|
芦 Cela pos茅, il convient de dire que聽鲍谤补苍耻蝉听[roman de Marcel Aym茅 paru en 1948], en fait, sinon en droit, est le plus cruel pamphlet contre ce temps de 鈥渓ibert茅 provisoire鈥� o霉 p猫se l'茅quivoque persistante de la R茅sistance et que nous ha茂ssons. [鈥 Apr猫s聽Travelingue, qui brossait 脿 traits cocasses le tableau de nos moeurs d'avant-guerre, apr猫s聽Le Chemin des 茅coliers聽qui ouvrait, 脿 l'茅touff茅e, des perspectives path茅tiques sur notre mentalit茅 pendant l'Occupation,听Uranus, cernant tr猫s exactement les d茅viations psychologiques et morales engendr茅es par la Lib茅ration, compl猫te un triptyque qui fait de Marcel Aym茅 le premier, notre seul romancier contemporain ; je veux dire le seul o霉 les g茅n茅rations futures pourront retrouver une image fid猫le de notre 茅poque. 禄 芦 Un moraliste : Marcel Aym茅 禄 (1948),听Mes petits papiers.听(p. 41-42)
Toujours 脿 propos d'Uranus: 芦 Sans quitter la fantaisie qui nous tient au coeur, l'humour si proche de l'amour, la cruaut茅 qui n'est que sinc茅rit茅, sans abandonner les sortil猫ges d'une nonchalance chaleureuse, l'auteur de聽La Vouivre, le nouvelliste du聽Nain, du聽Passe-muraille, du聽Vin de Paris, s'affirme ici comme notre meilleur r茅aliste, comme le plus s茅rieux. Il lui suffit de passer du plan du merveilleux absurde 脿 celui du merveilleux humain. Et je ne crains pas de rapprocher ces deux termes d'apparence contradictoire, car le passionnant miracle de l'oeuvre de Marcel Aym茅, c'est bien que l'homme s'y retrouve devant lui-m锚me, tel qu'il est. Vous chercheriez vainement 脿 prendre ce r茅alisme en flagrant d茅lit d'outrance. La grande aventure d'鲍谤补苍耻蝉听c'est que la saison est devenue monstrueuse, la r茅alit茅 invraisemblable, l'absurdit茅 脿 la port茅e de toutes les bourses. 禄 芦 Un moraliste : Marcel Aym茅 禄 (1948),听Mes petits papiers. (p. 42)
芦 Parce qu'il est notre meilleur r茅aliste, Marcel Aym茅 est notre meilleur moraliste. [鈥 L'enseignement chez Marcel Aym茅 ne consiste pas 脿 nous corriger mais 脿 nous d茅livrer. Il convient donc de se tourner du c么t茅 du spectacle, du c么t茅 des personnages. Si le莽on il y a, elle se passe devant le miroir. Ces personnages, parce qu'ils ob茅issent au canon de la trag茅die antique, qu'ils ne sont ni tout 脿 fait bons, ni tout 脿 fait m茅chants, parce qu'il leur arrive 鈥渄e ces choses vraies et un peu inf芒mes, faute desquelles on n'est pas bien s没r d'exister鈥�, nous fournissent des types sans jamais verser dans la caricature. Laquelle de ces images de nous-m锚mes devons-nous pr茅f茅rer ? Marcel Aym茅, qui semble disposer de tr茅sors d'indulgence pour l'humanit茅 tout enti猫re, r茅serve 脿 la truculence d'un cabaretier alcoolique, 脿 la simplicit茅 d'un ouvrier communiste, 脿 l'honn锚tet茅 d'un savant id茅aliste, comme jadis 脿 la franchise d'un officier fasciste dans聽Le Chemin des 茅coliers, ou 脿 la na茂vet茅 d'un fossoyeur dans聽La Vouivre, le soin d'exprimer une morale qui a la pudeur de se vouloir 鈥渆ntre les lignes鈥� et dont le premier pr茅cepte pourrait bien 锚tre la fid茅lit茅 脿 soi-m锚me. 禄 芦 Un moraliste : Marcel Aym茅 禄 (1948),听Mes petits papiers. (p. 43-44)
芦 Les jeunes gens ont d茅sert茅 leur faction admirative ; ils naissent 脿 la litt茅rature avec des susceptibilit茅s d'enfants naturels. Et nous, tels que nous voil脿, soucieux pourtant de toute filiation, d茅f茅rents par vocation, disciples-n茅s, nous appartenons 脿 une g茅n茅ration sans ma卯tres. Parmi ceux que nos vingt-ans (et quelques) eussent volontiers subis, les uns ont 茅t茅 assassin茅s, les autres sont emprisonn茅s, certains encore, atteints par la limite d'芒ge ou le retour d'芒me, meurent de leur laide mort dans des draps officiels o霉 nous h茅siterions 脿 venir saluer leur cadavre et pleurer la cendre de nos d茅ceptions. [鈥 Nous tirons nos enseignements de quelques ombres. Nous aurions voulu les 茅treindre. Mais, pour nous, Barr猫s n'est plus et Maurras pas encore. Et les 茅crivains se sont tus, de qui nous exigions une mystique pour notre groupe, une maxime valable pour nos amis, nos camarades. Nous ne retrouverons m锚me plus Malraux qui survit 脿 notre enthousiasme 茅teint. La r茅ponse qu'il peut apporter, s'il en a le souci, 脿 la merveilleuse question qui domine son oeuvre ne saurait 锚tre la n么tre : 鈥溍� quel destin est donc vou茅 cette jeunesse violente, merveilleusement arm茅e contre elle-m锚me et d茅livr茅e de la basse vanit茅 de nommer grandeur le d茅dain d'une vie 脿 laquelle elle ne sait pas se lier ?鈥� Pour nous qui avons trop vu de Don Quichotte se faire meuniers et Malraux ministre, sous ce que vous savez, le d茅dain de la vie qui nous est faite appara卯t comme un raffinement de styliste au regard de notre gloutonnerie de survivre 脿 l'absurdit茅 et l'ignominie d'une 茅poque bien d茅termin茅e. Ainsi dispos茅s, ce n'est plus vers les 茅crivains qui pr茅tendent aujourd'hui porter une le莽on 脿 vivre, mais vers ceux qui, plus simplement, nous donnent signe de vie, que nous pouvons nous retourner. Nous ne demandons plus 脿 suivre, mais seulement 脿 aimer. Nous craignons les conseils mais requ茅rons une 茅paule contre notre 茅paule. La litt茅rature qui ne peut 锚tre magistrale doit 锚tre fraternelle. 禄 芦 Pour une litt茅rature fraternelle 禄 (1948),听聽Mes petits papiers. (p. 44-46)
芦 Le terme d'别苍驳补驳别尘别苍迟听pr锚te 脿 茅quivoque lorsqu'il concerne autre chose qu'un d茅p么t au mont-de-pi茅t茅 ou qu'un contrat de cinq ans dans les forces m茅tropolitaines. Plus particuli猫rement en mati猫re de litt茅rature, il est susceptible d'aboutir aux pires confusions. Car rien ne permet d'affirmer que Stendhal soit davantage engag茅 par la campagne de Russie qu'il ne l'est par l'une quelconque de ses aventures amoureuses, ni que l'exp茅rience contract茅e ici ne retienne moins de valeur humaine que celle recueillie l脿-bas. [鈥 Il ne s'agit jamais que de prendre position : voil脿 le point de d茅part, et tout le reste n'est pr茅cis茅ment que litt茅rature. Maintenant, que l'engagement consiste 脿 vivre selon son oeuvre ou 脿 茅crire selon ses tripes ? Qu'il soit contract茅 脿 temps ou pour l'茅ternit茅 ? Qu'il soit classique ou r茅volutionnaire ? Qu'il porte le莽on ou t茅moignage ? Qu'il ne vaille que pour soi-m锚me ou qu'il implique les autres ?... J'ai l'impression que nul ne pourrait le pr茅ciser et c'est bien l脿 que le bla-bla blesse. J'attends qu'on nous dise si Montaigne, qui est lui-m锚me la mati猫re de son livre, est un 茅crivain engag茅, si le Moli猫re des聽Femmes savantes聽ou des聽笔谤茅肠颈别耻蝉别蝉聽s'engage par le fait m锚me qu'il met en sc猫ne les moeurs et les caract猫res d'une 茅poque qui est la sienne, si les romantiques qui se compromettent 脿 coeur-que-veux-tu, si les encyclop茅distes qui se penchent sur les conditions d'une r茅forme prochaine, si tous les classiques, eux-m锚mes, dont la vocation s'identifie 脿 celle d'une nation, ne se trouvent pas du coup souscrire respectivement 脿 un engagement. Et que penser de Rouget de l'Isle ? La marge qui s茅pare聽Il pleut, il pleut Berg猫re鈥� d'avec聽Allons, enfants de la Patrie !聽mesure-t-elle le foss茅 entre une litt茅rature d茅sinvolte et une litt茅rature engag茅e ? 芦 Pour une litt茅rature encag茅e 禄 (1948),听Mes petits papiers, p. 48-49.
脌 propos du聽Rivage des Syrtes聽de Julien Gracq, et du refus par ce dernier du Prix Goncourt : 芦 Ainsi, m锚me la kermesse litt茅raire consacre un retour marqu茅 vers des oeuvres o霉 l'analyse l'emporte sur la situation, le commentaire sur la p茅rip茅tie, et, d'une fa莽on plus g茅n茅rale, la mani猫re de raconter les choses sur la mati猫re du r茅cit. C'est l脿 un tournant d'importance, qui met peut-锚tre d茅finitivement un terme 脿 toute une litt茅rature de t茅moignage et d'exp茅riences, li茅e 脿 un apr猫s-guerre haut en couleur, tout baign茅 de violences et d'app茅tits plus gloutons qu'exigeants. Impr茅gn茅e 茅galement par l'influence am茅ricaine et par des techniques annexes, comme celles du cin茅ma. 禄 芦 Avec聽Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq a 茅crit un impr茅cis d'histoire et de g茅ographie 脿 l'usage des civilisations r锚veuses 禄 (1951),听Mes petits papiers. (p. 88)
芦 [Avec Le Rivage des Syrtes] prennent fin des provinces, voire des banlieues litt茅raires, encore boulevers茅es par une mani猫re de fl茅au, qui passera 脿 l'Histoire sous le nom de 鈥渞avages de Sartre鈥�. [鈥 M. Julien Gracq est le digne ambassadeur de ces territoires recouvr茅s, o霉 les moeurs, le cadre, les personnages sont bien faits pour d茅concerter la condition de spectateurs engag茅s, dans laquelle nous nous sommes laiss茅 enfermer. Ce qui frappe d'abord dans l'oeuvre de Julien Gracq [鈥, c'est son d茅dain de l'茅poque. Il ne la refuse pas pr茅cis茅ment, il s'en d茅sint茅resse. Le peu d'茅v茅nements qui nourrissent ses romans se situent hors du temps des sociologues, dans une chronologie intime qui leur est propre et ne tient qu'au m没rissement des caract猫res et des saisons. Avec une secr猫te pr茅dilection pour l'automne, qui l猫ve des brumes et rouille les for锚ts, c'est en effet au cycle naturel que Julien Gracq s'en remet de faire progresser des intrigues qu'il a inextricablement nou茅es 脿 des paysages. [鈥 Ici ne peuvent se mouvoir que des personnages perp茅tuellement alert茅s. Les h茅ros de Julien Gracq ne montent pas du pav茅. Ce sont des jeunes gens par茅s de toutes les gr芒ces de l'esprit, ang茅liques ou d茅moniaques, mais toujours m茅ditatifs. Ils sont, de surcro卯t, hautement fortun茅s. Une fois pour toutes, la question ne se posera plus de leurs moyens d'existence. Ils ne font pas carri猫re. Dans ces d茅cors purs qu'il a plant茅s, l'auteur exige la pr茅sence d'芒mes 茅galement pures, ouvertes au subtil et d茅li茅es par les sp茅culations les plus agiles. C'est la ran莽on du roman d'analyse qu'il ne puisse rendre compte que d'锚tres complexes et lucides. L'aventure peut arriver 脿 n'importe qui, elle ne s茅lectionne pas ses 茅lus. L'action int茅rieure, au contraire, ne peut se nourrir chez des 锚tres frustes sans courir le risque de s'茅teindre rapidement. Elle doit retrouver un personnel d'茅lite dans les bureaux de recrutement de la tradition classique. C'est 脿 la fois une limitation et une obligation somptueuse. 禄 芦 Avec聽Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq a 茅crit un impr茅cis d'histoire et de g茅ographie 脿 l'usage des civilisations r锚veuses 禄 (1951),听Mes petits papiers. (p. 91)
芦 Cela pos茅, il faut bien reconna卯tre que M. Julien Gracq ne passe pas pour un auteur accommodant. Les beaut茅s fulgurantes de聽Au ch芒teau d'Argol聽茅clatent pr茅cis茅ment dans des t茅n猫bres, dont elles font mieux mesurer l'opacit茅, et il est juste d'avouer qu'Un beau t茅n茅breux聽m茅rite deux fois son nom. La ligne surr茅aliste 脿 laquelle Julien Gracq s'est attach茅 plonge dans des eaux pleines de p茅rils pour le lecteur. La g茅ographie qu'on lui enseigne a des reflets de gemmes. Elle r茅veille pour lui des mirages polaires. Il se sent nu. Il a oubli茅 ses fables. Il lui reste 脿 se laisser prendre par le miracle de certaines rencontres. Elles surgissent au d茅tour d'une phrase, 茅blouissantes et si retentissantes en lui qu'elles ne l'abandonnent qu'avec le sentiment av茅r茅 de laisser glisser un chef-d'oeuvre entre ses doigts. Ces d茅lices sont p茅nibles. Il 茅tait temps que par没t聽Le Rivage des syrtes. Cette fois, la main se referme sur quelque chose.禄 芦 Avec聽Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq a 茅crit un impr茅cis d'histoire et de g茅ographie 脿 l'usage des civilisations r锚veuses 禄 (1951),听Mes petits papiers. (p. 91-92)
芦 L'attente est une donn茅e essentielle dans l'esprit de ces jeunes gens qui n'avaient pas vingt ans en 1940. Sous l'Occupation, dans les divers maquis, dans les groupes de jeunesse, en exil, en prison, ils se sont fait une 芒me 脿 l'usage des temps, une 芒me provisoire. Ceux-l脿 m锚mes qui se sont d茅rob茅s 脿 toute aventure 茅taient des attentistes. Alors ? Alors ils gardent le sentiment que les choses peuvent toujours s'arranger. L'instabilit茅 d'une 茅poque aux fortunes changeantes, si elle multiplie les difficult茅s autour d'eux, les entretient dans la conviction que les jeux ne sont pas faits. Il n'y a qu'une chose qui ne change pas, c'est la femme qu'ils se sont donn茅e. Mais, direz-vous, puisqu'ils attendent si bien, pourquoi n'ont-ils pas attendu pour se marier ? Je ne crois pas que le ph茅nom猫ne du caprice suffise 脿 rendre compte de cette question. La v茅rit茅 est que, pendant les ann茅es fragiles, ces enfants r锚vaient de maturit茅. Ils se promettaient des festins de tous ordres que les temps leur interdisaient. Ils voyaient leur destin se modifier. Seul, parmi les projets qu'ils caressaient, le mariage leur restait ouvert, des mariages comme on en faisait avant-guerre et comme on en fera demain. Ils prirent place. Si leur mariage fut l'affaire d'un instant, jamais ils n'ont song茅 que cet instant-l脿 茅tait d茅pourvu d'importance. Loin de l脿. On peut leur reprocher, sans doute, de n'avoir pas suffisamment pens茅 脿 l'avenir. Mais ils avaient bien assez 脿 faire 脿 ch茅rir leur pass茅, 脿 consacrer une liaison, des habitudes. C'est le testament de leur jeunesse qu'ils confiaient aux mains de Mimi, de P茅p茅, de N茅nette, que sais-je ? Et voil脿 que Georges me dit : 鈥淛'ai connu Yvonne au ravitaillement trois semaines avant de passer en Espagne. Je n'avais pas beaucoup de temps. Nous nous sommes mari茅s. Je ne regrette rien. 脟a voulait dire : je t'茅crirai, ma petite Yvonne鈥� ou bien : on se reverra, quand je rentrerai 脿 Paris鈥︹�� 脟a d茅butait exactement comme des serments que l'on se fait en vacances. Et puis, il y a eu un petit malentendu, la rentr茅e des classes, la rentr茅e des prisonniers, la rentr茅e des choses dans l'ordre. Il a fallu r茅viser les identit茅s, d茅masquer des sentiments qui avaient sonn茅 juste dans une p茅riode fausse. On ne pouvait plus tabler sur la fin du monde. En revanche, on devait compter avec la fin du mois. Des charmes se d茅faisaient. 禄 芦 Une dramatique aventure : le mariage 禄 (1953),听Mes petits papiers. (p. 127-130)
脌 propos du sport dans la litt茅rature et des champions de disciplines sportives : 芦 L'existence d'une litt茅rature sportive n'est pas mise en question. On doit 脿 cette denr茅e prolif茅rante, diversement appr茅ci茅e, certains accents sublimes, de nombreux traits pittoresques et quelques aper莽us fort judicieux sur la nature de l'homme. [鈥 Malgr茅 cette situation puissante et color茅e, qui enchante des millions d'individus, on ne saurait affirmer que le sport jouisse de la pl茅nitude de ses droits civiques dans la r茅publique des lettres, et les textes qu'il a su inspirer ne laissent pas de demeurer dans une sorte de ghetto. Quand Balzac publie聽Grandeur et d茅cadence de C茅sar Birroteau, il ne vient 脿 l'id茅e de personne d'avancer qu'il a 茅crit l'茅pop茅e de la parfumerie, pas plus que聽La B锚te humaine聽de Zola se r茅duit 脿 une histoire de m茅caniciens et de locomotives. Mais, consentez 脿 raconter ce qui est arriv茅 dans la vie de Battling-Jo et vous aurez compos茅, que vous le vouliez ou non, avant tout et pour toujours, un ouvrage sur la boxe. Par voie de cons茅quence, on dirait que les 茅crivains marquent de la r茅ticence 脿 capter les sources jaillies du sport et que le champion, 茅l茅ment fabuleux dans le paysage moderne, est un h茅ros qui ne parvient pas 脿 devenir un personnage. L脿 est le probl猫me. [鈥 鈥� Alors, il franchit la ligne d'arriv茅e, et ils eurent beaucoup d'enfants鈥� L'indigence de l'alternative entre la victoire et la d茅faite 鈥� le match nul pouvant 锚tre consid茅r茅 comme l'exp茅rience d'un auteur rus茅, soucieux de m茅nager une suite 脿 son propos 鈥� r茅duit singuli猫rement les issues romanesques offertes par la comp茅tition. Elle peut cr茅er des situations fortes, elle ne d茅bouche jamais que sur des perspectives limit茅es. [鈥 Comment s'int茅resser fonci猫rement 脿 des 锚tres dans cette part d'eux-m锚mes qui s'茅teint vers la trenti猫me ann茅e : ils ont une carri猫re, non une destin茅e. [鈥 La disponibilit茅 dont jouissent les h茅ros de roman traditionnels les rend 脿 des passions essentielles que nous sommes susceptibles de partager. Le champion est un homme accapar茅, qui se d茅finit d'abord par une id茅e fixe. Elle absorbe en lui les donn茅es humaines et les colore 脿 sa fa莽on. Pour l'athl猫te comme pour le po猫te, la vie n'est qu'un second m茅tier. Cette id茅e fixe qui n'est pas celle de tout le monde, il faut en d茅monter le m茅canisme par un document clinique. Une fois admise, elle n'en continue pas moins 脿 faire du champion un 鈥渃as鈥� qui nous demeure ext茅rieur, pour envo没tant qu'il soit. Sans doute, comme son nom l'indique, nous repr茅sente-t-il. Il est une d茅l茅gation de nous-m锚mes, il n'est pas nous. Or, il n'est pas possible, ni souhaitable, qu'on puisse 锚tre le 鈥渟pectateur鈥� ou le t茅moin d'un personnage de roman, sans la sourde ambition d'une identification. 禄 芦 Pour l'athl猫te comme pour le po猫te, la vie n'est qu'un second m茅tier 禄 (1968),听Mes petits papiers. (p. 305-308)
芦 Au fil d'enqu锚tes tr猫s s茅rieuses, on pose traditionnellement aux 茅crivains la question suivante : 鈥淧ourquoi 茅crivez-vous ?鈥� Je la trouve injurieuse : les livres devraient r茅pondre d'eux-m锚mes. Donc, ces 茅crivains, mis au pied du mur et comme pris en faute, tentent de se justifier. Certains avancent qu'ils ne sauraient pas exercer de vrai m茅tier, d'autres qu'ils ont subi la r茅v茅lation et la contagion par l'exemple. [鈥 Pour ma part, je ne me suis jamais cach茅 d'茅crire pour essayer : soit de faire plaisir 脿 des amis, soit de payer une dette priv茅e ou publique. La premi猫re raison m'a valu les sarcasmes de quelques critiques, 脿 qui elle fait la partie belle : Il n'a quand m锚me pas vingt mille amis, qu'il se contente de tirer 脿 cinquante exemplaires et ce sera d茅j脿 bien beau !... Quant 脿 la seconde, elle me conduira vraisemblablement 脿 formuler, un jour, des d茅dicaces de ce genre : 脌 l'homme 脿 qui je dois tout, 脿 mon percepteur鈥� La v茅rit茅 est que mon 鈥渙euvre鈥� ne r茅pond pas 脿 une n茅cessit茅 ni 脿 une vocation tr猫s profonde, non plus qu'au souci d'assurer les 茅tapes d'une carri猫re qui va son minuscule bonhomme de chemin. 禄 芦 La vie entre les lignes 禄 (1973),听Mes petits papiers.听(p. 334)
芦 L'ivresse burlesque, sensuelle, communicative, des 茅poques l茅gendaires et d茅brid茅es marquait mon premier roman,听L'Europe buissonni猫re. Le d茅sarroi nostalgique devant l'ordre r茅tabli de la vie quotidienne, que les improvisations de la fantaisie n'arrivent pas 脿 conjurer, impr茅gnait le second,听Les Enfants du bon Dieu. La solitude et le d茅senchantement auxquels aboutit une tentative d'茅vasion hors du destin trac茅 sanctionnent le troisi猫me,听L'Humeur vagabonde.听Un singe en hiver,聽qui est mon quatri猫me livre, me semble rendre, cette fois, un son totalement d茅sesp茅r茅. Et, en premier lieu, parce que j'avais termin茅 le pr茅c茅dent sur cette proph茅tie pleine de r茅solution, qui se voulait contenir des promesses d'aurore : 鈥淯n jour, nous prendrons des trains qui partent.鈥� Or, depuis belle lurette, les trains ne partaient pas ou ils partaient sans moi. Ou bien, j'avais perdu le chemin de la gare. Ou bien, je n'avais pas les moyens d'acquitter mon billet. Que sais-je ?... Voil脿 des ann茅es que nos amis Roger Nimier et Andr茅 Fraigneau semblaient avoir renonc茅 脿 茅crire ; Michel D茅on s'appr锚tait 脿 茅lire ses exils ; le v茅ritable apr猫s-guerre nous attendait 脿 un tournant que nous 茅tions mal pr茅par茅s 脿 n茅gocier. Bref, le climat qui avait pr茅c茅d茅 le sauve-qui-peut de聽L'Humeur vagabonde聽recommen莽ait 脿 s'instaurer ; il allait falloir 脿 nouveau se jeter 脿 l'eau. 禄 芦 La vie entre les lignes 禄 (1973),听Mes petits papiers, (p. 336-337)
芦 Car, 脿 la r茅flexion, je ne suis pas comme ces peintres ou m锚me ces 茅crivains qui travaillent sur le motif. J'ai besoin de recul. Si je devais raconter une histoire qui se passe 脿 Naples, j'irais de pr茅f茅rence me r茅fugier 脿 Stockholm (ou vice versa) pour ne pas 锚tre accabl茅 sous la dict茅e de la r茅alit茅, et que la fantaisie, qui est de toute fa莽on un d茅calage, puisse s'insinuer s没rement, s'instaurer peut-锚tre. Il faut 茅crire dans les marges. C'est la condition d'une transfiguration, qui est valable pour les paysages, les personnages, les situations. 禄 芦 La vie entre les lignes 禄 (1973),听Mes petits papiers. (p. 338)
芦 L'ivresse ? On a pr茅tendu que j'avais voulu en faire l'apologie, 脿 tout le moins le th猫me essentiel de mon livre. Il se trouve qu'Un singe en hiver聽n'est pas un plaidoyer pour la boisson, non plus qu'une tentative de justification. 脌 la rigueur, j'ai peut-锚tre voulu expliquer certains m茅canismes qui am猫nent les gens 脿 boire (je me penchais beaucoup sur la question dans cette p茅riode de ma vie). Il en ressort que mes personnages ne boivent que pour changer les couleurs de l'existence, la rendre plus acceptable, ouvrir sur le trottoir d'en face un couloir somptueux aux solitaires que rien ne retient de l'autre c么t茅 de la rue. Car la boisson est 茅galement un agent de communication entre les 锚tres et stimule des 茅lans fraternels. [鈥 En v茅rit茅, le diapason fondamental d'Un singe en hiver聽est l'amiti茅. 禄 芦 La vie entre les lignes 禄 (1973),听Mes petits papiers. (p. 341)
芦 R茅cemment, sur les ondes de France-Culture, une certaine Juliette Rab ( ?) parlait avec d茅lices de 鈥渓a litt茅rature fonctionnelle鈥�. Je dois avouer qu'elle marquait une forte tendance 脿 en exclure les formes du roman dont les m茅rites ne semblaient pas exc茅der 脿 ses yeux les agr茅ments d'un paquet de cigarettes, 脿 l'exception de quelques ouvrages, sans doute destin茅s 脿 former des bas-bleus 脿 son image, et des livres de Robbe-Grillet, qui ne sont apparemment pas l脿 pour donner du plaisir. (On n'aurait su plus gentiment dire.) Que cette personne se rassure :聽Monsieur Jadis聽n'est pas exactement un roman parce que M. Jadis, c'est moi. Et pas du tout au sens o霉 Flaubert l'entendait quand il disait : 鈥淢adame Bovary, c'est moi鈥�, signifiant par l脿 qu'un cr茅ateur s'abolit et s'exprime 脿 la fois dans chacune de ses cr茅atures. En l'occurrence, il serait plus juste que j'avance tout uniment : 鈥淛e suis Monsieur Jadis.鈥� En m'affublant de ce nom pour d茅vider la chronique d'une certaine tranche de mon existence, j'ai voulu souligner d'une part le recul et le coefficient romanesque que j'introduisais dans ces souvenirs, d'autre part une volont茅 assez forcen茅e de continuer 脿 m'identifier 脿 une image de moi-m锚me produite par des 芒ges d茅sormais r茅volus. De聽L'Europe buissonni猫re听脿听Un singe en hiver, j'avais constat茅 que mes personnages, 脿 mesure qu'ils s'茅loignaient de moi, prenaient de l'茅paisseur, trouvaient une destin茅e autonome 脿 laquelle le lecteur accordait davantage de foi. Pour finir, dans聽Monsieur Jadis, ils sont totalement l脿, puisqu'ils sont nomm茅s, puisque je les montre tels qu'ils 茅taient ou auraient pu 锚tre dans les situations, parfois virtuelles, o霉 je les mets. Cette entreprise m'a boulevers茅. 禄 芦 La vie entre les lignes 禄 (1973),听Mes petits papiers. (p. 342-343)
芦 Dans les livres de mes amis, je me d茅lecte 脿 retrouver l'茅crivain, je ne parviens 脿 d茅couvrir le romancier qu'avec circonspection ; les connaissant, je ne les crois pas, je n'y crois pas. Michel D茅on, dans une langue d'une beaut茅 classique, avec un sens inn茅 de la 鈥渄ict茅e fran莽aise鈥� appliqu茅e 脿 des sentiments tr猫s modernes, a 茅t茅 longtemps consid茅r茅 comme le romancier du bonheur. [鈥聽Un taxi mauve聽nous fait d茅finitivement prendre pied sur une plan猫te romanesque dure et drue, chatoyante et vraie o霉, par paradoxe, c'est en prenant ses distances que le cr茅ateur se r茅v猫le, s'茅panouit, atteint 脿 la fois au d茅doublement et 脿 l'identification. Le charme du conteur tient en ce qu'il se laisse aller, donne l'impression d'improviser. Michel D茅on raconte une histoire admirablement construite sans rien lui faire perdre de sa spontan茅it茅 ni de son pouvoir d'envo没tement. C'est dire que le talent, le ton, le don escamotent le m茅tier. Tout est exprim茅 dans le mouvement. Ses personnages prennent le train du r茅cit en marche, ses paysages sont d茅j脿 des 茅tats d'芒me : on rencontre les premiers, les seconds vous impr猫gnent, pas de descriptions ici, pas d'expositions l脿. Un narrateur suffisamment d茅gag茅 脿 l'endroit de ce qu'il narre pour tant么t se cabrer et tant么t se vouloir une plume apais茅e 鈥� d'o霉 la consistance qu'il prend au fil du propos. 禄 芦 Il est plus d茅licat de ruminer que de relire 禄 (1973),听Mes petits papiers. (p. 345-347)
芦 La Biblioth猫que de la Pl茅iade, cons茅cration supr锚me, vient de publier en un seul volume les romans de C茅line, inspir茅s par ses s茅jours et errances dans l'Allemagne enflamm茅e de 1944 脿 1945. [Il s'agit du triptyque form茅 par聽D'un ch芒teau l'autre,听Nord听别迟听Rigodon.] Ainsi rassembl茅s, ils constituent une trilogie parfaitement coh茅rente o霉 la c茅l猫bre petite musique de ce Wagner du quotidien trouve des accents exalt茅s pour colorer le Cr茅puscule des Hommes. Jusqu'alors c'est le lyrisme de C茅line, r茅aliste et proph茅tique, qui nous livrait l'image d'un monde d茅sint茅gr茅. La temp锚te 茅tait d'abord sous un cr芒ne, dans un regard, vers la fin du conflit mondial, l'apocalypse est 脿 l'ext茅rieur, v茅ritablement ambiante. Comme dit M. Henri Godard, qui a appliqu茅 脿 cet ouvrage un appareil critique, p茅n茅trant et lumineux : 鈥淟'Histoire semble avoir pris d'elle-m锚me l'allure d'un roman c茅linien.鈥� C'est un tissu de situations catastrophiques, parfois burlesques, o霉 l'auteur trouve une mati猫re 脿 la mesure de son g茅nie. [鈥 Au fil de sa parution, cette trilogie marqua pour beaucoup de lecteurs la r茅surrection de C茅line consid茅r茅 comme l'un des plus grands romanciers de ce si猫cle. Dans sa continuit茅 elle nous confirme l'unit茅 d'une oeuvre amorc茅e en fanfare par聽Voyage au bout de la nuit聽dans le bouleversement de 1914 et achev茅e par聽Rigodon聽dans le fracas de 1945. Elle pourrait s'intituler : D'une guerre 脿 l'autre. 禄 芦 C茅line-Paraz-Boudard, trois 茅chos cocasses et tragiques de la mascarade humaine 禄 (1974),听Mes petits papiers. (p. 356-357)
芦 Adios [roman de Kl茅ber Haedens paru en 1974], qu'on peut mettre dans la biblioth猫que entre聽David Copperfield聽别迟听L'脡ducation sentimentale, est non seulement le roman d'une g茅n茅ration, mais un r茅cit suffisamment subtil pour qu'y devienne appr茅ciable le juste poids d'une existence humaine. J茅r么me Dutoit s'y r茅v猫le et s'y pr茅sente sous les traits d'un 锚tre qui a 鈥渓e sens du divertissement鈥�, dans l'acception la plus exquise du terme. 脌 la question pos茅e par Oblonski dans聽Anna Kar茅nine聽: 鈥淣'est-ce pas le but de la civilisation que de tout convertir en jouissance ?鈥�, il a, depuis longtemps, r茅pondu comme il convient. Et je ne serais pas 茅tonn茅 que Kl茅ber Haedens se range 脿 son avis. Dans cette attitude, qu'on jugerait 脿 tort frivole, on peut trouver la vocation des amiti茅s et un fier gage d'ind茅pendance, particuli猫rement de cette ind茅pendance d'esprit dont Kl茅ber Haedens disait qu'elle 鈥渇init par cr茅er ce genre de lien qui existe entre des gens engag茅s du m锚me coeur dans la m锚me f锚te, le lien le plus souple, le plus vivant et, pour finir, le plus s茅rieux鈥�. Entendons qu'il est bien rare, chez Kl茅ber Haedens, que la f锚te ne soit pas d'abord une f锚te de l'esprit. Tous les app茅tits, les faims profondes comme les plus superficielles, nourrissent une exemplaire joie de vivre qui d茅bouche sur une remarquable joie d'茅crire. Son bel entrain s'apparente alors 脿 un 茅tat de gr芒ce parfaitement d茅li茅. Aussi bien offre-t-il un grand r茅confort pour une litt茅rature qui ne rougit pas de se faire faire des enfants par des comit茅s, des partis, des rassemblements, des groupes, des sous-groupes, et qui semble aspirer, dans des camps divers, 脿 une certaine caporalisation. 禄 芦 Kl茅ber Haedens ou la joie de vivre 禄 (1974),听Mes petits papiers. (p. 365-366)
芦 L'humour est un bon moyen pour tenir 脿 distance l'attendrissement et la col猫re qui engendrent parfois la myopie intellectuelle. Pour la col猫re, il n'y a pas beaucoup d'exemples qu'elle n'entra卯ne le m茅pris qui est, lui, une inhibition de l'intelligence. L'茅crivain qui m茅prise ce qu'il pr茅tend d茅crire, expliquer, juger, est la plupart du temps un radoteur insipide et, de toute fa莽on, un 茅crivain diminu茅. Tel n'est pas le cas de Kl茅ber Haedens. Comme il l'茅crivait lui-m锚me de la litt茅rature fran莽aise en g茅n茅ral : 鈥淟e lyrisme et l'ironie p猫sent d'un poids 茅gal dans ses balances.鈥� Le punch, jailli d'une cape romantique, qui frappe le lecteur, marque une phrase dont les enchantements r茅sonnent longuement. Si l'on a envie de clore les yeux, on n'est pas K.-o. pour autant. 禄 芦 Kl茅ber Haedens ou la joie de vivre 禄 (1974),听Mes petits papiers. (p. 366)
脌 propos de聽L'Histoire de la for锚t, roman de Jean Cayrol paru en 1975 : 芦 Il y a quelques ann茅es, dans une 茅tude consacr茅e 脿 Jean Cayrol, M. Robert Kanters remarquait : 鈥淟e clochard, en v茅rit茅, est une des incarnations, une des forces de ce temps.鈥� Et d'invoquer la pr茅sence primordiale de ce type humain dans l'oeuvre d'un C茅line, d'un Beckett, d'un Caldwell ou d'un Steinbeck, voire dans celles de Sartre et de Simone de Beauvoir, o霉 l'on voit appara卯tre une forme de clochard, m茅taphysique cette fois, 脿 tout le moins symbolique d'une vocation de refus et de fuite. Au h茅ros romantique illustr茅 par Hernani lorsqu'il affirme ses app茅tits dans la formule c茅l猫bre : 鈥淛e suis une force qui va鈥�, la civilisation contemporaine, en proie au d茅sarroi mat茅riel et spirituel, a substitu茅 un personnage qui est une force qui s'en va. 禄 芦 Un gar莽on charg茅 de m茅moire et d'imagination 禄 (1975),听Mes petits papiers. (p. 375)
芦听Vaincre 脿 Olympie聽[roman de Maurice Genevoix paru en 1978] est un roman de civilisation o霉 la vie quotidienne des Grecs est trait茅 avec une aisance famili猫re. Maurice Genevoix circule dans la mythologie comme dans son Bestiaire habituel. On 茅voquera la r茅ussite de Marguerite Yourcenar鈥� Mais une sensualit茅 ineffable est l脿. Elle s'茅panouit dans la Gr猫ce des colonnades. Jules Renard disait de Henri Desgrange, ap么tre du sport moderne : 鈥淪a culture est physique.鈥� La profonde c茅l茅bration du corps qui se d茅gage ici r茅duit la port茅e du sarcasme. On peut m锚me consid茅rer qu'elle le convertit en compliment. Et que, pour faire tenir le monde entier dans son esprit, il faut d'abord appr茅cier qu'on est une partie du monde par son corps. 禄 芦 Genevoix 脿 Olympie 禄 (1978),听Mes petits papiers. (p. 404-405)
脌 propos d'Un singe en hiver聽: 芦 [鈥 je me disais qu'脿 travers Quentin, j'allais pouvoir enfin 茅crire un roman qui me f没t ext茅rieur. Mais il a fallu qu'arrive Fouquet, parent des jeunes hommes qui encombrent tous mes livres. Me reportant 脿 l'茅poque o霉 fut 茅crit Un singe en hiver, je ne tombe pas si loin si j'avance que Fouquet, c'茅tait vaguement moi, en un temps o霉 j'avais tendance 脿 aller dans les marges de la vie. Un temps si obs茅dant, sentimentalement et mat茅riellement, qu'il a d茅vor茅 le propos du livre, qu'il l'a d茅tourn茅 de son cours. 脌 l'origine, le personnage pr茅pond茅rant, dans mon esprit, 莽a n'茅tait pas Fouquet, c'茅tait son vieux complice Quentin, l'aubergiste au cr茅puscule repentant de son existence. Le poids de mes propres m茅ditations 茅tait tel que la balance a finalement pench茅 en faveur d'un jeune homme 脿 mon image. Par une p茅rip茅tie singuli猫re, le cin茅ma allait me r茅tablir dans mes intentions. 脌 l'instigation de Michel Audiard, d茅tonateur de l'entreprise, le poids de Jean Gabin et la r茅plique sensible de Jean-Paul Belmondo allaient retrouver le juste 茅quilibre. Si bien qu'脿 la question traditionnelle qu'on pose aux 茅crivains : 鈥淟e cin茅ma vous a-t-il trahi ?鈥�, je suis depuis vingt ans tent茅 de r茅pondre que j'ai eu parfois l'impression que c'est le livre qui a trahi le film tr猫s enrichissant d'Henri Verneuil. 禄 芦 Un verre 脿 l'amiti茅 禄 (1980),听Mes petits papiers. (p. 413-414)
脌 propos de聽Monsieur Jadis ou l'茅cole du soir, dernier roman d'Antoine Blondin, paru en 1970 : 芦 Mon pass茅, je le vis au pr茅sent ; il m'habite au d茅tour de la route, 脿 chaque instant de la dur茅e. On devrait d茅chiffrer en moi le r茅sum茅 des chapitres pr茅c茅dents, Non parce que ma vie constitue un roman mais parce qu'elle sugg猫re un plan fixe. Incarner, en une fois, toute mon aventure, c'est ma fa莽on d'锚tre 茅ternel. Certes, le reflet du passage qui m猫ne de l'aventure 脿 la m茅saventure 茅claire certains de nos jours et prolonge l'exceptionnel dans le quotidien. La tentation de rompre les amarres y chatouille notre 芒me. Mais l'amiti茅, cependant, s'enrichit de r茅p茅titions et de permanences ; elle accepte les habitudes au m锚me titre que les 茅v茅nements partag茅s. Il faut bien reconna卯tre l'apport de la l茅gende dans un sentiment qui exalte 脿 s'enivrer de sa propre substance, 茅largissant le sens du joli mot de 鈥渞etrouvailles鈥�. 禄 芦 Lettre ouverte鈥� par erreur 禄 (1984),听Mes petits papiers. (p. 418)
芦 La blague n'est pas tellement un parti pris, elle est sugg茅r茅e par les situations, m锚me les plus d茅sastreuses, que propose la vie, certaines de ses longueurs d'ondes. Encore faut-il les capter, s'en faire le m茅dium. Peut-锚tre n'est-il pas donn茅 脿 tout le monde d'acc茅der spontan茅ment 脿 cette sorte de refuge, peut-锚tre aussi vous 茅pargne-t-elle des 茅motions d'une qualit茅 plus profonde. Ainsi, partant pour l'Allemagne en 1943 dans un fourgon du Service du travail obligatoire, m'est-il arriv茅 de croiser 脿 la derni猫re station fran莽aise un autre fourgon sur lequel 茅tait inscrite 脿 la craie cette mention : 鈥淣e pas passer 脿 la gravit茅鈥�. Je m'en suis fait une maxime. J'ai appris, par la suite, qu'elle concernait la sustentation dans les wagons de marchandises. Je lui resterai fid猫le pour autant, dans la mesure du possible. Si je peux parfois passer pour dr么le, je n'ai pas le sentiment d'锚tre un auteur gai. Mais j'adopterais de bon gr茅 cette proposition de l'humoriste am茅ricain O'Henry : 鈥淟a fantaisie est encore la seule fa莽on qui nous soit donn茅e de dire la v茅rit茅.鈥� 禄 芦 Lettre ouverte鈥� par erreur 禄 (1984),听Mes petits papiers. (p. 419-420)
|
|
芦 Je n'ai, en effet, jamais cess茅 de consid茅rer comme des examinateurs les gens que leur profession o霉 une minute d'茅garement mettaient dans le cas d'avoir 脿 me lire. 脌 cet 茅gard, 茅diteur, r茅dacteur en chef ou lecteur : c'est tout un ; je leur remets ma copie. Cela ne va pas sans une certaine crispation. Elle ne me facilite pas ce m茅tier d'茅crire qui n'est devenu le mien parce que je ne vois gu猫re, 脿 la r茅flexion, ce que j'aurais pu faire d'autre. [鈥 L'exercice de la litt茅rature conserve donc pour moi les charmes d'une sorte de scolarit茅 attard茅e. J'茅cris comme on fait des devoirs de vacances. 禄 (p. 9-10)
芦 Les romans de Dickens sont des romans de pi茅ton, 茅crits par un homme qui avait pris t么t les mesures de sa ville, d'o霉 leur r茅alisme transfigur茅 qui s'appuie beaucoup moins sur l'observation que sur le souvenir. (脡crivant ses m茅moires, Goethe les intitulait 芦 Po茅sie et R茅alit茅 禄.) Ainsi Londres impr猫gne Dickens, mais celui-ci 茅claire tout autant cette ville 脿 la lumi猫re de ses anciennes exp茅riences. Il 茅mane de ce double courant, surtout pour l'茅tranger, un charme paradoxal qui tient 脿 la fois du d茅paysement et de la proximit茅. On a l'impression de comprendre parfaitement la langue, pour ce qu'elle vient du coeur, mais d'锚tre incapable de la parler. 禄 ( p. 73)
芦听L'Iliade, c'est la conjoncture unique o霉 s'affrontent des h茅ros d'exception. Le mot 鈥渙dyss茅e鈥�, li茅 脿 la notion de voyage, recouvre l'intrusion du fantastique dans le quotidien et qualifie l'茅pop茅e domestique. 禄 (p. 103)
芦 Au moment o霉 commence聽尝'翱诲测蝉蝉茅别, la guerre de Troie est finie depuis dix ans. Tous les vainqueurs, du moins ceux qui ont surv茅cu, sont rentr茅s chez eux depuis longtemps. Seuls manquent 脿 l'appel Ulysse et son arm茅e, dont on ignore tout. On a connu des cas semblables, apr猫s 1918 et 1945, de soldats ou de prisonniers port茅s disparus, alors qu'ils s'attardaient simplement 脿 jouir de l'ultime loisir social consenti par le conflit. Le cas d'Ulysse est un peu particulier en ce qu'il s'est attir茅 la col猫re de Pos茅茂don, dieu de la mer, qui multiplie les obstacles sur sa route et, 脿 cet 茅gard, il se pr茅sente moins comme un homme qui ne veut pas que comme un homme qui ne peut pas rentrer chez lui.听尝'翱诲测蝉蝉茅别聽est en premier lieu le r茅cit d'une navigation contrari茅e. Toutefois du Bellay ne s'y est pas tromp茅, lorsqu'il s'exclamait : 鈥淗eureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage.鈥� Car, bien qu'il c猫de parfois 脿 la nostalgie, notre h茅ros ne r茅pugne pas toujours aux emb没ches o霉 il tombe, et ses 茅tapes les plus notoires portent des noms de jeune fille : Circ茅, Calypso, Nausicaa鈥� [鈥 Certes, l'essentiel de ses aspirations demeure tourn茅 vers son royaume d'Ithaque mais son comportement se rapproche de celui des hommes qui se laissent pi茅ger par des embuscades amicales et s'茅ternisent au caf茅 en protestant mollement qu'ils doivent s'en aller. [鈥 Par l脿聽尝'翱诲测蝉蝉茅别聽exprime les deux aspirations fondamentales de l'homme 脿 l'aventure et au retour. En quelque fa莽on,听尝'翱诲测蝉蝉茅别聽pourrait s'intituler : 鈥淢a femme m'attend.鈥� 禄 (p. 104-105)
芦 La mer [dans聽尝'翱诲测蝉蝉茅别聽d'Hom猫re] personnifie ce qui apporte et ce qui remporte, ce qui s茅pare aussi. Elle permet 脿 ces peuplades 卯liennes de communiquer, mais peut 茅galement les emp锚cher de se rejoindre. [鈥 (Idem, p. 109) Jacques Perret, s'il appartient 脿 la grande race des 茅crivains migrateurs, aurait plut么t tendance a consid茅rer la mer comme l'un des 茅l茅ments conducteurs les plus propices 脿 la circulation d'une camaraderie chaleureuse entre les hommes et, pour le reste, 脿 s'en remettre aux fortunes d'un beau hasard orient茅 par la gr芒ce de Dieu. [鈥 禄 (p. 115)
芦 Entendons bien que ce ne sont pas les souffrances sentimentales qui engendrent en [le jeune Werther] le cancer rayonnant du d茅sint茅ressement, ce sont ses revenus qui lui permettent de souffrir. Pour la premi猫re fois appara卯t un personnage en disponibilit茅 totale 脿 l'endroit d'une charge, d'un titre ou d'une fonction, qui met fin 脿 une litt茅rature chevaleresque o霉 l'agitation se convertissait spontan茅ment en action. 禄 (p. 147)
芦 Marcel Proust, C茅line, et m锚me Jean-Paul Sartre, donnent une id茅e assez juste de notre climat. Mais La Fontaine est aussi d'un bon secours. Un pays se d茅finira volontiers par une fa莽on d'accommoder la morale universelle, dont ses fabulistes d茅tiennent la recette. O. Henry, c'est La Fontaine 茅gar茅 dans un western ou chatouillant du pied la fourmili猫re new-yorkaise. Ses contes sont des fables. [鈥 Il est difficile de parler de l'Am茅rique sans 茅voquer la civilisation, soit qu'elle en manque, soit qu'elle en ait 脿 revendre. C'est 脿 ce carrefour qu'il faut situer le recueil qui r茅unit聽Les Contes du Far-West聽别迟听New York Tic-Tac. Soutenue par la bouffonnerie de l'inspiration, masqu茅e sous une fantaisie pudique, une moralit茅 commune s'en d茅gage, o霉 il appara卯t que O. Henry aura pass茅 le meilleur de sa vie 脿 illustrer聽Le Rat des villes et le Rat des champs. [鈥 Il faut lire les auteurs au pr茅sent. Le monde de O. Henry n'est pas celui des boulevards toujours recommenc茅s. C'est un bloc o霉 les institutions, les rites, l'emportent sur les individus. On peut l'observer, l'茅prouver. La fantaisie de O. Henry ne laisse jamais d'锚tre r茅aliste. Elle est exemplaire en ce qu'elle ne transforme que ce qu'elle conna卯t. 禄 (p. 188-189)
芦听New York Tic-Tac聽[recueil de nouvelles de l'茅crivain am茅ricain O. Henry, de son vrai nom William Sydney Porter] n'est pas pr茅cis茅ment l'oeuvre d'un auteur optimiste. Avant 1914, ceux que Paul Morand a appel茅s les 鈥淐hampions du monde鈥� sont encore sur la ligne de d茅part, s'interrogeant sur la trajectoire qu'ils vont donner 脿 leur course. Un peuple se sent sur la sellette : il n'est pas encore d茅finitivement qualifi茅 au regard de l'Histoire. Les certitudes imp茅riales, qui sont devenues les siennes, sont 脿 l'茅tat d'茅bauches anxieuses. [鈥 New York ne se dresse pas comme un coffre-fort triomphant, c'est un labyrinthe de briques rouges, c'est-脿-dire noires. Les aventures y cherchent un d茅nouement qui aurait les couleurs d'un No毛l propos茅 par Dickens. Mais la douceur n'est que dans le regard du narrateur. Nous sommes loin de la Prairie, de son bonheur bourru. Les puissantes h茅riti猫res aux silhouettes d'amazones sont r茅duites aux dimensions des demoiselles de magasins ; les sh茅riffs d茅bonnaires se sont transform茅s en policemen abrupts ; les trimardeurs joyeux et bronz茅s sont devenus des clochards h芒ves et d茅penaill茅s sur les bancs de parcs. D'une race d'茅leveurs, le 鈥渂acille de la soci茅t茅鈥� a fait une race de b茅tail. La solitude peupl茅e est le mal paradoxal dont souffre ce troupeau. C'est un premier malentendu car ces individus, qui se croient perdus et s'abandonnent 脿 la m茅lancolie des sympathies interrompues, se fr么lent sans se voir. Le second tient dans la com茅die que se jouent les personnages. Le 鈥渢h茅芒tre鈥� o霉 se meut l'oeuvre de O. Henry est plein de calicots qui se font passer pour des princes, d'infantes qui se travestissent en trottins. Le marivaudage peut s'av茅rer cruel, il entretient l'illusionnisme dans un univers o霉 les pistes sont d茅sormais brouill茅es. 禄 (p. 193-195)
脌 propos du聽Cousin Pons聽de Balzac : 芦 Au d茅part de cette course au tr茅sor qui ressemble 脿 une chasse 脿 courre, dont elle rev锚t la cruaut茅, nous retrouvons les noires humeurs qui circulent dans La Com茅die humaine et la plupart des visages hallucinants que Balzac a tir茅 de son observation presque d茅lirante de la soci茅t茅. Mais une musique s'est fait entendre, qui survit 脿 l'hallali, proclamant l'茅chec de la solitude. Balzac, cet homme qui poss茅da des maisons, des ma卯tresses, mais dont on ne saurait citer aucun v茅ritable ami, a murmur茅 l'amiti茅 d'une fa莽on d茅chirante. Apr猫s quatre-vingts romans de conqu锚te, mettant en jeu la possession du monde, il a 茅crit un dernier roman de d茅fense et pr茅conis茅 la n茅cessit茅 de s'aimer. [鈥 Alain remarquait que les personnages de Balzac vont par s茅ries : Marsay, Rastignac, Rubempr茅, d'Arthez ; ou bien : Vandenesse, Malin, Massol ; ou encore : Maufrigneuse, d'Espard, Rochefide鈥� Pons et Schmucke sont uniques. 禄 (p. 207-208)
|
|
芦 Ceux-l脿 me souhaiteront un ironique 鈥渂onne chance鈥� qui pr茅tendent ne rien esp茅rer de la litt茅rature, et d'aucuns parmi les gens de lettres s'associeront 脿 eux, mais pour d'autres raisons : l'esprit ne s'affirme que par lui-m锚me, disent-ils ; les soci茅t茅s o霉 un hasard le voit na卯tre ne font rien pour le d茅velopper. Il en choque le conformisme 茅rig茅 en loi et sa gloire est pr茅cis茅ment de ne se reconna卯tre en aucune d'entre elles et de ne leur rien devoir. Ainsi parlait Julien Benda. Il existe pourtant une th猫se, affirmant que l'esprit ne travaille pas en haute solitude et dans l'茅ternit茅 de ses m茅ditations, dont les protagonistes peuvent se r茅clamer du r茅quisitoire de Renan contre la 鈥減anb茅otie鈥� d茅mocratique. Il s'y d茅veloppe cette id茅e essentielle que l'oeuvre de lettres est une chose vivante qui trouve son milieu dans le r猫gne politique et en accuse les d茅faillances. Il ne s'agit pas ici de mat茅rialisme historique, pas plus que Julien Benda n'est le champion d'un spiritualisme litt茅raire. Il faut simplement reconna卯tre au spirituel les profondes racines qu'il plonge dans le temporel et, en retour, le devoir qui lui incombe de revenir s'y ins茅rer. La litt茅rature exprime un moment de l'intelligence d'une nation et sa chanson de geste. Elle est une plan猫te o霉 les individus viennent qu茅rir le compl茅ment de leurs occupations. L'homme d'action y trouve les r茅flexions qu'il n'a pas le temps de faire ; le contemplatif, l'aventure qu'il n'a pas l'audace d'entreprendre. Ici ou l脿 l'茅crivain poss猫de un message qui fait de lui un fonctionnaire dans la cit茅. Peut-on faire appel 脿 lui dans les circonstances graves ? [鈥 Bien que j'eusse parfois aim茅 la po茅sie selon un certain Robert Ganzo, je trouve d'un grotesque tragique de lire, impun茅ment publi茅e dans un journal d茅cent, la d茅finition qu'il en accordait r茅cemment. Non ! La po茅sie ce n'est pas 鈥淟a dame de 鈥砽'Ange bleu鈥� 脿 qui l'on fait cocorico鈥�. Quels Am茅ricains s'agit-il d'茅pater ? La r茅volution nationale a besoin de po猫tes comme elle a besoin de techniciens. Il lui faut des mythes g茅n茅reux autant que des machines robustes. Elle est aussi bien, et plus encore, une 茅pop茅e qu'une entreprise. Comme les s茅ismes r茅v猫lent aux g茅ologues les assises fondamentales des terrains, le tremblement de France doit mettre 脿 nu nos aspirations essentielles. Il appartient civiquement 脿 la po茅sie d'en refl茅ter la secr猫te puret茅 et d'en exalter le caract猫re originel par un appel aux traditions les plus profondes. Ce n'est pas l脿 faillir 脿 son message d'intimit茅 que de participer 脿 ce grand moment d'impudeur qu'est la r茅volution. L'Art ni l'artiste ne gagnent 脿 se pr茅senter, l'un comme un produit de contrebande, l'autre comme un hors-la-loi. J'imagine assez que, sur un navire en perdition, se d茅nouent, les premi猫res, les choses les plus l茅g猫res, les duvets. Dans un pays qui cependant poss猫de la po茅sie chevill茅e au sol, il n'y a d茅j脿 plus qu'un moyen pour le po猫te de demeurer dans la cit茅 : c'est d'锚tre le classique de la r茅volution. [鈥 Les visions de pourpre et d'or de l'orientalisme romantique ont fait place aujourd'hui chez beaucoup chez beaucoup de jeunes esprits au seul mirage rouge. Trop superficielles, la plupart du temps, pour s'appuyer sur les doctrines 茅conomiques, leurs convictions, par-del脿 le fatras de leurs lectures, se bercent de l'h茅ro茂sme publicitaire de la jeune femme en blouson de cuir et de ses compagnons barbus. Ils s'affilient myst茅rieusement 脿 une 鈥淚ntelligenzia鈥� imaginaire et chaque nuit, succombent en r锚ve pour la cause du prol茅tariat sous les yeux de quelque 鈥渃avali猫re Elsa鈥濃�� Au demeurant ils se portent bien, suivent des cours dans les facult茅s et font de la musique le dimanche. [鈥 Cela n'est pas du communisme, c'est de l'exotisme. [鈥 脌 ces jeunes gens dont les temp茅raments eussent sans doute accueilli l'action r茅volutionnaire comme une discipline hygi茅nique, il e没t fallu donner une saine mystique. Pourquoi ne peuvent-ils pas comprendre que la r茅volution se fait d茅sormais en sens inverse, qu'elle ne s'assouvit plus dans l'inanit茅 des 鈥渓脿-bas鈥� et des 鈥減lus tard鈥� mais qu'elle s'accomplit ici et maintenant ; qu'elle n'est plus solitude, exil ou anarchie mais chaude communion et bonne m茅nag猫re ; pourquoi ne peuvent-ils pas comprendre que le r茅volutionnaire rentre dans la cit茅, sinon parce que la litt茅rature elle-m锚me en a d茅sert茅 les portiques ? [鈥 C'est que pr茅cis茅ment la litt茅rature a pour elle de forcer notre intimit茅. Nous n'adh茅rons 脿 nos lectures que pour autant qu'elles suscitent en nous ce petit choc 脿 quoi l'on reconna卯t une grande v茅rit茅 humaine. Mais ce choc n'emprunte rien 脿 l'ext茅rieur, le crit猫re de notre assentiment est un 茅cho. Dans le dialogue o霉 elle nous entra卯ne avec l'茅crivain, l'oeuvre de l'esprit ne nous r茅v猫le rien que nous ne poss茅dions d茅j脿. Elle agit 脿 la mani猫re d'un sourcier qui d茅couvre et ne cr茅e pas. Et, pour peu qu'elle le prenne pour objet, voil脿 qu'elle peut exalter le monde myst茅rieux que nous portons en nous, le monde secret de nos faiblesses. Voil脿 qu'elle peut, par la sympathie de son langage, en faire un 锚tre de nature et le fortifier d'autant plus que nous nous 茅merveillons de sentir notre propre angoisse 脿 la fois na卯tre et s'all茅ger de toute la douceur du partage. D猫s lors nous attendons de la litt茅rature qu'elle vienne provoquer en nous les confidences inavouables, nous range dans une cat茅gorie de ses malades et nous en assigne la destin茅e. Ainsi, dans le r茅seau silencieux des mots 茅crits se tisse une sombre complicit茅. J'admets, puisque c'est nous, la foule, qui nourrissons les livres, qu'en leur miroir nous retrouvions la multitude de nos aspects et la totalit茅 de nos exp茅riences quelles qu'elles soient. Mais le drame est que nous vivons selon un type litt茅raire, selon une perspective de nous-m锚mes 脿 nous-m锚mes r茅v茅l茅e. Et c'est de cette double relation entre l'茅crivain et le public, entre celui-ci qui repr茅sente l'茅ternel humain et celui-l脿 qui en isole un des aspects, que na卯t le 鈥減ersonnage r茅gnant鈥�, c'est-脿-dire, avec Taine, 鈥渓e mod猫le que les contemporains entourent de leur admiration et de leur sympathie : en Gr猫ce, le jeune homme nu et de belle race, accompli dans tous les exercices du corps ; au Moyen 脗ge, le moine extatique et le chevalier amoureux ; au XVIIe si猫cle, le parfait homme de cour et, de nos jours, le Faust ou le Werther insatiable et triste 鈥�. J'ose 脿 peine demander quel est maintenant le personnage r茅gnant. Cela poss猫de, en fait, assez peu d'importance lorsqu'il s'agit, au contraire, de faire r茅gner le nouveau personnage que la litt茅rature doit nous aider 脿 susciter, en le repr茅sentant et en s'adressant 脿 lui. Celui-ci n'ira pas chercher dans le commerce des lectures d'inqui茅tants t锚te-脿-t锚te avec l'auteur, mais il en exigera une mystique pour son groupe, une maxime valable pour ses amis, ses camarades. Aux livres il ne demandera pas qu'ils lui imposent une destin茅e mais qu'ils 茅veillent en lui des vocations鈥� J'appelle militants ceux dont les livres nous sont des br茅viaires pour l'actuel. Tels sont Montherlant, le tor茅ador ; Malraux, le conqu茅rant ; Bernanos, l'ap么tre de choc et d'autres鈥� mais si peu que, par une p茅rip茅tie singuli猫re, c'est 脿 tr猫s peu pr猫s aux m锚mes 茅crivains que nous allons, avec les communistes, demander une 茅thique nouvelle. Faut-il voir ici, par-del脿 les divergences de doctrines qui nous dresseront les uns contre les autres, l'annonce de la commune philosophie du monde qu'elles pourraient engendrer ? La responsabilit茅 de l'homme de lettres s'est trop compromise depuis un si猫cle pour qu'il puisse se dispenser maintenant de participer 脿 l'ordre nouveau. Il arrive que les intellectuels soient des gens intelligents. Cela n'est pas une loi, mais ce peut-锚tre une co茂ncidence. Il arrive aussi qu'ils r茅alisent le paradoxe d'une intelligence loin de la vie, qu'en souvenance du slogan de l'aristocratie qui exigeait que l'on ne se piqu芒t de rien, ils continuent de cultiver une indiff茅rence esth茅tique par o霉 ils refusent de s'engager dans l'茅v茅nement et de participer aux services du monde, sinon avec d茅tachement. [鈥 Sans doute trouveront-ils un jour le moyen de protester, au nom de l'茅lite qu'ils repr茅sentent, contre la mont茅e au pouvoir d'un autodidacte. Ils viendront go没ter 脿 la r茅volution. Nous n'avons que faire de ces d茅gustateurs ; la fonction des 茅lites n'est pas de juger la Cit茅 mais de la construire. Si une nouvelle culture ne se commande pas par un d茅cret, elle peut cependant surgir spontan茅ment d'initiatives collectives. Puisqu'ils entrent dans la ville par le tambour des 鈥淒eux-Magots鈥� ou la porte du 鈥淐af茅 de Flore鈥� et s'y groupent autour des gu茅ridons, que les litt茅rateurs fassent un pas de plus et p茅n猫trent dans la Cit茅. Ces caf茅s seront leurs casernes. Ils sont mobilis茅s. 禄 芦 Des caf茅s litt茅raires 脿 la r茅volution 禄 (1943), Ma vie entre des lignes, (p. 14-19)
芦 Il [Paul Morand] nous avait appris 脿 vivre, par l'exemple d'abord et par l'exercice d'une tutelle affectueuse. Il nous avait appris 脿 茅crire, en introduisant le premier, le punch d'une phrase rapide et muscl茅e dans la litt茅rature. 禄 芦 Les anneaux d'茅rable 禄 (1976), (p. 439)
|
Antoine Blondin