Ramon Fernandez
(1894-1944)
Dossier
Le roman selon Ramon Fernandez
| Ramon Fernandez ou le moralisme comme humanisme, par Renaud Roussel, 13 mars 2013 |
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芦 Je cherche 脿 m'expliquer, [鈥 comment cet homme, un des plus brillants intellectuels de son temps, a pu 锚迟谤别 socialiste 脿 31 ans (1925), critique litt茅raire d'un journal de gauche 脿 38 ans (1932), communiste 脿 40 ans (1934), fasciste 脿 43 ans (1937), enfin collabo 脿 46 ans (1940) 禄 茅crit Dominique Fernandez, universitaire, romancier et membre de l'Acad茅mie fran莽aise, dans la biographie (2008) qu'il consacre 脿 son p猫re, Ramon Fernandez (1894-1944). Consid茅r茅 par nombre de ses contemporains comme le plus grand critique litt茅raire fran莽ais de l'entre-deux-guerres, Fernandez a longtemps 茅t茅 ignor茅 par les universitaires fran莽ais du fait de son implication au sein du Parti populaire fran莽ais (PPF), le parti fasciste de Jacques Doriot. Son oeuvre est pourtant consid茅rable et m茅rite d'锚迟谤别 plac茅e aux c么t茅s de celle d'un Albert Thibaudet, dont il partageait l'茅rudition, et d'un Jacques Rivi猫re, son grand ami et son principal interlocuteur. Critique 脿 la听NRF听d猫s le d茅but des ann茅es 1920, 脿 laquelle il contribua r茅guli猫rement jusqu'脿 sa mort, il fut 茅galement l'un des co-fondateurs du journal听惭补谤颈补苍苍别听et responsable de sa section litt茅raire. Il 茅tait si incontournable au sein du milieu litt茅raire fran莽ais que les 茅crivains allaient jusqu'脿 se plaindre lorsque leurs oeuvres n'avaient pas eu l'honneur d'obtenir une critique de lui! Outre ses publications dans les revues de l'茅poque, il r茅digea cinq monographies 鈥� sur Moli猫re (1927), Gide (1931), Balzac (1943), Proust (1943) et 叠补谤谤猫蝉 (1943) 鈥� ainsi qu'une histoire de la litt茅rature fran莽aise,听Itin茅raire fran莽ais听(1943). Anglophile, il fit de v茅ritables tourn茅es 鈥� plus de vingt conf茅rences en un mois ! 鈥� en Angleterre, entretint une correspondance avec T.S. Eliot et contribua grandement 脿 populariser le roman anglophone au sein de la NRF. Enfin, il publia deux romans de son vivant 鈥撎�Le Pari, prix Femina 1932, et听Les Violents听en 1935 鈥� en plus d'un roman de jeunesse,听Philippe Sauveur, dont la premi猫re 茅dition vient de para卯tre cette ann茅e chez Grasset (preuve, s'il en est, d'un regain d'int茅r锚t 脿 son 茅gard). Si, comme nous l'avons rapidement soulign茅, ses all茅geances politiques 茅taient pour le moins fluctuantes, il n'en va pas de m锚me en ce qui concerne sa pens茅e litt茅raire. D'une part, son oeuvre, bien que diverse, se focalise principalement sur le roman fran莽ais et britannique 鈥� 脿 l'exception notable de Moli猫re, dont il admirait l'art dramatique et la profondeur comique. D'autre part, sa conception de la litt茅rature fait montre d'une surprenante coh茅rence, due principalement 脿 un mode de penser clairement d茅fini et jamais reni茅 :
Expression naturelle d'un moderne passionn茅 de vitesse et tourn茅 vers l'avenir, le mode prospectif d茅rive d'une philosophie de l'锚迟谤别 qui met l'accent sur la libert茅 fondamentale de l'homme et sur sa capacit茅 脿 changer et 脿 se sublimer 鈥� les 茅chos aux 芦 possibles 禄 de Thibaudet, que Fernandez admirait grandement, sont l茅gions. Il expose 茅galement, en creux, les contradictions d'un homme qui cherchait dans la litt茅rature une 惫茅谤颈迟茅 morale qu'il 茅tait incapable d'atteindre dans sa propre vie : aux infid茅lit茅s tant politiques qu'amoureuses s'oppose, dans sa r茅flexion critique, une forme de moralisme, un vouloir-锚迟谤别 pour reprendre les termes de la citation, qui est ce vers quoi doivent tendre, selon lui, tout homme et toute oeuvre d'art. Ce double 茅lan, qui n'est pas sans rappeler la pens茅e d'un Camus ou d'un Sartre, postule que l'autonomie de l'individu ne peut 锚迟谤别 effective qu'au sein d'un cadre moral sans cesse 脿 red茅finir. 脌 ce sujet, Fernandez 茅crit, vingt ans avant l'auteur de听L'existentialisme est un humanisme听: 芦 J'entends en somme Moral par opposition 脿 Physique. J'essaie de d茅fendre l'int茅grit茅 de l'exp茅rience humaine contre une interpr茅tation [celle de Rivi猫re] qui, 脿 mon avis, mutile l'homme en croyant le r茅v茅ler. Et si vous ne jugez pas le terme trop pr茅tentieux, mon moralisme, je l'appellerais plut么t un humanisme 禄 (芦 Une d茅fense du moralisme 禄, p. 140). Ne pas abandonner l'homme 脿 ses simples 茅motions primaires (Physiques) et le cerner dans toute la complexit茅 (Morale) de son rapport au monde, voil脿 l'id茅e qui guide l'ensemble de la pens茅e philosophique et litt茅raire de Ramon Fernandez et, plus particuli猫rement, sa conception du roman. Sans entrer dans les d茅tails de la r茅flexion philosophique de Fernandez, il est important d'en pr茅ciser les fondements, car son analyse litt茅raire r茅sulte directement de sa philosophie : 芦 [鈥听l'esth茅tique doit 锚迟谤别 une ontologie imaginative, c'est-脿-dire que le probl猫me fondamental de l'esth茅tique n'est autre que le probl猫me m茅taphysique de l'锚迟谤别, mais transpos茅 dans le plan de l'imagination听禄 (芦 De la critique philosophique 禄, p. 25). Influenc茅e par L茅on Brunschvicg et Henri Bergson, dont il a suivi les cours 脿 la Sorbonne, sa pens茅e critique rejette tout m茅canisme d茅terministe dans le d茅veloppement de la vie. Ce qu'il nomme 芦 critique philosophique 禄 repose sur le concept bergsonien d'intuition : l脿 o霉 la pens茅e descriptive 茅tudie l'objet pour lui-m锚me, ce qui est le propre de l'intelligence, la pens茅e philosophique situe l'int茅r锚t de l'objet dans la conscience que le sujet a de cet objet. Cela ne veut pourtant pas dire que cette 芦 critique 禄 est pur subjectivisme, une approche que Fernandez qualifie 脿 loisir 芦 d'impressionniste 禄 ; au contraire, l'intuition permet d'identifier听芦 la substructure philosophique d'une oeuvre, [c'est-脿-dire] le corps d'id茅es, organis茅 par une hypoth猫se, qui fournit une explication des caract猫res essentiels de cette oeuvre en les rapportant aux probl猫mes de philosophie g茅n茅rale qu'ils peuvent impliquer 禄听(芦 De la critique philosophique 禄, p. 29). Cette approche, somme toute abstraite pour les non initi茅s, prend une application beaucoup plus concr猫te dans une s茅rie de d茅bats publics entre Fernandez et Jacques Rivi猫re en 1924 en Suisse, quelques mois avant la mort de ce dernier. Publi茅s par Fernandez en 1932 sous le titre听Moralisme et litt茅rature, ces d茅bats soulignent l'importance grandissante de la pens茅e de Fernandez, alors qu'il n'est encore qu'un jeune critique. 脌 l'issue des 茅changes, l'auteur respect茅 du Roman d'aventure admet notamment avoir 茅t茅 d茅stabilis茅 et, au final, convaincu par les arguments de son adversaire d'un jour. Dans la premi猫re conf茅rence, 芦 Les m茅faits du moralisme 禄, Rivi猫re soutient que le moralisme en litt茅rature s'oppose 脿 la spontan茅it茅 et rend ainsi impossible la description de la primitivit茅 de l'芒me, seule 惫茅谤颈迟茅 ontologique et principal objet d'茅tude de la litt茅rature. Il s'agit de la limite principale du romanesque, qui 芦 imagin[e] les qualit茅s d'un personnage avant le personnage lui-m锚me, ou plut么t [fait] sortir un personnage de certaines qualit茅s, abstraites et pures, [et] m猫ne hors de la psychologie 禄 (芦 Une d茅fense du moralisme 禄, p. 77-78). L'homme doit 锚迟谤别 d茅peint dans son imm茅diatet茅, ce qui devient impossible lorsque l'on introduit la valeur morale, car elle est antagoniste 脿 la vie. La grandeur de l'oeuvre de Proust tient 脿 la personnalit茅 complexe de ses personnages alli茅e 脿 un naturel qui permet aux lecteurs de s'identifier 脿 eux. Contrairement aux h茅ros de Balzac, qui ne servent qu'脿 illustrer une id茅e, une loi ind茅pendante de leur 锚迟谤别, 芦 Proust, par positivisme ou par g茅nie fran莽ais, appelons cela comme vous voudrez, va faire un 锚迟谤别 non pas comme nous, mais commensurable 脿 nous-m锚mes, discernable 脿 notre horizon, connaissable, praticable, d茅terminable. Pour tout dire, en un mot, d'un monstre il va faire un homme 禄 (芦 Une d茅fense du moralisme 禄 , p. 81). Loin de n'锚迟谤别 qu'un simple exemple parmi d'autres,听La Recherche听est, en r茅alit茅, 脿 l'origine de la confrontation entre Rivi猫re et Fernandez : si c'est bien par l'entremise de Proust que les deux hommes ont pu se rencontrer pendant la guerre, son roman est devenu l'objet d'une v茅ritable querelle critique, amicale mais franche, dont on trouve trace dans leur correspondance et qui a d茅bouch茅 sur cette s茅rie de d茅bats. Ainsi, ce qu'admire Rivi猫re dans听La Recherche听est, pour Fernandez, sa plus grande lacune, car un personnage 芦 d茅terminable 禄 est n茅cessairement en de莽脿 de la vie humaine et, par cons茅quent, incapable de nous aider 脿 appr茅hender celle-ci :
Se limiter 脿 la description et l'analyse des sentiments tient 脿 une forme d'id茅alisme qui ne prend pas en compte le fait que la vie humaine est n茅cessairement ancr茅e dans l'exp茅rience, non pas dans l'锚迟谤别 mais dans le 芦 devenir 禄 (芦 Une d茅fense du moralisme 禄 , p. 131). 脌 ce titre, les noms de Cervant猫s, Moli猫re et Fielding font figures de filiation litt茅raire : comique et picaresque, la grande litt茅rature, pour Fernandez, doit marquer 芦 son opposition 脿 l'enchantement de l'id茅al 禄 (Pavel,听La Pens茅e du roman, p. 167)听 et affirmer sa volont茅 de saisir la nature humaine sous tous ses aspects, m锚me, et surtout, les plus vils. Tel Fielding, l'茅crivain doit se focaliser sur les actions qu'accomplissent ses personnages tout en 茅tant en mesure de les commenter gr芒ce 脿 un discours narratif autonome qui lui conf猫re une autorit茅 morale :
Or, chez Proust, le d茅tachement du Narrateur n'est pas exploit茅 par le romancier ; il aboutit, selon Fernandez, 脿 une analyse sans relief du monde et des individus qui le composent : 芦 Voyez-vous, Proust me para卯t dangereux en ceci, que gr芒ce 脿 lui, l'analyse de la coupe d'un pantalon devient aussi valable, aussi importante, que l'analyse d'un acte h茅ro茂que ou simplement noble. C'est assimiler l'acte d'intelligence 脿 l'acte artistique. Contre cela je r茅agirai toujours de toutes mes forces 禄 (芦 Lettre 脿 Jacques Rivi猫re 禄, p. 69). Fermement oppos茅 脿 la th茅orie proustienne des intermittences du coeur, qui t茅moigne, selon lui, du 芦 subjectivisme romantique 禄 (芦 Lettre 脿 Jacques Rivi猫re 禄, p. 64) de Proust et de son incapacit茅 脿 s'extraire de lui-m锚me et 脿 concevoir la vie au-del脿 des sentiments, Fernandez estime que l'oeuvre d'art doit reposer, implicitement, sur une hi茅rarchie des valeurs humaines afin de faire ressortir l'unit茅 complexe de la personnalit茅. 脌 cet 茅gard, Fernandez oppose l'homme 芦 d茅ductif 禄 proustien 脿 l'homme 芦 prospectif 禄 de George Meredith, romancier britannique de la p茅riode victorienne dont le ton franc et satirique se situe dans la droite lign茅e de celui de Fielding : 芦 En montrant qu'un sentiment n'est pas une sensation, et qu'une sensation n'est pas une pens茅e, en cr茅ant des personnages qui s'appuient sur le sentiment, il nous m猫ne loin 鈥渄es intermittences du coeur鈥�, nous donne les moyens d'un d茅passement de 鈥渘otre affectivit茅 actuelle鈥� et d'une 鈥渃onqu锚te de la normalit茅, de l'茅quilibre, de la sagesse enfin鈥� 禄 (芦 La garantie des sentiments 禄, p. 126). Tandis que Proust compose ses personnages 芦 avec des souvenirs comme nos grand-m猫res recouvraient les coussins avec des morceaux de tapisserie 禄, Meredith con莽oit les 锚迟谤别s qui peuplent ses romans comme autant d'entit茅s organiques et autonomes : ils n'incarnent ni une classe, ni une id茅e, ni une 茅poque, mais surgissent en affirmant leur pr茅sence 芦 avec tout leur possible et tout leur impossible 禄 (芦 La garantie des sentiments 禄, p. 106). Pour que l'analyse morale soit juste et profonde, le personnage romanesque doit donc avoir la libert茅 de se d茅ployer au sein de l'univers romanesque et d'acqu茅rir, par le double jeu de l'action et de la r茅flexion, une 芦 lucidit茅 禄 sur sa propre condition, que le romancier est ensuite en mesure d'茅valuer. Une telle vision du roman et du personnage t茅moigne de l'influence du roman d'aventure de Rivi猫re tout en signalant une forme de d茅passement : s'il est essentiel que le personnage demeure libre, le romancier ne peut se contenter d'锚迟谤别 un 芦 cr茅ateur qui marche parmi ses inventions, comme un voyageur entre des taillis 禄 (Rivi猫re,听Le Roman d'aventure, p. 55). Le romancier doit certes accepter de se laisser d茅sorienter par ses personnages, mais sa v茅ritable t芒che consiste 脿 trouver une distance juste, qui lui permette de se d茅tacher d'eux afin de garantir leur libert茅 sans pour autant nuire 脿 sa capacit茅 d'analyse : 芦 On est romancier quand on p茅n猫tre bien les 锚迟谤别s, mais quand on ne les p茅n猫tre pas assez pour qu'ils aient cess茅 de ressembler 脿 d'autres qu'脿 eux-m锚mes 禄 (芦 La po茅tique du roman 禄, p. 204). Cette double caract茅ristique du roman permet le d茅veloppement d'une psychologie prospective, celle que le personnage laisse entrevoir par son mouvement, 脿 laquelle succ猫de une 芦 psychologie normative 禄, celle du romancier :
La vision de Fernandez prend donc 脿 contrepied 脿 la fois le subjectivisme et le d茅terminisme. Le premier m猫ne 脿 un aplanissement des valeurs morales et r茅duit la complexit茅 de l'homme 脿 l'expression de ses sentiments ; le second, qui inclut le roman 脿 th猫se et le roman naturaliste, va 脿 l'encontre de la libert茅 du personnage, en le r茅duisant en simple vecteur d'une id茅e ou d'une loi que l'oeuvre vise 脿 illustrer. 脌 diverses reprises, Fernandez tente d'ailleurs de distinguer sa conception du fait moral de celle d'茅crivains comme Paul Bourget, dont la vision essentialiste pr茅sente certaines valeurs morales comme absolues :
脌 ce titre, le naturalisme fait erreur lorsqu'il 茅rige l'茅tude de l'homme en science : 芦 La contradiction du naturalisme a 茅t茅 de peindre des hommes, non pas comme ils sont, mais comme ils apparaissent, de confondre les causes prochaines avec les causes essentielles, les causes efficients avec les causes finales 禄 (芦 Rappel de Maupassant 禄, p. 290). Une telle contradiction revient 脿 nier le fait que, pour reprendre la formule c茅l猫bre de Sartre, 芦 l'existence pr茅c猫de l'essence 禄 chez l'homme et donc, n茅cessairement, dans le roman ; ce dernier, qui est un art sans po茅tique, comme l'茅crit Fernandez (芦 Po茅tique du roman 禄, p. 205), se caract茅rise plut么t par sa construction organique model茅e sur les mouvements propres 脿 chaque vie humaine :
Nous avons d茅j脿 not茅 l'importance du rapport entre le romancier et ses personnages dans l'茅laboration d'un roman. Il importe ici de souligner que l'analyse de Fernandez, certes tr猫s th茅orique, exclut听de facto听un grand nombre de 芦 romans 禄, que le critique classe sous la cat茅gorie de 芦 r茅cits 禄. Cette distinction n'a pas tant pour but d'opposer deux genres distincts que de pr茅ciser ce qu'est la vis茅e propre du roman, 脿 savoir sa vis茅e prospective. Contrairement au roman, le r茅cit est limit茅 par un effet de cl么ture, car il traite d'茅v茅nements pass茅s, ou plut么t appr茅hend茅s comme pass茅s, qu'il relate 芦听conform茅ment aux lois de l'exposition et de la persuasion听禄 (芦 La m茅thode de Balzac 禄, p. 58). Plus rationnel et intellectuel que le roman, il s'apparente aux 芦 rapports d'un magistrat du coeur qui, allant au-del脿 du plan moyen des jugements historiques, met 脿 nu les racines d'une action sociale 禄 (芦 La m茅thode de Balzac 禄, p. 66). Ainsi,听La Com茅die humaine听est, en r茅alit茅, un r茅cit maquill茅 en roman gr芒ce au g茅nie de Balzac, qui fait passer pour individus libres des personnages d茅termin茅s qui ne sont que l'illustration d'un sentiment :
Plut么t que de consid茅rer cette opposition entre roman et r茅cit comme une mise au ban d'une grande partie de la litt茅rature, notamment celle de tradition fran莽aise, il semble plus juste de l'analyser comme un appel 脿 un renouvellement du roman. Or, ce renouvellement ne peut s'accomplir qu'en prenant appui sur certaines grandes oeuvres pass茅es qui, par leurs innovations mais aussi leurs limites, ont contribu茅 脿 l'茅volution de ce genre, dont la fonction principale est 芦 de d茅gager, de mettre au point une m茅thode plus souple et plus pr茅cise pour se penser soi-m锚me et pour penser les autres dans le train de l'action 禄 (芦 Po茅tique du roman 禄, p. 206). Ainsi, si Balzac n'a pas su concilier la r茅alit茅 humaine et l'id茅al humain, car 芦 il n'a con莽u d'autre moyen que la passion pour y parvenir 禄 et a ainsi fait de ses personnages des 芦 automates 禄, il a tout de m锚me eu la grandeur 芦 d'avoir tenu [la r茅alit茅 et l'id茅al] sous son regard ent锚t茅 禄 (Balzac, p. 234). De la m锚me mani猫re, Proust marque un progr猫s dans l'茅volution du roman en proposant 芦 une explication radicale d'un monde d茅termin茅 offert 脿 une conscience d茅迟别谤尘颈苍茅别 d'observateur 禄 (Proust, p. 199) ; il offre, par ce biais, une synth猫se et un d茅passement de la litt茅rature du XIXe si猫cle en m锚lant notamment le psychologisme au lyrisme : 芦 Dans l'oeuvre de Proust se croisent, se d茅forment, se recomposent les traces de presque tous les grands romans du XIXe si猫cle. Elle est comme ces milieux o霉 des m茅taux, jug茅s jusque-l脿 ind茅formables, s'alt猫rent sous l'influence de la pression, de la temp茅rature, des agents chimiques, etc. 禄 (芦 La vie sociale dans l'oeuvre de Marcel Proust 禄, p. 165). Pour Fernandez, il est essentiel de reconna卯tre La Recherche comme une oeuvre charni猫re pour en comprendre les sp茅cificit茅s, mais 茅galement pour d茅finir le futur du roman. 脌 cet 茅gard, il appelle 脿 la refonte du 芦 roman critique 禄 鈥� dont听La Recherche听constitue, par bien des aspects, l'apog茅e 鈥� et du roman d'aventure. Il s'int茅resse plus particuli猫rement 脿 un sous-genre de ce dernier, le roman policier, qu'il propose de complexifier du point de vue psychologique sans pour autant contraindre sa libert茅 de narration par une attitude contemplative ou une volont茅 d'exactitude :
En somme, le roman n'est pas fond茅 sur un rapport mim茅tique au monde, qu'il soit objectif ou subjectif ; il se caract茅rise plut么t par sa capacit茅 脿 emporter l'adh茅sion du lecteur et 脿 rendre possible cette suspension consentie de la cr茅dulit茅 dont parlait Samuel Coleridge, par l'entremise d'un r茅cit qui appara卯t comme simple et pourtant n茅cessaire. Ce n'est qu'en restaurant la primaut茅 de l'action, et donc du r茅cit, sur le d茅veloppement du sujet que le roman pourra saisir l'homme dans son imm茅diatet茅 et sa complexit茅 et ainsi 芦 renouveler la vieille question de la morale dans l'art 禄 :
On voit clairement en quoi roman policier et roman picaresque se rejoignent : le premier prime par son efficacit茅 et sa focalisation sur une intrigue autour de laquelle gravite l'ensemble du r茅cit, tandis que le second multiplie, dans un foisonnement typiquement baroque, les histoires et les aventures au d茅triment d'une coh茅rence globale. Dans les deux cas, 芦 au lieu que le r茅cit y soit le d茅veloppement du sujet, c'est le sujet qui surgit du d茅veloppement du r茅cit 禄 (芦 Le roman policier 禄, p. 220). Impossible, toutefois, de conclure cet essai sans se demander si l'oeuvre litt茅raire de Fernandez concr茅tise sa conception du roman. En accord avec celle-ci, le romancier 茅crit dans un num茅ro de听Marianne听datant de 1932 qu'il a tent茅, dans听Le Pari, 芦 de louvoyer entre deux 茅cueils : le roman 脿 th猫se et le roman esth茅tique. Je n'ai plus 脿 faire le proc猫s du premier. Quant au roman esth茅tique, de noblesse authentique, tout y est subor诲辞苍苍茅 脿 la perfection de la forme, d'une forme qui arr锚te, qui bloque en quelque sorte, le mouvement dramatique. C'est comme une danse hi茅ratique o霉 l'茅lan vital est retenu par la r猫gle, la mesure 禄 (芦 R茅flexions sur听Le Pari听禄, p. 4). Et force est de constater que, dans ce roman, le mouvement dramatique ne rencontre que peu d'obstacles : men茅 sur un rythme haletant, 脿 l'image des courses automobiles qui pars猫ment le r茅cit, l'intrigue ne ralentit presque jamais, tout au plus pour un moment de r茅pit, qui annonce une nouvelle sc猫ne dramatique plut么t qu'un v茅ritable rel芒chement de la tension. Le pari, qui donne son titre au livre, est le suivant : les amis de Robert Pourcieux, jeune mondain, soldat manqu茅 et passionn茅 de voitures de course, lui promettent une huit-cylindres s'il parvient 脿 s茅duire, dans les trois mois qui suivent, avec une provinciale sans le sou et au caract猫re bien tremp茅, Pauline Bourdier. Nous sommes 脿 ce moment-l脿 脿 la moiti茅 du roman. La premi猫re partie illustre de diverses mani猫res 鈥� courses, duel, tango, flirt, etc. 鈥� la vacuit茅 du milieu parisien des ann茅es vingt dans lequel 茅volue Robert et o霉 芦 avoir envie d'une femme, c'est la m锚me chose qu'avoir envie d'une auto 禄 (Le Pari, p. 156) :
Robert parvient 脿 ses fins, mais tombe amoureux de Pauline, ce qui ne l'emp锚che pas de poursuivre ses infid茅lit茅s, aussi bien automobiles que f茅minines. S'ensuivent de nombreuses de sc猫nes de dispute et de violence conjugales. Au plus fort de la crise, Robert, sous les yeux de sa compagne et d'une de ses ma卯tresses, perd le contr么le de sa voiture de course et se blesse ; il avoue alors l'affaire du pari 脿 Pauline, venue seule 脿 son secours, et se livre avec une lucidit茅 d茅concertante 脿 une analyse des raisons (son scepticisme chronique) qui l'ont pouss茅 脿 se servir d'elle. Plut么t que de se s茅parer, ils d茅cident, dans un 茅lan prospectif qui cl么t le roman, de se lancer ensemble dans l'avenir, sans rien se promettre. Oscillant entre action physique et action r茅flexive, le roman tente de fusionner ces deux aspects de la vie humaine :
Il 茅choue, toutefois, 脿 rendre ce processus plausible. 脌 trop vouloir souligner l'importance et l'interd茅pendance de ces deux types d'action, Fernandez propose un r茅cit excessif dans lequel l'intensit茅 des 茅v茅nements ext茅rieurs aux personnages ne nuit pourtant jamais 脿 leur lucidit茅. Tant et si bien que Robert se trouve 脿 d茅lib茅rer longuement sur sa propre condition et sur les limites de sa pens茅e morale, alors qu'il est sur le point de prendre un virage en 茅pingle 脿 quatre-vingt-dix kilom猫tres par heure. De la m锚me mani猫re, la tension dramatique de la plupart des sc猫nes est telle que certains personnages 脿 la personnalit茅 effac茅e finissent par ressentir, de mani猫re inopin茅e, des 茅motions d'une violence contraire 脿 leur nature. Par exemple, Charles, un jeune homme timide amoureux de Pauline, s'exprime ainsi apr猫s avoir 茅t茅 茅conduit par celle-ci : 芦 Son attention se rel芒cha. Paresseux, il ne poursuivait point la solution des probl猫mes que soulevait sa curiosit茅 m茅ticuleuse, ce qui lui faisait croire que le monde est plein de myst猫res. Tout 脿 coup, une pens茅e, ou plut么t une 茅motion le saisit, le rassemble : 鈥淭onnerre de nom d'un chien, comme je l'aime !鈥� Tout fortifi茅, il monta la c么te 脿 grands pas 禄 (Le Pari, p. 28). Peut-锚迟谤别 est-ce l脿 une manifestation de cette libert茅 essentielle du personnage dont parle Fernandez dans ses articles 鈥� 芦 Il ne semble qu'un roman est vraiment 鈥渆n train鈥� quand l'auteur ne sait plus tr猫s bien o霉 il va. C'est du moins ce que j'ai cru constater pour听Le Pari听禄 (芦 R茅flexion sur听Le Pari听禄, p. 4) 鈥�, il n'emp锚che que le hiatus entre la narration et la violence grotesque de l'exclamation pr锚te surtout 脿 rire. Cela est d'autant plus dommageable que les personnages principaux ne semblent jamais v茅ritablement jouir de cette libert茅 que nous venons d'茅voquer : le narrateur n'a de cesse de rappeler leur aveuglement et la trajectoire qu'ils s'appr锚tent, bien malgr茅 eux, 脿 prendre. Dans le long passage issu de 芦 R茅flexion sur听Le Pari听禄 cit茅 脿 la page pr茅c茅dente, il est d'ailleurs 茅tonnant de voir Fernandez d茅taillait avec une grande pr茅cision le plan qu'il a con莽u pour les protagonistes de son livre. Les intentions du romancier sont partout visibles et on ne peut qu'锚迟谤别 d'accord avec Roger Martin du Gard, lorsqu'il 茅crit 脿 Fernandez que l'茅crivain laisse trop souvent sa place au 芦 brillant dialecticien 禄 pour, au final, 芦 nous laisser l'impression que, sans lui, nous n'aurions pas saisi toute la complexit茅 des caract猫res 禄 (cit茅 dans D. Fernandez,听Ramon, p. 378). Plus critique litt茅raire que romancier, Fernandez p芒tit dans son oeuvre cr茅ative d'une conception du roman trop clairement d茅finie, qui ne lui offre pas la souplesse et la part d'obscurit茅 n茅cessaires 脿 tout grand projet litt茅raire. Ses talents rh茅toriques et ses certitudes morales et esth茅tiques conf猫rent, 脿 l'inverse, une grande force de persuasion 脿 ses travaux critiques. Figure de proue de la litt茅rature fran莽aise 脿 une 茅poque o霉 beaucoup cherchaient 脿 renouveler le genre romanesque, Fernandez est parvenu, 脿 l'instar de Jacques Rivi猫re, 脿 formuler une alternative cr茅dible au roman esth茅tique et au roman social. 脌 ce titre, son moralisme peut 锚迟谤别 consid茅r茅 comme un pr茅d茅cesseur du mouvement existentialiste. En mettant l'accent 脿 la fois sur l'ind茅termination de l'homme et sur sa responsabilit茅 morale vis-脿-vis de ses actions, Fernandez tente de replacer le personnage romanesque au coeur du monde, au lieu de l'isoler dans ses marges, et de r茅concilier, ou plut么t de faire co茂ncider, l'introspection et l'exploration de la r茅alit茅. Cette volont茅 de prendre la mesure de l'humain sans en renier les limites ni le couper du monde se situe, selon lui, en aval de 芦 l'猫re de la d茅flagration 禄, celle ouverte par Balzac et referm茅e par Proust :
Comment alors d茅finir cette nouvelle 猫re qui s'ouvre pour le roman, si tant est qu'elle existe ? Un d茅but de r茅ponse m'est apparu, par hasard, chez Marguerite Yourcenar, une autre romanci猫re humaniste qui n'a eu de cesse de s'interroger sur le propre de l'humain. Au d茅but des M茅moires d'Hadrien, l'empereur romain 茅crit :
Une 芦 猫re de l'action 禄 donc. L'expression capture bien l'originalit茅 de la pens茅e de Fernandez ; elle prend 茅galement une r茅sonance toute particuli猫re aux vues de ses pens茅es et de son parcours politiques. Comme nous sommes encore loin de l'猫re du soup莽on. Ouvrages cit茅s : Sources primaires :
Sources secondaires :
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Bibliographie
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La bibliographie n'est pas exhaustive. Elle recense notamment : |
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Ramon Fernandez et Jacques Rivi猫re : 芦 Une d茅fense du moralisme 禄, dans Jacques Rivi猫re et Ramon Fernandez,听Moralisme et litt茅rature, Paris, 脡ditions R.-A. Corr锚a, 1932, p. 85-141. 芦 Lettres de Ramon Fernandez 脿 Jacques Rivi猫re 禄,听Bulletin des amis de Jacques Rivi猫re et Alain-Fournier, no. 14 (1er trimestre 1979), p. 53-78. Messages, Paris, Grasset, 1981 [1926], 318 p.听(Cette section regroupe les articles sur le roman publi茅s dans le recueil听Messages.) 芦听In Memoriam听禄, p. 15-22. 芦 La m茅thode de Balzac : le r茅cit et l'esth茅tique du roman 禄, p. 55-69. 芦 L'autobiographie et le roman : l'exemple de Stendhal 禄, p. 70-95. 芦 L'art de Conrad 禄, p. 96-103. 芦 Le message de Meredith 禄, p. 104-125. 芦 La garantie des sentiments et les intermittences du coeur 禄, p. 126-143. 芦 La vie sociale dans l'oeuvre de Marcel Proust 禄, p. 165-175. 芦 Thomas Hardy 禄, Messages, p. 176-189. 芦 De l'esprit classique 禄, p. 190-200. 芦 Po茅tique du roman 禄, p. 201-206. 芦 Le roman policier 禄, p. 219-225. 芦 De Melville 脿 Giono 禄, p. 243-251. 芦 Retour 脿 Dumas p猫re : plaidoyer pour l'aventure 禄, p. 269-273. 芦 Rappel de Maupassant 禄, p. 288-296. 芦 Sur Maurice 叠补谤谤猫蝉 禄, p. 305-316 Monographies et histoire litt茅raire : Moli猫re ou l'essence du g茅nie comique, Paris, Grasset, 1979 [1929], 249 p. Gide ou le courage de s'engager, Claude Martin (茅d.), Paris, Klincksieck, 1985, 143 p. Balzac, Paris, Stock, 1943, 237 p. Proust, Paris, 脡ditions de la nouvelle revue critique, 1943, 208 p. Itin茅raire fran莽ais, Paris, 脡ditions du Pavois, 1943, 480 p. 叠补谤谤猫蝉, Paris, 脡ditions du livre moderne, 1943, 245 p. Autres : 芦 R茅flexions sur Le Pari 禄, Marianne, no. 8, 1re ann茅e, 14 d茅cembre 1932, p. 4. 芦 Lettre 脿 Charles du Bos 禄, Cahiers Charles du Bos, no. sp茅cial, novembre 1964 [1923], p. 76. |
Citations
| 芦 Une d茅fense du moralisme 禄, dans Jacques Rivi猫re et Ramon Fernandez,听Moralisme et litt茅rature, Paris, 脡ditions R.-A. Corr锚a, 1932, p. 85-141. |
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| 1. 芦 Je ne le nie pas : une de mes pr茅occupations essentielles est bien de me classer, de me mesurer, souhaitant toujours et t芒chant que le classement soit provisoire. Et je crois fermement que l'homme qui n'est pas听辞谤颈别苍迟茅听n'est pas tout 脿 fait fid猫le 脿 sa mission d'homme, et par suite que l'art litt茅raire, surtout l'art dramatique, qui traite de l'humain, est insuffisant s'il n'exprime pas d'une fa莽on ou d'une autre, f没t-ce m锚me pour la d茅noncer, cette orientation. 听Croyez-en l'exp茅rience d'un Latin d'Am茅rique qui est venu demander 脿 l'Europe de donner un sens 脿 sa vie, qui a p茅n茅tr茅 avec des exigences de Barbare dans l'admirable cit茅 fran莽aise. Rivi猫re ne saurait croire, lui qui est de la cit茅, 脿 quel point la perfection m锚me de la culture fran莽aise all猫ge, permet de se passer des probl猫mes qui tourmentent de moins fortun茅s r茅duits 脿 vivre au jour le jour, 脿 s'茅difier tant bien que mal. 禄 (p. 88-89) 2. 芦 Il est bien entendu que nous n'envisageons ici la morale que par rapport aux caract猫res et aux conditions de l'oeuvre d'art litt茅raire. Le fait est-il utile, est-il nuisible 脿 cette oeuvre, voil脿 la question. Et je tiens 脿 d茅clarer tout de suite que je d茅barque r茅solument tous les pr茅ceptes, lois, cadres moraux tout faits, que je renonce 脿 qualifier de morale l'oeuvre de M. Paul Bourget, par exemple. Non, c'est l脿 une oeuvre l茅gislatrice, ce que n'est pas du tout la m锚me chose. Nous n'admettons pas plus un jugement moral form茅 avant l'oeuvre et plaqu茅 sur elle que nous n'admettons un jugement psychologique pr茅sentant les m锚mes caract猫res. Je crois que nous sommes tous bien d'accord sur ce point. Un tel jugement d'ailleurs trahit sa mission puisque ce n'est pas la听惫茅谤颈迟茅听mais la听r茅alit茅听du fait moral qui peut nous frapper dans une oeuvre d'art. 禄 (p. 92-93) 3. 芦 Toute question d'art et m锚me de morale mise 脿 part, la psychologie de听l'脡go茂ste听me para卯t plus profonde, plus听difficile听que celle de听笔丑猫诲谤别. Pourquoi ? Parce qu'elle tient compte de traits plus d茅licatement complexes du coeur humain. Et leur complexit茅 est ici fonction de leur moralit茅. 禄 (p. 114) 4. 芦 [鈥 le sentiment de la personnalit茅, est proportionnel 脿 l'effort moral, nettement distingu茅 de l'effort physique. En supprimant cet effort, on se condamne 脿 un cercle vicieux si l'on veut ensuite constater l'existence de ce que lui seul peut faire, sinon na卯tre, du moins sentir. D'un autre c么t茅, il est impossible de concevoir cet effort sans une sollicitation quelconque, sans l'intervention de croyances, d'id茅es, en un mot sans une m茅taphysique. 禄 (p. 119) 5. 芦 Le fait moral n'est pas une r猫gle, un pr茅cepte, un jugement, il n'est pas plaqu茅 sur la vie, il est pris dans son tissu. 脡tant 诲辞苍苍茅 un univers, pour ainsi dire instinctivement con莽u, et un individu qui cherche 脿 affirmer son accord ou son d茅saccord avec cet univers, le fait moral est un aspect, un moment, un 茅tat de la vie de cet individu. Il appara卯t, si vous me passez l'image, au point d'茅bullition de la vie humaine. Point n'est besoin d'une situation tragique exceptionnelle [鈥. Et point n'est besoin non plus d'une d茅termination pr茅cise du juste et de l'injuste [鈥. Tout ce que je crois 锚迟谤别 en droit d'exiger du drame ou du roman, c'est que l'auteur me fasse sentir qu'il a port茅 ses personnages 脿 ce degr茅 de tension o霉 la vie r茅clame, cherche, trouve, h茅site 脿 trouver un sens [鈥. Or cette tension est d茅迟别谤尘颈苍茅别 par ce que de tout temps on a appel茅 les situations dramatiques (celles-ci comprennent les situations comiques) [鈥. Ce qui me g锚ne le plus chez Marcel Proust, pour prendre un exemple illustre, ce n'est pas qu'il soit immoral ou amoral, c'est qu'il accueille et maintient la vie au-dessous du niveau o霉 le fait moral appara卯t : il ne la pousse pas 脿 fond de course. Sans doute Charlus et Swann sont vrais et beaux, mais que ne fussent-ils pas devenus sous la plume d'un Cervant猫s, d'un Moli猫re, d'un Fielding ? L'oeuvre de Proust laisse l'impression d'une r茅cr茅ation douloureuse, d'une permission trop longtemps prolong茅e [鈥. 禄 (p.120-122) 6. 芦 En somme, la morale est 脿 l'action concr猫te, vivante, spontan茅e, ce que la philosophie est 脿 l'activit茅 intellectuelle spontan茅e : elle la centre, l'oriente en la comparant 脿 d'autres actions, lui permet de se perfectionner, de s'enrichir. Une oeuvre d'art est comme l'incarnation d'une m茅taphysique, et il n'est point de m茅taphysique digne de ce nom qui, arrivant 脿 l'homme, ne soul猫ve le probl猫me moral. La seule diff茅rence est que l'artiste la soul猫ve instinctivement dans un effort d'expression spontan茅. 禄 (p. 123) 7. 芦 Il y a un point que Rousseau n'a pas pu d茅finir, ni m锚me concevoir : c'est la relation de l'id茅e, de l'aspiration 脿 l'action. [鈥 [S]i Rousseau avait aper莽u que la r茅ussite de l'action est la mesure de l'homme et la connaissance de l'action la mesure du sage, il e没t choisi d'锚迟谤别 homme, d'锚迟谤别 sage ou de se taire. 禄 (p. 130) 8. 芦 [鈥 la valeur morale n'est pas 茅puis茅e par le jugement moral, [l'homme] a presque toujours en soi de quoi devenir meilleur, [la] cat茅gorie mentale n'est ni l'锚迟谤别, ni le devoir, mais le devenir. 禄 (p. 131) 9. Proust n'a pas pu 芦 accorder l'imagination 脿 son exp茅rience 禄 (p. 134) 10. 芦 L'ajustement de l'imagination 脿 l'exp茅rience, qui me para卯t notre t芒che la plus urgente, suppose 茅videmment une certaine humiliation de la premi猫re, mais aussi une exaltation de la seconde. Je veux retrouver dans la peinture de la r茅alit茅, sous une forme ou sous une autre, les puissances humaines qui, avant l'茅preuve, semblaient d茅fier cette r茅alit茅. De ce point de vue, l'oeuvre d'art litt茅raire serait la v茅rification, la preuve par la r茅alit茅 d'une hypoth猫se qui marquerait la part de l'intervention, de la volont茅, de cette invention et de cette volont茅 qui sont les sources authentiques de la science comme de l'art. 禄 (p. 137) 11. 芦 [L'oeuvre de Montaigne] se cr茅e dans un monde o霉 les valeurs sont observ茅es, o霉 l'on trouve cette听茅chelle or诲辞苍苍茅e d'茅motions听dont le critique et po猫te am茅ricain T.S. Eliot fait justement la marque de toute repr茅sentation supr锚me du monde. 禄 (p. 139) 12. 芦 J'entends en somme Moral par opposition 脿 Physique. J'essaie de d茅fendre l'int茅grit茅 de l'exp茅rience humaine contre une interpr茅tation qui, 脿 mon avis, mutile l'homme en croyant le r茅v茅ler. Et si vous ne jugez pas le terme trop pr茅tentieux, mon moralisme, je l'appellerais plut么t un humanisme. 禄 (p. 140) |
| 芦 Lettres de Ramon Fernandez 脿 Jacques Rivi猫re 禄,听Bulletin des amis de Jacques Rivi猫re et Alain-Fournier, no. 14 (1er trimestre 1979), p. 53-78. |
| 1. 芦 Voyez-vous, Proust me para卯t dangereux en ceci, que gr芒ce 脿 lui, l'analyse de la coupe d'un pantalon devient aussi valable, aussi importante, que l'analyse d'un acte h茅ro茂que ou simplement noble. C'est assimiler l'acte d'intelligence 脿 l'acte artistique. Contre cela je r茅agirai toujours de toutes mes forces. 禄 (Lettre X, p. 69). 2. 芦 L'exp茅rience amoureuse de Proust m'appara卯t de plus en plus听anormale, dans tous les sens du mot, presqu'inhumaine, et tout 脿 fait lamentable, humainement parlant. Dans ce livre (La Prisonni猫re), 茅clate, 脿 mon avis, un d茅faut d茅j脿 sensible dans les livres pr茅c茅dents, une libert茅 d'indiff茅rence dans la d茅termination des 茅v茅nements et des actions humaines qui les faussent terriblement. Il y a un point de faiblesse tr猫s grave chez Proust ; sa fatalit茅 reste 脿 l'int茅rieur de lui-m锚me, il ne l'茅prouve point dans et par autrui, il ne fait que la pr锚ter 脿 autrui, et le moment psychologique o霉 il a reprend me para卯t atrocement artificiel (pardon pour ce fran莽ais d茅testable). En un mot, il y a chez lui un c么t茅 onaniste qui g芒te toute sa psychologie du sentiment. Et que dire de cette parodie du sentiment, de cet abus de la jalousie et de l'antinomie amour-passion ! Non, l'amour, ce n'est pas cela. 禄 (Lettre VI, p. 61) 3. 芦 Pour moi, Proust appartient 脿 la lign茅e des analystes romantiques dont le p猫re est J.J. Rousseau. Ils ont ceci de remarquable et d'incomplet qu'ils ne calculent point leur 茅quation personnelle et qu'ils ne savent pas manoeuvrer une ou deux pi猫ces essentielles de notre machine. L'茅pisode d'Albertine n'est pour moi que l'exag茅ration caricaturale d'un d茅faut dont le principe est dans Swann. Ce qui ne veut pas dire que je n'admire pas Proust, mais que je l'admire comme j'admire (moins cependant) Rousseau et (plus, cette fois) Senancour, Constant, etc. Je modifierai donc votre jugement ainsi : Proust appartient, non pas 脿 la lign茅e des moralistes, mais 脿 cette branche des moralistes atteinte de subjectivisme romantique. Nous ne retrouverons le tronc (quelle horreur) que si nous introduisons dans notre repr茅sentation de l'homme deux choses : le Jugement comique (r茅duction de l'茅cart entre conscience individuelle et la conscience commune) et la volont茅 (entendue comme 茅l茅ment听诲辞苍苍茅,听naturel, et non construit et artificiel). Alors seulement l'intelligence retrouvera sa position (Montaigne, etc.). 禄 (Lettre VII, p. 64) 4. 芦 Plus je vis, plus je sens et pense que l'unit茅 de la personne humaine, bien loin d'锚迟谤别 une illusion, est la r茅alit茅 profonde de l'homme, mais, ainsi que j'ai essay茅 de l'exprimer dans le message de M(eredith), la r茅alit茅 profonde de l'homme ne peut 锚迟谤别 connue sans un effort de la pens茅e et de la volont茅 ; exactement elle est le produit d'un accord d茅licat entre la pens茅e, la volont茅 et les ressources vitales. Je crois fermement que le secret de la vie, c'est qu'脿 la volont茅 de vivre correspond constamment la possibilit茅 de vivre. Savoir jusqu'o霉 peut aller la possibilit茅 et quand il faut arr锚ter la volont茅 afin de ne point cr茅er de l'artificiel, c'est cela qui est difficile. Il ne faut jamais que vous oubliiez, mon cher Jacques, que j'ai un fond de primitif. Il n'est pas mauvais, dans ces sortes de discussions d'o霉 d茅pend peut-锚迟谤别 l'orientation de la pens茅e de demain, d'茅couter l'avocat des sauvages ! 禄 (Lettre VI, p. 61-62) |
| 芦听In Memoriam听禄, p. 15-22. |
| 1. 芦 Comparant son personnage d'Aim茅e 脿 l'脡l茅onore de Constant, je lui avais dit [脿 Jacques Rivi猫re] que sa merveilleuse facult茅 de vivre pour autrui, et par suite de faire vivre autrui, lui imposait l'obligation de rompre, dans ses oeuvres futures, les attaches trop visibles qui reliaient encore, dans son premier roman, les mouvements des personnages aux impressions de l'auteur. 禄 (p. 21) |
| 芦 La m茅thode de Balzac : le r茅cit et l'esth茅tique du roman 禄, p. 55-69. |
| 1. 芦 Un roman r茅ussi est sans doute au contraire le plus artistique de tous les genres, pr茅cis茅ment parce que son 茅quilibre esth茅tique est plus int茅rieur, plus ind茅pendant de r猫gles apparentes et fixes ; et c'est justement pourquoi il est aussi malais茅ment d茅finissable et aussi facilement reconnaissable qu'un jugement intelligent et qu'un acte habile. Voici comment on pourrait distinguer le roman du r茅cit :听Le roman est la repr茅sentation d'茅v茅nements qui ont lieu dans le temps, repr茅sentation soumise aux conditions d'apparition et de d茅veloppement de ces 茅v茅nements. 鈥� Le r茅cit est la pr茅sentation d'茅v茅nements qui ont eu lieu, et dont la reproduction est r茅gl茅e par le narrateur conform茅ment aux lois de l'exposition et de la persuasion. [鈥 La diff茅rence essentielle est donc que l'茅v茅nement du roman听a lieu听tandis que celui du r茅cit听a eu lieu, que le r茅cit s'ordonne autour d'un pass茅 et le roman dans un pr茅sent non point verbal mais psychologique. L'茅v茅nement du r茅cit, soustrait 脿 l'action du temps et 脿 une place actuelle dans l'espace, est mis en id茅es si je puis m'exprimer ainsi. [鈥 Traitant du pass茅, du v茅cu, du termin茅, le r茅cit n'est donc pas oblig茅 de respecter les caract猫res du d茅veloppement actuel et vivant 鈥榰ne sc猫ne ou d'un complexe psychique : il peut leur substituer, il leur substitue en fait le plus souvent, un mode de pr茅sentation qui se rapproche d'une part du raisonnement et des lois intellectuelles de combinaison, d'autre part de la peinture et des lois g茅n茅rales de la description. [鈥 Ainsi,听le r茅cit tend 脿 substituer un ordre d'exposition conceptuel 脿 l'ordre de production vivante, et les preuves rationnelles aux preuves esth茅tiques. [鈥 Mais on reconna卯t facilement un r茅cit au point de vue et 脿 la libert茅 de d茅placement du narrateur ; 脿 la m茅thode d'exposition ordinairement d茅ductive, qui nous m猫ne du g茅n茅ral abstrait 脿 l'individu concret ; 脿 l'ordonnance de l'analyse, rationnellement li茅e et ind茅pendante de l'acion听(sic)听jusqu'脿 former parfois des groupes isol茅s et se suffisant 脿 eux-m锚mes ; 脿 la valeur purement illustrative de cette action qui n'ajoute rien 脿 l'analyse et听semble au contraire d茅迟别谤尘颈苍茅别 et justifi茅e par elle听; 脿 une ind茅pendance relative du narrateur vis-脿-vis des conditions de production spontan茅e de la vie ; enfin l'air et au ton de la narration, 脿 la mani猫re dont l'auteur ajoute, retranche, combine, produit et lie ensemble les parties abstraites et les parties concr猫tes du r茅cit. Mais il y a plus. Un r茅cit n'est ni un plaidoyer, ni un rapport du Conseil d'脡tat ; [鈥 il est en relation directe avec la vie qu'il raconte, la peinture de la r茅alit茅 vivante et la r茅ussite de cette peinture demeurent en fin de compte son objectif principal et la mesure de sa valeur. [鈥 Mais un r茅cit se ressentira toujours des modalit茅s de sa gen猫se, du travail intellectuel qui a pr茅sid茅 sa formation. [鈥 il ne pourra faire que la chose racont茅e ne soit听迟别谤尘颈苍茅别, que la repr茅sentation n'en soit devenue ind茅pendante et n'ob茅isse aux lois de combinaison de l'esprit impersonnel. Aussi la pr茅sentation des personnages sera-t-elle听descriptive, ce qui signifie que leur existence devra 锚迟谤别 d茅迟别谤尘颈苍茅别 par la description, et l'analyse s'appuiera-t-elle plus volontiers sur des liaisons causales que sur des suites vivantes. [鈥 Dans ce qu'on appelle en France un roman bien fait, il ne faut voir souvent qu'un r茅cit combin茅 habilement, au sens o霉 l'on dit qu'un joueur d'茅checs combine habilement sa partie. 禄 (p. 55-58) 2. 芦 Il nous devient ais茅 maintenant d'opposer au sch猫me du r茅cit pur le sch猫me du roman pur. Le roman trouve sa base et son centre de gravit茅 l脿 o霉 le r茅cit cherche sa confirmation et sa conclusion : dans l'茅vocation spontan茅e et imm茅diate de la vie morale et physique, dans le cours impr茅visible d'une dur茅e psychique ou d'une action. [鈥 Le romancier traduit la vie au moment o霉 elle se fait, il en exprime fid猫lement les sinuosit茅s et le rythme, son intelligence para卯t dirig茅e plut么t que directrice. [鈥 Aussi existe-t-il un moyen infaillible pour reconna卯tre un vrai roman : il suffit de constater que l'encha卯nement des repr茅sentations sensorielles et psychologiques ne d茅pend point d'un raisonnement ou d'un ordre de production autre que celui de la vie, et que les personnages ne soient pas approch茅s, dessin茅s de l'ext茅rieur, mais saisis par une sorte d'intuition analogue 脿 celle qui nous met en relation avec les individus vivants. 禄 (p. 58) 3. 芦 Le roman, comme la vie, nous baigne dans une听pr茅sence initiale听et nous oriente vers l'avenir ; nous en connaissons les personnages avec certitude mais sans savoir pourquoi, et nous ne songeons pas plus 脿 contester la r茅alit茅 des sc猫nes que nous ne songerions 脿 nier les 茅v茅nements qui se d茅roulent sous nos fen锚迟谤别s. Le romancier ne peut atteindre 脿 ce r茅sultat que par une intuition et des proc茅d茅s esth茅tiques, tandis que l'auteur du r茅cit tend 脿听prouver听la partie esth茅tique de son oeuvre par des consid茅rations et des proc茅d茅s extra-esth茅tiques. 禄 (p. 59) 4. 芦 Balzac aurait eu l'id茅e et la volont茅 de r茅aliser le roman tel que je viens d'essayer de le d茅finir et tel que l'ont r茅alis茅 les Russes, les Anglais et les Fran莽ais de la seconde moiti茅 du si猫cle dernier ; mais emp锚ch茅 par diff茅rentes circonstances historiques et psychologiques, il n'aurait pu r茅ussir ordinairement qu'un compromis entre le roman et le r茅cit, qu'une synth猫se puissante et artificielle, p茅nible et g茅niale, qui ne serait ni tout 脿 fait une oeuvre de pens茅e, ni tout 脿 fait une oeuvre d'art. En d'autres termes, d茅sireux de produire un effet saisissant par l'茅vocation de la r茅alit茅 concr猫te, il n'aurait obtenu ce r茅sultat que par des moyens abstraits, soutenant toutes les parties de cette r茅alit茅 par une armature et des joints conceptuels. Il en r茅sulterait une constante confusion de la preuve esth茅tique et de la preuve rationnelle, le lecteur ne sachant jamais pr茅cis茅ment si le sentiment qu'il a de la听r茅alit茅听d'une sc猫ne n'est point illusion due 脿 la听惫茅谤颈迟茅听du commentaire abstrait qui l'encadre. Balzac fait sa synth猫se devant nous au lieu de nous la pr茅senter toute faite, ce qui rend la v茅rification de ces jugements relativement facile. 禄 (p. 59) 5. 芦 [鈥 l'existence des personnages [doit] 锚迟谤别 une 鈥減osition absolue鈥�, et l'on voit bien pourquoi : le roman 茅voquant la vie actuelle au moment o霉 elle se fait, les personnages sont forc茅ment des individus dont l'existence et l'unit茅 ne peuvent 锚迟谤别 saisies que par une intuition d'ensemble : ils doivent vivre avant d'avoir 茅t茅 pens茅s. Dmitri Roudine, Mme Bovary, Jude, Diana of the Crossways, personnages de roman authentiques, nous les connaissons en les regardant vivre, mais d'abord et surtout par le sentiment ind茅finissable de leur 锚迟谤别. Au contraire, les personnages de Balzac ont 茅t茅 des id茅es pens茅es avant que d'锚迟谤别 des individus vivants, et une question alors nous vient aussit么t aux l猫vres : sont-ils des individus ? La r茅ponse est听qu'ils finissent par le devenir, r茅ponse qui soul猫ve des difficult茅s graves. On a dit souvent que Balzac pr茅parait minutieusement les protagonistes de ses drames, mais il conviendrait plut么t de dire, 脿 mon avis, qu'il les听fabriquait听habilement,听car l'individu d茅termin茅 n'ajoute rien par lui-m锚me aux lignes abstraites dont il est le recoupement.听禄 (p. 60-61) 6. 芦 Une description vivante 鈥� relisez celles de Loti et de Hardy 鈥� se compose de traits choisis de telle fa莽on que la synth猫se de l'objet se fait imm茅diatement dans notre conscience, que nous avons听l'impression听de l'ensemble alors m锚me que l'on ne nous donne qu'un d茅tail, et la libert茅 d'imagination relative qu'on nous laisse est un des facteurs de l'intensit茅 de l'茅vocation : ce qui veut dire que l'artiste sait 茅veiller en nous un 茅quivalent affectif de l'objet qu'il repr茅sente. 禄 (p. 62) 7. Chez Balzac, 芦 [l'茅volution du personnage] 茅tant une d茅duction, nous n'avons pas, comme dans un roman, l'impression d'锚迟谤别 devant la m锚me personne, mais celle d'assister au d茅veloppement d'un m锚me sentiment.听C'est dire que l'茅volution de l'individu demeure ext茅rieure 脿 l'individu, 茅tant la d茅duction du sch猫me psychologique dont il est le v茅hicule. 禄 (p. 64) 8. 芦 Plut么t que des oeuvres d'art nous lisons semble-t-il les rapports d'un magistrat du coeur qui, allant au-del脿 du plan moyen des jugements historiques, met 脿 nu les racines d'une action sociale 禄 (p. 66) 9. 芦 Telles les pi猫ces d'un 茅chiquier chacun a sa forme, sa place, son mouvement propre, son champ de course exactement d茅fini : mais cette apparente diversit茅 ne fait que mieux ressortir l'a priori听et la rigidit茅 de leur d茅termination. Qui n'a 茅t茅 frapp茅 en lisant听la Cousine Pons听ou听la Recherche de l'absolu, de la diff茅rence de valeur entre la pr茅paration et le d茅veloppement ? Cette derni猫re oeuvre notamment nous fait l'effet d'un torse de Dieu termin茅 par des jambes d'enfant. 禄 (p. 67) |
| 芦 L'autobiographie et le roman : l'exemple de Stendhal 禄, p. 70-95. |
| 1. 芦 Seules quelques naturalistes abus茅s ont pu pr茅tendre 鈥� et pas longtemps 鈥� 脿 un objectif, par le moyen d'un artifice pu茅ril qui consistait 脿 supprimer la gen猫se et 脿 ne consid茅rer que les r茅sultats. 禄 (p. 75) 2. 芦 L'introspection prend le moi brut pour objet, et par une construction en profondeur qui compose les 诲辞苍苍茅es passives de l'exp茅rience, s'efforce 脿 r茅aliser l'unit茅 id茅ale d'une conscience contemplative. La psychologie de la personnalit茅, prospective et synth茅tique, ne peut chercher que dans la vie, dans l'action de l'individu, la justification d'une volont茅 d'锚迟谤别 qui se confond sans doute avec l'锚迟谤别 m锚me. La pens茅e artistique enfin, consciente ou inconsciente, soumet les 茅l茅ments du moi qui lui sont 诲辞苍苍茅s 脿 une 茅laboration sp茅cifique dont l'une des conditions est l'absolu d茅sint茅ressement de la personnalit茅 en tant que telle, et l'une des cons茅quences la transposition radicale des valeurs de cette derni猫re. Ainsi le moi est l'entrep么t de vell茅it茅s o霉 nous venons puiser tous, quel que soit notre but ; mais c'est en-de莽脿 de l'锚迟谤别, une valeur n茅gative. Et pour pr茅ciser le point qui nous int茅resse, l'oeuvre ne peut contenir des r茅v茅lations positives sur un moi qui n'atteint au degr茅 de l'锚迟谤别 que dans une oeuvre elle-m锚me, bien que celle-ci puisse utiliser certains 茅l茅ments du moi pour d茅couvrir quelques 惫茅谤颈迟茅s touchant la nature humaine. 禄 (p. 79) 3. 芦 Loin de d茅terminer la r茅alit茅 comme chez Balzac, de figurer le couloir par o霉 il faut passer pour atteindre celle-ci, le syst猫me des causes est nettement rel茅gu茅 au second plan. La crit猫re de r茅alit茅 l'emporte ici sur le crit猫re de n茅cessit茅 logique. 禄 (p. 84) 4. 芦 Les personnages de Stendhal 茅chappent sans cesse 脿 leurs d茅finitions parce qu'ils vont chercher au coeur de l'action le secret de d茅finitions nouvelles ; mais ces d茅couvertes ne sont rendues possibles que parce que l'auteur se laisse vivre librement dans les limites objectives d'une unit茅 sans cesse d茅truite et sans cesse reform茅e par l'affirmation m锚me de la vie. 禄 (p. 91) |
| 芦 L'art de Conrad 禄, p. 96-103. |
| 1. 芦 L'art de Conrad est donc le contraire de l'art descriptif, notamment de celui de Balzac, il ne calque pas la r茅alit茅 devant l'homme mais l'homme devant la r茅alit茅 ; il 茅voque des exp茅riences subjectivement int茅grales parce que l'impression 茅quivaut 脿 la totalit茅 de la perception, et parce que l'homme la subit tout entier et de toutes ses forces. Sa grande originalit茅 est d'avoir appliqu茅 cet impressionnisme 脿 la connaissance des 锚迟谤别s humains. 禄 (p. 98) 2. 芦 Quant au commentaire psychologique, il nous est pr茅sent茅 comme simplement probable.听C'est dire qu'il n'intervient aucunement dans la d茅termination du personnage. Simple suite de suppositions, d'hypoth猫ses, il demeure tangent 脿 la r茅alit茅 ; d'o霉 vient que l'opacit茅 de l'individu, de la sc猫ne, n'est jamais compl猫tement dissip茅e 鈥� en droit du moins 鈥� puisque l'analyse appuie tant qu'elle peut sans dissoudre cette 茅paisseur de myst猫re, refuge de la vie. 禄 (p. 101) |
| 芦 Le message de Meredith 禄, p. 104-125. |
| 1. 芦 Il n'y a point, dans son oeuvre, un plan abstrait o霉 les motifs des actes de ses personnages se relieraient 脿 quelque th茅orie g茅n茅rale con莽ue en dehors d'eux, avant eux, o霉 se dissimulerait sous le voile philosophique un parti pris sentimental analogue 脿 celui qui enfante les cr茅atures de Dickens et de Hardy. Chez Meredith, la pens茅e n'est pas s茅parable de l'intuition : penser, pour lui, consiste 脿 suivre par l'intelligence l'茅coulement d'une dur茅e qui n'est pas la sienne. 禄 (p. 105) 2. 芦 Il est 脿 l'oppos茅 de Balzac, dont les personnages se distinguent mal de la classe 脿 laquelle ils appartiennent, des id茅es qui servent 脿 les d茅montrer ; de Marcel Proust, qui composait les siens avec des souvenirs comme nos grand-m猫res recouvraient les coussins avec des morceaux de tapisserie. C'est qu'il ne commence ni par l'observation d'une classe, ni par des id茅es, ni par la broderie des souvenirs : Diana, Feverel, Beauchamp, Carinthia James s'installent en lui d'un coup, tout cr茅茅s, avec tout leur possible et tout leur impossible, produits d'une chimie int茅rieure qu'il constate sans y travailler volontairement. 禄 (p. 106) 3. Meredith affirme 芦 l'unit茅 indivisible de sa personnalit茅 [celle de son personnage]. 禄 (p. 107) 4. 芦 Mesurez les cons茅quences : d'un c么t茅, forte tension intellectuelle, possibilit茅s infinies d'analyse ; de l'autre, possibilit茅s 茅galement infinies de听谤茅蝉颈蝉迟补苍肠别听chez les individus analys茅s ; - de sorte que la personnalit茅 humaine, dans l'oeuvre de Meredith, ne paie point 脿 l'analyse ce tribut que romantiques et d茅cadents nous pr茅sent猫rent sous un jour si fatal. Bien loin de se dissoudre en devenant intelligible, elle voit les ressorts de son activit茅 renforc茅s et comme tremp茅s d'intelligence. 禄 (p. 107) 5. 芦 Donc, psychologie prospective, mais psychologie normative aussi. Le jugement de fait se double d'un jugement de valeur, explicite ou non, qui suit (au lieu de pr茅c茅der, comme dans le roman 脿 th猫se) l'intuition dramatique d'une personnalit茅. La听惫茅谤颈迟茅听du personnage constitue en quelque mani猫re la preuve indirecte d'une 惫茅谤颈迟茅 plus haute, d'une 惫茅谤颈迟茅 id茅ale, que l'auteur ne d茅duit pas d'un principe abstrait ajust茅 tant bien que mal 脿 l'exp茅rience, qui r茅sulte au contraire听d'une conscience de cette exp茅rience plus compl猫te que celle qu'en prend l'individu qui la fait.听禄 (p. 110) 6. 芦 [鈥 il d茅montre par son oeuvre que toute connaissance valable de la vie est le r茅sultat d'une r茅flexion sur l'homme dans le moment o霉 il agit, o霉 il subit l'茅preuve de l'exp茅rience. Cons茅quences : si l'on veut conna卯tre l'individu il faut, non pas le听regarder, mais le听faire vivre, mais pour le faire vivre il faut le conna卯tre, le penser, car la pens茅e ne s'attache pas 脿 la vie pour satisfaire la curiosit茅 raffin茅e d'une 茅lite,听elle participe comment (sic)听agent n茅cessaire 脿 sa cr茅ation. 禄 (p. 111) 7. 芦 Ses personnages sont parce qu'ils sont et ne tirent leur raison d'锚迟谤别 que d'eux-m锚mes ; mais 鈥� et ceci est de la premi猫re importance 鈥� ils ne sont que parce qu'ils agissent,听leur 锚迟谤别 d茅pend de leur activit茅. Activit茅 tout ext茅rieure, tout physique, activit茅 de relation ; activit茅 interne des sentiments que telles circonstances portent au point d'茅bullition ; r茅actions, adaptations, contactions et d茅tentes ; [鈥 禄. (p.115) 8. 芦 Vivre, pour eux, c'est essayer de penser, mais cela afin de pouvoir, de nouveau, respirer, agir, s'茅panouir. Le sens sacr茅 de la vie ne les abandonne jamais. La tension de leur volont茅 na卯t du d茅sir d'une d茅tente. Ils ignorent les crampes abstraites et les 茅vanouissements esth茅tiques. [鈥 Ils sont instables, parce qu'ils se veulent r茅ellement stables 禄. (p. 116) 9. 芦 La lutte pour la vie se transforme, chez les h茅ros de Meredith, en lutte pour la lucidit茅, lucidit茅 rendue n茅cessaire par les exigences profondes de leur tendance 脿 pers茅v茅rer dans leur 锚迟谤别. Leur activit茅 spontan茅e se double d'une activit茅 r茅fl茅chie, et nous percevons ici la fente par o霉 l'analyse meredithienne, tout en suivant scrupuleusement les mouvements de la vie, la p茅n猫tre de ses mille antennes, et rapproche insensiblement, avec un tact supr锚me, la cr茅ation de la vie de la cr茅ation de la pens茅e. 禄 (p. 117) 10. 芦 Nous concevons plus clairement maintenant le probl猫me qui est implicite dans l'oeuvre de Meredith : il s'agit de penser la vie dans les limites de l'intuition, mais aussi d'accorder autant que possible, dans ces m锚mes limites, l'activit茅 vivante 脿 l'activit茅 intellectuelle, d'茅tablir une interaction cr茅atrice continue entre la vie et la pens茅e. 禄 (p. 119) 11. 芦 l'action, mesure supr锚me de la 惫茅谤颈迟茅 禄 (p. 124) 12. 芦 Meredith est le premier qui ait montr茅 que, dans l'ordre de la vie, un jugement romantique ou d茅cadent est toujours une jugement faux, parce qu'il n'est pas form茅 dans les conditions n茅cessaires de toute pens茅e vraie. Il a d茅capit茅 le romantisme. Nous pouvons en 茅prouver encore les 茅lancements et les frissons : nous n'avons plus le droit de prendre ceux-ci pour des pens茅es. 禄 (p. 124-125) |
| 芦 La vie sociale dans l'oeuvre de Marcel Proust 禄, p. 165-175. |
| 1. 芦 Dans l'oeuvre de Proust se croisent, se d茅forment, se recomposent les traces de presque tous les grands romans du XIXe si猫cle. Elle est comme ces milieux o霉 des m茅taux, jug茅s jusque-l脿 ind茅formables, s'alt猫rent sous l'influence de la pression, de la temp茅rature, des agents chimiques, etc. 禄 (p. 165) 2. 芦 [鈥 脿 la conception des personnages en eux-m锚mes et pour eux-m锚mes se substituent chez Proust les 茅tapes de la connaissance de ces personnages par l'auteur, depuis les r锚veries verbales et l'encha卯nement des images jusqu'aux observations qui finissent par cerner le r茅el enfin d茅pouill茅 de ce qu'y ajoutait l'esprit. Le centre de gravit茅 se d茅place, n'est plus situ茅 dans les actes et dans les sentiments d'individus tout surgis de la conscience de l'auteur, mais dans ce qui est le sujet central de听la Recherche du temps perdu听: la formation de la conscience. 禄 (p. 166) 3. 芦 On a dit qu'il n'y avait pas de drame dans听la Recherche du temps perdu. Il y en a un cependant, toujours le m锚me, qui ne varie que par son objet : un drame du d茅sir et de l'imagination qui se r茅soud听(sic)听en connaissance ; ou bien si l'on pr茅f猫re, un drame de la possession, qui, reconnaissant sa vanit茅, se change en compr茅hension. Intelligence et indiff茅rence sont chez Proust synonymes, et de m锚me passion et imagination ; et comme ses personnages apparaissent diff茅rents selon ses propres variations 脿 leur 茅gard, ils sont dou茅s d'une double existence, leur existence r茅elle et l'existence qu'ils ont dans l'esprit de l'auteur. Le long et patient effort de Proust a pour but de faire co茂ncider les deux 锚迟谤别s qu'un m锚me individu projette, l'un sur le plan de l'imagination, l'autre sur celui de l'intelligence. Faute de distinguer ces deux r茅alit茅s d'abord 茅trang猫res l'une 脿 l'autre on m茅connait le r茅alisme brut qu'implique le subjectivisme le plus extr锚me de Marcel Proust. [鈥 Les premiers contacts de Proust avec le monde produisent une sorte de n茅buleuse po茅tique qui lentement se refroidit et se cristallise en id茅es. C'est ainsi notamment que se forme son monde social. 禄 (p. 166-167) 4. 芦 L'application de Proust 脿 conna卯tre les gens du monde appara卯t comme une manifestation de sa tendance 脿 passer de l'intuition sensible 脿 la loi. 禄 (p. 168) |
| 芦 Po茅tique du roman 禄, p. 201-206. |
| 1. 芦 Le probl猫me de faire voir, et de comment faire voir, est le probl猫me crucial du roman. Et ce probl猫me est fonction de cet autre : la position du lecteur devant l'oeuvre qu'il lit. Le romancier doit-il d茅crire le r茅el ou seulement le sugg茅rer ? Toute la question est l脿. Quand nous percevons quelque chose, la part de nos sens est variable et modifie la tonalit茅 de l'ensemble. 禄 (p. 202) 2. 芦 Je serais tent茅 de dire que l'art du roman est un art de foule, l'art de rendre les choses intimes et personnelles par des sensations vagues, communes et sit茅es听(sic)听au-dessous de la conscience claire. C'est l脿 le talent de Dosto茂evski, lequel souvent part de descriptions visuelles pour les noyer aussit么t dans un complexe d'茅motions et de sensations musculaires directement communiqu茅es. 禄 (p. 202) 3. 芦 Le roman est une sorte de calcul int茅gral d'un 茅v茅nement concret. Sa limite, qui est aussi son id茅al, est sans doute la journ茅e de mille pages de Joyce. Je verrais dans听Ulysses听l'茅panouissement complet du roman 鈥� m锚me si l'on pense que cet 茅panouissement frise l'exag茅ration 鈥� plut么t qu'une r茅volution des lois du genre. 禄 (p. 203) 4. 芦 On est romancier quand on p茅n猫tre bien les 锚迟谤别s, mais quand on ne les p茅n猫tre pas assez pour qu'ils aient cess茅 de ressembler 脿 d'autres qu'脿 eux-m锚mes. 禄 (p. 204) |
| 芦 Le roman policier 禄, p. 219-225. |
| 1. 芦 Un roman policier est une histoire racont茅e 脿 l'envers ; au lieu que le r茅cit y soit le d茅veloppement du sujet, c'est le sujet qui surgit du d茅veloppement du r茅cit. 禄 (p. 220) 2. 芦 Le roman est n茅 d'une tendance inverse de la tendance critique. Celle-ci, exigeant une explication des choses, en arrive 脿 mettre en question les principes de l'explication elle-m锚me, et substitue au monde r茅el des mondes possibles. Le roman pose le monde r茅el comme indiscutable, par cela seul qu'il est 鈥減r茅sent茅鈥� avec assez de force. Il existe, non plus parce qu'il est, mais parce qu'il est cr茅茅 禄 (p. 221) 3. 芦 [鈥 il faut que le roman cesse d'exister ou qu'il reprenne sa fonction, qui est d'茅voquer un monde, simplement possible, et plus ou moins probable du point de vue critique mais miraculeusement r茅el et vrai tant que nous demeurons sous l'influence magique du r茅cit. Alors que le grand roman moderne va chercher ses preuves dans l'exactitude de l'information, ou dans le rendu de l'impression, ou dans la finesse de l'analyse critique, le roman policier est 脿 peu pr猫s le seul 脿 le chercher dans le magn茅tisme de la narration. 禄 (p. 221-222) 4. 芦 Jacques Rivi猫re, dans cette revue, il y a plus de quinze ans, et Thibaudet peu de temps apr猫s la guerre, ont fort bien parl茅 du roman d'aventures. Jacques Rivi猫re, avec son intuition habituelle, voyait qu'il y a autre chose dans notre go没t pour ce roman qu'une curiosit茅 d'intellectuels fatigu茅s. Il y a le d茅sir d'茅chapper pr茅cis茅ment 脿 la condition d'intellectuel fatigu茅, car le roman d'aventures, s'il n'est pas seulement une variation, une fantaisie sur le roman d'aventures, r茅v猫le une autre fa莽on de vivre que celle dont t茅moignent la plupart des oeuvres que nous admirons. 禄 (p. 223) 5. 芦 Outre que le roman policier 鈥� que je prends ici comme la forme aujourd'hui la plus famili猫re du roman d'aventures 鈥� nous fait sortir de la chambre noire de l'intellectualisme 鈥� de la chambre noire seulement, car il n'est aucunement question ici d' 鈥溍ヽhapper 脿 l'intelligence鈥�, proposition qui n'aurait aucun sens 鈥� il conf猫re 脿 la peinture du r茅el une nettet茅 de contours, un caract猫re de simplicit茅 et de n茅cessit茅 dont nous avons grand besoin. 禄 (p. 224) 6. 芦 Un bon crime a ceci d'inestimable qu'il rend toute leur valeur et tout leur int茅r锚t aux r茅actions fondamentales de l'homme 禄 (p. 224) 7. 芦 Enfin le roman policier pourrait renouveler la vieille question de la morale dans l'art. Le bien et le mal, le noir et le blanc, font partie de la structure m锚me de ce roman. En effet, comme il s'y agit d'une chasse 脿 l'homme, la moiti茅 de l'int茅r锚t de cette chasse provient du parti que nous prenons vis-脿-vis du chasseur et vis-脿-vis du chass茅. Le noir et le blanc rudimentaires et violemment contrast茅s du roman populaire pourraient 锚迟谤别 nuanc茅s pour les esprits les plus complexes de lecteurs plus cultiv茅s. Au reste, le roman policier ne forme qu'un des p么les du roman d'aventures. A l'autre p么le nous avons ou devrions avoir le roman picaresque, tout d茅brid茅 et hasardeux, qui repr茅sente par des images vivement color茅es et dramatiques les d茅marches t芒tonnantes de la pens茅e. Mais nous ne poss茅dons pas une collection de romans picaresques modernes comparables听(sic)听脿 la collection de romans policiers qui occupe les bas rayons de la biblioth猫que de bien des sages. Dans le genre picaresque tout est 脿 cr茅er de nouveau. Dans le roman policier il n'y a qu'脿 prolonger, 脿 ordonner, 脿 茅tendre le roman 脿 toues les nuances et 脿 tous les degr茅s du drame humain. 禄 (p. 225) |
| 芦 Retour 脿 Dumas p猫re : plaidoyer pour l'aventure 禄, p. 269-273. |
| 1. 芦 [鈥 on dira tout ce qu'on voudra de nos lettres contemporaines, mais on n'en pourra dire que le corps y existe beaucoup. Gardons-nous ici d'une 茅quivoque. Nous avons eu, nous avons encore, nous aurons sans doute une litt茅rature sportive, et donc, sous un certain angle, une litt茅rature du corps ; mais d'un c么t茅, le sport est le contraire de l'aventure ; de l'autre, nos 茅crivains sportifs n'en ont rien tir茅 qui ressembl芒t, de pr猫s ou de loin, 脿 ce que souhaitait mon professeur [du mouvement, de la vie physique]. L'aventure, c'est ce qui arrive, le plus souvent, d'inattendu. C'est la pr茅cipitation du pr茅sent vers l'avenir qui vous attire et vous fait basculer dans une nuit sem茅e d'茅clairs et d'emb没ches. L'id茅al du sport est au contraire que l'avenir imm茅diat de l'athl猫te (l'acte qu'il va accomplir) soit en quelque sort pr茅figur茅 dans ses muscles, dans la liaison des mouvements et de sa pens茅e. On s'entra卯ne au sport, l'avenir vous entraine. 禄 (p. 269) 2. 芦 Dumas a le don du type, mais ses types n'incarnent pas une esp猫ce essentielle ou du moins significative, et c'est ce qui le distingue de Balzac. Chez Balzac, Birotteau et Vautrin, qui ne sont pas, humainement, beaucoup plus nuanc茅s que d'Artagnan ou Ange Pitou, doivent leur relief 脿 la n茅cessit茅 de leurs personnages. Une information p茅n茅trante et le choc 茅motif de leur apparence en font des hallucinations du r茅el. Point d'hallucinations chez Dumas. C'est qu'il entend surtout s'amuser des individus, avant d'en amuser le lecteur. Il s'amuse de leurs prouesses, il s'amuse de leurs amours, il s'amuse de leur mort, et quand il les pleure, come il pleure Porthos, cela l'amuse encore. On croit discerner en lui les signes d'une sexualit茅 violente et heureuse et la joie l茅g猫re qui enl猫ve les natures comme la sienne apr猫s l'amour, et la h芒te qui les pr茅cipite avant l'amour. 禄 (p. 271) |
| 芦 Rappel de Maupassant 禄, p. 288-296. |
| 1. 芦 La contradiction du naturalisme a 茅t茅 de peindre des hommes, non pas comme ils sont, mais comme ils apparaissent, de confondre les causes prochaines avec les causes essentielles, les causes efficients avec les causes finales. 禄 (p. 290) 66. 芦 La permission que r茅clamaient Maupassant et ses pairs 茅tait plut么t comme une imitation des permissions scientifiques, ce qui impliquait un assez 茅norme contresens pesamment 茅panoui dans les articles pseudo-critiques de Zola, la science et l'art n'ayant proprement aucune commune mesure. Mais ce qui aggrave le contresens et le fait passer de la m茅thode 脿 la conception, c'est que cette volont茅 de lib茅ration r茅pond bien moins 脿 une volont茅 de connaissance qu'脿 un 茅tat d'esprit, qu'脿 un l芒chez-tout de l'芒me, qui n'offre aucun rapport avec la curiosit茅 scientifique. Lorsque Maupassant 茅crit, annon莽ant 脿 Flaubert les Soir茅es de M茅dan : 鈥淣ous n'avons eu, en faisant ce livre, aucune intention antipatriotique, ni aucune intention quelconque鈥�, il d茅finit parfaitement le paradoxe de son 茅cole. On peut bien avoir l'intention de n'avoir point d'intention, mais la gageure est impossible 脿 tenir, toute oeuvre de l'esprit 茅tant, qu'on le veuille ou non, intentionnelle, et l'oeuvre d'art autant qu'une autre. Il manquait aux hommes de M茅dan la m茅moire intelligente du pass茅 et de la tradition complexe de leur art. 禄 (p. 292) |
| Gide ou le courage de s'engager, Claude Martin (茅d.), Paris, Klincksieck, 1985, 143 p. |
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Il s'agit d'une r茅茅dition du听Andr茅 Gide听de Fernandez (Paris, 脡ditions R.-A. Corr锚a, 1931, 265 p.) agr茅ment茅e de quelques articles sur l'auteur des听Faux-Monnayeurs. |
| 芦 R茅flexions sur听Le Pari听禄,听Marianne, no. 8, 1re ann茅e, 14 d茅cembre 1932, p. 4. |
| 1. 芦 Ce qu'on appelle la 鈥渇orme鈥� et le 鈥渇ond鈥� dans un roman se distinguent mal 脿 mes yeux. Je crois que le roman est une 茅vocation de la vie humaine sur deux plans 脿 la fois : le plan apparent, perceptible, physique pour tout dire, et le plan int茅rieur o霉 se d茅roulent les sentiments, o霉 s'茅bauchent les r茅actions. Si l'un des deux manque, rien ne va plus ; mais l'accord des deux plans ne doit pas 锚迟谤别 le r茅sultat d'un effort volontaire ; il doit se faire seul, dans une intuition qui est proprement cr茅atrice. C'est pourquoi le roman est 脿 mon avis le plus pr茅cieux auxiliaire de la vie, je veux dire de la vie r茅elle, car dans la vie r茅elle, nous saisissons rarement, pour ne pas dire jamais, l'apparence et la r茅alit茅 int茅rieure d'une m锚me vue, tandis que l'imagination romanesque nous permet cette esp猫ce de tour de force. 禄 2. 芦 Il ne semble qu'un roman est vraiment 鈥渆n train鈥� quand l'auteur ne sait plus tr猫s bien o霉 il va. C'est du moins ce que j'ai cru constater pour听Le Pari. 禄 3. 芦 Une certaine ind茅termination de la forme me semble aussi souhaitable qu'une certaine ind茅termination du contenu. Tout ce qui peut donner l'impression d'avoir 茅t茅 茅crit avant d'锚迟谤别 lu est nuisible 脿 l'effet romanesque, et la meilleure fa莽on de l'茅viter est de donner au lecteur l'impression, plus subtile, que l'auteur 茅crit au moment de la lecture, et qu'il aurait pu 茅crire diff茅remment. 禄 4. 芦 J'ai t芒ch茅, en 茅crivant听Le Pari, de louvoyer entre deux 茅cueils : le roman 脿 th猫se et le roman esth茅tique. Je n'ai plus 脿 faire le proc猫s du premier. Quant au roman esth茅tique, de noblesse authentique, tout y est subor诲辞苍苍茅 脿 la perfection de la forme, d'une forme qui arr锚te, qui bloque en quelque sorte, le mouvement dramatique. C'est comme une danse hi茅ratique o霉 l'茅lan vital est retenu par la r猫gle, la mesure. 禄 5. 芦 dans les p茅riodes de scepticisme g茅n茅ral [comme celle de l'apr猫s-guerre], la hi茅rarchie que l'esprit et la soci茅t茅 dressent de nos passions est rompue. L'id茅e de dignit茅 s'茅vanouit. Toutes les passions sont 茅galement valables. Une automobile peut captiver autant qu'une femme, et une femme peut 锚迟谤别 jalouse, sans le savoir, d'une automobile. L'茅preuve est particuli猫rement dure pour mon h茅ro茂ne, parce que, comme beaucoup de jeunes filles 茅lev茅es parmi les livres dans la solitude et la r茅volte, l'茅thique qu'elle s'est faite ne correspond plus aux r茅alit茅s de son temps. Mais elle est vivante malgr茅 elle par ses passions. Comme mon h茅ros, de son c么t茅, en vertu du scepticisme que j'ai dit, ne croit plus aux bons sentiments, il a eu besoin, pour c茅der 脿 l'amour que lui inspire Pauline,听(sic)听鈥渓'illusion qu'il ob茅issait aux plus mauvais instincts, et qu'il faisait proprement une infamie鈥�. [鈥 听 Tel est le th猫me du听Pari. On a jug茅 ce livre immoral. La question est de savoir s'il est moral de d茅fendre une moralit茅 morte, et s'il est immoral de chercher la cl茅 d'une morale nouvelle. 禄 |
| 芦 Lettre 脿 Charles du Bos 禄,听Cahiers Charles du Bos, no. sp茅cial, novembre 1964 [1923], p. 76. |
| 1. Mon r锚ve est d'orienter mes contemporains vers un mode de penser et de sentir nettement听prospectif, en r茅action contre le mode r茅trospectif qui r猫gle encore la pens茅e de nos ma卯tres, de les p茅n茅trer de l'id茅e que ce qu'il y a de proprement humain dans notre vie est toujours situ茅 au-del脿 de ce que nous vivons actuellement, et que la diff茅rence entre ce que nous sommes et ce que nous voulons 锚迟谤别 est la seule mesure exacte de notre valeur. Mais comme nous en sommes encore 脿 nous comparer 脿 notre pass茅 au lieu de nous comparer 脿 notre avenir, il y a un redressement 脿 op茅rer, un d茅clenchement 脿 d茅terminer, et ces r茅sultats ne pourront 锚迟谤别 obtenus que par le concours de beaucoup d'efforts. |
