un ou quelque chose qui me fait voir mes personnages et me les fait voir en train d'agir. L'intensit茅 de la vision n'a jamais 茅t茅 plus grande, dans mon cas, que lorsque j'ai 茅crit mes trois premiers romans. Elle a baiss茅 dans 脡辫补惫别蝉 (influence du milieu et d茅sir incompr茅hensible d'aller contre le succ猫s). De nouveau, ce don m'a 茅t茅 rendu dans聽Minuit听别迟听Le Visionnaire, m'a presque totalement fait d茅faut dans聽Varouna听别迟听Si j'茅tais vous...聽(exception faite pour la sc猫ne avec l'enfant et peut-锚tre aussi pour celle qui se d茅roule dans le passage du Caire). Dans le roman qui m'occupe, la vision est si nette qu'elle emp锚che toute explication d'ordre psychologique, et cela vaut beaucoup mieux. 禄

29 octobre 1949
芦 Mon roman avance lentement, trop peut-锚tre, mais la nettet茅 de la vision est 脿 ce prix, me semble-t-il. Je pourrais couvrir une plus grande surface de papier chaque jour, mais alors聽j'inventerais聽et d'une certaine fa莽on, je mentirais au lieu de d茅crire le plus v茅ridiquement possible ce que je vois. [...] Ce que je reproche 脿 certains romanciers de nos jours n'est pas de faire exprimer des id茅es par leurs personnages. Non, ce que je leur reproche, c'est que les id茅es de leurs personnages ne font pas partie de ceux qui les expriment, mais de l'auteur. Quand un personnage dans un grand roman russe nous livre ses id茅es, c'est sa chair et son sang qui parlent et l'on y croit, mais comment ne pas voir que les personnages de tel 茅crivain moderne ne sont que ses porte-parole et que leurs discours sont interchangeables? 禄
芦 Jacques Maritain a toujours soutenu que mes livres 茅taient ceux d'un homme vivant sur le plan mystique (il entendait cela d'une fa莽on large) et je crois qu'en effet il y a, dans tous mes livres, une inqui茅tude profonde qu'un homme irr茅ligieux n'e没t jamais 茅prouv茅e. Je n'essaie pas de faire de mes livres des romans catholiques. Cela me ferait horreur. Mais je crois que tous mes livres, si loin qu'ils puissent para卯tre de la religiosit茅 ordinaire et re莽ue, n'en sont pas moins religieux dans leur essence. L'angoisse et la solitude des personnages se r茅duisent presque toujours 脿 ce que je crois avoir appel茅 l'effroi d'锚tre au monde sous toutes ses formes... 禄

6 novembre 1949
芦 Gide me disait un jour que s'il 茅crivait quelque chose sur moi, il insisterait sur le fait que je dessine sans jamais permettre 脿 mon crayon de quitter le papier. Ce trait continu est tr猫s visible dans le roman que j'茅cris. 禄

12 mars 1949
摆厂耻谤听L'Imposture聽de Bernanos :] 芦 Tout cela dit, la mati猫re du livre reste lourde. Si passionnantes que soient les explications psychologiques de Bernanos, elles n'en rappellent pas moins de tr猫s gros meubles que seul un d茅m茅nageur 脿 forte carrure peut d茅placer, et l'on ne peut faire qu'on n'ait l'impression d'avoir aid茅 un peu au d茅m茅nagement; de l脿 cette fatigue qu'on 茅prouve 脿 le lire, mais je ne veux pas avoir l'air de sourire de lui : il est, 脿 mes yeux, parmi les grands. 禄

3 avril 1949
芦 Lu avec d茅lices quelques pages des聽Confessions聽de Rousseau que j'ai toujours aim茅es. Cette langue exquise d'茅l茅gance naturelle... On a l'impression d'锚tre port茅 de phrase en phrase sans ressentir jamais aucune fatigue, alors que tant de livres d'aujourd'hui n'ont 脿 offrir que de petits chemins escarp茅s o霉 l'on sue, o霉 l'on souffle. 禄

Conf茅rence prononc茅e en 1950.

聽摆厂耻谤听搁茅蝉耻谤谤别肠迟颈辞苍, de Tolsto茂 :] 芦 Non, ce qui me semblait bouleversant, c'茅tait que l'auteur cr没t profond茅ment 脿 tout ce qu'il 茅crivait dans ce livre. Sans doute, il y avait l'artiste qui choisissait les d茅tails, 茅quilibrait les dialogues et menait son r茅cit jusqu'脿 la fin sans qu'on pr卯t garde 脿 la magistrale simplicit茅 des plus grandes sc猫nes, mais il y avait beaucoup plus que cela, il y avait derri猫re toutes ces phrases un homme qui ne mentait pas. J'entends par l脿 un homme qui ne se mentait pas 脿 lui-m锚me et qui disait sa v茅rit茅. 禄 (p. 1460)

聽芦 L'auteur est de m猫che avec son public. Il n'est pas assez na茂f pour se figurer que son r茅cit est vrai. Il sait tr猫s bien, dans la plupart des cas, qu'il l'a invent茅 de toutes pi猫ces, et pourtant si on lui dit que son r茅cit est faux, est impossible, il est furieux, il croit qu'on est injuste. [鈥�] [L]e romancier est un menteur qui finit par croire 脿 ses mensonges. Mais un menteur qui croit 脿 ses mensonges n'est d茅j脿 plus un menteur. C'est quelquefois un mythomane, ou un homme en proie 脿 une hallucination, mais un menteur pur et simple, non. Pourtant je ne suis pas tout 脿 fait 脿 mon aise. Cela m'ennuierait qu'on m'appelle un mythomane. Je serais un peu moins m茅content si l'on me disait qu'en 茅crivant, j'ob茅is 脿 une sorte d'hallucination, parce qu'il me semble que nous commen莽ons 脿 br没ler, comme disent les enfants. Il va de soi que le romancier qui se soumet 脿 cette esp猫ce de vision int茅rieure, et qui m锚me la provoque, n'a pas beaucoup de rapports avec le romancier issu de l'茅cole naturaliste et qui, lui, se propose de prendre le monde tel qu'il le voit autour de lui. [鈥�] Ce romancier qui regarde autour de lui, ce romancier pour qui le monde ext茅rieur existe, est d'une autre famille que le romancier dont je veux vous parler. Le monde ext茅rieur a ceci de particulier qu'il nous fascine et nous tire hors de nous-m锚me, or il y a chez tout un groupe de romanciers une tendance 脿 rentrer en eux-m锚mes pour voir ce qui se passe de ce c么t茅-l脿. Ce sont les romanciers pour qui le monde int茅rieur existe. Je m'empresse de vous dire que je n'aime pas les cat茅gories et que pour rien au monde je ne partagerais les romanciers en romanciers du monde int茅rieur et romanciers du monde ext茅rieur. Le vrai romancier prend aux deux mondes, int茅rieur et ext茅rieur, ce dont il a besoin pour son oeuvre, mais il est certain qu'il y a une tendance chez les uns 脿 se diriger vers l'ext茅rieur et chez les autres vers l'int茅rieur. Depuis une dizaine d'ann茅es, cette tendance vers l'int茅rieur est assez forte. Elle n'a pas toujours donn茅 de bons r茅sultats, elle a produit beaucoup de pseudo-romans qui sont, en r茅alit茅, des dialogues philosophiques m锚l茅s 脿 une action rudimentaire. 禄 (p. 1461-1462)

聽芦 Ce qu'il y a d'int茅ressant dans ces livres [les romans 脿 th猫se, 鈥渕achines 脿 discours, 脿 d茅veloppements abstraits鈥漖, c'est qu'ils sont 茅crits, quelquefois, par des hommes intelligents et m锚me trop intelligents, trop malins, si je puis dire. Trop malins pour croire 脿 la r茅alit茅 de leurs personnages et de leur r茅cit. Pas assez na茂fs pour se figurer que ce qu'ils racontent est vraiment arriv茅. Et c'est grand dommage, parce que cette na茂vet茅 qui leur manque, c'est la na茂vet茅 du vrai cr茅ateur. 禄 (p. 1463)

聽芦 [L'茅crivain na茂f est] un homme qui croit de lui-m锚me 脿 ce qu'il veut, 脿 ce qu'il 茅voque en lui de toutes ses forces, 脿 la vision int茅rieure dont il est, sinon tout 脿 fait le ma卯tre, du moins le cr茅ateur. Cette vision int茅rieure a, bien entendu, son point d'origine dans le monde qu'on appelle bizarrement le monde r茅el, comme si le monde invisible n'茅tait pas r茅el. [鈥�] Dans le g茅nie de Dickens, dans le g茅nie de Balzac, pour prendre deux cr茅ateurs apr猫s desquels nous, romanciers de 1950, sommes de ch茅tifs 茅crivains, il y avait une part 茅norme de na茂vet茅. [鈥�] Leur foi est communicative. 禄 (p. 1463)

聽芦 Ce qu'ils [Dickens, Balzac, Flaubert, et les autres 茅crivains 芦 na茂fs 禄] nous racontent est plus vrai que le vrai, parce que, 脿 travers une v茅rit茅 particuli猫re, ils ont su atteindre 脿 une v茅rit茅 g茅n茅rale, ils n'ont jamais perdu de vue l'universel. 禄 (p. 1463-144)

聽芦 Le romancier est assis 脿 sa table et, la t锚te pench茅e sur la page blanche, il voit, et non seulement il voit mais il entend, c'est-脿-dire qu'apr猫s de longues minutes de r茅flexion qui, elles-m锚mes, s'ajoutent quelquefois 脿 de longues ann茅es pendant lesquelles l'auteur a v茅cu, a r茅fl茅chi, port茅 en lui son sujet, voici que sa main trace lentement une phrase, puis une autre, et tout 脿 coup, au bout d'une longue attente et de longs efforts que Flaubert appelait des affres, l'auteur n'est plus dans la pi猫ce o霉 il travaille, il est dans le lieu qu'il d茅crit et il regarde, et il 茅coute, il voit et il entend les personnages dont il nous rapporte les faits et gestes et dont il devine, mais pas toujours, les pens茅es les plus secr猫tes. 禄 (p. 1464)

聽芦 Ainsi pour l'茅crivain qui a v茅ritablement le don du romancier, ce qu'il imagine, ce qu'il se figure imaginer, se pr茅sente 脿 lui avec cette autorit茅 particuli猫re 脿 un souvenir tr猫s pr茅cis. C'est un peu comme si l'imagination se transformait en m茅moire. 禄 (p. 1464)

聽芦 Qu'il suffise de dire que cet 茅tat que j'appellerai un 茅tat second est celui dans lequel tout ce qui est subjectif chez l'茅crivain se pr茅sente 脿 lui, peu 脿 peu, comme quelque chose d'objectif qu'il a pour ainsi dire devant les yeux et qu'il observera avec une attention passionn茅e. Il a les yeux baiss茅s et il 茅crit, mais il regarde, sachez-le bien, ou alors ce n'est pas un vrai romancier. S'il est paresseux, son attention se rel芒chera tr猫s vite et alors, au lieu de regarder, il聽inventera聽ce qu'il n'est plus en 茅tat de voir, il se mettra 脿 mentir. 禄 (p. 1465-1466)

聽芦 Il faut qu'il [le romancier dont l'attention est distraite] recommence, qu'il biffe cette phrase. Le personnage n'a pas dit cela, n'a pas fait ce geste. L'auteur a mal vu, mal entendu. 禄 (p. 1466)

聽芦 Balzac [鈥�] posait sur ses personnages un regard de visionnaire [鈥�] 禄 (p. 1466)

聽芦 [鈥�] dans l'esprit du vrai romancier, une certaine esp猫ce d'arbitraire est exclue. [鈥�] Car plusieurs actes sont possibles, mais un seul est effectivement accompli et c'est celui-l脿 qu'il faut d茅couvrir, l'acte unique entre tous les possibles, celui qui vraiment a 茅t茅 fait dans l'histoire que nous conte le romancier. 禄 (p. 1466-1467)

聽芦 Le romancier qui 茅crit, et qui croit 脿 ce qu'il 茅crit, est donc un peu comme un p猫re qui regarde jouer ses enfants, mais 脿 quels jeux effroyables parfois鈥� 禄 (p. 1467)

聽芦 Le romancier, pas plus que le po猫te, et on ne le dira jamais assez, le romancier n'est pas un r锚veur. [鈥�] Le don cr茅ateur ne s'accompagne pas n茅cessairement du don d'茅crire. 禄 (p. 1468)

聽芦 Je crois que certains d'entre eux [les vrais romanciers] seraient devenus compl猫tement fous s'ils n'avaient pas 茅crit. Imagine-t-on, par exemple, un homme qui porterait dans sa t锚te la Com茅die humaine sans pouvoir en 茅crire une ligne? Vous repr茅sentez-vous bien quelle 茅norme lib茅ration spirituelle il peut y avoir dans un roman comme聽Les Fr猫res Karamazov? 禄 (p. 1469)

聽芦 脌 quoi cela sert-il, un romancier? Ou plut么t : 脌 quoi servent les romans? J'ai envie de r茅pondre : 鈥溍� rien鈥�, comme toute oeuvre d'art qui se respecte et qui demeure 脿 la fois inutile est indispensable. Mais je poserai la question autrement, je demanderai : 鈥溍� qui sert le roman?鈥� Goethe a dit que la premi猫re personne 脿 b茅n茅ficier d'une oeuvre litt茅raire, c'est l'auteur. [鈥�] Le romancier d茅couvre un inconnu, et cet inconnu, c'est lui-m锚me. Il d茅couvre son prochain, et ce prochain, c'est lui-m锚me. Il d茅couvre au moins ceci, qu'il n'est pas diff茅rent des autres, qu'en profondeur 鈥� et c'est pour cela que je vous parlais de descendre en soi 鈥� il est tous les autres. Et si les autres ne se reconnaissent pas en lui, c'est qu'il n'est pas descendu assez loin, assez profond, pour retrouver l'universel. Le cas particulier n'a d'int茅r锚t que dans la mesure o霉, d'une mani猫re ou l'autre, il rejoint le g茅n茅ral, le commun de l'humanit茅. 禄 (p. 1469)

聽芦 Je ne veux pas dire que le vrai romancier est celui qui simplifie et qui g茅n茅ralise. Il pourra, au contraire, nous pr茅senter des personnages qui sembleront extraordinaires; nous les accepterons si, entre eux et nous, nous devinons une consanguinit茅 secr猫te, s'ils rentrent dans le groupe humain, par quelque d茅tour que ce soit. Mais il nous faut la v茅rit茅, parce que, malgr茅 ses infirmit茅s spirituelles, l'homme n'est jamais profond茅ment 茅mu que par la v茅rit茅. Il se d茅tourne assez t么t des contes de f茅es. Or l'immense majorit茅 des romans tombe rapidement 脿 l'oubli, parce que ce ne sont que des contes de f茅es pour grandes personnes. L'auteur n'est pas descendu assez profond茅ment en lui-m锚me, il s'est content茅 de ce que d'autres avaient 茅crit avant lui, il a fabriqu茅 ses personnages d'apr猫s les mod猫les courants et mis en circulation par les romanciers 脿 la mode, il n'a pas eu le courage de faire lui-m锚me cette descente vers les r茅gions inf茅rieures. [鈥�] Si [le romancier] nous ment, nous le saurons. D'instinct, nous devinerons que ce faux explorateur est rest茅, sur le pas de sa porte. 禄 (p. 1469-1470)

聽芦 S'il est vrai, en effet, que le romancier compose son r茅cit dans une sorte d'茅tat second, comme j'ai essay茅 de vous le faire voir, il est tr猫s important qu'on ne le r茅veille pas, qu'il ne prenne pas tout 脿 fait conscience de ce qu'il fait. 禄 (p. 1471)

聽芦 Beaucoup d'entre nous, et non des moins r茅fl茅chis, se doutent qu'il existe au fond de notre 芒me quelque chose d'inexpliqu茅 et d'inaccessible et c'est le pressentiment de ce quelque chose d'obscur qui fait les vrais romanciers. 禄 (p. 1472)

聽芦 Le vrai romancier est celui qui r茅ussit 脿 mettre en sc猫ne des personnages et avec ces personnages quelque chose qui les d茅passe, qui n'est pas nomm茅, et qui agit en eux, secr猫tement, jour et nuit. 禄 (p. 1472)

Ci-dessous, des extraits d'entretiens publi茅s de 1949 脿 1971.

[Propos rapport茅s par Denis Marion (1951)].
芦 Je redoute la psychanalyse et je pense que 鈥� pour moi en tout cas 鈥� elle serait nuisible : un romancier a int茅r锚t 脿 ne pas conna卯tre les sentiments inconscients que lui dictent son oeuvre. 禄 (p. 1506)

[Propos rapport茅s par Gabriel D'Aubar猫de (1954)].
[Sur la diff茅rence entre drame et roman :] 芦 L'ex茅cution est profond茅ment diff茅rente, mais la conception est la m锚me. Dans les deux cas, je me laisse conduire par mes personnages, sans avoir trac茅 de plan au pr茅alable. J'en serais incapable. Je regarde et j'茅coute mes personnages, et j'茅cris ce que je les vois faire, ce que je les entends dire. 禄 (1511)

[Propos rapport茅s par Ren茅e Willey (1955)].
芦 Lorsqu'on 茅crit un roman, on parle de soi. Par une obscure op茅ration alchimique, qu'il serait impossible d'analyser, on se transforme, on se d茅guise, on se livre. 禄 (p. 1513)

[Propos rapport茅s par Gabrielle Rolin (1967)].
芦 Le moi myst茅rieux qui me dicte mes livres a besoin d'ombre. On ne d茅monte pas impun茅ment le m茅canisme de l'inspiration. Elle souffle o霉 elle veut, Il faut attendre, esp茅rer, traverser des d茅serts de solitude et de silence. 禄 (p. 1524)

[Propos rapport茅s par Jean Chalon (1971)].
芦 J'ai dit autrefois que la v茅ritable autobiographie se trouvait dans les romans. Je voulais dire : 鈥淟a v茅rit茅 psychologique se trouve dans les romans鈥�. Cette v茅rit茅 psychologique que l'auteur ne peut pas atteindre dans un journal. Un romancier descend 脿 de plus grandes profondeurs. Un journal reste 脿 la surface. Le journal est tout ce dont on a conscience. Dans le roman, c'est l'inconscient qui est 脿 l'oeuvre. L'inconscient, le romancier ne le commande pas et il fait son travail 脿 l'insu du romancier. [...] Je crois que plus un romancier a de sens critique et moins il est apte 脿 croire ce qu'il raconte. Si un romancier ne croit pas ce qu'il raconte, il doit faire un autre m茅tier. 禄 (p. 1525)

24 ou 25 mai 1950
芦 J'ai lu le聽Sanctuary聽de Faulkner dans les jardins du Schloss Mirabell. Livre d'une intensit茅 extraordinaire. Pas l'ombre de rh茅torique. Pas une phrase qui ne porte; je l'ai d茅vor茅 en deux jours, relisant certains passages afin d'锚tre s没r d'en avoir extrait tout le suc. On ne peut se permettre de sauter un mot. Admirable, surtout, le choix des d茅tails, la qualit茅 du dialogue, la conduite du r茅cit qui savamment divague. 禄

27 mai 1950
芦 Oserai-je le dire? J'avoue que j'h茅site un peu. Enfin, allons-y! Je viens de lire pour la premi猫re fois un roman de Dosto茂evski. [...] Les cinquante premi猫res pages m'ont jet茅 dans une sorte de stup茅faction. [...] Je me suis demand茅 quel 茅crivain moderne 茅tait capable d'atteindre 脿 ce degr茅 d'horreur avec des moyens aussi simples. [...] Plus tard, en avan莽ant dans le livre, j'ai fini par en voir les d茅fauts... Mais chaque fois que Raskolnikoff repara卯t, le livre remonte d'un seul coup 脿 des hauteurs qui, je pense, n'ont jamais 茅t茅 atteintes par d'autres romanciers. 禄

24 juin 1950
芦听Justine. Sans doute le livre le plus ennuyeux qui me soit tomb茅 des mains. Des sc猫nes d'amour d茅肠谤颈迟别蝉 dans un style de glace et avec une pr茅cision de monomane. Jamais un geste ni un visage n'est rendu, on ne voit que des mots. 禄

20 septembre 1950
芦 La langue d'alors [du temps de Shakespeare et de Montaigne] n'avait pas cette tendance vers l'abstrait qu'elle doit au XVIIe si猫cle et qui l'a, je crois, d茅natur茅e. 禄

18 mai 1951
芦听L'Idiot聽de Dosto茂evski. G锚n茅 par l'obscurit茅 des motifs d'agir chez les personnages. Ces profonds caprices de l'芒me russe me d茅concertent, car j'ai besoin d'une certaine logique. Les tergiversations de Nastasia me lassent, la sc猫ne des billets de banque jet茅s au feu est d'une grande virtuosit茅, mais je ne puis croire 脿 ces h茅ritages qui tombent tout 脿 coup sur la t锚te de celui-ci et de celui-l脿. D'une fa莽on g茅n茅rale, je ne crois 脿 ce livre qu'脿 demi. Je n'y retrouve pas cette magnifique invasion de la v茅rit茅 de聽Crime et Ch芒timent聽o霉 le lecteur n'est pas en 茅tat de refuser l'histoire qu'on lui raconte. 禄

20 mai 1951
芦 Avanc茅 difficilement dans la lecture de聽L'Idiot. Je n'aime pas que l'auteur multiplie les personnages. Cela indique presque toujours (comme chez Dickens) que la facult茅 d'invention fl茅chit tant soit peu. Et ces longues conversations ne me paraissent pas devoir 锚tre rapport茅es avec tant de minutie. On n'a jamais cette impression de bavardage dans聽Crime et Ch芒timent. 禄

24 mai 1951
摆厂耻谤听L'Idiot聽:] 芦 Apr猫s des g茅n茅rations de lecteurs, je ne puis m'emp锚cher d'admirer le geste de l'assassin qui donne sa croix d'or 脿 celui qu'il va tuer. Seul un Russe pouvait trouver ces choses, mais ce qui pr茅c猫de est lent, voulu, fabriqu茅, et les dialogues sont trop longs pour un lecteur de 1951. 禄

27 mai 1951
芦 Nos romans foisonnent de d茅veloppements inutiles. Ce sont des livres de barbares. De plus en plus, je suis persuad茅 qu'il faut r茅duire un roman 脿 sa plus simple expression. 禄

25 octobre 1951
芦 Qu'on me donne une plume, de l'entre et du papier et je trouverai toujours le moyen de me divertir, s'il ne s'agit que de se divertir. Je puis, en effet, me cr茅er 脿 moi-m锚me un pays enchant茅 o霉 je me prom猫ne 脿 l'aise. 禄

27 octobre 1951
芦 La po茅sie fran莽aise, toujours retenue par des digues d'une forme trop rigide, a fini par refluer dans la prose. C'est ce qui fait que nous avons de grands lyriques comme Bossuet, Chateaubriand, Lautr茅amont... 禄

5 mars 1952
芦 Relu avec une admiration 茅tonn茅e聽Les Diaboliques, 茅tonn茅e parce que je ne les avais pas lues depuis 1918 et que j'en avais conserv茅 le souvenir d'un livre tr猫s artificiel.听脌 un d卯ner d'ath茅es聽est tr猫s voisin de Bernanos. Le ton, l'inspiration religieuse, la rage, la verve, l'insolence, l'impatience, l'adjectif en coup de poing, tout y est. 禄

28 mars 1952
芦 Relu les聽Contes cruels聽de Villiers de L'Isle-Adam. Bloy s'y retrouve, le fignolage de la phrase violente, l'effet subit, la fin qui vous coupe le souffle, les phrases en capitales, la verve. Grand plaisir. 禄

26 d茅cembre 1953
芦 La nouvelle de Tourgu茅niev [Journal d'un homme de trop] est assez bonne, mais la lourde machine psychologique du XIXe si猫cle me la g芒te. Elle serait excellente si l'auteur avait pu supprimer tous les d茅veloppements et quelques assommantes descriptions, morceaux fil茅s avec art et devenus, selon moi, illisibles. 禄

22 mars 1954
(Les lignes suivantes sont extraites d'une lettre adress茅e 脿 un universitaire am茅ricain.)
芦 Vous me demandez ce que je pense de Guy de Maupassant. Je serais tent茅 de vous r茅pondre que je n'en pense rien. [...] Simplement, il ne m'int茅resse pas. Le monde dans lequel il a v茅cu et qu'il s'est efforc茅 de peindre ne m'attire en aucune mani猫re. Je pense, bien entendu, au monde de聽Bel-Ami. Il y a, je le sais bien, ses paysans normands, mais ceux-l脿 m'ennuient encore plus que les gens du monde et du demi-monde qui avaient 脿 ses yeux une r茅alit茅 extraordinaire et qui 脿 mes yeux n'en ont aucune. Je ne puis entrer dans ce petit univers assommant de peluche et d'adult猫re. Ces r茅serves faites, et elles sont graves, je reconnais qu'il savait raconter une histoire comme tr猫s peu d'hommes savent le faire aujourd'hui. 禄

3 mai 1954
芦 Tirez l'茅crivain de son p茅ch茅 et il n'茅crit plus. C'est l脿, j'en conviens, quelque chose d'horrible 脿 formuler. Le p茅ch茅 est-il n茅cessaire 脿 l'oeuvre? Qui osera dire cela? Mais 么tez le p茅ch茅 et vous 么tez l'oeuvre. L'oeuvre est-elle n茅cessaire? Autant demander si l'茅crivain est n茅cessaire. Il l'est dans la mesure o霉 Dieu a voulu qu'il exist芒t. Purifier la source? Mais il n'appara卯t pas d'une fa莽on 茅vidente que les 茅crivains qui essaient de faire cela y aient r茅ussi et que leur oeuvre en ait b茅n茅fici茅. Il faut 锚tre pur 脿 l'origine et le rester. Ce fut le cas de Bernanos. Je ne sais si les 茅crivains catholiques d'aujourd'hui sont purs. Il y a des moments o霉 j'en doute, mais je sais que je ne le suis pas et toutes mes difficult茅s viennent de l脿. Je puis me retirer du monde, comme j'en ai 茅t茅 si souvent tent茅, mais alors, plus d'oeuvres. Or, je crois que je suis au monde pour 茅crire et pour atteindre quelques personnes. 禄

9 ao没t 1954
芦 Lectures diverses. Les livres que je trouve ici. Des pages admirables dans聽Histoire d'un crime. C'est du meilleur Hugo, celui qui cessant de faire le visionnaire et se contentant de voir, nous a donn茅 Choses vues. L'assassinat du policier. Si tout un roman 茅tait 茅crit avec cette rapidit茅, ce serait insupportable, car il faut des temps morts. 禄

25 ao没t 1954
芦 Regard茅 avec une sorte de d茅go没t les sommaires de quelques revues, Il y a une m茅diocrit茅 extr锚me un peu partout dans le monde litt茅raire. 禄

4 septembre 1954
芦 J'admirais ce qu'il [Gide] trouvait 脿 me dire, j'admirais beaucoup moins ce qu'il 茅crivait, mais cela je le gardais pour moi.听Si le grain聽(comme il l'appelait) m'avait plu, de m锚me que, beaucoup plus tard, son聽罢丑茅蝉茅别聽et bien des pages de son聽Journal, mais ses romans me d茅concertaient; j'avais essay茅 de les lire et avais vite renonc茅. 禄

11 mars 1955
芦 Fini聽The Scarlet Letter. C'est le m茅diocre roman d'un grand 茅crivain. Le roman est de toute 茅vidence聽overwritten聽(trop 茅crit, 茅crit 脿 l'exc猫s). Il y a des cas o霉 le labeur tue l'inspiration. Quelque chose de primesautier dispara卯t sous l'accumulation des ratures. Les dialogues sont absurdes : 鈥�Thou art鈥� etc. Ces archa茂smes ne sont plus supportables. C'est dans toute son horreur ce que j'ai appel茅 jadis le 鈥渟tyle messire鈥�. 禄

27 octobre 1955
芦 Un roman est fait de p茅ch茅 comme une table est faite de bois. Rien de pur ne sort d'entre nos mains, mais c'est un p茅ch茅 qui peut 锚tre utile. Je parle, bien entendu, du roman qui n'est pas 茅crit en vue d'茅difier. Le roman 茅difiant est g茅n茅ralement 茅crit par le diable. L'affaire est alors beaucoup plus grave. On ne saura jamais le mal que ce genre de litt茅rature a pu faire. 禄

28 novembre 1955
芦 Les id茅es de Coleridge sur le style para卯traient inacceptables 脿 un Fran莽ais :聽Dans les livres les mieux 茅crits, comme ceux de Southey, on va de page en page sans jamais avoir conscience du mode de communication, bien que l'auteur se fasse comprendre parfaitement. Jadis, j'admirais cela plus qu'aujourd'hui. Il me faut un style dont la puret茅 me soit sensible 脿 tout moment et je ne veux pas d'un style invisible. De nos jours, on 茅crit si laidement qu'il est impossible de ne pas le remarquer. Pl没t au Ciel qu'on nous donn芒t des livres 茅crits dans un style invisible! 禄

15 d茅cembre 1955
芦 Les lettres de Duguet. Le style pur et coulant, le choix exquis des termes, le naturel, la musique int茅rieure de ces phrases apparemment si simples, mais si adroitement construites, tout cela donne un plaisir tr猫s vif et pour peu qu'on y soit sensible, on se prend 脿 lire ces pages pour l'amour du fran莽ais, mais il y a autre chose, il y a plus, heureusement. 禄

5 mai 1956
芦 Les seuls livres qui comptent sont ceux dont on peut dire que l'auteur serait mort 茅touff茅 s'il ne les avait pas 茅crits. Ainsi les romans de Dosto茂evski. Le reste n'est gu猫re que fariboles plus ou moins brillantes, comme on nous en pr茅sente aujourd'hui. 禄

26 mai 1956
芦 Il y a dans l'oeuvre d'un 茅crivain des constantes dont il ne s'aper莽oit pas toujours, parce qu'il est 脿 l'int茅rieur de son oeuvre et que pour la voir comme elle est, il faut un recul, qui parfois lui manque. 禄

6 juillet 1956
芦 Je me suis r茅solument plong茅 dans l'Emma聽de Jane Austen, afin de changer de monde et ne pas me laisser envo没ter par Port-Royal. C'est un monde fort tranquille que celui de Miss Austen. Le coeur n'y bat qu'脿 coups mesur茅s, et les cris n'y retentissent point, mais il y a une 茅motion secr猫te sous ces apparences de calme et d'invariable bonne 茅ducation. Les finesses d'observation risqueraient de passer inaper莽ues de nos jours. Tout y est dit 脿 mi-voix. 脌 c么t茅 de ce roman-l脿, les n么tres semblent bien mal 茅lev茅s, bien vulgaires, bien lourds. 禄
芦 Relu dans le聽Samson Agonistes聽de Milton le r茅cit de la mort de Samson. C'est une merveille de sobri茅t茅 et de pr茅cision. Le po猫te nous a 茅pargn茅 le discours de Samson avant de mourir, alors qu'un po猫te m茅diocre s'en f没t donn茅 脿 coeur joie, e没t r茅dig茅 un sermon en trois points. 禄

8 juillet 1956
芦 Tout 脿 l'heure je parlais de Proust 脿 Robert et j'essayais de m'expliquer 脿 moi-m锚me pourquoi j'admire tant cet 茅crivain que j'aime par ailleurs si peu. J'ai contre lui ses personnages, ses innombrables mod猫les dont plusieurs me sont connus et qui ont cherch茅 脿 me le faire aimer comme ils l'aimaient eux-m锚mes, et qui m'aga莽aient 脿 cause de leurs pr茅tentions au raffinement intellectuel d'emprunt, et leur jargon de salon, leur faux naturel, leurs engouements factices, leur recherche de la complication psychologique, le cruel ennui qu'ils d茅gageaient, parce que tout cela 茅tait archifaux. 禄

26 juillet 1956
芦 Lu Jane Austen. Heureux d'avoir entrepris la lecture d'Emma, mais impatient d'en venir 脿 bout. Le fil est un peu t茅nu et il faut une extr锚me attention pour ne pas le laisser 茅chapper des doigts. Les dialogues sont souvent admirables, l'action r茅duite 脿 peu de chose. 脌 un moment, un jeune homme demande 脿 une jeune fille de lui jouer au piano une valse qu'il a entendue r茅cemment.听She played, dit l'auteur. 鈥淓lle la joua.鈥� Et c'est tout. Pas un mot de plus. Ce n'est pas de la s茅cheresse, mais une exquise r茅serve qui passerait 脿 tort pour de la pauvret茅, en 1956. 禄

17 septembre 1956
芦 Nous parlons de beaucoup de choses. Il [St猫ve Passeur] me dit tout 脿 coup : 鈥淰ous avez dit tout 脿 l'heure quelque chose qui m'a choqu茅 : 鈥楯'aime qu'un livre soit bien 茅crit.' Moi, 莽a m'est 茅gal. Que voulez-vous dire par bien 茅crit? 鈥� 脡crit d'une fa莽on pr茅cise. 鈥� Mais Stendhal 茅crivait mal et nous le lisons. 鈥� On dit toujours qu'il 茅crivait mal. Je ne suis pas de cet avis. Sa phrase n'est pas ce qu'on appelle une belle phrase, une phrase 脿 effet, mais elle est pr茅cise. La beaut茅, c'est la pr茅cision, l'exactitude des termes.鈥� 禄

29 mars 1957
芦 Un roman qu'on commence, l'aventure que repr茅sente cette nouvelle exploration du monde ext茅rieur, ce grand voyage 脿 l'int茅rieur de nous-m锚me aussi. Il y a, je le sais, le probl猫me du mal qu'on est amen茅 脿 d茅crire, car avec quoi un roman est-il fait, sinon avec du mal? 禄

11 mai 1957
芦 Nouvelle lecture 茅merveill茅e de Loti (Troisi猫me jeunesse de Mme Prune). Les premi猫res pages d茅crivent une temp锚te au large de Nagasaki. On y est. On est l脿-bas. Comment? Je n'en sais rien. Les mots qu'emploie l'auteur sont d'une simplicit茅 d茅concertante, mais il ne lui en faut pas plus de quinze ou vingt pour qu'on se trouve l脿 o霉 il veut qu'on soit, et qu'on voie, et que le vent vous crie aux oreilles. Depuis ma premi猫re lecture des聽顿茅蝉别苍肠丑补苍迟茅别蝉聽(je n'y comprenais pas grand-chose, mais cela n'avait pas d'importance), Loti ne m'a jamais d茅莽u. Son absence de personnalit茅 est curieuse. Il y a derri猫re ses livres le vide qu'il y a dans le ciel, mais c'est par l脿 qu'il est unique. Il s'est m锚l茅 aux 茅l茅ments. C'est l'air, c'est la pluie, c'est la terre qui parlent, ce n'est plus un 锚tre humain. Il est trop la po茅sie m锚me pour que les Fran莽ais d'aujourd'hui 鈥� hormis un petit groupe 鈥� s'aper莽oivent qu'il existe. On r茅imprime ce lourdaud de Zola. On ignore Loti. 禄

12 mai 1957
芦 Relu des pages de Dante. Il retrouve en Enfer Latini (c'est un peu dur, mais passons) et celui-ci le regarde聽comme un vieux tailleur qui enfile une aiguille. Oh, pouvoir 茅crire comme cela! Un des 茅l茅ments de la grandeur de Dante est la v茅rit茅 scrupuleuse de l'observation et l'inimitable familiarit茅 de l'image. 禄

12 octobre 1959
芦 Une dame vient m'interroger sur mes livres. Mille questions. Pourquoi la mort dans vos romans? Je ne sais pas. C'est l'inconscient qui 茅crit mes livres, et c'est m锚me cela qui me trouble, cela qui se cache au fond d'une 芒me baptis茅e... Il y a des moments o霉 je me sens pris d'inqui茅tude, parce que je ne comprends pas d'o霉 viennent mes livres, ni pourquoi ils sont comme ils sont. Pas de r锚ves dans聽惭辞茂谤补, me fait remarquer mon interlocutrice. Elle me demande : 鈥淧ourquoi?鈥� Je lui dis que je ne sais pas. J'ai d没 la d茅cevoir. Elle croyait peut-锚tre trouver un intellectuel. Mais je ne suis ni un intellectuel ni m锚me un homme de lettres. J'茅cris mes romans quand je me sens pouss茅 脿 le faire, et quand je ne vois rien, comme maintenant, depuis des semaines, je souffre, mais je n'茅cris pas. 禄

13 ao没t 1960
芦 Hier, lu en une heure聽La Mort du p猫re聽de Martin du Gard. C'est un roman naturaliste sans trace d'imagination. Un bon m茅decin qui saurait 茅crire en ferait autant. Un vieillard qui meurt d'ur茅mie. Atrocit茅 du d茅tail. Bien entendu l'茅l茅ment chr茅tien n'est pas oubli茅, qu'il s'agit de rapetisser, de rendre un peu ridicule et un peu r茅pugnant. L'auteur m'茅tait sympathique, mais son d茅sir d'objectivit茅, comme on dit, le rendait injuste 脿 son insu. La mort d'un croyant doit avoir sa minute de grandeur. 禄

9 mars 1962
芦 Dans ce roman [尝茅惫颈补迟丑补苍], comme dans tous les autres, les passages autobiographiques ne se comptent pas, mais je croyais tout inventer. 禄

24 mai 1966
芦 L'auteur d'un article du聽Figaro litt茅raire聽dit que ce qui manque aux romanciers pour 锚tre de vrais romanciers, c'est la na茂vet茅. J'ai 茅crit cela plusieurs fois dans mon journal. Je crois qu'un romancier trop malin ne fera jamais un bon roman parce qu'il n'arrivera jamais 脿 y croire, et s'il ne croit pas 脿 l'histoire qu'il raconte, le lecteur n'y croira pas non plus. 禄

1er juillet 1967
芦 D茅莽u par聽The Age of Innocence, roman tr猫s bien 茅crit, trop bien fait, sans passion, sans exc猫s, sans g茅nie surtout. On sent que la romanci猫re Edith Wharton a beaucoup pein茅 sur ce livre et qu'elle a cru faire un grand roman. Il y a un d茅sert au milieu de presque tous les romans, bons ou mauvais. L'auteur le sait, h茅las, et le lecteur le sent. 禄

16 janvier 1968
芦 Je crois que je vais abandonner mon nouveau d茅part de roman. Je ne vois pas assez clair dans ce que j'茅cris, et me force 脿聽voir聽malgr茅 tout, ce qui n'est pas bon. 禄

23 f茅vrier 1968
芦 C'est une longue entreprise que la lecture d'un roman de Henry James. Je ne veux pas sauter un mot du聽Portrait of a Lady聽dont chaque page est une merveille de psychologie, mais c'est un plaisir laborieux. On ne peut s'emp锚cher de se dire qu'on pourrait faire autre chose de plus profitable, et de plus amusant parfois鈥� 禄

13 mars 1968
芦 Fini聽The Portrait of a Lady, les derniers chapitres sont parmi les meilleurs, les plus rapides et les plus 茅mouvants, quoiqu'ils tiennent un peu du m茅lodrame : r茅v茅lation de l'existence d'un enfant naturel, pass茅 immoral du mari et de la belle dame, mais le m茅lodrame est une des traditions les plus solides du roman anglais, et il a la vie dure. 禄

19 mai 1968
芦 Peu d'茅crivains plus que moi ont ressenti le d茅sespoir de ne pouvoir tout d茅crire. Ainsi, par un beau jour de printemps comme aujourd'hui, les taches de soleil sur chaque feuille d'arbre, ou le trait de lumi猫re, vers la fin de l'apr猫s-midi, sut les montants d'une fen锚tre, avec la petite ombre inclin茅e de biais que fait la division des carreaux. J'envie les peintres. Au fond, ce que je voudrais 茅crire n'est souvent bien rendu que par les peintres. 禄

11 ao没t 1968
芦 Il ne faut pas 茅crire pour les morts, il ne faut pas non plus 茅crire les聽best-seller聽de 1910. Je l'ai dit ailleurs. 禄

6 f茅vrier 1970
芦 Continu茅 la lecture des 茅preuves de聽Si j'茅tais vous鈥�聽Apr猫s une journ茅e de d茅couragement au sujet de ce livre, dont le d茅but m'a paru tra卯nant, j'ai trouv茅 curieux le personnage d'Emmanuel Fruges. C'est de l'autobiographie transpos茅e pour le physique et les circonstances ext茅rieures, mais pour tout le reste, c'est moi tout simplement. 禄

19 ao没t 1970
芦 Fini la lecture de聽Chuzzlewit. Il y a des chapitres d'une sentimentalit茅 victorienne que je trouve d茅go没tante, humide, honteuse. Ruth et ses petites cl茅s qu'elle agite dans son petit sac, cet amour de petite femme virginale, si prompte 脿 rosir, etc. Le lecteur finit par la prendre en haine. Mais le suicide de l'assassin Jonas est 茅tonnant. 禄

11 septembre 1970
芦 Pour un 茅crivain, quelle aubaine qu'une enfance de cauchemars comme ceux qui ont peupl茅 l'enfance de Dickens鈥� 禄

29 mai 1971
芦 Lecture du聽Paon blanc聽de D. H. Lawrence. Il y a chez lui une richesse de vocabulaire qui trahit l'autodidacte, grand liseur de dictionnaires, grand amateur de mots rares qu'il emploie 脿 ravir, tout cela lui tenant lieu d'Oxford et de Cambridge qu'il n'a pas connus, fils de mineur qu'il 茅tait. Je trouve cela tr猫s bien et j'admire. Personne ne parle mieux que lui de la nature qu'il m锚le sans cesse 脿 l'action, tous les nuages qui passent au-dessus de ses personnages, toutes les fleurs respir茅es, les bosquets, les cours d'eau sont 茅crits avec amour et se m锚lent au r茅cit d'une mani猫re inextricable. La beaut茅 du livre est achev茅e. 禄

10 ao没t 1971
芦 Pens茅 脿 ces papiers que j'ai retrouv茅s dans un tiroir, liste compl猫te de mes lectures faites entre 1919 et 1937. [鈥�] Quand je suis revenu d'Am茅rique en 1922, j'茅tais persuad茅 que la litt茅rature avait pris fin en 1870 ou plus pr茅cis茅ment avec le g茅ant Baudelaire, qui avait referm茅 les portes de bronze de la civilisation litt茅raire, et que tout ce qui s'茅tait 茅crit depuis ne valait pas la peine d'锚tre retenu. Il y avait un grouillement d'茅crivains ou d'hommes qui se croyaient tels et dont les ouvrages 茅taient curieux parfois. J'en avais lu : Zola, Maupassant, France, Maeterlinck, mais dans mon esprit cela ne comptait gu猫re. Ce qui comptait, c'茅taient les grands disparus. Depuis on ne savais plus faire un livre. Un seul livre tenait, 茅videmment : la Bible, le reste 茅tait frivole et inutile. Les exceptions, Bloy et Huysmans, n'avaient en r茅alit茅 que par rapport 脿 l'脡glise. Je n'avais pas encore lu Rimbaud et ne l'abordai qu'en 1922 ou 23. Il me rendit perplexe. Je voyais en lui le rescap茅 d'un vaste naufrage, venu d'une Atlantide 脿 jamais enfouie sous les eaux. Claudel m'apparaissait comme une sorte de barbare qui essayait de se rappeler une langue oubli茅e. Tout cela explique la singuli猫re question que je posai 脿 mes soeurs quand elles eurent lu聽惭辞苍迟-颁颈苍猫谤别聽: 鈥淓st-ce que cela ressemble 脿 un roman?鈥� C'est-脿-dire 脿 quelque chose que Balzac ou Dickens eussent appel茅 un livre et trouv茅 lisible. [鈥�] Ce ne fut que vers 1927 ou 8 que je commen莽ai 脿 m'apercevoir que j'茅tais, moi aussi, dans le courant du si猫cle. Avec les romans qui suivirent et le journal, je me sentis embarqu茅. Maintenant encore je me demande si le XIXe si猫cle ne mourra vraiment qu'avec ceux qui sont n茅s aux environs de 1900. 禄

24 octobre 1971
芦 Discussion avec un ami au sujet des longueurs ou des lenteurs dans la litt茅rature. Il ne peut les supporter, les 茅carte avec violence, mais la lenteur est parfois un 茅l茅ment indispensable. Et puis ce qui est beau n'est jamais lent. C'est l脿 le seul crit猫re et la seule justification des longueurs. 禄

10 d茅cembre 1971
芦 Repris certaines nouvelles de Maupassant que je connaissais bien :聽La Main,听Rose,听Un l芒che, cette derni猫re d'une 茅tonnante profondeur, toutes d'une concision et d'une 茅conomie de mots extraordinaires. Nous avons beaucoup 脿 apprendre de Maupassant sous le rapport de la bri猫vet茅 et aussi de la compassion humaine. Sa grivoiserie proverbiale cache un grand 茅crivain et peut-锚tre un homme d'une grande bont茅. Il 茅tait obs茅d茅, je le sais, mais quel homme ne l'a jamais 茅t茅? Ses romans, je dois le dire, m'attirent peu, mais ses nouvelles me passionnent. 禄

21 f茅vrier 1972
[Au sujet d'Adrienne Mesurat聽:] 芦 Il faudrait savoir pourquoi j'ai voulu oublier que j'avais lu Freud. Sans doute 茅tais-je choqu茅 par ce qu'il disait de la passion du fils pour sa m猫re et bien plus encore par l'hostilit茅 de l'enfant contre le p猫re. L'inconscient, m'explique [Jacques] Petit, n'en recueillait pas moins ces donn茅es importantes. Quelle est la part de l'inconscient dans l'oeuvre du romancier? Elle est, je pense, 茅norme. 禄
芦 La transformation de l'auteur en fille [lors de l'茅criture d'Adrienne Mesurat] m'茅chappait compl猫tement, mais tout m'茅chappait dans ce roman 茅crit sans le moindre plan. J'inventais au fur et 脿 mesure, si inventer est le mot juste, car j'茅crivais comme sous la dict茅e de quelqu'un. C'茅tait l脿 ce qui fit prononcer 脿 un surr茅aliste les mots d'茅criture automatique. Fumet vit plus clair encore quand il me dit : 鈥淎dienne Mesurat, c'est vous!鈥� 禄
芦 Plus curieux que tout me para卯t ce que j'茅crivais en 1926 (dans聽Les Ann茅es faciles) au sujet des personnes qui m'entouraient et dont j'aurais pu me servir comme mod猫les dans un roman, id茅e que j'茅cartai aussit么t, ce qui ne m'emp锚cha pas de mettre ce projet 脿 ex茅cution quelques semaines plus tard, sans 锚tre seulement effleur茅 par le soup莽on de ce que j'茅tais en train de faire. J'茅tais si fier de pouvoir me dire : 鈥淛'ai tout invent茅.鈥� Telles sont les t茅n猫bres d'o霉 sortent beaucoup de romans, car mon cas, j'en suis s没r, est loin d'锚tre isol茅. 禄

10 janvier 1974
芦 Pens茅 au style de Calvin. Il est comme un couteau de cuisine sans beaucoup d'aspect, mais coupant bien et net. [...] Fluide, rapide et facile, le d茅licieux bavardage de Rousseau dit tout ce qu'il veut avec les mots les plus ordinaires, mais quelle 茅l茅gance dans l'allure de sa phrase... Il n'a pas les beaut茅s foudroyantes de Pascal et il est trop souvent abstrait dans son vocabulaire. 禄

15 f茅vrier 1974
芦 Relu le d茅but de聽Sense and Sensibility聽de Jane Austen. Pour la finesse, la pr茅cision 茅l茅gante du style, et l'ironie, je ne vois pas qui on peut mettre au-dessus d'elle. 禄

3 mars 1976
芦 Lecture des聽惭茅尘辞颈谤别蝉聽de Thomas De Quincey. Chez lui, la beaut茅 de la langue tient 脿 sa pr茅cision, 脿 l'infaillible propri茅t茅 des termes qu'il emploie. 禄

19 avril 1976
芦 Presque fini la lecture de聽Vers Ispahan. 鈥�...cette vieille ville aux ruines couleur de tourterelle...鈥� Toutes les images qu'il donne de cette 茅blouissante d茅cr茅pitude. J'aime ce style a茅rien, a茅r茅, dont chaque phrase est comme un souffle. 禄

10 juin 1976
芦 Dans mon roman, je ne veux aucune de ces mortelles explications psychologiques qui sont de plus en plus souvent mises au rancart avec les illisibles descriptions de paysages d'autrefois. 禄

10 juillet 1976
芦 Relu聽L'Homme invisible聽de Wells. [...] L'id茅e est charmante, mais l'auteur l'exploite jusqu'脿 en 茅puiser toutes les surprises. J'ai souvent regrett茅 qu'il faille n茅cessairement une fin 脿 toute histoire. Il me pla卯t que le meilleur roman de Dickens,听Le Myst猫re d'Edwin Drood, soit rest茅 inachev茅. De m锚me聽Les Fr猫res Karamazov. Au lecteur d'imaginer ce qu'il voudra. 禄

7 janvier 1981
芦 Claudel pousse ses lourdes phrases comme un bouvier ses boeufs, mais ce n'est pas un vain exercice. Les boeufs ont beaucoup 脿 dire. 禄

Entretien de 1982. Propos rapport茅s par Sophie Lannes.

芦 Freud prend une montre, et la d茅monte compl猫tement. Alors, il faut la reconstituer, mais moi, je ne peux pas. Je fais marcher la montre, mais je suis incapable d'en remonter les rouages, et 莽a ne m'int茅resse pas de le faire. Il ne faut pas m'expliquer comment j'茅cris mes romans et pourquoi, parce qu'脿 ce moment-l脿 l'imagination est paralys茅e. Il ne faut pas que je voie trop clair... Il ne faut pas que je voie clair du tout. 禄 (p. 1527)

聽[Sur Dosto茂evski :] 芦 Il reste pour moi le grand romancier universel. Je n'en vois pas de plus grand. 禄 (p. 1527)

聽芦 J'ai analys茅 toutes les th茅ories possibles, principalement celle du plan tr猫s fouill茅 qui donne des oeuvres capitales comme聽Madame Bovary. Mais, moi, je ne peux travailler qu'avec de l'impr茅vu. Je suis le spectateur de ce que j'茅cris. C'est, je ne dirai pas l'objet du hasard, parce que je crois que c'est le contraire du hasard. 禄 (p. 1531)

1er juillet 1991
芦 Avec Angelo Rinaldi, nous avons abord茅 le probl猫me du roman par rapport 脿 l'茅l茅ment onirique. Le point de d茅part 茅tant la vision int茅rieure d'une image que je compare 脿 une hallucination, l'hallucination des r锚ves. Il y a dans les r锚ves une sorte d'茅conomie des moyens employ茅s. Pour que les images soient au plus net, tout ce qui est superflu est 茅limin茅. L'hallucination est alors parfaite et devient une r茅alit茅 impossible 脿 abolir, elle. L'intention est de force attach茅e 脿 l'image pr茅sente. Si on peut obtenir cet effet dans un roman, le lecteur est en quelque sorte hypnotis茅, mais il faut avoir un don. Ce qui importe avant tout est l'image nette et puissante au point de d茅part, sans quoi il faut fabriquer quelque chose qui la remplace. La vraie difficult茅 est de choisir les mots exacts, ils viennent parfois d'eux-m锚mes. Mais d'o霉 vient l'image? Je ne sais, le myst猫re est l脿. [...]聽Pour en revenir au roman, sans l'image pr茅liminaire, il ne peut y avoir de roman. Si l'auteur ne croit pas 脿 l'histoire qu'il raconte, le lecteur n'y croira pas non plus et il n'y aura que des 茅changes d'id茅es entre les personnages, c'est-脿-dire du roman intellectuel. L'enfant croit fermement 脿 l'histoire qu'il raconte. Et on croit aux histoires qu'il raconte. J'茅tais le r锚veur, eux le r锚ve, telle peut 锚tre l'attitude du romancier vis-脿-vis de ses personnages. Peut-锚tre mes oeuvres sont-elles r锚v茅es. 禄

Entretien de 1989. Propos rapport茅s par Philippe Vannini.

芦 Une nouvelle n'est pas un roman court. Le roman est une vue globale du monde, la nouvelle une fa莽on particuli猫re de voir le monde, 脿 travers un 茅pisode ou bien dans la vie enti猫re d'une personne. 禄 (p. 1721)

[Sur le style de Baudelaire et de Pascal :] 芦 Dans la pr茅cision, la simplicit茅, l'amour de la langue fran莽aise, c'est cette 茅conomie des mots; leur musique naturelle. Leur force vient de l脿! 禄 (p. 1722)

芦 Ce qui est frappant dans les livres que j'ai 茅crits sans savoir o霉 j'allais, c'est qu'ils sont compos茅s m茅thodiquement comme s'ils ob茅issaient 脿 un plan pr茅cis; c'est le subconscient qui menait le jeu. Le subconscient est un 茅crivain qui sait tr猫s bien son m茅tier [...] 禄 (p. 1724)

芦 Le mot fabriqu茅 est une condamnation. Les piles de livres s'entassent chez les libraires comme un 茅talage de saucisses dans un magasin allemand. La trag茅die litt茅raire prend la place de la cr茅ation. On veut arriver! O霉, et dans quel 茅tat? J'estime ceux qui 茅taient livres de toute cette politique : P茅guy, Breton, Jouhandeau, L茅autaud, Genet. 禄 (p. 1725)