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Introduction.

Bien qu'il n'ait jamais 茅crit de romans, Albert Thibaudet (1874-1936) consid茅rait son activit茅 de critique litt茅raire comme 茅tant compl茅mentaire 脿 l'activit茅 cr茅atrice du romancier. Le 芦听liseur听禄 de romans qu'il 茅tait (c'est-脿-dire le lecteur actif pour qui 芦听la lecture des romans devient une t芒che pr茅cise et technique听禄 (Thibaudet, p. 1673)), gardien de la m茅moire des romans du pass茅, est aussi celui qui assure la transmission aupr猫s du public d'une pens茅e, 脿 la fois intellectuelle et existentielle, propre au roman听: 芦听Les liseurs de romans, ils se recrutent dans un ordre o霉 la litt茅rature existe, non comme un divertissement accidentel, mais comme une fin essentielle, et qui peut saisir l'homme entier aussi profond茅ment que les autres fins humaines.听禄 (Thibaudet, p. 1669)

Le 芦听liseur听禄 de romans n'est donc pas qu'un simple commentateur, il est le relais entre 芦听la vie impr茅visible et libre听禄 (Thibaudet, p. 1673) du genre romanesque et celle de la civilisation moderne. Plus encore, de par son activit茅 de d茅frichage, de transmission et d'ordonnancement de cette vie听foisonnante du roman, le liseur peut 锚tre 脿 son tour compar茅 脿 un romancier qui, au lieu de tracer la ligne d'une vie, tracerait celle du roman. En effet,听le genre romanesque est comparable, selon Thibaudet, 脿 une 芦听nature听禄 au sein de laquelle se r茅pondent les romanciers en explorant les possibles, parfois contradictoires, de la vie humaine :

La critique du roman est elle-m锚me un roman dont les romanciers sont les personnages. Il y a une听Com茅die romanesque听comme il y a une听Com茅die humaine. Et le roman domestique sup茅rieur, ce serait peut-锚tre ce roman des familles d'esprit, qui appartient 脿 la critique, et dont elle n'茅crit encore que d'incertains 茅pisodes. (Thibaudet, p. 892)

C'est pourquoi Thibaudet, romancier du roman, a une vision critique qui s'apparente 脿 la vision d'un cr茅ateur听: percevant le roman de l'int茅rieur, c'est-脿-dire comme une oeuvre toujours 脿 faire mais qui pourtant ne pourrait exister sans certaines balises (le plus souvent subjectives, quoiqu'intellectualis茅es en un syst猫me coh茅rent), le liseur-critique participe au renouvellement du genre romanesque en montrant l'infini de ses possibilit茅s, mais 茅galement ses fondements et, par l脿 m锚me, ses limites. Une certaine ambigu茂t茅 plane ainsi dans les essais de Thibaudet听: refusant de prendre parti et de fournir, 脿 l'instar d'un Paul Bourget, un mode d'emploi du roman, Thibaudet ne verse pourtant pas dans l'exc猫s inverse, qui serait de voir le genre romanesque comme 茅tant compl猫tement ouvert et polymorphe, ainsi que le laisse supposer son bergsonisme assum茅. Pour le dire 脿 l'envers, si Thibaudet, en disciple de Bergson, pr茅sente 芦听l'茅lan vital听禄 du roman comme in茅puisable, cet 茅lan est n茅anmoins circonscrit, peut-锚tre m锚me amenuis茅 (mais pas au point d'en faire une th茅orie), par le roman id茅al dont quelques avatars ont marqu茅 l'histoire du roman, et 脿 l'aune desquels sont mesur茅s les romans contemporains :听Don Quichotte,听Madame Bovary听别迟听L'脡ducation sentimentale,听Anna Kar茅nine,听The Mill on the Floss.

Comme le souligne Antoine Compagnon dans sa pr茅face aux R茅flexions sur la litt茅rature, Thibaudet, 脿 l'instar d'autres lecteurs de Bergson (T.S. Eliot ou E.R. Curtius, par exemple), est avant tout et malgr茅 tout un critique de la tradition, un v茅ritable 芦听classique moderne听禄(Compagnon, p. 29). Il r茅sulte de cette position d'entre-deux, o霉 pluralisme et tradition sont concili茅s mais jamais syst茅matis茅s, un sentiment de flottement bien r茅sum茅 par Jean Grenier听: 芦听On 茅prouve en lisant Thibaudet la m锚me g锚ne que dans un voyage avec un compagnon intelligent et sensible mais qui montre un 茅gal int茅r锚t aux choses les plus disparates, le vagabondage intellectuel, la chasse au papillon tiennent trop de place dans son oeuvre.听禄 (Compagnon, p. 29) Le dilettantisme de Thibaudet devient encore plus apparent, si l'on se fie 脿 ce qu'en dit la critique, dans ses oeuvres plus substantielles,听Le Bergsonisme听(1924) ou听L'Histoire de la litt茅rature fran莽aise听(1936 pour le premier tome, le second 茅tant inachev茅), dans la mesure o霉 ces livres d茅ploient la pens茅e du philosophe et de l'historien de la litt茅rature bien plus que celle du 芦听liseur de romans听禄.

Dans les articles publi茅s 脿 la听NRF听entre 1912 et 1936, articles et essais qui seuls seront 茅tudi茅s ici, la 芦听chasse aux papillons听禄 s'av猫re, au contraire, beaucoup plus fructueuse et beaucoup moins probl茅matique, car la r茅flexion de Thibaudet sur le roman peut alors 锚tre 茅tudi茅e dans un contexte d'id茅es plus restreint 鈥� celui de la NRF, qui se consacre surtout 脿 l'茅tude du genre romanesque 鈥� se r茅v茅lant ainsi dans toute son originalit茅, sa subtilit茅 et sa vitalit茅.

1. Le roman contre la tradition classique.

C'est gr芒ce 脿 l'un de ses premiers articles publi茅s 脿 la听NRF, 芦听R茅flexions sur le roman听: 脿 propos d'un livre r茅cent de M. Paul Bourget听禄 (1912), que Thibaudet va se d茅marquer comme critique du roman et influencer les collaborateurs de la revue (notamment Jacques Rivi猫re), alors profond茅ment attach茅s 脿 la vision classiciste d'Andr茅 Gide. Ce classicisme de Gide, partag茅 par les autres fondateurs de la revue 鈥� surtout par Henri Gh茅on qui avait 芦听invent茅听禄, en 1904, le terme de 芦听classicisme moderne听禄 (Koffeman, p. 27) 鈥� se r茅sume par un profond respect pour la tradition (ce qui implique un rejet des avant-gardes r茅volutionnaires) et un d茅sir de renouvellement des th猫mes et des techniques litt茅raires. 脌 l'inverse des n茅o-classiques r茅actionnaires tels que Charles Maurras et Maurice Barr猫s, les classiques modernes que sont Andr茅 Gide, Jacques Copeau, Henri Gh茅on et les autres membres fondateurs de la听NRF听ne cherchent pas 脿 redorer le blason de la litt茅rature du Grand Si猫cle en r茅crivant ses oeuvres, ni 脿 d茅velopper, au moyen de la litt茅rature, une id茅ologie politique, mais plut么t 脿 adapter certaines techniques, un certain go没t 芦听classique听禄 du travail, 脿 une sensibilit茅 et 脿 des sujets r茅solument modernes. Copeau r茅sume ainsi la vision de la听NRF听en 1912听:

Pour moi, j'aime que les aspirations d'aujourd'hui soient rattach茅es 脿 ce beau mot de classicisme 鈥� pourvu qu'on n'en fasse pas seulement une 茅tiquette litt茅raire, mais qu'il d茅signe surtout une attitude de la volont茅, une qualit茅 de l'芒me ; pourvu que rien d'humain, rien de vivant n'en soit exclu, ni cette notion de recherche et d'invention faute de quoi la culture est st茅rile ; si c'est 锚tre classique, que porter 脿 l'ach猫vement de son expression, au point supr锚me de sa perfection, de son style, un sentiment, de quelque profondeur qu'il vienne, de quelque obscurit茅 qu'il sorte, de quelque r茅gion, la plus infr茅quent茅e de l'锚tre, qu'il soit n茅. (Copeau, cit茅 dans Koffeman, p. 155)

Or c'est cette vision classiciste, qui reste malgr茅 tout fortement traditionnaliste, que Thibaudet va tenter d'assouplir dans son article de 1912. La vision esth茅tique globale de la NRF, o霉 les sp茅cificit茅s du genre romanesque 茅taient en quelque sorte noy茅es dans des consid茅rations trop vastes et ext茅rieures 脿 lui, sera alors critiqu茅e au profit d'une r茅flexion esth茅tique dont le point de d茅part est le roman. En r茅agissant aux听Pages de critique et de doctrine听de Paul Bourget, romancier qui va devenir au fil de temps son 芦听repoussoir听禄 le plus utile, Thibaudet pose alors les jalons d'une vision du roman universaliste, anti-classiciste et anti-traditionnaliste, et tente de mettre fin 脿 un d茅bat embourb茅 dans un nationalisme 茅troit, qui visait 脿 d茅finir non pas le genre romanesque dans son ensemble, mais les caract茅ristiques du pur roman fran莽ais. Ce pur roman fran莽ais, affirme Bourget (mais aussi plusieurs critiques de l'茅poque, dont certains collaborateurs de la听NRF), est un roman bien compos茅, qui respecte l'id茅al de concision de l'esprit classique fran莽ais. Le mod猫le privil茅gi茅 d'un tel roman est听La Princesse de Cl猫ves, qu'on oppose 脿 la forme d茅sordonn茅e, 脿 l'茅difice mal construit des romans de Tolsto茂, qui, aux dires de Bourget, ne sont 芦听pas des romans, [mais] une Somme, la Somme des observations de l'auteur sur tout le spectacle humain.听禄 (Bourget, p. 165) Pr茅sentant au contraire l'esth茅tique du roman comme 芦听une esth茅tique de composition desserr茅e, de temps, d'espace听禄 (Thibaudet, p. 121), Thibaudet reprend dans la d茅finition qu'il donne du roman, ce 芦听d茅faut听禄 des romans de Tolsto茂听: 芦听C'est un fait que l'immense majorit茅 des grands romans europ茅ens, de ceux qui font partie de notre vie comme notre histoire m锚me, individuelle ou nationale, ne sont pas des "compositions" oratoires ou dramatiques, mais de la vie qui se cr茅e elle-m锚me 脿 travers une succession d'茅pisodes.听禄 (Thibaudet, p. 714) Autrement dit, Bourget s'y prend 脿 l'envers pour d茅finir le roman, car il se sert de r猫gles qui, historiquement et g茅n茅riquement, n'ont rien 脿 voir avec le roman :

On demande, il est vrai, pour l'instant au roman des qualit茅s de discipline et de construction听; peut-锚tre s'apercevra-t-on que l'on atteint 脿 ces qualit茅s dans la mesure o霉 l'on sort du roman, qu'elles appartiennent au th茅芒tre et au discours direct. Et si l'on persiste 脿 leur maintenir le premier rang, ce qui serait assez mon avis, la cons茅quence en pourrait 锚tre pour le roman, pour le genre triomphateur du XIXe si猫cle, quelque m茅sestime du XXe. (Thibaudet, p. 122)

La m茅thode de Thibaudet, 脿 l'inverse des n茅o-classiques et des premiers classiques modernes de la听NRF, est une m茅thode o霉 le roman est d茅fini 脿 la n茅gative, comme espace ind茅termin茅 et polymorphe 脿 l'int茅rieur de fronti猫res qui 脿 la fois le rapprochent et le s茅parent des autres genres. 脌 la 芦听valeur d'intelligence听禄 pr么n茅e par les d茅fenseurs d'un roman classique traditionnel, Thibaudet oppose plut么t une 芦听valeur d'existence听禄, qui transforme compl猫tement la vis茅e esth茅tique du roman听:

Le roman 脿 th猫se [exemple le plus radical d'un roman bien compos茅] oblige le lecteur 脿 une seule conclusion, et c'est pourquoi le son qu'il donne est mat, il ne vit pas, il ne se termine pas sur cet accent vital qu'est l'ind茅termination. Au contraire, tout roman vraiment repr茅sentatif de la vie sollicite le lecteur 脿 des conclusions, et ce roman se comporte ici comme le th茅芒tre. De听Polyeucte, de听笔丑猫诲谤别, des deux romans de Stendhal, de la听Recherche de l'absolu, d'Anna Kar茅nine, ou de听贵耻尘茅别, je tire d'abord une 茅motion de vie ou de pens茅e, puis cette 茅motion se refroidit et se disperse en une infinit茅 de conclusions possibles, qui varient avec chaque 茅poque et peuvent varier avec chaque esprit. Il ne faut pas dire que l'oeuvre d'art ne prouve rien. Elle est une capacit茅, une disponibilit茅 de preuve. Mais elle n'est pas une preuve. (Thibaudet, p. 126)

Pour Thibaudet, chaque roman est en soi une 芦听somme听禄, c'est-脿-dire une accumulation de sensations, d'id茅es, de personnages et d'茅v茅nements qui contribuent 脿 tracer les contours toujours changeants et ind茅terminables de l'existence. Mais le genre romanesque dans son ensemble est aussi une somme, une sorte de mosa茂que o霉 les romans se r茅pondent, s'interpellent, se contredisent, s'harmonisent. Le roman n'est donc pas une construction formelle stable, mais plut么t une mise en forme toujours originale et renouvel茅e des possibilit茅s du r茅el :

Qu'un autre romancier russe, Tourgu茅niev, ait 茅crit des romans qui sont des chefs-d'oeuvre d'harmonie, d'茅quilibre, de composition, cela ne diminue pas plus Tolsto茂 que Tolsto茂 ne diminue Tourgu茅niev. Tourgu茅niev est aussi russe en composant 脿 la fran莽aise que Tolsto茂 en d茅composant 脿 la russe. [鈥�] En refusant de pr茅f茅rer l'un 脿 l'autre, je n'abdique pas mon jugement听: il y a quelque chose de plus beau que l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre, c'est leur opposition, et, par suite, leur harmonie. (Thibaudet, p. 116)

C'est ainsi qu'au fil de ses articles (et souvent au cours d'un seul article), Thibaudet va recenser une quantit茅 impressionnante de types de romans, de formes de romans, de sujets de roman, tous participant 茅galement, comme Tourgueniev et Tolsto茂 pris ensemble, 脿 construire ce que Thibaudet nomme la 芦听g茅ographie听禄 (Thibaudet, p. p. 1278 et suiv.) du genre romanesque. Il existe en effet autant de types de romans que la modernit茅 offre de questions 脿 l'individu. 脌 une 茅poque de progr猫s technique et de vitesse, de bouleversements sociaux et 茅conomiques, il existe, pour l'individu, plusieurs parcours de vie 脿 suivre, c'est-脿-dire plusieurs romans qu'il pourrait habiter听: un 芦听roman de l'茅nergie听禄, un 芦听roman de l'aventure听禄, un 芦听roman de l'argent听禄, un 芦听roman de la 诲别蝉迟颈苍茅别听禄, un 芦听roman domestique听禄, un 芦听roman urbain听禄, un 芦听roman du plaisir听禄, un 芦听roman de la douleur听禄鈥� autant de cat茅gories qui servent non pas, finalement, 脿 montrer les diff茅rentes formes du romanesque, mais plut么t 脿 s'interroger sur les possibilit茅s du roman. Ce qui int茅resse Thibaudet, contrairement aux Paul Bourget de ce monde, n'est pas d'茅riger en mod猫les les romans du pass茅, mais d'en isoler les questions et les potentialit茅s, afin de les actualiser pour les romans futurs. Parler du roman urbain, du roman de l'aventure ou de roman de l'adolescence, ce n'est pas montrer de quelle mani猫re ces th猫mes ou ces sujets ont d茅j脿 茅t茅 trait茅s par les romanciers, c'est, au contraire, montrer que ces th猫mes ou ces sujets sont encore neufs, n'ayant 茅t茅 qu'effleur茅es ou mal exploit茅es par les romans du pass茅. Par exemple, dans son essai 芦听Le roman de l'茅nergie听禄, o霉 il parle des romans contemporains que l'on associe g茅n茅ralement 脿 l'id茅e moderne d'茅nergie (Ravebel听de Lucien Fabre ou听Lewis et Ir猫ne听de Paul Morand), Thibaudet s'interroge sur cette notion m锚me d'茅nergie, qu'il pr茅sente comme un paradoxe non encore r茅solu par le roman moderne :

L'茅nergie, dans听Ravebel, comme dans听Lewis, nous la voyons hors de听Ravebel听et de听Lewis. Eux, nous les voyons bien en mouvement, dans une automobile, mais sur les coussins et non au volant. Au volant, il y a quelque chose ou quelqu'un qui n'est pas eux, et leur 茅nergie n'est pas toute d'eux, toute 脿 eux. Le vrai roman de l'茅nergie, ce serait le roman o霉 l'homme et la machine qu'il dirige, comme l'芒me et le corps, ne feraient qu'un. (Thibaudet, p. 874)

Il arrive aussi qu'une id茅e, qu'un sujet ou un th猫me ne puissent pas se d茅ployer pleinement dans un seul roman, leur existence, ou plut么t les questions qu'ils soul猫vent n'茅tant visible que gr芒ce 脿 leur r茅surgence dans un nombre vari茅 de romans. C'est le cas du 芦听roman de l'aventure听禄, dont les multiples incarnations en ont fait l'un des mod猫les les plus riches听en possibilit茅s de l'histoire du roman. Il existe en effet les 芦听romans de l'action听et de l'intelligence utile听禄 (Robinson Cruso茅), les 芦听romans romanesques听禄 (que听Don Quichotte听别迟听Madame Bovary听parodient), les romans de 芦听l'aventure romanesque听禄 (Le Grand Meaulnes) et les 芦听romans de l'aventure intellectuelle听禄 (Le Voyage d'Urien). Cette d茅multiplication du roman de l'aventure, d茅multiplication qui aurait pu s'茅largir, mais que Thibaudet annule soudain en concluant que 芦听tout roman d'aventures tend 脿 cristalliser sous la forme de Robinson et de l'卯le de Robinson听禄, ne nous renseigne pas tant sur l'essence de ce roman d'aventures que sur la m茅thode du critique. Cette m茅thode, qui vise ici 脿 montrer comment une m锚me question 鈥� l'aventure de l'homme seul face au monde et face 脿 lui-m锚me 鈥� peut se diffracter en une infinit茅 de possibilit茅s, est une m茅thode qui proc猫de par circonvolutions plut么t que par affirmations听: le roman, c'est le roman de l'aventure et tous les romans d'aventures, mais ce n'est pas que le roman de l'aventure. Le roman existe toujours en tant que somme, mais surtout au-del脿 de la somme de tous les romans d茅j脿 茅crits. Le roman ne peut donc pas 锚tre d茅fini par des caract茅ristiques pr茅cises, par l'aventure ou m锚me par le 芦听romanesque听禄, qui tient, 脿 l'instar du concept d'aventure, 芦 la place qu'occupe听don Quichotte听dans la suite m锚me du genre; il t茅moigne d'un sentiment d茅riv茅 du roman plut么t que g茅n茅rateur du roman.听禄 (Thibaudet, p. 439) Le genre du roman, dans la conception qu'en a Thibaudet, est ainsi un genre auto-r茅flexif, capable de se renouveler 脿 partir de ses propres relais, d'o霉 l'importance de ne pas le consid茅rer simplement dans ses oeuvres individuelles, mais comme une grande oeuvre.

Thibaudet tente en fait de construire, plut么t qu'une filiation, une g茅ographie litt茅raire, o霉 les romans, attach茅s ensemble par des liens de compl茅mentarit茅 qui ne sont pas nationaux ni temporels, forment autant de familles (ou de nations) solidaires. Dans un article, 芦听Pour la g茅ographie litt茅raire听禄 o霉 il prend le contrepied de Gide et, par la m锚me occasion, de tous ceux qui 茅lisent un repr茅sentant id茅al (et final) de la litt茅rature fran莽aise, Thibaudet 茅crit听:

Voltaire n'est pas un point final. Et je laisse au lecteur le soin de d茅cider quelle serait la pire de ces deux calamit茅s: une litt茅rature fran莽aise sans Voltaire, ou une litt茅rature fran莽aise o霉 Voltaire ferait fonction de point final. [鈥�] Le seul point que je maintienne avec 茅nergie, c'est mon pluralisme, mon听Contr'Un.听[鈥�] La France n'est pas une 卯le, la litt茅rature fran莽aise est 茅minemment sociale et sociable. M锚me quand le grand homme est un solitaire, ou un misanthrope, comme Rousseau, sa 诲别蝉迟颈苍茅别 litt茅raire, notre 诲别蝉迟颈苍茅别 litt茅raire, le contraint 脿 la vie plurale, le conjugue. Rousseau par lui-m锚me compte beaucoup moins que le bin么me Voltaire-Rousseau. (Thibaudet, p. 1279)

Afin de pouvoir cr茅er cette g茅ographie litt茅raire, mettre en commun des 芦听诲别蝉迟颈苍茅别s litt茅raires听禄, Thibaudet se sert d'un outil temporel 鈥� l'id茅e de g茅n茅ration 鈥� qui est, selon les critiques, sa th茅orie la plus importante et la plus fructueuse. L'id茅e de g茅n茅ration, tr猫s difficile en g茅n茅ral 脿 d茅finir, puisque 芦听la vie sociale appartient 脿 l'ordre de la 诲耻谤茅别 et du continu听禄 (Thibaudet, p. 510), prend chez Thibaudet un sens purement litt茅raire, qui s'accorde avec sa pens茅e du roman听:

Ce qu'on appelle une g茅n茅ration litt茅raire, c'est peut-锚tre, tout simplement, une certaine mani猫re commune de poser des probl猫mes, avec des mani猫res tr猫s diff茅rentes de les r茅soudre, ou plut么t de ne pas les r茅soudre. Le probl猫me pos茅 pour la g茅n茅ration qui va de 1900 aux ann茅e pr茅paratoires de la guerre, c'est bien, dans une certaine mesure, un probl猫me d'茅nergie, un probl猫me d'action, et, d'une fa莽on g茅n茅rale, un probl猫me qui int茅resse tout l'homme; ce n'est pas, ou c'est beaucoup moins, ce probl猫me d'art pur, qui, sous les signes de Flaubert ou de Mallarm茅, aux temps du naturalisme et du symbolisme, parut quelque temps un probl猫me majeur. Mais au moment o霉 la guerre vint transmuer les valeurs, ceux dont l'influence fut jet茅e tout 脿 coup en pleine lumi猫re et qui agirent sur la toute jeune g茅n茅ration, au contraire ce ne furent nullement des professeurs d'茅nergie. Les ma卯tre de choeur de 1920 ne faisaient certainement pas monter le dynamom猫tre au m锚me chiffre que les ma卯tre du choeur de 1905. (Thibaudet, p. 868-869)

L'histoire du roman (et l'histoire de la litt茅rature dans son ensemble), gr芒ce 脿 l'id茅e de g茅n茅ration litt茅raire, n'est pas per莽ue comme monolithique, ou avan莽ant par blocs successifs, mais comme un contrepoint, dans lequel les voix se r茅pondent, se suivent, se transforment, disparaissent pour mieux r茅appara卯tre plus tard, toutes apportant une r茅ponse diff茅rente et originale 脿 une id茅e, 脿 l'une des questions pos茅es par la modernit茅听(l'茅nergie, l'action, l'aventure, etc.), questions qui parfois peuvent aussi appara卯tre simultan茅ment. Le meilleur exemple que fournit Thibaudet de cette id茅e de g茅n茅ration est celui des 芦听bombes 脿 retardement听禄 qu'ont 茅t茅 Proust, Gide, Claudel et Val茅ry, qui, de par leur 芒ge, n'appartenaient pas 脿 la 芦听g茅n茅ration 1920听禄 et qui pourtant n'ont connu le succ猫s qu'脿 ce moment-l脿听:

Comme c'est curieux, comme c'茅tait impr茅visible, la mani猫re dont les choses se sont pass茅es! Il a sembl茅 d'abord que Mallarm茅, le symbolisme, ce fussent des vieilles lunes du temps des robes longues. Robert de Souza, homme de foi, e没t 茅t茅 脿 peu pr猫s seul, il y a dix ans, 脿 oser envoyer de Nice le t茅l茅gramme 脿 la Paul Alexis: "Symbolisme pas mort. Lettre suit." [鈥�] On attend le mouvement d'art nouveau, l'in茅vitable mouvement d'apr猫s-guerre, le 1830 de ce 1815, on retient son strapontin pour une bataille d'Hernani. Et il se trouve que brusquement occupent une place centrale quatre gloires 脿 retardement, Proust, Val茅ry, Gide, Claudel. Proust ne figure ici que comme leur compagnon d'芒ge, dont l'influence s'exerce, comme la leur, sur une g茅n茅ration qui n'est pas la sienne. (Thibaudet,听p. 1129)

2. Au coeur du roman.

Si, dans tout ce qui pr茅c猫de, Thibaudet semble exclusivement d茅finir le genre romanesque comme une oeuvre toujours 脿 venir et dont les questions sont sans cesse renouvel茅es, la mani猫re dont il con莽oit le roman dans ses composantes le pousse 脿 en resserrer sa d茅finition 鈥� quitte 脿 trouver, pour ce genre polymorphe et foisonnant, des mod猫les de perfection. Le roman du XIXeme si猫cle (notamment ceux de Tolsto茂, de Flaubert et de George Eliot, qui sont tous des 芦听romans-somme听禄), se pr茅sente comme la r茅f茅rence privil茅gi茅e du critique. L'essence du roman, pense-t-il est avant tout d'ordre temporel. La caract茅ristique principale du roman, qui le distingue des autres genres, est en effet d'oeuvrer sur un temps long (芦听le roman a le temps听禄 茅crit-il d茅j脿 dans son article de 1912), et de se servir de ce temps pour modeler des vies humaines, qui ne sont des 芦听vies听禄 que dans la mesure o霉 elles se d茅ploient dans la 诲耻谤茅别.听Le personnage, comme 锚tre de 诲耻谤茅别, est ainsi plac茅 au coeur de la po茅tique de Thibaudet, qui se d茅lecte particuli猫rement des romans o霉 le temps prend le temps de 芦听construire听禄 une vie听:

La 诲耻谤茅别 du roman anglais ne d茅fait pas, d茅truit pas, elle construit, comme fait chez nous celle de la Chartreuse de Parme. Les personnages, de l'enfance 脿 la mort, naissent, grandissent, deviennent hommes, jouent leurs r么les, disparaissent听; mais quand ils ses ont 茅vanouis, il subsiste derri猫re eux de l'humanit茅 et de la beaut茅, de l'essentiel et du plein.听Leur vie, quel que soit son d茅tail minime ou mis茅rable, quels que soient l'ironie et le sourire de l'auteur, c'est n茅anmoins quelque chose d'arriv茅, de s茅rieux, d'unique, que nul autre n'aurait pu vivre 脿 leur place, de m锚me que nul autre n'e没t pu 茅crire 脿 la place de l'auteur l'analogue d'une oeuvre de g茅nie. (Thibaudet,听p. 389)

Au lieu de parler de 芦听roman-somme听禄, il faudrait plut么t parler, puisque c'est de vie dont il s'agit, de 芦听roman-nature听禄 听: 芦听Comme le philosophe pense par id茅es, il faut que le romancier pense par 锚tres. Or qui pense par id茅es? l'homme. Qui pense par 锚tres? la nature. Nous sommes bien, chez le grand romancier, devant l'exigence d'une nature.听禄 (Thibaudet, p. 881) Or, malgr茅 ses qualit茅s de d茅miurge, le romancier ne peut pas cr茅er n'importe quel 芦听锚tre听禄, mais seulement les 锚tres plac茅s un peu en de莽脿 de sa propre condition et de sa propre intelligence. Impossible, d猫s lors, d'茅crire le roman du g茅nie听:

[鈥�] le personnage d'un roman ou d'une oeuvre dramatique doivent 锚tre contenus en l'auteur sinon formellement du moins 茅minemment. Ces termes scolastiques signifient simplement qu'il ne peut cr茅er des 锚tres dont les perfections soient 茅gales ou sup茅rieures aux siennes. Je dis des perfections et non des volont茅s. En usant toujours des m锚mes expressions scolastico-cart茅siennes, nous dirons que, de m锚me que la volont茅 est pareillement infinie chez Dieu et chez l'homme, de m锚me l'artiste atteindra couramment le beau ou le sublime d'une volont茅 aussi infinie que celle de son g茅nie: telles les grandes figures d'Hom猫re ou de Milton, de Shakespeare ou de Corneille, de Goethe ou de Balzac. [鈥�] Un artiste fait concurrence 脿 l'茅tat civil qui enregistre des hommes, il ne fait pas concurrence au registre divin o霉 lui-m锚me est inscrit et o霉 s'immatriculent les g茅nies. (Thibaudet,听p. 536-537)

L'un des aspects les plus importants de la pens茅e de Thibaudet, qui t茅moigne de son h茅ritage bergsonien et qui a le plus fortement influenc茅 la litt茅rature de son 茅poque, touche justement 脿 cette d茅finition du personnage romanesque听: diff茅rent de son auteur, il doit 锚tre con莽u comme un 锚tre en devenir, dont l'essence n'est pas donn茅e d'entr茅e de jeu, mais se construit lentement au fil du r茅cit. C'est pourquoi Thibaudet s'int茅resse particuli猫rement aux personnages romanesques 芦听probl茅matiques听禄, c'est-脿-dire ceux dont l'essence est la plus impalpable 鈥� l'adolescent par exemple 鈥� ou, au contraire, trop fortement d茅finie, comme c'est le cas du g茅nie听ou de tout personnage autobiographique :

Il est tr猫s rare qu'un auteur qui s'expose dans un roman fasse de lui un individu vivant. Des M茅moires donnent bien l'impression de la vie, mais tout autre que celle d'un roman. Balzac, qui luttait contre l'茅tat-civil, a mis au jour une fois au moins un personnage amorphe, un enfant qui n'a pas un trait de l'enfant听: c'est lorsqu'il a voulu se raconter lui-m锚me et qu'il a 茅crit Louis Lambert. Et Louis Lambert nous donne peut-锚tre dans son didactisme la clef th茅orique de cette facult茅 du vrai romancier, qui cr茅e des personnages avec sa substance propre (ce que Balzac comme Schopenhauer appelle sa Volont茅) et, livr茅 脿 eux, cesse d'锚tre int茅ressant pour lui-m锚me [鈥�]. En d'autres termes, le romancier authentique cr茅e ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible, le romancier factice les cr茅e avec la ligne unique de sa vie r茅elle. Le vrai roman est comme une autobiographie du possible, la biographie par Sextus Tarquin de tous ces Sextus Tarquin que, dans l'apologue qui termine La Th茅odicit茅 de Leibnitz, la divinit茅 montre 脿 Sextus peuplant 脿 l'infini l'infinit茅 des mondes possibles. Il semble que certains hommes, les cr茅ateurs de vie, apportent la conscience des ces existences possibles dans l'existence r茅elle. [鈥�] Le g茅nie du roman fait vivre le possible, il ne fait pas revivre le r茅el. (Thibaudet,听p. 105-106)

Le roman, tout comme ses personnages, ne peut pas 锚tre pens茅 a priori, mais seulement selon cette optique des possibles听: possibles, en premier lieu, de la vie d'un 锚tre essentiellement prospectif, dont le futur est per莽u comme une multiplicit茅 de voies 脿 emprunter. L'茅chec ou la r茅ussite ultimes de ce personnage ne doivent pas 锚tre pr茅par茅s, 芦听compos茅s听禄 par le romancier, qui, au contraire, doit suivre 芦听l'茅lan vital听禄 de son personnage听:

Mais ceux qui ont 茅crit les romans-nature que je nommais auraient pu, eux, dire comme Flaubert: 芦听On n'茅crit pas les livres qu'on veut.听禄 On sent que leurs romans ne sont pas sortis d'une id茅e mais qu'un monde d'id茅es sort de leurs romans. Ils se trouvent, si on veut, compos茅s quand ils sont 茅crits, mais ils n'茅taient pas compos茅s avant d'锚tre 茅crits, et il n'y a de vraie composition que pr茅con莽ue.

L'esth茅tique des possibles s'attache aussi, comme on l'a vu, au genre romanesque dans son ensemble, car le roman, 茅tant une 芦听nature听禄, peut explorer toutes les virtualit茅s de la vie humaine. Cependant, contrairement 脿 la conception qu'en aura Jacques Rivi猫re dans 芦听Le roman d'aventure听禄, l'esth茅tique des possibles de Thibaudet s'inscrit dans une temporalit茅 double. Les hasards d'une vie, les bifurcations inopin茅es du destin d'un personnage, cet 茅lan vers l'茅ventuel ne suffisent pas 脿 faire d'un r茅cit un roman. En effet, le roman n'existe, comme on l'a vu, que sur la 诲耻谤茅别, c'est-脿-dire dans un temps long et lent qui vient non pas briser l'茅lan du personnage, mais lui donner corps, forme et structure听:

Une 诲别蝉迟颈苍茅别 ne se d茅veloppe, ne se r茅alise, ne se cr茅e que dans la 诲耻谤茅别, et le roman c'est le genre qui a besoin de 诲耻谤茅别, qui r茅pugne de tout son 锚tre aux vingt-quatre heures o霉 se resserre l'茅lan tragique, et qui se pla卯t 脿 vivre et 脿 suivre la vie enti猫re d'un homme. Le roman du hasard, de la chance, de l'aventure, le roman 芦听courant听禄, dans tous les sens du mot, n'a que faire de ces personnages听ralentissants听comme ceux que nomme Goethe, et comme aussi les Bette, les Homais, les Fr茅d茅ric Moreau, les Adam Bede, les Levine. Mais le grand roman est peut-锚tre, avec le livre philosophique [鈥�], le plus ralenti des genres litt茅raires, le plus docile et le plus enclin 脿 茅pouser la lenteur et la patience de la nature. Car, si une 诲别蝉迟颈苍茅别 ne s'explicite que dans la 诲耻谤茅别 d'une vie, le roman ne l'explicite qu'en durant comme la vie. (Thibaudet, p. 828)

Autrement dit, l'esth茅tique des possibles pr茅conis茅e par Thibaudet ne peut pas 锚tre pens茅e sans les id茅es de听诲耻谤茅别听et de听诲别蝉迟颈苍茅别, qui servent de donn茅es 脿 la fois existentielles et structurelles et qui ont 茅t茅 inspir茅es au critique par Goethe. Bien qu'ignorant son destin et qu'茅tant pouss茅 vers son propre futur, le personnage, pour exister, doit en quelque sorte mettre le roman 芦听au pas听禄 de sa propre temporalit茅 et ne pas avancer plus vite qu'il le peut (ou qu'il le devrait). De m锚me, pour qu'un roman ait une valeur intellectuelle, il faut que la r茅flexion proc猫de d'une 芦听int茅riorisation听禄 de la 诲耻谤茅别 par le personnage, c'est-脿-dire que le roman r茅v猫le l'existence,听a posteriori, d'une 诲别蝉迟颈苍茅别. Le meilleur exemple que fournit Thibaudet est celui d'Emma Bovary, personnage dont la 芦听malchance听禄 est porteuse de signification听:

Les 茅v茅nements en tant qu'茅v茅nements paraissent une s茅rie de malchances, mais le lecteur ne songe pas d'ordinaire 脿 les voir sous cet aspect, et il a raison, car aucun personnage mieux qu'Emma Bovary ne r茅alise la d茅finition du roman, du personnage de roman, par Goethe: les 茅v茅nements model茅s sur les sentiments, l'ext茅rieur model茅 sur l'int茅rieur, la ligne de chance model茅e sur la ligne de la 诲别蝉迟颈苍茅别. La malchance d'Emma jusqu'脿 l'arsenic, la chance d'Homais jusqu'脿 la L茅gion d'honneur, elles ne sont pas prises au hasard dans les deux tonneaux qu'Hom猫re place devant le p猫re Zeus, elles d茅couvrent des caract猫res m锚mes de Mme Bovary et du pharmacien, l'茅chec et la r茅ussite sont donn茅s dans leur nature, dans leur mission individuelle, dans leur 诲别蝉迟颈苍茅别. Songeant 脿 Alexandre disparu dans les lointains pompeux de Babylone, 脿 Napol茅on s'achevant sur le rocher occidental, Chateaubriand 茅crit: 芦听La Destin茅e d'un grand homme est une Muse听禄. Les grands romanciers sont ceux qui savent voir une Muse aux c么t茅s de toute 诲别蝉迟颈苍茅别 humaine. (Thibaudet, p. 831)

Pour conclure, voici une derni猫re citation de Thibaudet, qui reprend son argumentaire 芦听anti-composition听禄 abord茅 au d茅but de ce texte, mais l'augmente des donn茅es existentielles et structurelles inh茅rentes 脿 sa conception du roman听:

La v茅rit茅 est que le mot de composition a un sens tr猫s diff茅rent quand il s'agit du th茅芒tre et du roman. La composition dramatique est fond茅e sur des simultan茅it茅s. Elle resserre dans le temps (trois unit茅s), elle porte non sur des 茅volutions, mais sur des situations [鈥�] [O]n peut l'appeler une composition dans l'espace autant et plus qu'une composition dans le temps. [鈥�] Mais le grand roman, le roman-nature, pour reprendre l'expression de tout 脿 l'heure, ce n'est pas cela, c'est de la vie, je veux dire quelque chose qui change et quelque chose qui dure. Le vrai roman n'est pas compos茅, parce qu'il n'y a composition que l脿 o霉 il y a concentration, et, 脿 la limite, simultan茅it茅 dans l'espace. Il n'est pas compos茅, il est d茅pos茅, d茅pos茅 脿 la fa莽on d'une 诲耻谤茅别 v茅cue qui se gonfle et d'une m茅moire qui se forme. Et c'est pas l脿 qu'il fait concurrence non seulement 脿 l'茅tat civil, mais 脿 la nature, qu'il devient une nature. (Thibaudet, p. 597)

Ouvrages cit茅s :

• Paul Bourget,听Pages de critique et de doctrine, tome II, Paris, Plon-Nourrit, 1912.
• Antoine Compagnon, 芦听Pr茅face听禄,听R茅flexions sur la litt茅rature, Paris, Gallimard, coll. 芦 Quarto 禄, 2007.
• Maaike Koffeman,听Entre classicisme et modernit茅,听La Nouvelle revue fran莽aise听dans le champ litt茅raire de la Belle 脡poque,听Amsterdam ; New York, Rodopi, 2003.
• Christophe Pradeau, 芦听Une critique conversationnelle听禄,听尝颈迟迟茅谤补迟耻谤别, no 146, vol. 2, 2007, p. 68-81.
• Albert Thibaudet,听R茅flexions sur la litt茅rature, Paris, Gallimard, coll. 芦听Quarto听禄, 2007.

Les citations ci-dessous ont 茅t茅 tir茅es du recueil des essais d'Albert Thibaudet publi茅s 脿 la听Nouvelle Revue fran莽aise听(R茅flexions sur la litt茅rature, 茅dition 茅tablie et annot茅e par Antoine Compagnon et Christophe Pradeau, Paris, Gallimard, coll. 芦听Quarto听禄, 2007.) Cette bibliographie, en cours, ne recense donc qu'une partie des essais de Thibaudet sur le roman.

芦 R茅flexions sur le roman 禄 (1912),听R茅flexions sur la litt茅rature, p.听102-127.

芦听La nouvelle croisade des enfants听par Henry Bordeaux 禄 (1914),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 237-241.

芦 Romans pendant la guerre (1919) 禄,听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 278-286.

芦 Le roman de l'aventure 禄 (1919),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 319-332.

芦 Le centenaire de George Eliot 禄 (1920),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 382-396.

芦 Le roman de la 诲别蝉迟颈苍茅别 禄 (1920),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 426-438.

芦 Du romanesque 禄 (1920),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 439-448.

芦 Le roman de l'intellectuel 禄 (1921),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 535.

芦 Du roman anglais 禄 (1921),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 589-598.

芦 Le roman de la douleur 禄 (1922),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 649- 661.

芦 La composition dans le roman 禄 (1921),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 707-717.

芦 La ligne de vie 禄 (1923),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 823-834.

芦 Le roman de l'茅nergie 禄 (1924),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 868-874.

芦 Le roman domestique 禄 (1924),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 881-892.

芦 Dans le monde de la m茅moire 禄 (1925),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 1023-1031.

芦 脡pilogue 脿 la听Po茅sie de St茅phane Mallarm茅听禄 (1926),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 1125-1132.

芦 Pour la g茅ographie litt茅raire 禄 (1929),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 1277-1287.

芦 Le probl猫me du听顿颈蝉肠颈辫濒别听禄 (1929),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 1294-1302.

芦 Montaigne et Alphonse Daudet 禄 (1931),听R茅flexions sur la litt茅rature, p. 1404-1409.

Il est tr猫s rare qu'un auteur qui s'expose dans un roman fasse de lui un individu vivant. Des M茅moires donnent bien l'impression de la vie, mais tout autre que celle d'un roman. Balzac, qui luttait contre l'茅tat-civil, a mis au jour une fois au moins un personnage amorphe, un enfant qui n'a pas un trait de l'enfant听: c'est lorsqu'il a voulu se raconter lui-m锚me et qu'il a 茅crit听Louis Lambert. Et Louis Lambert nous donne peut-锚tre dans son didactisme la clef th茅orique de cette facult茅 du vrai romancier, qui cr茅e des personnages avec sa substance propre (ce que Balzac comme Schopenhauer appelle sa Volont茅) et, livr茅 脿 eux, cesse d'锚tre int茅ressant pour lui-m锚me [鈥�]. En d'autres termes, le romancier authentique cr茅e ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible, le romancier factice les cr茅e avec la ligne unique de sa vie r茅elle. Le vrai roman est comme une autobiographie du possible, la biographie par Sextus Tarquin de tout ces Sextus Tarquin que, dans l'apologue qui termine La Th茅odicit茅 de Leibnitz, la divinit茅 montre 脿 Sextus peuplant 脿 l'infini l'infinit茅 des mondes possibles. Il semble que certains hommes, les cr茅ateurs de vie, apportent la conscience des ces existences possibles dans l'existence r茅elle. [鈥�] Le g茅nie du roman fait vivre le possible, il ne fait pas revivre le r茅el.听(p. 11-12)

Qu'un autre romancier russe, Tourgu茅niev, ait 茅crit des romans qui sont des chefs-d'oeuvre d'harmonie, d'茅quilibre, de composition, cela ne diminue pas plus Tolsto茂 que Tolsto茂 ne diminue Tourgu茅niev. Tourgu茅niev est aussi russe en composant 脿 la fran莽aise que Tolsto茂 en d茅composant 脿 la russe. [鈥�] En refusant de pr茅f茅rer l'un 脿 l'autre, je n'abdique pas mon jugement听: il y a quelque chose de plus beau que l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre, c'est leur opposition, et, par suite, leur harmonie. (p. 116)

On demande, il est vrai, pour l'instant au roman des qualit茅s de discipline et de construction听; peut-锚tre s'apercevra-t-on que l'on atteint 脿 ces qualit茅s dans la mesure o霉 l'on sort du roman, qu'elles appartiennent au th茅芒tre et au discours direct. Et si l'on persiste 脿 leur maintenir le premier rang, ce qui serait assez mon avis, la cons茅quence en pourrait 锚tre pour le roman, pour le genre triomphateur du XIXe si猫cle, quelque m茅sestime du XXe. (p. 122)

Le roman 脿 th猫se [exemple le plus radical d'un roman bien compos茅] oblige le lecteur 脿 une seule conclusion, et c'est pourquoi le son qu'il donne est mat, il ne vit pas, il ne se termine pas sur cet accent vital qu'est l'ind茅termination. Au contraire, tout roman vraiment repr茅sentatif de la vie sollicite le lecteur 脿 des conclusions, et ce roman se comporte ici comme le th茅芒tre. De Polyeucte, de 笔丑猫诲谤别, des deux romans de Stendhal, de la Recherche de l'absolu, d'Anna Kar茅nine, ou de 贵耻尘茅别, je tire d'abord une 茅motion de vie ou de pens茅e, puis cette 茅motion se refroidit et se disperse en une infinit茅 de conclusions possibles, qui varient avec chaque 茅poque et peuvent varier avec chaque esprit. Il ne faut pas dire que l'oeuvre d'art ne prouve rien. Elle est une capacit茅, une disponibilit茅 de preuve. Mais elle n'est pas une preuve. (p. 126)

[Sur le roman et le cin茅ma]: 芦脡crivant, dans la听Nouvelle Croisade, un conte pour ses enfants et pour ceux des autres, soucieux de les captiver ainsi que les captive Rigadin, il a, sans doute, malgr茅 lui, ins茅r茅, comme un futuriste, le plus possible de cin茅ma dans son roman. Et je vous assure, que vu sous cet angle, son livre devient tr猫s curieux. Vous savez que la plupart des romans populaires passent aujourd'hui au cin茅ma [鈥�]. Mais jusqu'ici il fallait que l'adapteur d茅sarticul芒t le roman pour le projeter sur l'茅cran. Cette fois il n'aura qu'脿 prendre tel quel le roman-sc茅nario de M. Bordeaux pour en tirer le plus joli film que puissent voir les petits et les grands enfants d'Europe.禄, p. 242-243.

[Le cin茅ma comme art futuriste ]: 芦C'est l脿 tout le futurisme de M. Bordeaux, et je suis tr猫s dispos茅 脿 avouer qu'il est beaucoup plus sain que celui de M. Marinetti. Son roman m'a donc int茅ress茅 par la pente fleurie qui le conduit au cin茅ma, et parce qu'il fournissait une donn茅e 脿 des questions que je me posais il y a quelques ann茅es: je me demandais si le meilleur du roman n'allait pas se d茅poser dans le th茅芒tre; voil脿 qu'il br没le singuli猫rement les 茅tapes. Mais je reconnais qu'脿 c么t茅 du sc茅nario cin茅matographique, qui nous donnera tout ce que peut avoir le plus beau film du monde, la La croisade des enfants a des pages ing茅nieuses [鈥�]禄, p. 245.

芦Ainsi [鈥�] la litt茅rature normale 鈥� et la meilleure 鈥� fut-elle, ces cinq ans, du c么t茅 de ceux qui continu猫rent 脿 jouer 脿 la balle. [鈥�] Ainsi l'on peut dire tr猫s vigoureusement et il semble qu'on pouvait pr茅voir听a priori听que la vraie litt茅rature de guerre serait celle de la vie int茅rieure. [鈥�] On lit pour sortir de soi听; mais quand on m猫ne une vie dont l'essence est de vous sortir de vous, on lit pour rentrer en soi.禄, p. 278.

芦Tel qu'il est fond茅 ici par le romancier anglais, le roman d'aventures est le roman de l'茅nergie, de l'intelligence utile et de l'action, et c'est ainsi d'ailleurs que les Grecs l'avaient compris dans l'翱诲测蝉蝉茅别.禄, p. 324.

芦[...]听le roman d'aventures est par excellence le roman de l'action et le roman d'analyse le roman de la passion. La passion n'est introduite dans le roman de l'action que comme 茅l茅ment de d茅tente ou de comique.禄, p. 326.

[Sur le roman romanesque]: 芦Le roman romanesque n'est d'ailleurs pas tr猫s facile 脿 d茅finir. Pratiquement, c'est le roman qui satisfait l'esprit romanesque, c'est-脿-dire imagine et fait imaginer l'amour non comme venu d'un int茅rieur et m锚l茅 脿 la trame ordinaire de la vie, mais descendu par un vol inattendu de la 诲别蝉迟颈苍茅别, et prenant une figure extraordinaire et lyrique. [鈥�] Don Quichotte parodie le roman romanesque et Madame Bovary de m锚me. Le roman romanesque a pour client猫le des femmes 脿 l'imagination faible et la vie froiss茅e, des Emma Bovary. [鈥�] Tout roman sur l'Amour, en tant qu'il montre l'amour tourment茅 ou emp锚ch茅, implique du romanesque, tout roman sur la vie, en tant qu'il la montre froiss茅e ou accident茅e, implique du romanesque.禄, p. 327.

[Sur le roman de l'aventure intellectuelle]:听芦听Je l'appellerais le roman de l'aventure intellectuelle, le motif de l'aventure li茅 de fa莽on ironique et symbolique 脿 un certain romanesque de l'intelligence libre.听On pourrait dire sommairement que, dans le roman d'aventures anglais, l'aventure int茅resse l'action, que, dans le roman d'aventures romanesque, elle d茅core la sensibilit茅 et que, dans le roman d'aventures id茅ologique, elle mat茅rialise l'intelligence.禄, p. 330-331.

[Robinson Cruso毛 comme mod猫le du roman d'aventures]: 芦tout roman d'aventures tend 脿 cristalliser sous la forme de Robinson et de l'卯le de Robinson.听禄, p. 332.

[Mod猫le de la trag茅die fran莽aise]: 芦Le roman a toujours une tendance 脿 imiter la trag茅die fran莽aise, 脿 limiter ou tout au moins 脿 ramasser la 诲耻谤茅别, 脿 contracter le personnage dans une figure plastique, dans un caract猫re fixe, et son action dans la peinture d'une crise.听禄, p. 387.

[Sur la 诲耻谤茅别 du roman anglais]:听芦听 La 诲耻谤茅别 du roman anglais ne d茅fait pas, d茅truit pas, elle construit, comme fait chez nous celle de la听Chartreuse de Parme. Les personnages, de l'enfance 脿 la mort, naissent, grandissent, deviennent hommes, jouent leurs r么les, disparaissent听; mais quand ils se sont 茅vanouis, il subsiste derri猫re eux de l'humanit茅 et de la beaut茅, de l'essentiel et du plein.听Leur vie, quel que soit son d茅tail minime ou mis茅rable, quels que soient l'ironie et le sourire de l'auteur, c'est n茅anmoins quelque chose d'arriv茅, de s茅rieux, d'unique, que nul autre n'aurait pu vivre 脿 leur place, de m锚me que nul autre n'e没t pu 茅crire 脿 la place de l'auteur l'analogue d'une oeuvre de g茅nie.禄, p. 389.

芦Nos deux romans d'Islam,听厂补芒诲补听plus clairement,听Goha听d'une mani猫re plus d茅velopp茅e, nous font sentir dans la vie ce poids de la 诲别蝉迟颈苍茅别 qui l'entra卯ne, 诲别蝉迟颈苍茅别 qui, une fois accomplie, appara卯t dans la pass茅 comme une oeuvre d'art curieuse, comme une figure plastique du bonheur et du malheur humain, mais qui, au moment o霉 elle s'accomplit, va comme un cheminement discontinu et singulier de hasard et d'instant.禄, p. 417.

芦叠辞产, [roman de Pierre Mac-Orlan], comme beaucoup d'autres romans de guerre, et comme le Feu lui-m锚me, est le contraire du roman d'aventures. Bob connaissait mieux l'aventure quand il r么dait, m锚me, sur le pav茅 parisien, que lorsque, les d茅s ayant roul茅 sur la table des dieux, l'humanit茅, avec Bob 脿 son centre de feu, fut prise dans la plus tragique aventure de l'histoire. Plus pr茅cis茅ment, tout ce qui compte comme roman de guerre appartient au roman de la 诲别蝉迟颈苍茅别 et non au roman de l'aventure. Un roman de la 诲别蝉迟颈苍茅别 est un roman qui se passe dans un sorte de pens茅e cosmique, atmosph猫re qui nous baigne et nous p茅n猫tre et o霉 tout ce que nous faisons semble exister id茅alement avant notre action.禄, p. 419-420.

[Psychologie de la 诲别蝉迟颈苍茅别]: 芦[鈥�] on pourrait, semble-t-il, d茅finir le sentiment passif de la 诲别蝉迟颈苍茅别 comme une paramn茅sie chronique, c'est-脿-dire une facult茅 de projeter toujours du pass茅 sur le pr茅sent. Dans la vie de campagne je tombais toujours, en arrivant dans un nouveau pays, sur cette impression: tout ce que je voyais, je l'avais d茅j脿 vu. Comme en permission je n'茅tais pas sujet 脿 ces paramn茅sies (et je ne les 茅prouve plus aujourd'hui) il est tr猫s probable qu'elles provenaient de ceci: ce pays nouveau, je le voyais de l'int茅rieur d'une compagnie et en m锚me temps que tous les camarades de la compagnie, ou plus pr茅cis茅ment de l'escouade. Leur pr茅sence, leurs regards qui pr茅c茅daient, recouvraient, suffoquaient, rendaient anonymes les miens et en faisaient une partie d'un grand regard total, cela se traduisait pour moi par du pass茅, du d茅j脿 vu [鈥�]. Et je me rendais fort bien compte que cette paramn茅sie chronique, cet obscurcissement et cet 茅moussement du pr茅sent faisaient leur partie dans ce sentiment assez voluptueux et o霉 se plaisait l'intelligence, d'abandon 脿 une 诲别蝉迟颈苍茅别 humaine qui vous emporte comme un train, comme un navire dont on oublie, au bruit doux de l'eau qu'il coupe, la fragilit茅.禄, p. 420.

[Le roman fran莽ais comme roman de la fatalit茅]: 芦Il est le roman d'une 诲别蝉迟颈苍茅别 qui s'accomplit et, g茅n茅ralement, d'un 锚tre qui se d茅fait. Il a son type en听Madame Bovary, sur laquelle tout le roman fran莽ais, depuis soixante ans, est b芒ti, comme toute la trag茅die fran莽aise 茅tait b芒tie sur le听Cid听别迟听Andromaque. Le mot profond par lequel Charles [Bovary] 茅claire toute sa 诲别蝉迟颈苍茅别: 鈥淐'est la faute de la fatalit茅鈥�, peut servir d'茅pigraphe 脿 ce roman et 脿 ceux qui l'ont suivi: romans de la fatalit茅.禄, p. 422.

[note a]: 芦Pareillement le mot romanesque n'appara卯t que bien apr猫s les romans; il tient dans la langue la place qu'occupe Don Quichotte听dans la suite m锚me du genre; il t茅moigne d'un sentiment d茅riv茅 du roman plut么t que g茅n茅rateur du roman.禄, p. 439.

[Histoire du roman de l'Ancien R茅gime]: 芦L'histoire du roman jusqu'au XVIIIe si猫cle, c'est l'histoire d'un genre foisonnant, capital, dans l'ordre historique, mais litt茅rairement manqu茅. [鈥�] De sorte qu'un regard jet茅 sur notre roman nous am猫ne 脿 une conclusion assez curieuse. La copieuse s茅rie romanesque et f茅ministe que M. Seilli猫re nous montre allant de la litt茅rature courtoise 脿 la听Nouvelle H茅lo茂se听existe, forme en somme pendant quatre si猫cles le fond et le courant du roman fran莽ais. Mais ce n'est gu猫re qu'en r茅agissant contre elle et en la niant que le roman produit quelque chose de bon.听Don Quichotte, qui est le premier roman moderne de g茅nie, l'est contre les听Amadis. Pourquoi Rabelais ouvre-t-il une source intarissable de joie? Parce que nous nous y d茅barbouillons de tout romanesque.禄, p. 447-448.

芦脡videmment on a 茅crit de bons romans sur ce qu'on pourrait appeler le petit intellectuel, comme on dit le petit bourgeois, par exemple听Charles Demailly. Mais si le roman du grand intellectuel a parfois 茅t茅 tent茅, il n'a jamais produit une oeuvre viable. Balzac y a compl猫tement 茅chou茅 dans听Louis Lambert. S'il peut sembler avoir r茅ussi dans la听Recherche de l'absolu, c'est d'abord parce que le titre en est faux et que les recherches de Balthazar Cla毛s ne font que symboliser dans le relatif la recherche de l'absolu. C'est ensuite que Cla毛s est vu du dehors et non du dedans, que l'int茅r锚t du drame consiste en ce dehors: cette obscurit茅 du centre, dans le tableau, fait un effet aussi puissant que la lumi猫re du centre dans un tableau de Rembrandt ou dans la听Nuit听du Corr猫ge.禄, p. 535.

[Sur le personnage romanesque]: 芦[鈥�] le personnage d'un roman ou d'une oeuvre dramatique doivent 锚tre contenus en l'auteur sinon formellement du moins 茅minemment. Ces termes scolastiques signifient simplement qu'il ne peut cr茅er des 锚tres dont les perfections soient 茅gales ou sup茅rieures aux siennes. Je dis des perfections et non des volont茅s. En usant toujours des m锚mes expressions scolastico-cart茅siennes, nous dirons que, de m锚me que la volont茅 est pareillement infinie chez Dieu et chez l'homme, de m锚me l'artiste atteindra couramment le beau ou le sublime d'une volont茅 aussi infinie que celle de son g茅nie: telles les grandes figures d'Hom猫re ou de Milton, de Shakespeare ou de Corneille, de Goethe ou de Balzac. [鈥�] Un artiste fait concurrence 脿 l'茅tat civil qui enregistre des hommes, il ne fait pas concurrence au registre divin o霉 lui-m锚me est inscrit et o霉 s'immatriculent les g茅nies.禄, p. 536-537.

芦Non seulement un g茅nie ne peut pas cr茅er un g茅nie imaginaire, mais encore il 茅choue presque toujours 脿 reconstituer par le roman, 脿 faire revivre directement un homme de g茅nie r茅el. [鈥�] Ainsi un grand po猫te a toute latitude pour cr茅er des 锚tres sublimes par leur abn茅gation, leur h茅ro茂sme ou leur volont茅, une Cord茅lia, un Horace, un Prom茅th茅e. En cette mati猫re non seulement il fait concurrence 脿 l'茅tat civil, mais il le d茅passe infiniment, il fait les 锚tres plus grands que nature, il peint les hommes tels qu'ils devraient 锚tre, et c'est en voyant ce qu'ils devraient 锚tre que les hommes se reconnaissent en lui [鈥�].禄, p. 537.

芦Autant l'artiste a pleine libert茅 et pleine puissance dans la sph猫re de ce que Kant appelle la seule chose absolument bonne, la bonne volont茅, autant ses moyens sont restreints quand il veut cr茅er des intelligences, j'entends de grandes intelligences, des intelligences g茅niales [鈥�].禄, p. 537-538.

芦Et il n'y a que cette fa莽on pour l'artiste d'aborder le g茅nie, ou m锚me tout simplement d'aborder le portrait de l'intellectuel: le consid茅rer non en lui-m锚me, mais dans ses rapports avec les hommes. Ainsi, dans le听Disciple, le roman de l'intellectuel commence au moment o霉 son intelligence, ou son oeuvre, ont agi sur un homme et l'ont pouss茅 脿 l'action.禄, p. 540-541.

芦Le roman du g茅nie n'est pas capable de soutenir la concurrence de la nature, qui seule cr茅e des g茅nies, Et le roman de l'intelligence n'est pas capable de soutenir la concurrence de la critique. Il est g茅n茅ralement 茅crit par des esprits dou茅s pour la critique qui transportent leur don critique dans le roman parce qu'ils jugent plus agr茅able de faire du roman. Ils arrivent 脿 un genre b芒tard qui n'est ni l'un ni l"autre, bien qu'il puisse 脿 son tour, en vertu de la puissance impr茅visible et de l'invention du g茅nie, donner un chef-d'oeuvre: nous ne pouvons cataloguer et juger le pass茅.禄, p. 542.

[Les existences obscures comme existences romanesques]: 芦Et cela nous am猫nerait une fois encore 脿 chercher comment et pourquoi le roman du XIXe si猫cle, surtout fran莽ais, a 茅t茅 particuli猫rement le lieu des existences obscures ou des existences qui se d茅font.禄, p. 544.

[Sur la composition dans le roman]: 芦La v茅rit茅 est que le mot de composition a un sens tr猫s diff茅rent quand il s'agit du th茅芒tre et du roman. La composition dramatique est fond茅e sur des simultan茅it茅s. Elle resserre dans le temps (trois unit茅s), elle porte non sur des 茅volutions, mais sur des situations [鈥�]. [鈥�] on peut l'appeler une composition dans l'espace autant et plus qu'une composition dans le temps. [鈥�] Mais le grand roman, le roman-nature, pour reprendre l'expression de tout 脿 l'heure, ce n'est pas cela, c'est de la vie, je veux dire quelque chose qui change et quelque chose qui dure. Le vrai roman n'est pas compos茅, parce qu'il n'y a composition que l脿 o霉 il y a concentration, et, 脿 la limite, simultan茅it茅 dans l'espace. Il n'est pas compos茅, il est d茅pos茅, d茅pos茅 脿 la fa莽on d'une 诲耻谤茅别 v茅cue qui se gonfle et d'une m茅moire qui se forme. Et c'est pas l脿 qu'il fait concurrence non seulement 脿 l'茅tat civil, mais 脿 la nature, qu'il devient une nature.禄, p. 597.

芦Mais ceux qui ont 茅crit les romans-nature que je nommais auraient pu, eux, dire comme Flaubert: "On n'茅crit pas les livres qu'on veut." On sent que leurs romans ne cont pas sortis d'une id茅e mais qu'un monde d'id茅es sort de leurs romans. Ils se trouvent, si on veut. compos茅s quand ils sont 茅crits, mais ils n'茅taient pas compos茅s avant d'锚tre 茅crits, et il n'y a de vraie composition que pr茅con莽ue.禄, p. 598.

芦L'art n'existerait pas sans la pr茅sence de la douleur, ou bien il se serait arr锚t茅 脿 des formes superficielles.[鈥�] Dans la douleur nous 茅prouvons ce qui en nous se ramasse et p猫se, le mouvement qui contracte et intensifie notre densit茅 pour nous ne savons quelles balances. Il n'existe, au fond, qu'un sujet de l'art et de la pens茅e humaine: l'homme devant l'茅nigme de la vie. Le plaisir va probablement dans le courant de la vie (tout au moins de la vie de l'esp猫ce), mais il nous fait tourner le dos 脿 cette 茅nigme. La douleur est sans doute un obstacle que rencontre la vie, mais cet obstacle nous retourne le visage et les yeux vers cette 茅nigme [鈥�].禄, p. 650.

[R茅sum茅 de la pens茅e de Paul Bourget]: 芦听Le roman fran莽ais est un roman bien compos茅. Les Fran莽ais seuls savent composer. Un romancier qui veut 锚tre 茅minemment fran莽ais doit savoir composer. Un impressionniste qui ne compose pas n'est pas un 茅crivain tr猫s fran莽ais.听禄, p. 707-708

芦C'est un fait que l'immense majorit茅 des grands romans europ茅ens, de ceux qui font partie de notre vie comme notre histoire m锚me, individuelle ou nationale, ne sont pas des "compositions" oratoires ou dramatiques, mais de la vie qui se cr茅e elle-m锚me 脿 travers une succession d'茅pisodes. [鈥�] Comme l'茅pop茅e le roman est form茅 d'茅pisodes, tous destin茅s 脿 faire conna卯tre les m锚mes personnages, et donnant autant de coupes sur le m锚me flux de vie. Et ces 茅pisodes, eux, exigent une composition, 脿 laquelle ne manque aucun grand romancier. Il n'y a rien au-dessus de la composition du comice agricole dans听Madame Bovary.禄, p. 714-715.

芦Un romancier, ayant con莽u l'embryon de ses personnages, vit avec ces personnages, se laisse conduite par leurs exigences de vie, se garde de vivre leur 诲耻谤茅别 avant m锚me qu'eux-m锚mes l'aient v茅cue.禄, p. 716.

芦En r茅alit茅, il y a deux grandes divisions de l'art litt茅raire: l'art 脿 qui le temps est mesur茅 et l'art qui dispose librement du temps.禄, p. 717.

芦Comme de l'id茅e de听hasard, qui proc猫de par points discontinus, nous sommes pass茅s 脿 l'id茅e de听chance, qui implique une suite de points, c'est-脿-dire une ligne, appliqu茅e de dehors sur la vie humaine, m茅caniquement et passivement, - ainsi de l'id茅e de chance, nous passerons 脿 l'id茅e d'une 诲别蝉迟颈苍茅别, je veux dire 脿 l'id茅e d'une ligne int茅rieure qui met dans un vie, dans une carri猫re, dans un g茅nie, l'unit茅 organique propre aux productions de la nature, 诲别蝉迟颈苍茅别 qu'il peut 锚tre glorieux ou avantageux au po猫te d'interpr茅ter comme un mission divine.禄, p. 823.

芦Une 诲别蝉迟颈苍茅别 ne se d茅veloppe, ne se r茅alise, ne se cr茅e que dans la 诲耻谤茅别, et le roman c'est le genre qui a besoin de 诲耻谤茅别, qui r茅pugne de tout son 锚tre aux vingt-quatre heures o霉 se resserre l'茅lan tragique, et qui se pla卯t 脿 vivre et 脿 suivre la vie enti猫re d'un homme. Le roman du hasard, de la chance, de l'aventure, le roman 芦听courant听禄, dans tous les sens du mot, n'a que faire de ces personnages听ralentissants听comme ceux que nomme Goethe, et comme aussi les Bette, les Homais, les Fr茅d茅ric Moreau, les Adam Bede, les Levine. Mais le grand roman est peut-锚tre, avec le livre philosophique [鈥�], le plus ralenti des genres litt茅raires, le plus docile et le plus enclin 脿 茅pouser la lenteur et la patience de la nature. Car, si une 诲别蝉迟颈苍茅别 ne s'explicite que dans la 诲耻谤茅别 d'une vie, le roman ne l'explicite qu'en durant comme la vie.禄, p. 828.

芦Les 茅v茅nements en tant qu'茅v茅nements paraissent une s茅rie de malchances, mais le lecteur ne songe pas d'ordinaire 脿 les voir sous cet aspect, et il a raison, car aucun personnage mieux qu'Emma Bovary ne r茅alise la d茅finition du roman, du personnage de roman, par Goethe: les 茅v茅nements model茅s sur les sentiments, l'ext茅rieur model茅 sur l'int茅rieur, la ligne de chance model茅e sur la ligne de la 诲别蝉迟颈苍茅别. La malchance d'Emma jusqu'脿 l'arsenic, la chance d'Homais jusqu'脿 la L茅gion d'honneur, elles ne sont pas prises au hasard dans les deux tonneaux qu'Hom猫re place devant le p猫re Zeus, elles d茅couvrent des caract猫res m锚mes de Mme Bovary et du pharmacien, l'茅chec et la r茅ussite sont donn茅s dans leur nature, dans leur mission individuelle, dans leur 诲别蝉迟颈苍茅别. Songeant 脿 Alexandre disparu dans les lointains pompeux de Babylone, 脿 Napol茅on s'achevant sur le rocher occidental, Chateaubriand 茅crit: 芦听La Destin茅e d'un grand homme est une Muse听禄. Les grands romanciers sont ceux qui savent voir une Muse aux c么t茅s de toute 诲别蝉迟颈苍茅别 humaine.禄, p. 831

芦[鈥�] nous nous 茅merveillons parfois du r么le que le hasard a tenu dans notre existence [鈥�] Mais nous sommes g锚n茅s par cette id茅e de hasard m茅canique [鈥�] Il nous pla卯t de changer cette ligne de hasard en ligne de chance, de nous croire favoris茅s ou p茅nalis茅s par une bonne ou une mauvaise fortune pers茅v茅rantes, 脿 laquelle nous donnons plus ou moins la figure d'une volont茅 ext茅rieure 脿 nous d'un 锚tre conscient qui s'occupe de nos affaires [鈥�]. Mais lorsque notre r茅flexion s'approfondit, lorsque notre contact avec notre 锚tre devient plus attentif, nous convertissons ces figures de d茅miurges ext茅rieurs en r茅alit茅s int茅rieures, nous prenons conscience en nous d'une 诲别蝉迟颈苍茅别, de ce que Schopenhauer appelle "un sens cach茅 de direction, une boussole int茅rieure, gr芒ce 脿 quoi chacun de nous se trouve mis sur la voie qui est la seule qu'il lui faille suivre, mais dont aussi il n'aper莽oit la direction r茅guli猫re et logique qu'apr猫s qu'il l'a d茅j脿 parcourue" 禄., p. 832-833.

芦Ce qu'on appelle une g茅n茅ration litt茅raire, c'est peut-锚tre, tout simplement, une certaine mani猫re commune de poser des probl猫mes, avec des mani猫res tr猫s diff茅rentes de les r茅soudre, ou plut么t de ne pas les r茅soudre. Le probl猫me pos茅 pour la g茅n茅ration qui va de 1900 aux ann茅e pr茅paratoires de la guerre, c'est bien, dans une certaine mesure, un probl猫me d'茅nergie, un probl猫me d'action, et, d'une fa莽on g茅n茅rale, un probl猫me qui int茅resse tout l'homme; ce n'est pas, ou c'est beaucoup moins, ce probl猫me d'art pur, qui, sous les signes de Flaubert ou de Mallarm茅, aux temps du naturalisme et du symbolisme, parut quelque temps un probl猫me majeur. Mais au moment o霉 la guerre vint transmuer les valeurs, ceux dont l'influence fut jet茅e tout 脿 coup en pleine lumi猫re et qui agirent sur la toute jeune g茅n茅ration, au contraire ce ne furent nullement des professeurs d'茅nergie. Les ma卯tre de choeur de 1920 ne faisaient certainement pas monter le dynamom猫tre au m锚me chiffre que les ma卯tre du choeur de 1905.禄, p. 868-869.

Comme le philosphe pense par id茅es, il faut que le romancier pense par 锚tres. Or qui pense par id茅es? l'homme. Qui pense par 锚tres? la nature. Nous sommes bien, chez le grand romancier, devant l'exigence d'une nature. (p. 881)

Qu'est-ce que les听Thibault? Le contraire d'une 芦th猫se禄 et d'un 芦drame禄 脿 la Bourget. Un听stream of flesh听(j'associe intentionnelement le terme de William James et le titre de Butler), l'茅lan vital d'une famille, ou plut么t de deux familles, qui se cherche, se cr茅e, exp茅rimente, 脿 travers l'auteur et sous nos yeux. [鈥�] Mais ce roman domestique, s'il accorde 脿 un rythme du roman europ茅en, subit des influences surtout fran莽aises. (p. 887-888)

La critique du roman est elle-m锚me un roman dont les romanciers sont les personnages. Il y a une听Com茅die romanesque听comme il y a une听Com茅die humaine. Et le roman domestique sup茅rieur, ce serait peut-锚tre ce roman des familles d'esprit, qui appartient 脿 la critique, et dont elle n'茅crit encore que d'incertains 茅pisodes. (p. 892)

L'art seul am猫ne le biais n茅cessaire pour produire cette soudure du r锚ve et de l'action. Chez un Marcel Proust, la Recherche du temps perdu听dans laquelle se sp茅cialise de bonne heure le g茅nie du psychologue et de l'artiste peut bien 锚tre alli茅e, par un accompagnement normal et pr茅visible, 脿 cette inaptitude pratique absolue, 脿 cette incapacit茅 de se conduire et de se servir, 脿 cette d茅pendance vis-脿-vis des domestiques, des amis, d'autrui, qui frappaient tous ceux qui le connaissaient. [Mais ceci n'est qu'une fa莽ade] Le temps perdu, la recherche du temps perdu, le temps retrouv茅, ce sont autant d'茅tapes qui vont du souvenir brut 脿 son utilisation dans l'oeuvre d'art. Car l'art est une fa莽on pour l'individu de r茅cup茅rer sous forme de puissance de production ses pentes de st茅rilit茅, de transformer en houille blanche ses torrents ravageurs. Dans la vie normal de l'individu non artiste, au contraire, la formation de la m茅moire-habitude correspond 脿 une tension, l'茅panouissement de la m茅moire-souvenir 脿 une d茅faite. (p. 1027)

Comme c'est curieux, comme c'茅tait impr茅visible, la mani猫re dont les choses se sont pass茅es! Il a sembl茅 d'abord que Mallarm茅, le symbolisme, ce fussent des vieilles lunes du temps des robes longues. Robert de Souza, homme de foi, e没t 茅t茅 脿 peu pr猫s seul, il y a dix ans, 脿 oser envoyer de Nice le t茅l茅gramme 脿 la Paul Alexis: 芦Symbolisme pas mort. Lettre suit.禄 [鈥�] On attend le mouvement d'art nouveau, l'in茅vitable mouvement d'apr猫s-guerre, le 1830 de ce 1815, on retient son strapontin pour un bataille d'Hernani. Et il se trouve que brusquement occupent une place centrale quatre gloires 脿 retardement, Proust, Val茅ry, Gide, Claudel. Proust ne figure ici que comme leur compagnon d'芒ge, dont l'influence s'exerce, comme la leur, sur une g茅n茅ration qui n'est pas la sienne. (p. 1129)

Mais je maintiendrai mon refus de centrer et de fixer. J'appliquerai au terme Montaigne-Pascal-Voltaire la formule de Pascal sur le m锚me homme qui dure (ajoutons: qui change) et qui apprend continuellement. Et cette suite, elle ne serait pas plus toute la litt茅rature fran莽aise que Goethe n'est toute la litt茅rature allemande, mais elle y tiendrait la place caract茅ristique de Goethe. [...]听Voltaire n'est pas un point final. Et je laisse au lecteur le soin de d茅cider quelle serait la pire de ces deux calamit茅s: une litt茅rature fran莽aise sans Voltaire, ou une litt茅rature fran莽aise o霉 Voltaire ferait fonction de point final. [鈥�] Le seul point que je maintienne avec 茅nergie, c'est mon pluralisme, mon Contr'Un. [鈥�] La France n'Est pas une 卯le, la litt茅rature fran莽aise est 茅minemment sociale et sociable. M锚me quand le grand homme est un solitaire, ou un misanthrope, comme Rousseau, sa 诲别蝉迟颈苍茅别 litt茅raire, notre 诲别蝉迟颈苍茅别 litt茅raire, le contraint 脿 la vie plurale, le conjugue. Rousseau par lui-m锚me compte beaucoup moins que le bin么me Voltaire-Rousseau. (p. 1278-1279)

Le d茅licat, c'est que la philosophie n'est pas romanesque. [鈥�] Pour supprimer un homme, le philosophe n'a pas besoin de revolver. Il lui suffit de le rejeter de l'existence. [鈥�.] Conclusion: la vie de l'intelligence peut sans doute fournir un romanesque nouveau, mais 脿 condition que ce romanesque soit tir茅 de l'intelligence elle-m锚me, ou du moins se d茅tache sur un fond neutre, ordinaire, paisible, qu'il n'ait rien 脿 voir avec le romanesque de cour d'assise. (p. 1301)

[...] on peut classer les romanciers en deux types g茅n茅raux, qu'on pourrait appeler le type Constant et le type Balzac. Type Constant, ou exp茅rience personnelle plus ou moins romanc茅e, auteur incapable d'autre chose que d'une analyse de lui-m锚me, et n'茅crivaient g茅n茅ralement qu'un livre, o霉 tout ce qu'il avait 脿 dire est dit. Type Balzac, ou concurrence 脿 l'茅tat civil, enfantement f茅cond, illimit茅, de personnages autonomes, ind茅pendants de l'auteur. (p. 1408)