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Le discours sur le roman de Nathalie Sarraute est pol茅mique 脿 bien des 茅gards. Paru au tout d茅but des ann茅es cinquante, l'article devenu c茅l猫bre intitul茅 芦 L'脠re du soup莽on 禄 allait donner le ton aux revendications n茅o-romanesques en contestant la conception du roman v茅hicul茅e par une certaine critique (voir la pr茅face 脿聽L'脠re du soup莽on). Pour Sarraute, cette conception est inacceptable en raison des limites qu'elle impose au genre, incompatibles avec son essence, qui consiste 脿 mettre au jour une r茅alit茅 psychique toujours nouvelle, c'est-脿-dire encore informul茅e, insond茅e. La mise au jour de cette r茅alit茅 nouvelle demande au roman, au contraire de la fixit茅 des formes que r茅clament certains critiques, une r茅invention continue.

Afin de d茅montrer la validit茅 de cette d茅finition du roman, Sarraute s'attarde dans plusieurs de ses interventions 脿 reconstituer l'histoire du roman, qui appara卯t tendu depuis le d茅but du XIXe si猫cle vers une abstraction toujours plus grande de la r茅alit茅 psychique qu'il d茅voile. L'茅l茅ment cl茅 脿 partir duquel Sarraute reconstitue l'histoire du roman est le personnage romanesque. Celui-ci, dans les 芦 vieux romans 禄 (c'est-脿-dire en premier lieu dans le roman balzacien), permettait 脿 l'auteur d'explorer des manifestations聽别虫迟茅谤颈别耻谤别蝉聽de la psych茅. Avec聽Madame Bovary, les romans de Dosto茂evski, de Proust, de Joyce, de Faulkner, l'exploration de la r茅alit茅 psychique se fait de plus en plus聽脿 l'int茅rieur聽du personnage, en raison de quoi celui-ci perd peu 脿 peu ses d茅terminations 别虫迟茅谤颈别耻谤别蝉, sa consistance. Suivant cette 茅volution, le roman 芦 nouveau 禄, selon Sarraute, doit exprimer la r茅alit茅 psychique 脿 l'茅tat brut, et, pour ce faire, ne plus pr茅senter le personnage que comme support ou conscience anonyme. Les mouvements qui habitent obscur茅ment cette conscience constituent l'objet premier du romancier 芦 nouveau 禄, et leur 茅volution lente et ambigu毛 la v茅ritable intrigue qu'il doit reconstituer. Sarraute explique ainsi le rel芒chement de l'intrigue dans le roman contemporain, o霉 la temporalit茅 appara卯t comme un 芦 pr茅sent d茅mesur茅ment agrandi 禄 (芦 Le langage dans l'art du roman 禄, p. 1693). Par ce rel芒chement et l'exploration de la r茅alit茅 psychique brute qu'il rend possible, le roman s'attarde strictement 脿 la mati猫re qui lui est propre, et acqui猫re ainsi une pleine autonomie, comme l'art pictural lorsqu'il s'est lib茅r茅 des lois de la perspective puis de la figuration.

Une grande part du discours sur le roman de Sarraute est consacr茅e 脿 la question du langage, 脿 propos de laquelle elle tient 脿 se distinguer du regroupement des Nouveaux romanciers. Elle affirme que le langage du roman est un 芦 langage essentiel 禄, selon l'expression de Mallarm茅 脿 propos de la po茅sie, mais qu'il n'en renvoie pas moins 脿 des significations. D猫s lors, le travail du romancier consiste 脿 lib茅rer les mots des significations usuelles auxquelles ils sont attach茅s, de mani猫re 脿 d茅ployer leur potentiel affectif, et 脿 faire 茅prouver par eux un nouvel ordre de sensations.

Ouvrages cit茅s :

• 芦 Pr茅face 禄 脿聽L'脠re du soup莽on. Essais sur le roman, Paris, Gallimard, coll. 芦 Id茅es 禄, 1956, p. 7-12.
• 芦 Le langage dans l'art du roman 禄, conf茅rence prononc茅e 脿 l'Universit茅 de Seinan-Gakuin (Japon) en 1970, dans聽艗uvres compl猫tes, 茅d. Jean-Yves Tadi茅, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1996, p. 1679-1694.

Cette bibliographie comprend les principaux 茅crits de Nathalie Sarraute sur le roman en particulier et la litt茅rature en g茅n茅ral. Une premi猫re section est consacr茅e aux essais et articles 茅crits par聽 Sarraute, parmi lesquels figurent les articles r茅unis dans聽L'脠re du soup莽on聽en 1956. Viennent ensuite les conf茅rences prononc茅es par l'auteure et les entretiens qu'elle a accord茅s. Dans chaque section, les diff茅rentes interventions sont pr茅sent茅es suivant l'ordre chronologique de leur production.聽Note : La section consacr茅e aux entretiens reste 脿 compl茅ter.聽Les citations qui compl猫tent cette bibliographie sont une s茅lection des propos tenus par Nathalie Sarraute sur le genre romanesque.

Essais et articles :

芦 Paul Val茅ry et l'enfant d'茅l茅phant 禄, dans聽Paul Val茅ry et l'enfant d'茅l茅phant.聽Flaubert le pr茅curseur, Paris, Gallimard, 1986, p. 7-57. [Texte paru partiellement dans聽Les Temps modernes聽en 1947, puis int茅gralement dans聽Diagraphe聽en 1984].

芦 De Dosto茂evski 脿 Kafka 禄, dans聽L'脠re du soup莽on. Essais sur le roman, Paris, Gallimard, coll. 芦 Id茅es 禄, 1956, p. 7-57. [Article paru dans聽Les Temps modernes, octobre 1947].

芦 L'脠re du soup莽on 禄, dans聽L'脠re du soup莽on. Essais sur le roman, Paris, Gallimard, coll. 芦 Id茅es 禄, 1956, p. 67-94.聽[Article paru dans聽Les Temps modernes, f茅vrier 1950].

芦 Conversation et sous-conversation 禄, dans聽L'脠re du soup莽on. Essais sur le roman, Paris, Gallimard, coll. 芦 Id茅es 禄, 1956, p. 95-147.聽[Article paru dans聽N.N.R.F., janvier-f茅vrier 1956].

芦 Ce que voient les oiseaux 禄, dans聽L'脠re du soup莽on. Essais sur le roman, Paris, Gallimard, coll. 芦 Id茅es 禄, 1956, p. 149-184.

芦 Pr茅face 禄 脿聽L'脠re du soup莽on. Essais sur le roman, Paris, Gallimard, coll. 芦 Id茅es 禄, 1956, p. 7-12.

芦 Flaubert le pr茅curseur 禄, dans聽Paul Val茅ry et l'Enfant d'脡l茅phant. Flaubert le pr茅curseur, Paris, Gallimard, 1986, p. 59-89. [Texte paru dans聽Preuves聽en 1965].

Conf茅rences :

芦 Roman et r茅alit茅 禄, conf茅rence prononc茅e 脿 l'Universit茅 de Lausanne, dans聽艗uvres compl猫tes, 茅d. Jean-Yves Tadi茅, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1996, p. 1643-1656.聽[Conf茅rence prononc茅e en 1959].

芦 Forme et contenu du roman 禄, texte de conf茅rence pr茅par茅 pour une tourn茅e dans des universit茅s, dans聽艗uvres compl猫tes, 茅d. Jean-Yves Tadi茅, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1996, p.1663-1679.聽[Texte de conf茅rence 茅crit au milieu des ann茅es 1960].

芦 Le langage dans l'art du roman 禄, conf茅rence prononc茅e 脿 l'Universit茅 de Seinan-Gakuin (Japon), dans聽艗uvres compl猫tes, 茅d. Jean-Yves Tadi茅, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1996, p. 1679-1694. [Conf茅rence prononc茅e en 1970].

芦 Ce que je cherche 脿 faire 禄, intervention de Nathalie Sarraute au colloque de Cerisy sur le Nouveau roman, dans聽Nouveau roman : hier, aujourd'hui, dir. Jean Ricardou et Fran莽oise van Rossum-Guyon, Paris, UGE, coll. 芦 10/18 禄, t. 2 :听笔谤补迟颈辩耻别蝉,听1972, p. 25-40.聽[Conf茅rence prononc茅e en 1971].

芦 Le gant retourn茅 禄, conf茅rence prononc茅e 脿 l'Universit茅 de Wisconsin-Madison (脡tats-Unis), dans聽艗uvres compl猫tes, 茅d. Jean-Yves Tadi茅, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1996, p. 1707-1713. [Conf茅rence prononc茅e en 1974].

Entretiens :

芦 Le Roman aujourd'hui. Un entretien avec Nathalie Sarraute 禄, entretien avec Clarisse Francillon, dans聽Gazette de Lausanne, 29 novembre 1958.

芦 La litt茅rature aujourd'hui 禄, r茅ponses 茅crites aux questions du comit茅 de r茅daction de聽Tel Quel, dans聽艗uvres compl猫tes, 茅d. Jean-Yves Tadi茅, Paris, Gallimard, coll. 芦 Biblioth猫que de la Pl茅iade 禄, 1996, p. 1656-1663. [Entretien paru dans聽Tel Quel, no 9, printemps 1962].

芦 Conversation avec Fran莽ois Bondy 禄, entretien avec Fran莽ois Bondy, dans聽Nathalie Sarraute, dir. Yvon Belaval et Mimica Cranaki, Paris, Gallimard, 1965.

芦 Avec le th茅芒tre j'aborde un domaine tout 脿 fait nouveau 禄, entretien avec Nicole Zand, dans聽Le Monde, 18 janvier 1967.

芦 Nathalie Sarraute et les secrets de la cr茅ation 禄, entretien avec Genevi猫ve Serreau, dans聽La Quinzaine litt茅raire, 1er mai 1968.

芦 Nathalie Sarraute au Kibboutz 禄, entretien avec Erwin Spatz, dans聽La Quinzaine litt茅raire, 16 octobre 1969.

芦 Communiquer le ressenti 禄, entretien avec Colette Godard, dans聽Le Monde, 7 f茅vrier 1973.

芦 Sartre s'est tromp茅 脿 mon sujet 禄, entretien avec Jean-Louis 脡zine, dans聽Les Nouvelles litt茅raires, 30 septembre 1976

芦 Comment j'ai 茅crit certains de mes livres 禄, entretien avec Lucette Finas, dans聽脡tudes litt茅raires, vol. XII, d茅cembre 1979.

芦 Conversation avec Nathalie Sarraute 禄, entretien avec Serge Fauchereau et Jean Ristat, dans聽Diagraphe, no 32, mars 1984.

芦 Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui s'est pass茅 ? Mais rien 禄, entretien avec Carmen Licari, dans聽Francofonia,聽no 9, automne 1985.

Entretiens avec Nathalie Sarraute, entretiens avec Simone Benmussa, Tournai, La Renaissance du livre, coll. 芦 Paroles d'aube 禄, 2002.聽[Entretiens r茅alis茅s en 1987].

芦 Entretien avec Nathalie Sarraute 禄, entretien avec Arnaud Rykner, dans Arnaud Rykner,听Nathalie Sarraute, Paris, Seuil, coll. 芦 Les Contemporains 禄, 1991, p. 153-183.

芦 Un entretien avec Nathalie Sarraute 禄, entretien avec Mich猫le Pardina, dans聽Le Monde, 26 f茅vrier 1993.

芦 Nathalie Sarraute l'exploratrice du silence 禄, entretien avec Odile Quirot, dans聽Le Nouvel observateur, 8 avril 1993.

Note :聽Sarraute introduit son propos en renvoyant 脿 la r茅ception du roman contemporain par la critique. Elle cite Roger Grenier qui affirme dans聽Les Temps modernes聽: 芦 Le g茅nie de notre 茅poque souffle en faveur de Kafka 禄, et, du m锚me coup, contre l'h茅ritage du roman psychologique dosto茂evskien. R. Grenier explique cette 茅volution du roman par la situation de l'homme moderne : 芦 C'est 脿 鈥� l'homo absurdus, habitant sans vie d'un si猫cle dont le proph猫te est Kafka 鈥� qu'on a, dit-il, aujourd'hui affaire 禄, r茅sume Sarraute. Sarraute prend le contre-pied de cette affirmation en 茅tablissant la filiation du roman dosto茂evskien, dans laquelle elle cherche 脿 inscrire Kafka. Elle propose ainsi une histoire du roman oppos茅e 脿 celle que pr茅sentent les tenants de la litt茅rature engag茅e.

芦 Aucune attitude volontaire chez lui [Kafka], aucun souci didactique, aucun parti pris. Il n'a pas besoin de se livrer 脿 d'impossibles travaux de sarclage : sur les terres d茅nud茅es o霉 il nous entra卯ne, pas le moindre brin d'herbe ne peut pousser.聽Pourtant rien n'est plus arbitraire que de l'opposer, ainsi qu'on le fait souvent aujourd'hui, 脿 celui qui a 茅t茅 sinon son ma卯tre, du moins son pr茅curseur, comme il a 茅t茅 鈥� qu'ils le sachent ou non 鈥� le pr茅curseur de presque tous les 茅crivains europ茅ens de notre temps.聽Sur ces terres immenses dont Dosto茂evski a ouvert l'acc猫s, Kafka a trac茅 une voie, une seule voie 茅troite et longue, il a pouss茅 dans une seule direction et il est all茅 jusqu'au bout. 禄 (p. 31)

芦 Ce besoin continuel d'茅tablir un contact - trait de caract猫re primordial du peuple russe auquel l'oeuvre de Dosto茂evski tient si fortement par toutes ses racines - a contribu茅 脿 faire de la terre russe la terre d'茅lection, la v茅ritable terre noire du psychologique. 禄 (p. 50)

芦 Il se produit comme un d茅placement, du dehors vers le dedans, du centre de gravit茅 du personnage, d茅placement que le roman moderne n'a cess茅 d'accentuer.聽
On a souvent not茅 l'impression irr茅elle [鈥�] que nous font les h茅ros de Dosto茂evski, malgr茅 les descriptions minutieuses auxquelles, pour satisfaire aux exigences de son 茅poque, il se croyait oblig茅.
C'est que ses personnages tendent d茅j脿 脿 devenir ce que les personnages du roman seront de plus en plus, non point tant des 鈥� types 鈥� humains en chair et en os, comme ceux que nous croyons apercevoir autour de nous et dont le d茅nombrement infini semblait 锚tre le but essentiel du romancier, que de simples supports, des porteurs d'茅tats parfois encore inexplor茅s que nous retrouvons en nous-m锚mes.
Il se pourrait que le snobisme mondain de Proust, qui se r茅percute, avec un caract猫re d'obsession presque maniaque, dans tous ses personnages, ne soit pas autre chose qu'une vari茅t茅 de ce m锚me besoin obs茅dant de fusion, mais pouss茅 et cultiv茅 sur un sol tout diff茅rent [...]. En tout cas, l'oeuvre de Proust nous montre d茅j脿 comment ces 茅tats (il faudrait dire ces mouvements) complexes et subtils [...] sont ce qui subsiste dans cette oeuvre de plus pr茅cieux et de plus solides, alors que les enveloppes, peut-锚tre un peu trop 茅paisses, Swann, Odette, Oriane de Guermantes ou les Verdurin, prennent d茅j脿 le chemin de ce vaste mus茅e Gr茅vin o霉 sont rel茅gu茅s, t么t ou tard, les 鈥� types 鈥� litt茅raires. 禄 (p. 50-52)

芦 Cependant, ceux qui voudraient s'assurer que les h茅ros de Kafka n'ont rien 脿 voir avec ces personnages de roman que leurs auteurs [鈥�] ont vid茅s de 鈥� toute pens茅e et de toute vie subjective 鈥� et qu'on nous pr茅sente comme 鈥� l'image m锚me de la r茅alit茅 humaine lorsqu'on la d茅pouille de toutes les conventions psychologiques 鈥�, ceux-l脿 n'auraient qu'脿 relire les minutieuses et subtiles analyses auxquelles, d猫s que s'茅tablit entre eux le plus l茅ger contact, se livrent, avec une lucidit茅 passionn茅e, les personnages de Kafka. [鈥�].
Mais ces moments de sinc茅rit茅, ces 茅tats de gr芒ce, sont aussi rares que les contacts [鈥�] 脿 la faveur desquels ils peuvent se produire.
Si l'on voulait situer le point exact de l'oeuvre de Dosto茂evski 脿 partir duquel Kafka aurait 鈥� pris le d茅part 鈥�, on le trouverait sans doute dans ces聽M茅moires 茅crits dans un souterrain聽qui sont [鈥�] comme 脿 l'ultime limite, 脿 l'extr锚me pointe de cette oeuvre.
[鈥�] Ce point extr锚me o霉, pour un instant tr猫s court, il [les h茅ros des M茅moires] se trouve [鈥�], ce sera pr茅cis茅ment, grossi aux dimensions d'un interminable cauchemar, le monde sans issue o霉 se d茅battront les h茅ros de Kafka. 禄 (p. 55-58)

Note :聽Dans cet article, Sarraute chercher 脿 renverser l'opposition impos茅e par la critique entre des romanciers 芦 r茅alistes 禄 et des romanciers 芦 formalistes 禄. Elle montre que les romanciers jug茅s 芦 r茅alistes 禄 par la critique contemporaine sont en fait les plus 芦 formalistes 禄, dans la mesure o霉 ils reproduisent des formes d茅couvertes par leurs pr茅d茅cesseurs, et, de la sorte, mettent au jour une r茅alit茅 purement conventionnelle. Les romanciers dits 芦 formalistes 禄, au contraire, sont ceux qui se pr茅occupent de mettre au jour une r茅alit茅 encore in-formul茅e, et qui pour ce faire doivent imp茅rativement inventer de nouvelles formes.

芦 Quand on voit l'emprise que ces formalistes parviennent 脿 exercer aujourd'hui sur le roman, on ne peut s'emp锚cher de donner raison 脿 ceux qui affirment que le roman est le plus d茅savantag茅 de tous les arts.
Il est difficile, en effet, d'imaginer que les romanciers puissent se permettre quoi que ce soit de comparable 脿 l'茅vasion qu'ont tent茅e les peintres quand ceux-ci ont fait sauter d'un seul coup tout le vieux syst猫me de conventions [...], supprimant le sujet et la perspective et arrachant le spectateur aux apparences famili猫res o霉 il avait l'habitude de trouver des satisfactions avec lesquelles la peinture n'avait plus grand-chose 脿 voir. 禄 (p. 174-175)

Note :聽Sarraute renvoie d'abord 脿 l'admiration des 茅crivains contemporains pour Flaubert, qui est d茅sign茅 par ceux-ci comme un ma卯tre, comme un grand pr茅curseur. Elle remarque que cette admiration est justifi茅e le plus souvent par les 芦 th茅ories 禄 de Flaubert, lesquelles ne co茂ncident pas n茅cessairement avec les r茅sultats auxquels il est parvenu dans ses romans (p. 61-63). Sarraute propose de s'attarder 脿 l'茅criture romanesque de Flaubert, afin d'apporter une nouvelle lumi猫re sur les affirmations th茅oriques de l'auteur. Elle d茅bute par une lecture de聽厂补濒补尘尘产么, dont elle cite plusieurs passages ; sa lecture l'am猫ne 脿 poser sur la description flaubertienne un jugement d茅pr茅ciatif (p. 64-69), qui annonce a contrario son appr茅ciation de聽Madame Bovary.

[脌 propos de聽厂补濒补尘尘产么] 芦 Et comme nous sommes loin ici de cette recherche moderne de la sensation pure, de ce bond au plus vif, au plus press茅, qui fait 茅clater la phrase traditionnelle et donne aux mots un sens neuf, ou encore les d茅forme et les invente, comme chez Rimbaud, Mallarm茅 ou Joyce ! Il ne s'agit plus pour ces 茅crivains de nous enfermer parmi des images faites d'茅l茅ments tr猫s connus et par nous retrouv茅s, mais de nous d茅barrasser de ces images pour nous donner des impressions neuves.
Cette description qui fait de Flaubert, pour certains 茅crivains d'aujourd'hui, pourtant oppos茅s 脿 la tradition, et dont la forme est tr猫s diff茅rente de la sienne - et d猫s lors on comprend mal leur erreur - un pr茅curseur et un ma卯tre, c'est la base essentielle de la plus grande partie de son oeuvre. 禄 (p. 72-73)

[脌 propos du terme 鈥減sychologie鈥� ] 芦 Mot d茅cri茅, d茅suet, para卯t-il, parce qu'il rappelle l'analyse traditionnelle des sentiments et toutes les notions psychologiques d茅pass茅es. Ce n'est pas de cette psychologie-l脿 que je parle, mais de la r茅v茅lation, de la mise en oeuvre de forces psychiques encore inconnues, qui est la base de toute litt茅rature et dont aucune forme litt茅raire ne peut se passer. Quand elle s'en passe, la psychologie se venge. 禄 (p. 73-74)

芦 Ainsi, me dira-ton, ce ne serait donc que cela, Flaubert ? Ce beau style pompeux et glac茅 qui fait surgir en nous, qui nous contraint 脿 fabriquer des chromos ? Cette absence de complexit茅 psychologique qui fait de聽厂补濒补尘尘产么聽une imagerie enfantine et abaisse聽L'脡ducation sentimentale聽au niveau d'une lourde peinture de moeurs ? [...]
L'oeuvre de Flaubert, ce serait donc cela ? Et je dirai oui, mais malgr茅 cela, et m锚me jusqu'脿 un certain point 脿 cause de cela, Flaubert est un des grands pr茅curseurs du roman moderne. Car tous ces d茅fauts lui ont permis d'茅crire un chef-d'oeuvre :聽Madame Bovary.
Je dis bien : tous ces d茅fauts. Le beau style redondant et glac茅, l'imagerie de qualit茅 douteuse, des sentiments convenus, une r茅alit茅 en trompe-l'oeil. Mais, cette fois - et c'est l脿 toute la diff茅rence - le trompe-l'oeil est pr茅sent茅 comme tel.
[...] Les d茅fauts de Flaubert deviennent ici des qualit茅s. Quelque chose maintenant les transforme, qui a l'importance des plus grandes d茅couvertes. Un aspect neuf du monde, une substance inconnue a fait son irruption dans le roman.
S'il fallait apporter la preuve que ce qui compte en litt茅raure, c'est la mise au jour, ou la recr茅ation d'une substance psychique nouvelle, aucune oeuvre, mieux que聽Madame Bovary, ne pourrait la fournir.
Cet 茅l茅ment neuf, cette r茅alit茅 inconnue dont Flaubert, le premier, a fait la substance de son oeuvre, c'est ce qu'on a nomm茅 depuis l'inauthentique. 禄 (p. 75-77)

芦 Ici [dans聽Madame Bovary], pour poursuivre aussi loin que possible sa recherche, [...] Flaubert a choisi la place juste. 脌 la fois 脿 distance et pourtant enti猫rement engag茅. De l脿 lui vient cette extraordinaire clairvoyance que donnent la r茅pulsion et la haine, et aussi cette tendresse qui s'y m锚le, pour ce qu'on a soigneusement 茅prouv茅. [...] 禄 (p. 78)

芦 Prenons comme exemple les descriptions du bal chez le marquis de la Vaubyessard. Tout pourrait 锚tre perdu, comme dans聽L'脡ducation sentimentale. Tout est sauv茅 par le regard de Mme Bovary. C'est ce regard extraordinairement attentif, fascin茅, d'une petite-bourgeoise nourrie de 鈥� litt茅rature 鈥�, qui donne 脿 ces images leur intensit茅, leur force, leurs arri猫res-plans, et parfois [...] leur subtilit茅 et leur ambigu茂t茅. 禄 (p. 79)

芦 Cependant il [Flaubert] est un des pr茅curseurs incontestables du roman moderne.
D'abord, on l'a vu, parce qu'il a apport茅 dans la litt茅rature une substance dont le roman et le th茅芒tre actuels n'ont pas encore 茅puis茅 les richesses.
Et ensuite parce qu'il a, pr茅cis茅ment par ses d茅clarations, pressenti, appel茅 la litt茅rature de l'avenir.
Quand il a 茅crit : 鈥� Ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache ext茅rieure... 鈥� permettez-moi de penser qu'il ne songeait pas 脿 une succession de belles phrases creuses. [...] Ce livre sur rien, n'est-ce pas un livre o霉 la substance inconnue pourrait appara卯tre 脿 l'茅tat pur, sans le soutien des personnages et de l'intrigue ? Une substance psychologique neuve qui se passerait le plus possible de support ? 禄 (p. 87-88)

Note听:听Sarraute introduit cette conf茅rence en expliquant ses r茅serves par rapport au dogme de la litt茅rature engag茅e.

芦 La part de nouveaut茅 de ces oeuvres [Madame Bovary, les romans de Dosto茂evski, de Proust et de Joyce] et de leurs formes qui bouleversaient la litt茅rature 茅迟补颈迟 ce qui seul importait.
Elles prouvaient que les formes du roman, qu'au regard de ces oeuvres on pouvait bien appeler 鈥� traditionnel 鈥�, n'茅taient qu'un syst猫me de conventions, qu'une fa莽on de voir - il pourrait y en avoir d'autres. Elles n'茅taient qu'une grille qu'on avait pos茅e sur la r茅alit茅. Ce n'茅迟补颈迟 pas la r茅alit茅 m锚me, une r茅alit茅 unique et immuable.
J'avais donc la certitude que le roman 茅迟补颈迟 entra卯n茅 dans un mouvement irr茅versible. Les formes traditionnelles, et m锚me celles des romans r茅volutionnaires, ne montraient que des aspects du monde sensible, dans des formes qui en 茅taient ins茅parables.
On ne pouvait pas les reprendre, sans regarder le monde 脿 travers les lunettes d'autrui. [...]
On ne pouvait plus 茅crire des romans 脿 personnages. Le personnage de roman avait 茅clat茅, une substance nouvelle le d茅bordait de toutes parts. 禄 (p. 1667)

芦 [L]e contenu du roman ce n'est pas un sujet, une histoire, des personnages vivants, une repr茅sentation de ceci ou de cela. Son contenu v茅ritable, c'est un ordre de sensations, tandis que le sujet, l'histoire, les personnages ne sont qu'un mode d'expression, une forme. Une forme au m锚me titre que le langage [鈥�].
Et cet ordre de sensations qui est le v茅ritable contenu du roman, cette vision que le roman r茅v猫le, que le roman constitue comme tout art, cette vision existe, elle se situe 脿 des niveaux diff茅rents (ou si l'on aime mieux, pour qu'on ne croie pas 脿 une hi茅rarchie, dans des zones diff茅rentes).
Il y a des couches successives du monde sensible, sans cesse d茅couvertes, qui s'ajoutent, qui augmentent nos domaines, l'univers sensible o霉 nous vivons. Et par l脿 on peut dire que l'art est un moyen de connaissance.
Cette notion que le contenu du roman est un ordre de sensations ou, si l'on aime mieux, une vision du monde (mot galvaud茅) est une notion essentielle. D'elle d茅coulent toutes les autres. 禄 (p. 1670)

芦 Ce mouvement [l'茅volution de la forme romanesque] est ininterrompu. Il ne doit pas, il ne peut pas s'arr锚ter. Si l'on envisage ce mouvement dans son ensemble, si l'on consid猫re ses formes r茅centes, il semble qu'il consiste, dans le roman, comme dans tous les autres arts, 脿 d茅gager la sensation pure, 脿 conserver un contact direct avec la r茅alit茅 d'o霉 elle jaillit, en 茅liminant les formes lourdes, scl茅ros茅es qui l'茅crasent. Ainsi l'茅l茅ment sensible se d茅gage, toujours plus r茅duit 脿 lui-m锚me.
Ainsi la musique moderne s'est d茅barrass茅e du sentiment et de la m茅lodie pour d茅gager le son pur.
Ainsi la peinture dite 鈥� abstraite 鈥� s'attache 脿 fixer l'attention du spectateur sur le seul 茅l茅ment pictural.
Ainsi la po茅sie se d茅barrasse de la rh茅torique et de la rime.
De m锚me le roman tend 脿 se d茅barrasser de l'emprise du personnage et de l'intrigue pour s'attacher 脿 la pure sensation [鈥�]. 禄 (p. 1673)

芦 Ainsi, gr芒ce aux efforts conjugu茅s des auteurs et de certains lecteurs, l'art du roman constamment se d茅place 脿 la recherche de nouveaux niveaux, de nouvelles couches de la sensibilit茅.
C'est cette libert茅 de se d茅barrasser des conventions devenues inutiles qu'a revendiqu茅e le nouveau roman. Il a affirm茅 la n茅cessit茅 d'une transformation constante des formes. Il a revendiqu茅 pour le roman ce qui 茅迟补颈迟 consid茅r茅 comme l'apanage des autres arts. [...]
On a dit qu'il avait tu茅 le roman : le seul vrai roman, fait sur le mod猫le balzacien, constitu茅 par une histoire, une intrigue, des personnages.
On a dit qu'il 茅迟补颈迟 un travail de laboratoire, sans contact avec la r茅alit茅 v茅cue. [...]
Ces reproches [adress茅s au nouveau roman] pourraient faire croire qu'il est une v茅ritable forme d'art, tant ils rappellent l'accueil re莽u, par exemple, par les grands mouvements de la peinture moderne, qu'il s'agisse des impressionnistes, des fauves, des cubistes, des premiers peintres non figuratifs. 禄 (p. 1674)