Antoine Volodine
(1949-...)
Dossier
Le roman selon Antoine Volodine
| Le roman selon Antoine Volodine, par Mathieu B茅lisle, 1 d茅cembre 2006 |
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Parce qu'il revendique sa radicale 茅tranget茅, l'art du roman d'Antoine Volodine para卯t pour les uns obscur et 茅nigmatique, pour les autres abscons voire fumiste. En inscrivant son oeuvre romanesque 脿 l'int茅rieur d'un mouvement litt茅raire fictif, le post-exotisme, compos茅 d'茅crivains et d'oeuvres imaginaires, cet auteur contemporain 茅chappe au jeu des filiations. Tous les auteurs qui participent de ce mouvement 鈥� qu'il s'agisse de Maria Clementi, Ellen Dawkes ou Yasar Tarchalski 鈥� sont les figures (ou les incarnations) d'un narcissisme sublim茅. M锚me les formes du roman rel猫vent de sous-genres fictifs (le 芦 rom氓nce 禄, le 芦 shagga 禄, les 芦 narrats 禄, l' 芦 entrevo没te 禄, etc.) auxquels elles empruntent leurs principes de composition tels que d茅finis dans听Le Post-exotisme en dix le莽ons, le莽on onze听(1999). La r茅f茅rence explicite au mouvement surr茅aliste marque son d茅go没t pour le 芦 plat r茅alisme 禄 du XIXe si猫cle et elle permet de situer son oeuvre quelque part entre le r茅alisme magique et le roman onirique. Ironiquement, l'茅vacuation presque compl猫te de l'histoire litt茅raire des propos de Volodine se trouve compens茅e par l'omnipr茅sence de l'histoire politique du XXe si猫cle. Les catastrophes, les horreurs et les r茅volutions rat茅es, bref la d茅vastation, constituent le fonds m茅moriel du roman volodinien, dont la parole et les r茅cits s'inscrivent dans un temps de l'apr猫s : apr猫s l'histoire, apr猫s les grandes esp茅rances. 脌 l'origine de tout roman et de tout personnage appara卯t la 芦 blessure 禄 jamais gu茅rie de l'utopie irr茅alisable. Par le recours 脿 des formes th茅芒trales (pensons 脿 l'interrogatoire et au spectacle burlesque), 脿 des proc茅d茅s de la po茅sie lyrique et m锚me 脿 certains th猫mes de la trag茅die classique (la toute-puissance du fatum), le roman sert 脿 repr茅senter la d茅faite humaine en m锚me temps que le fantasme d'une 茅chapp茅e vers un ailleurs o霉 les 锚tres 鈥� auteur, personnages de narrateur et lecteur confondus 鈥� pourraient trouver refuge. Volodine ne parle pas simplement de la d茅faite politique, mais, plus g茅n茅ralement, de la d茅faite de toute action et de la raison. Cons茅quemment, son art cherche 脿 repr茅senter l'affaissement de la dialectique o霉 les contraires se confondent et s'annulent, o霉 r锚ve et r茅alit茅 s'entrem锚lent, o霉 l'art de persuader devient art de se d茅rober, o霉 la v茅rit茅 devient mensonge, et vice-versa. Souvent, il ne subsiste plus qu'un seul des p么les de l'opposition : la marge sans le centre, la litt茅rature de r茅sistance sans la litt茅rature officielle, la parole sans la r茅ponse, le combattant sans l'ennemi. Il en r茅sulte une absence de perspective et d'espoir : nous nous trouvons bien loin du firmament tolsto茂en. Ne reste que la parole qui n'apporte d'autre r茅demption que celle de la survie pr茅caire de l'existence individuelle. Dans cet art romanesque, on constate la dislocation des ph茅nom猫nes religieux et politique. Pour Volodine, le discours politique para卯t coup茅 de sa concr茅tisation, de son accomplissement dans l'action ; de m锚me, les formes du religieux semblent coup茅es de toute transcendance. Cela permet au romancier de d茅localiser ces ph茅nom猫nes et de les r茅investir dans la d茅finition de son esth茅tique romanesque. Le roman devient un art de combat (contre le monde, contre la mort, contre le r茅el), l'茅criture une 芦 posture militante 禄 ; le personnage devient chamane ou d茅miurge (sans autre pouvoir que son imagination), la parole une incantation ou une 芦 rumination 禄 m茅ditative. Dans ces conditions, l'imaginaire romanesque se d茅ploie sous la forme d'un univers concentrationnaire soumis 脿 des forces obscures dont on ne sait trop si elles rel猫vent du monde des vivants ou du s茅jour des morts. La peinture de la d茅vastation n'emp锚che pas les romans d'锚tre rigoureusement construits d'apr猫s des principes math茅matiques (la r茅currence de certains nombres symboliques, religieux) ou architecturaux (sym茅trie des sous parties, formes romanesques empruntant 脿 diverses constructions comme la vo没te ou le pont). La musique joue 茅galement un r么le dans le lyrisme de la phrase volodinienne ainsi que dans la r茅partition des chapitres, suivant le syst猫me contrapuntique par exemple. La rigueur de la composition romanesque est parfois pouss茅e 脿 un tel degr茅 de raffinement qu'elle en devient comique : la surench猫re de nombres 芦 significatifs 禄 (comme le 7, le 49 (7X7) ou le 666) et la sym茅trie dans le nombre de mots des sous parties (1111 ou 333, par exemple) rappellent certaines contraintes arbitraires propres aux jeux oulipiens. |
Bibliographie
| Ouvrages cit茅s |
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芦 Entretien avec Jean-Christophe Millois 禄,听笔谤茅迟别虫迟别, no 21-22, Pr茅texte 茅diteur, printemps 1998. 芦 Entretien avec Sylvain Nicolino, Laurent Roux et S茅bastien Omont 禄,听La Femelle du requin, no 19, 27 ao没t 2002. 芦 L'茅criture, une posture militante. Entretien avec Philippe Savary 禄,听Le Matricule des Anges, num茅ro 20, juillet-ao没t 1997. Le Post-exotisme en dix le莽ons, le莽on onze, Paris, Gallimard, 1998. ,听尝'贬耻尘补苍颈迟茅, 9 septembre 2004. 听尝'贬耻尘补苍颈迟茅, 7 octobre 1999. |
Citations
| 芦 Entretien avec Jean-Christophe Millois 禄,听笔谤茅迟别虫迟别, no 21-22, Pr茅texte 茅diteur, printemps 1998. |
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| 芦 J'affirme mon droit 脿 la diff茅rence, le droit d'explorer comme je l'entends un petit territoire d'exil, loin des 茅coles, loin des acad茅mismes marchands, loin de tout. Baptisons post-exotique la production litt茅raire issue de ce territoire des bas-c么t茅s. Par d茅rision et d茅sespoir, dans听Lisbonne, derni猫re marge, certains 茅crivains clandestins que je mettais en sc猫ne se r茅clamaient de la 芦 litt茅rature des poubelles 禄. Le vocable 芦 post-exotique 禄 a l'avantage de pouvoir 锚tre mani茅 avec moins de pr茅cautions, on le choisira donc une fois pour toutes. Voil脿 o霉 se situent mes ouvrages : tant么t dans le fantastique post-exotique, tant么t dans le post-exotisme ordinaire. 禄 (p. 48) 芦 L'interrogatoire est en soi une formidable m茅thode pour exposer une mati猫re litt茅raire. C'est le point d'aboutissement d'une action, d'une enqu锚te, d'une traque, d'un destin, et c'est le moment o霉 deux genres 鈥� th茅芒tre et roman 鈥� se confondent d'une mani猫re extr锚mement plaisante. C'est aussi un moment o霉 l'activit茅 du lecteur augmente, car celui-ci, quand devant lui on malm猫ne 脿 la fois un corps et ce qu'il estime 锚tre la v茅rit茅, perd sa neutralit茅 de t茅moin abstrait et r茅agit. D'une certaine mani猫re, il se rapproche du livre, il accompagne sa logique inquisitoriale, lui aussi voudrait faire pr茅ciser au narrateur ce qui est ambigu ou 茅vasif, l'obliger 脿 avouer le sens de ce qui para卯t m茅taphorique ou cod茅. Lui aussi a envie de comprendre au plus vite ce que le h茅ros ou l'h茅ro茂ne (et l'auteur) ont dans le ventre. Mais, revenons 脿 l'interrogatoire en tant que genre, sous-genre ou pseudo-genre. On se trouve dans un pr茅sent r茅duit 脿 une confrontation brutale, c'est un pr茅sent qui ne peut plus d茅boucher sur autre chose que la mort ou la folie. 禄 (p. 48) 芦 Seul le pass茅, seule la m茅moire du pass茅 poss猫dent encore une dynamique, et c'est cela qu'exploite le personnage interrog茅, qui endosse, sous la pression de l'茅chec et de la douleur, le statut de narrateur. Cet homme ou cette femme sans avenir essaient de combattre l'horreur du pr茅sent en inventant un pr茅sent fictif (comme Moldscher dans听Rituel du m茅pris听ou Breughel dans听Le Port int茅rieur), mais, surtout, ils construisent mentalement, et oralement, et th茅芒tralement, un pass茅 modifi茅, un pass茅 d'images et de souvenirs qui devient un ultime refuge. 禄 (p. 49) 芦 Dans le livre alors s'茅panouissent deux familles de mensonges : celle des mensonges 脿 l'inquisiteur, et celle, plus intime, plus onirique, des mensonges qui s'attaquent 脿 la m茅moire individuelle et collective pour la m茅tamorphoser et en faire un lieu d'accueil. L'interrog茅, pour survivre, doit combiner de fa莽on consciente ces deux syst猫mes de d茅formation du monde. Par un ph茅nom猫ne de sympathie et d'implication personnelle dans la fiction, j'accompagne celui qui ment, j'茅pouse au plus pr猫s son mode de pens茅e, je l'aide de toutes mes forces 脿 voyager 脿 rebours de son agonie. J'agis en complice, et comme lui, sans me repentir. 禄 (p. 50) 芦 C'est pourquoi des ambigu茂t茅s pars猫ment mes textes, mutilant en profondeur toute certitude et, quand une pr茅cision doit absolument 锚tre formul茅e, elle 茅merge sous forme volontiers d茅r茅alis茅e et peu cr茅dible. L'ambigu茂t茅, la digression, l'esquive, l'acharnement 脿 parler d'autre chose, l'incertitude, les paradoxes, le renvoi 脿 des 茅nigmes sans solution, l'autod茅rision et l'humour du d茅sastre sont des techniques de combat langagier, les armes du discours de celui qui sait qu'on ne lui donne la parole que pour ensuite l'an茅antir. Plus globalement, si on 茅largit le champ de l'interrogatoire 脿 toute l'activit茅 romanesque (un travail de cr茅ation soumis 脿 la question d'un lecteur-inquisiteur), le discours narratif du post-exotisme 茅vite de r茅pondre 脿 la demande de 芦sens禄 qui conviendrait 脿 une fiction normale et incarc茅rerait le livre dans un camp auquel aucun de ses personnages ne souhaite qu'il appartienne. 禄 (p. 51) 芦 Les narrateurs post-exotiques restent sur leurs gardes, leur discours est filtr茅, censur茅, obscurci par une m茅fiance maniaque et permanente. Il serait erron茅 de voir l脿 des proc茅d茅s d'abstraction, une esth茅tique du dess猫chement du sens. Car il s'agit plut么t d'une tactique d茅fensive, de moyens concrets 脿 quoi on a recours pour fuir ou contrarier la violence qui sera faite au texte, lorsque des inconnus pas forc茅ment bienveillants s'empareront de lui et l'interrogeront. 禄 (p. 54) 芦 Ceci, qui vient d'锚tre expos茅, concerne le discours narratif, et non le syst猫me d'images que le discours v茅hicule. Or, les images sont pour moi primordiales, plus importantes que leur support. En bref, si, par des r茅ticences et de l'esquive, je m'efforce de vaincre l'inquisiteur, c'est bien par des images que je compte 芦 d茅router 禄 le lecteur : guider le lecteur vers un voyage beaucoup plus troublant, plus riche et plus intranquille que ce qu'il avait pr茅vu de faire. 禄 (p. 49) 芦 L'espace-temps est incertain, mais beaucoup plus d茅finissable est la m茅moire dans quoi les narrateurs et les personnages du post-exotisme puisent leur inspiration. C'est, en gros, la collection des innombrables et innommables atrocit茅s qui composent le XX猫 si猫cle et, en contrepoint, la succession des r茅volutions rat茅es, ou vaincues, ou d茅figur茅es, qui auraient d没 茅viter 脿 l'humanit茅 son tr猫s sale destin. 禄 (p. 55) 芦 Une des obsessions narratives de mes personnages consiste 脿 revenir sur les sacrifices inaboutis, et sur l'obsc猫ne catastrophe que repr茅sente l'茅chec du projet r茅volutionnaire au XX猫 si猫cle. Ils racontent cela, les guerres, les souffrances, les exterminations, les totalitarismes, les ratages, depuis un espace-temps o霉 je les mets en sc猫ne, depuis leur prison, depuis leur mort, depuis des mondes imaginaires et parall猫les. Chacun de ces mondes poss猫de sa propre logique (des r猫gles socio-politiques que les h茅ros souvent transgressent, devenant ainsi, dans l'univers imaginaire de r茅f茅rence, des marginaux) ; il poss猫de sa propre histoire (sa propre culture de violence comparable 脿 celle du XX猫 si猫cle) ; il est circulaire (on y revit sans cesse sa mort), carc茅ral (la fiction y est, la plupart du temps, 茅labor茅e entre quatre murs) et, par-dessus tout, litt茅raire : on y existe 脿 travers le texte qui est soit 茅crit, soit dit, soit monologu茅 mentalement. Pardonnez-moi de m'茅tendre si pesamment sur cette d茅finition. Je le fais pour arriver 脿 cette pr茅sence de la litt茅rature, de la po茅sie, qui illumine les personnages du post-exotisme. 禄 (p. 55) 芦 Sous la torture, ou 脿 l'int茅rieur de sa folie, chacun de ces hommes ou de ces femmes conserve sa qualit茅 premi猫re, fondamentale, d'茅crivain-acteur et d'茅crivain-t茅moin du d茅sastre pass茅, pr茅sent et 脿 venir. Pour ces 茅crivains que je mets en sc猫ne, politique et id茅ologie sont au coeur de la gestuelle et de la prise de parole. Ce sont des partisans d'un 茅galitarisme radical, et ce qu'ailleurs on appelle 芦engagement禄 s'applique mal 脿 leur cas, parce qu'il s'agit plus d'engag茅s 茅crivains que l'inverse. On constate, c'est 茅vident, plus d'un d茅phasage entre leur syst猫me de repr茅sentation et celui qui 茅meut la g茅n茅ration litt茅raire contemporaine... Terre d'exil que celle o霉 s'茅labore le post-exostisme... 禄 (p. 55) 芦 Pour mes personnages, parler suscite un 茅v茅nement concret : l'apparition du livre que leurs mots emplissent. S'exprimer vise deux objectifs imm茅diats : d'abord, sauver sa peau (tant que le livre se d茅roule, vie et mort s'茅quivalent litt茅rairement, et donc l'existence perdure) ; ensuite, modifier le r茅el (puisqu'on a 茅chou茅 脿 l'am茅liorer par ses actes). L'enjeu de l'茅criture est ici physique, on est dans le domaine du combat contre l'an茅antissement. Ce qui est 脿 assouvir n'est pas une passion d'artiste, mais l'exigence d'un guerrier tr猫s, tr猫s menac茅. D'o霉 la tension, l'angoisse et, en fin de parcours, quand la fiction tourne au cauchemar, un constat : rien n'aide 脿 vivre : les mots ne sont pas plus efficaces que le silence. 禄 (p. 55) 芦 Il y a tant de magie dans l'acte d'茅crire que je serais vraiment mal inspir茅 d'en occulter le caract猫re purement ludique. Le pessimisme le plus lugubre et le d茅sastre absolu sont une p芒te inerte avec quoi on peut fa莽onner des objets extr锚mement lumineux, en fait, si on s'en donne la peine et le plaisir. 禄 (p. 51) 芦 Un des personnages du post-exostisme que je pr茅f猫re est Lilith, qui prend parole dans听Des enfers fabuleux. Mur茅e au fond d'un gouffre, 脿 moins que ce ne soit dans un four de brique, elle invente des civilisations ext茅rieures, des univers de voyage et de violence, d'intol茅rance, et, dans une lamaserie imaginaire, elle met en sc猫ne un second narrateur tout-puissant. 脌 son tour, celui-ci va d茅crire les m锚mes univers, mais sous l'angle de sa propre m茅ditation d茅miurgique, et, en faisant d'elle un personnage de fiction, il va modifier litt茅rairement son destin. Donner de la consistance 脿 des th茅芒tres baroques, inventer des situations bizarres, extr锚mes, souffler de l'芒me dans des acteurs qui n'ont rien d'ordinaire, fouiller dans leurs r锚ves, accompagner leurs passions et leurs peurs, et, tout en se livrant 脿 ces exercices de sorcellerie, avoir conscience que cela fonctionne, que ces aventures se croisent, que des histoires naissent, qu'on peut jouer avec elles de livre en livre... Fabuleux bonheur!... Et pas seulement pour Lilith !... 禄 (p. 52) 芦 Je suis en train d'茅crire, en collaboration avec Yasar Tarchalski, Ellen Dawkes et d'autres auteurs, un essai qui fera le point sur la question. R茅pondre en deux mots sur le post-exotisme n'est pas facile, parce que les r茅f茅rences consultables, les ouvrages repr茅sentatifs sont d茅j脿 au nombre d'une dizaine, et parce que, en m锚me temps, pour des raisons p茅dagogiques, on doit s'exprimer comme si le projet 茅tait encore purement th茅orique et dans les limbes. Au cours de notre entretien, j'ai donn茅 quelques pistes de r茅flexion, en particulier sur la relation des narrateurs au texte. Mais peut-锚tre vaudrait-il mieux donner ici des indications simples. En d茅pit de sa terminaison en -isme, le post-exotisme ne pr茅tend pas constituer un mouvement litt茅raire ou un style. Acceptons-le plut么t comme un label d'origine. [鈥 Cela me contraint 脿 adopter une d茅marche h茅t茅ronymique non clairement assum茅e, puisque la signature des ouvrages est, pour des raisons pratiques, toujours la m锚me. Dans un contexte 茅ditorial moins frileux, moins crisp茅 sur le graphique des ventes et autres foutaises, et aussi, il faut bien le dire, avec un public plus dynamique, on aurait pu imaginer, d猫s le d茅but, l'effacement de ma signature et son remplacement par des noms d'茅crivains post-exotiques tels que Wernieri, Maria Schrag, Jean Vlassenko, etc. Dans听Vue sur l'ossuaire, qui para卯tra cet hiver chez Gallimard, j'essaie de donner corps 脿 cette id茅e. Tr猫s officiellement, il y a trois auteurs derri猫re ce titre : Maria Samarkande, Jean Vlassenko et moi-m锚me. Voil脿 pour cette br猫ve causerie sur le post-exotisme. 禄 (p. 57) 芦 Si on reprend la notion spatiale que j'utilisais au d茅but de notre conversation, est post-exotique ce qui provient de ce territoire situ茅 芦ailleurs禄, 芦脿 l'茅cart禄. Par d茅finition, la litt茅rature post-exotique est donc une litt茅rature 茅trang猫re, et, comme toute litt茅rature 茅trang猫re traduite, elle offre au lecteur une partie de ce qu'elle est r茅ellement. Une fraction r茅duite, une s茅lection. On admettra pour principe qu'une culture 茅trang猫re, avec ses 茅chos et ses r茅f茅rences, avec toute sa richesse, peut 锚tre d茅couverte, devin茅e, 茅tudi茅e, appr茅ci茅e, 脿 travers la production de romanciers significatifs. Mon projet tient compte de cette curiosit茅 instinctive du lecteur envers l'au-del脿 du livre. Dans le cadre d'une sorte de collection 芦Voix du post-exotisme禄, je pr茅sente au public un certain nombre de romans, ind茅pendants les uns des autres, derri猫re quoi sont sugg茅r茅s l'enti猫ret茅 de la sensibilit茅 post-exotique et, en r茅sum茅, tout un monde. 禄 (p. 56) 芦 Mais, puisque nous en sommes 脿 d茅clamer des professions de foi, je vais citer celle que j'ai inscrite sur la couverture de听Biographie compar茅e de Jorian Murgrave, car c'est sans nuance que j'ai essay茅, jusqu'脿 aujourd'hui, de m'y conformer : 芦souhaite pratiquer la litt茅rature 脿 la mani猫re d'un art martial, en s'engageant compl猫tement dans chaque livre, comme s'il devait 锚tre le dernier avant la mort...禄 (p. 56) |
| 芦 Entretien avec Sylvain Nicolino, Laurent Roux et S茅bastien Omont 禄,听La Femelle du requin, no 19, 27 ao没t 2002. |
| 芦 Tous mes livres sont 茅crits par des 茅crivains, dits et chuchot茅s par des voix qui s'adressent 脿 des complices, 脿 des 茅gaux, et le discours qui est prononc茅 est un discours qui prend en compte la sympathie dont font preuve les auditeurs. Toutefois, ces livres sont aussi offerts 脿 des lecteurs plus 茅loign茅s. Ainsi, "le lecteur de librairie" fait intrusion dans un syst猫me po茅tique fonctionnant en vase clos. Et ce que je mets en place, c'est la possibilit茅, pour le lecteur ext茅rieur, qui n'est pas en prison, qui n'est pas physiquement post-exotique, d'assister 脿 une repr茅sentation, d'茅couter une musique, un dialogue qui peuvent lui plaire, qu'il peut comprendre. 脌 partir du moment o霉 ce lecteur commence 脿 se d茅placer avec plaisir dans cette sph猫re, il devient un lecteur sympathisant. D'o霉 une sorte de cercle large - dont vous faites partie, j'esp猫re, et dont moi aussi, d'une certaine mani猫re, je participe - autour de cette sph猫re d'茅criture, de parole, d'action, d'id茅ologie qu'est la sph猫re post-exotique d茅crite dans听Le post-exotisme en dix le莽ons, le莽on onze.听禄 (p. 61) 芦 Tous les narrateurs post-exotiques prennent la parole dans des conditions de tragique extr锚me, et ils parlent sans public. Aux auditeurs ext茅rieurs de s'emparer de cette parole s'ils le d茅sirent, de la reprendre, de l'aimer, ou d'en tirer des conclusions. Une autre raison d'锚tre 脿 la prise de parole, c'est de cr茅er du plaisir, pas seulement de remuer des id茅es, de faire du bruit. Il s'agit de cr茅er du beau, du roman, quelque chose qui soit aimable, agr茅able, musical. Aux auditeurs ext茅rieurs, donc, de recevoir cette parole comme un objet artistique. 禄 (p. 61) 芦 Reconnaissons, pour commencer, qu'on ne peut 茅viter un discours narcissique, empreint de fatuit茅 et de gravit茅, m锚me derri猫re l'humour 茅ventuel : voil脿 la source du ridicule. Je sais que je n'y 茅chapperai pas ici et 莽a ne me r茅jouit pas. D'autre part, ce qui est publi茅, ce dont le lecteur prend connaissance, est le r茅sultat d'un travail dans lequel chaque mot est pes茅. L'entretien est un type d'exercice tout 脿 fait diff茅rent, qui conviendrait beaucoup plus 脿 des champions de l'oral qu'脿 des 茅crivains鈥� Au cours d'un entretien l'茅crivain est tent茅 de s'茅pancher, ou de dire des choses qu'il n'aurait pas approuv茅es par 茅crit. 脟a donne un autre type de discours qui vient parasiter l'oeuvre, avec un autre style, des concepts qui sont remu茅s de fa莽on diff茅rente, souvent incompl猫te, et sans subtilit茅. L'entretien enl猫ve le non-dit, le silence, qui existe beaucoup dans l'茅crit. Ce bavardage vient se greffer sur le texte alors que celui-ci se suffit 脿 lui-m锚me. Un discours sur le texte est possible s'il est fait par des critiques, des analystes universitaires, des lecteurs, mais l'茅crivain, lui, ferait mieux de se taire. Sa pr茅sence en tant que porte-parole est plut么t 茅trange. D茅plac茅e. 禄听听(p. 66) 芦 J'ai d茅j脿 en effet 茅crit des " Shaggas ", des " romances ". C'est la suite de mon travail qui vise 脿 proposer, 脿 d茅poser dans la litt茅rature, des objets qui montrent que le genre romanesque peut 茅voluer. Dans un de mes pr茅c茅dents livres,听Vue sur l'ossuaire, se trouvaient d茅j脿 des narrats organis茅s en deux ouvres, livres dans le livre, qui se r茅pondaient en miroir.听Des anges mineurs听est compos茅 de quarante-neuf narrats. (p. 67) |
| 芦 L'茅criture, une posture militante. Entretien avec Philippe Savary 禄,听Le Matricule des Anges, num茅ro 20, juillet-ao没t 1997. |
| 芦 Mon id茅e, c'est de donner des livres dont le lecteur de librairie prenne connaissance mais en ayant le sentiment que ce sont des livres qui ne s'adressent pas 脿 lui. Les narrateurs de mes livres s'adressent 脿 des gens qui leur sont proches, qui leur sont 茅gaux, qui partagent avec eux les m锚mes r茅f茅rences, la m锚me culture. Lorsque le lecteur s'introduit dans un de mes textes, il s'introduit dans quelque chose o霉 il est 茅tranger. L'univers que je mets en sc猫ne, c'est une sorte de for锚t vierge qu'on peut lire en laissant beaucoup de choses inexplor茅es. Et j'esp猫re bien guider le lecteur de librairie. Faire fonctionner un livre comme une passerelle de culture 脿 culture, ou de r锚ves 脿 r锚ves, c'est quelque chose de pr茅sent dans mon projet. 禄 (p. 11). 芦 En pla莽ant mes narrateurs et leurs personnages dans des mondes de l'hostilit茅 et de l'extr锚me, j'adopte un point de vue qui permet 脿 l'锚tre de r茅v茅ler pleinement ce qu'il contient : dans le ventre et dans l'芒me. Confront茅s 脿 la violence destructrice du d茅cor, ces hommes et ces femmes s'efforcent de progresser dans la narration avec des techniques mentales qui s'apparentent 脿 des techniques de combat. Ce sont des conditions d'existence litt茅raire o霉 la tricherie moderne, la superficialit茅 des sentiments, des engagements, deviennent impossibles. Cet extr锚me est 脿 la fois celui du climat, de la violence et de la folie. Mais, avant tout, c'est un extr锚me de la voix, une expression qui co茂ncide avec un cri du d茅sespoir. On accompagne la mort qui a eu lieu ou qui va avoir lieu. 禄 (p. 12) 芦 En effet, la distance permet de refabriquer quelque chose d'original avec le r茅el. Mais je ne proc猫de pas 脿 un d茅cryptage, il s'agit plut么t d'une attitude hostile 脿 l'茅gard du r茅el, d'une observation m茅fiante. Les narrateurs m猫nent une sorte de combat obscur contre le r茅el, qui se superpose 脿 l'entreprise romanesque. Il y a une vibration, une tension qui traduisent une urgence agressive dans la prise de parole. L'茅criture, quel que soit le sujet du livre, devient une posture militante, un geste de combat contre le monde ennemi. 禄 (p. 12) 芦 Marginalit茅 et clandestinit茅 sont des donn茅es suppl茅mentaires qui indiquent bien quel est le rapport de mes narrateurs au monde officiel et au r茅el. Tous refusent ce monde ou ont 茅t茅 bless茅s par lui. C'est depuis un au-del脿 du monde que les livres sont dits. Les personnages refl猫tent les obsessions qui habitent le monde int茅rieur des narrateurs : ce sont des r茅volt茅s qui, comme les narrateurs, sont destin茅s 脿 锚tre toujours vaincus, des femmes et des hommes d茅viants, n'ayant pas de statut social, condamn茅s 脿 parler depuis le plus bas de l'茅chelle sociale ou mentale. Bien entendu, je partage avec les sur-narrateurs qui orchestrent cette culture une attirance pour les situations de d茅sastre et d'exclusion. 禄听 (p. 12) 芦 C'est depuis un au-del脿 du monde que les livres sont dits. 禄 (p. 13) 芦 Tous mes romans sont organis茅s selon une logique totalitaire qui est celle de la destruction d茅sastreuse et de la survie en marge. C'est le paysage mental fondamental du post-exotisme. Le d茅cor varie, mais, 脿 l'int茅rieur, on a 莽a, la d茅glingue, la catastrophe, la d茅faite. 禄 (p. 13) 芦 Au d茅part, un terme en "-isme" a 茅t茅 choisi, 脿 peu pr猫s au hasard, pour affirmer que je ne me situais pas dans les cat茅gories litt茅raires o霉 l'on voulait, tant bien que mal, me faire rentrer. D猫s la Biographie compar茅e de Jorian Murgrave, le post-exotisme a exist茅 de fa莽on empirique. Ensuite, ma r茅flexion s'est 茅toff茅e. Disons que sous ma signature, comprise comme celle d'un pr锚te-nom, paraissent les ouvrages de plusieurs 茅crivains anonymes 鈥� les sur-narrateurs 鈥� qui appartiennent 脿 un m锚me mouvement de pens茅e - l'utopie extr茅miste. Ces sur-narrateurs partagent le m锚me destin : la d茅faite physique apr猫s l'action r茅volutionnaire, la d茅faite morale, l'oubli, la mort, l'emprisonnement. 禄 (p. 14) 芦 Ces textes sont 茅crits pour des lecteurs consid茅r茅s comme complices. Ils sont 茅crits ou dits, r茅cit茅s, murmur茅s, depuis un monde clos. Les sur-narrateurs racontent des histoires et, quelque part dans le tissu romanesque, ils font passer quelque chose de leur culture de marge et de r茅volte. En mettant en sc猫ne des personnages, ils exposent leur propre imaginaire et leur m茅moire, et leurs hantises. 禄 (p. 15) 芦 Ne parlons pas de moi. Mes personnages ne consid猫rent pas du tout que les id茅ologies soient perdues. Ils sont mus, ils sont totalement habit茅s par des id茅ologies radicales, extr茅mistes, 茅galitaristes. Ce qui est en face d'eux, ce n'est pas la perte d'une identit茅 r茅volutionnaire; ce 脿 quoi ils sont confront茅s, c'est la disparition des conditions permettant 脿 l'utopie g茅n茅reuse de se concr茅tiser. C'est la d茅figuration du r锚ve g茅n茅reux qui les fait souffrir. 禄 (p. 17) 芦 Oui, je d茅cris l'茅chec. 脡crire ses livres, c'est un rituel de la mise en sc猫ne de la d茅faite, de l'茅crasement. Mes personnages ont la conviction que cette utopie, cette id茅ologie lib茅ratrice, fraternelle, 茅galitariste reste bonne, mais elle a totalement 茅chou茅. Elle n'a abouti qu'au malheur. De toute fa莽on, le monde qui est le monde r茅el, c'est le monde du malheur, avant les tentatives r茅volutionnaires, pendant et apr猫s. L'existence du malheur est une donn茅e du destin humain. 禄 (p. 18) 芦 J'appartiens 脿 une g茅n茅ration en Europe, en France marqu茅e par les 茅chos de la guerre d'Indochine, de Cor茅e, d'Alg茅rie, du Vi锚t-nam. J'appartiens 脿 la g茅n茅ration qui a d茅couvert les abominations de l'Holocauste. Mon regard politique s'est fait en apprenant ce qui avait pr茅c茅d茅, c'est-脿-dire depuis le d茅but du si猫cle, une sorte de convulsions, d'atrocit茅s, de massacres en masse, de boucherie, de famine, de non r茅solution absolue de la plaie qu'a l'humain de s'autod茅truire. Tout cela, je le porte dans ma vision du monde. C'est le monde d'aujourd'hui, absolument pas stabilis茅, avec un 茅l茅ment nouveau qui est l'absence d'espoir. Cette d茅chirure permanente que vit l'humanit茅, c'est quelque chose qui me hante, qui a rapport avec cette volont茅 d'茅crire, de crier, de cr茅er quelque chose qui est le reflet de tout 莽a, un refuge possible, hors de tout 莽a. Mais le refuge est un peu cauchemardesque, c'est le moins qu'on puisse dire. 禄听(p. 19) 芦 Mes personnages sont au-del脿 du pessimisme. C'est la soci茅t茅 qui suscite le pessimisme de la parole. C'est une donn茅e de base. Autre donn茅e de base effrayante : la mort est in茅vitable. Si les gens ne veulent pas entendre 莽a, ils ne sont ni optimistes, ni pessimistes, ils sont manipul茅s. Mes livres servent 脿 d茅manipuler le lecteur, 脿 les mettre en face de ce r茅el laid. C'est s没r que je suis un peu troubl茅 quand je vois que cette vision catastrophique d'un monde cataclysmique paraisse si 茅tonnamment pessimiste, si 茅tonnamment violente. Je suis 茅tonn茅 de voir que tant de voix d'auteurs contemporains fabriquent des fictions qui remuent vraiment tr猫s peu de choses. 禄 (p. 19) 芦 Je parle tr猫s souvent de veulerie, de reniement parce que la voix des sur-narrateurs mise en sc猫ne est une voix troubl茅e par l'entourage culturel qui veut mettre l'art au service de l'enrichissement personnel, plus que de la parole, de l'expression des choses importantes dont l'humanit茅 est porteuse aujourd'hui. Cela dit, je sais tr猫s bien que s'exprimer n'aide pas 脿 vivre, s'exprimer ne construit rien, les mots d茅truisent; mais tout en ayant cette conscience, autant s'exprimer pour d茅crire autre chose qu'avec complaisance 鈥� parce que 莽a pla卯t au public 鈥� l'univers grisailleux que nous vivons aujourd'hui, sans aller plus loin que cette mise en sc猫ne appauvrie et appauvrissante de ce quotidien, ou alors d'un petit pass茅 bien simple. 禄 (p. 19) 芦 C'est la mienne [celle des poubelles]. C'est celle qui est rejet茅e, qui a des difficult茅s 脿 exister, mal reconnue. Si un jour je fais partie de la litt茅rature officielle, je serais tr猫s triste. Je crois parce que j'aurai 茅t茅 l芒che, j'aurai fait une concession au go没t du public, de la critique, du fric ou de la r茅ussite. J'aimerais poser mon 茅difice post-exotique dans le paysage de la litt茅rature officielle, lui assurer l'existence d'objet inamical qui pourrait 锚tre aim茅 par tous. Qui t茅moignerait d'une litt茅rature autre, violente, pleine d'茅motions, en d茅saccord avec le monde tel qu'il est... 禄 (p. 19) 芦 Le salut que choisissent tous mes personnages, c'est d'une part les mots qui d茅truisent, et d'autre part cette plong茅e par les mots dans d'autres univers parall猫les, des univers oniriques habitables. La seule porte de sortie, c'est un refuge provisoire qui est celui de la n茅gation du r茅el dans une construction intellectuelle, consciente ou inconsciente, ou litt茅raire ou id茅ologique. La n茅gation du r茅el est une technique de survie. Dans听Nuit blanche en Balkhyrie, une des techniques de survie, c'est de ne pas respirer. Souvent mes personnages traversent les sc猫nes de violence, d'incendie, de meurtre en apn茅e. C'est une technique de survie absurde. 禄 (p. 19) 芦 L'茅laboration d'un livre se fait en plusieurs phases, en plusieurs ann茅es, sur les ruines de versions successives, qui s'am茅liorent, qui se compl猫tent, qui se contredisent. La toute premi猫re chose qui a exist茅, c'茅tait une suite de douze tableaux, des proses po茅tiques disons, qui d茅crivaient la prise du pouvoir par Kirghyl, l'茅crasement de l'opposition, la violence. Il y avait de la neige, des loups. Cela formait quelque chose que j'avais appel茅听Un Op茅ra balkhyr听et qui aurait pu para卯tre sous forme de nouvelles. J'ai fabriqu茅 autour et avec cela un roman en 1990 qui est rest茅 dans les limbes. Six ans plus tard, je l'ai repris, mais j'avais un autre v茅cu, d'autres livres avaient 茅t茅 publi茅s, faisant exister et sonner les mots de fa莽on diff茅rente, rendaient obsol猫tes certaines sc猫nes, certaines r茅flexions, certaines mani猫res de dire. 禄 (p. 20) |
| Le Post-exotisme en dix le莽ons, le莽on onze, Paris, Gallimard, 1998. |
| 芦 Je dis 芦 je 禄, 芦 je crois 禄 mais on aura compris qu'il s'agit, l脿 aussi, de pure convention. La premi猫re personne du singulier sert 脿 accompagner la voix des autres, elle ne signifie rien de plus. [鈥 Pour un narrateur post-exotique, de toute fa莽on, il n'y a pas l'茅paisseur d'une feuille de papier 脿 cigarette entre la premi猫re personne et les autres, et gu猫re de diff茅rence entre vie et mort. 禄 (p. 19) 芦 Bien entendu, comme dans tout rom氓nce, une dimension formaliste a 茅t茅 ajout茅e 脿 l'intrigue romanesque. Elle passe inaper莽ue 脿 la lecture, mais elle existe. La version finale de ce manuscrit compte exactement 66 666 mots (soixante-six mille six cent soixante-six). 禄 (p. 23) 芦 Une Shagg氓 se d茅compose en deux masses textuelles distinctes : d'une part, une s茅rie de sept s茅quences rigoureusement identiques en longueur et en tonalit茅 ; et, d'autre part, un commentaire, dont le style et les dimensions sont libres. Les s茅quences illustrent une anecdote lyrique qu'on devine extraite d'un univers mythologique complexe, luxuriant, dont on doit soi-m锚me d茅duire et imaginer les 茅l茅ments fondamentaux, car rien n'en est expliqu茅 par ceux ou celles qui ont la parole. Sept facettes d'un m锚me 茅v茅nement sont d茅crites ; l'action ob茅it en m锚me temps 脿 des principes d'incertitude et 脿 une tenace exigence de stagnation narrative, voire de r茅p茅tition. On 茅prouve des doutes sur ce qui se passe, 脿 quoi on assiste plusieurs fois. Une phrase travaill茅e, volontiers pr茅cieuse, un vocabulaire riche, une prose ornementale soutiennent cela. L'effet obtenu a des implications qui vont au-del脿 de l'esth茅tique. Il est en relation avec le statut du lecteur, de l'auditeur. La Shagg氓 semble s'adresser 脿 un lecteur qui est en connivence id茅ologique et culturelle 茅troite avec l'auteur, mais elle sonne devant un public plus vaste, inconnu, parmi lequel se dissimulent des entit茅s inamicales. C'est pourquoi aucun message significatif n'est d茅livr茅. Seule est communiqu茅e la forme que le message aurait pu prendre s'il avait 茅t茅 transmis et crypt茅. La Shagg氓 classique offre au lecteur d茅tenu 鈥� son seul destinataire r茅el 鈥� un temps de complicit茅 inaboutie. Au lecteur occasionnel, elle offre un moment de calme caresse po茅tique. Au lecteur rapace, un espace 茅quivoque o霉 son hostilit茅 se gaspillera. Le commentaire, 脿 l'inverse des sept s茅quences, est un discours qui n'est pas r茅gi par des imp茅ratifs de style. Toutefois, ses ressorts et son orientation montrent qu'il ne rompt pas avec l'esth茅tique de la m茅fiance qui gouverne en profondeur le m茅canisme des s茅quences. On pourrait dire que la substance renvoie 脿 une x茅nophilosophie aussi peu divulgu茅e que la x茅nomythologie dont nous avons parl茅 plus haut. Les paradoxes temporels, la th茅matique de l'illusion et de l'incertitude occupent fr茅quemment le premier plan du commentaire ; il est d'usage, en m锚me temps, de s'interroger sur l'identit茅 du ou des auteurs de la Shagg氓 plut么t que sur celle des personnages qui ont 茅t茅 mis en sc猫ne dans les s茅quences. Des cl茅s sont fournies, qui n'expliquent rien, ou sugg猫rent que des v茅rit茅s existent, essentielles, monstrueusement violent茅es et cach茅es, ailleurs que dans les textes et dans la r茅alit茅 fallacieuse que les textes explorent. Ces suggestions ont toujours un caract猫re filigran茅, con莽u pour toucher l'inconscient de pr茅f茅rence 脿 l'intelligence. 禄 (p. 28-31) 芦 Les auteurs du quartier de haute s茅curit茅, d猫s les ann茅es soixante-dix, ont explor茅 une demi-douzaine de formes nouvelles. D猫s leurs premiers textes. Pourquoi une telle fr茅n茅sie ? [鈥 Avec fr茅n茅sie, ils d茅limitaient les territoires de leur libert茅 int茅rieure, qui se trouvaient correspondre aux territoires de leur propre litt茅rature. Il y avait des sujets qui leur tenaient 脿 coeur, des anecdotes o霉 ils sentaient que leur exil serait plus doux, et, dans le m锚me temps, ils cherchaient 脿 d茅finir des supports litt茅raires qui ne pactiseraient pas avec vous, et qui ne reproduiraient aucune de vos traditions et aucun de vos conformismes ou anti-conformismes officiels. Ils ont invent茅 des formes vides que vous n'aviez jamais eu l'occasion de polluer, et ils les ont remplies avec des visions auxquelles votre sensibilit茅 est 茅trang猫re. Ils ont invent茅 le genre rom氓nce pour ne pas 锚tre m锚l茅s 脿 vous ni 脿 vos tentatives de r茅novation du roman, 脿 toutes les jongleries boutiqui猫res des avant-gardes institutionnelles. C'est une d茅marche d'aversion, vous saisissez ? D'aversion et de malveillance. 禄 (p. 36) 芦 Le rom氓nce appartient 脿 la famille des formes romanesques, et son ambition narrative, sa taille, son style, le rapprochent du roman. Toutefois, il s'en distingue par plusieurs traits qu'on va ici exposer de fa莽on sommaire. [鈥 des liens de sang existent entre tous les ouvrages du genre. 禄 (p. 38) [脌 propos du rom氓nce] 芦 Le narrateur raconte l'histoire et il n'est pas toujours investi d'un r么le th茅芒tral d'impr茅cateur. Cependant, quand son id茅ologie de r茅f茅rence est mentionn茅e, quels que soient les personnages et quels que soient leur conscience politique et leur devenir dans la fiction, cette id茅ologie est celle de l'茅galitarisme criminel, forcen茅, non repenti et vaincu, et elle renvoie, 脿 son tour, 脿 la prison. 禄 (p. 38) [脌 propos du rom氓nce] 芦 Le narrateur est pr茅occup茅 par sa relation avec le mensonge litt茅raire. Il se trouve en conflit avec la narration, d'une part parce que la fiction souvent l'am猫ne 脿 茅pouser 茅troitement un destin tragique, d'autre part parce que l'id茅e m锚me de narration, trop peu efficace pour m茅tamorphoser le r茅el, le r茅pugne. C'est pourquoi, plus s茅duit par le mutisme ou la rumination autiste que par le romanesque, ce narrateur cherche 脿 dispara卯tre. Il se cache, il d茅l猫gue sa fonction et sa voix 脿 des hommes de paille, 脿 des h茅t茅ronymes qu'il va faire exister publiquement 脿 sa place. Un 茅crivain de paille signe les rom氓nces, un narrateur de paille orchestre la fiction et s'y int猫gre. [鈥 La distorsion des voix et la confusion dans le nom v茅ritable des donneurs et des preneurs de parole est ainsi une caract茅ristique du rom氓nce. Derri猫re l'auteur, porte-parole et signataire du livre, et derri猫re la voix du ou des narrateurs mis en sc猫ne dans le livre, il faut replacer un surnarrateur qui s'est volontairement effac茅 et qui, en un processus de camaraderie intime, contraint sa voix et sa pens茅e 脿 reproduire la courbe m茅lodique d'une voix et d'une pens茅e disparues. D'o霉 cette insistance du narrateur 脿 pr茅tendre qu'il est d茅j脿 mort : peut-锚tre manie-t-il l脿 le seul mensonge litt茅raire 脿 quoi il peut se raccrocher sans malaise. 禄 (p. 38-39) [脌 propos du rom氓nce] 芦 La dynamique du rom氓nce s'articule d'une fa莽on qui ne pourrait pas s'inscrire dans un univers romanesque traditionnel, car elle repose enti猫rement sur une conception des contraires o霉 les contraires se confondent. La victime est bourreau, le pass茅 est pr茅sent, l'ach猫vement de l'action est son d茅but, l'immobilit茅 est un mouvement, l'auteur est un personnage, le r锚ve est r茅alit茅, le non-vivant est vivant, le silence est parole, etc. : les antagonismes sont clairement d茅finis, mais 脿 l'int茅rieur d'un syst猫me intellectuel en oscillation ou en boucle, qui modifie la nature des oppositions et, en r茅sum茅, ne leur attribue aucune importance. 禄 (p. 39-40) 芦 En accord avec cette conception de l'茅criture, les auteurs de rom氓nces donneront toujours un caract猫re discret 脿 leurs prouesses formalistes. On peut, malgr茅 tout, en d茅celer ais茅ment quelques-unes.听Nuit blanche en Balkhyrie, d'Aidan Sherrad, comporte quarante-neuf chapitres, nombre magique, nombre tantrique, tr猫s beau, autour duquel se construiront par la suite des dizaines d'ouvrages. Les majuscules par quoi commencent les six cent soixante-six paragraphes de Igor Euwe appelle Igor Euwe, de Jean Vlassenko, fa莽onnent un sous-texte lyrique, formidable et d茅chirant, par lequel s'exprime la compagne tortur茅e du narrateur principal.听Vue sur l'ossuaire, attribu茅 脿 Jean Khorassan, est compos茅 de deux parties rigoureusements sym茅triques, divis茅es en textes qui se r茅pondent et comprennent le m锚me nombre de mots, 1111, 777, 3333鈥μ�L'art du monologue dans les tranch茅es, de Ralf Thiemann, a pour structure trois cent quarante-trois s茅quences d'une page. Trois cent quarante-trois est, rappelons-le, le cube de 7. Etc. 禄 (p. 41-42) 芦 C'est pourquoi le discours litt茅raire du post-exotisme si facilement suit les sinuosit茅s et les ruptures d'un interrogatoire de police. Des pr茅cautions sont prises, en particulier le cryptage des noms et des actions, ainsi qu'une esquive narrative consistant 脿 ne pas raconter ce qu'exigerait la logique fictionnelle, 脿 bavarder d'une fa莽on fallacieuse, 脿 parler beaucoup, uniquement pour gagner du temps, 脿听parler d'autre chose. 禄 (p. 42) 芦 Enfin, le rom氓nce introduit en lui, en tant que composante importante de la fiction, une repr茅sentation de son lecteur. Le v茅ritable lecteur du rom氓nce post-exotique est un des personnages du rom氓nce. Aucun auteur n'oublie que des lecteurs ext茅rieurs au post-exotisme, ext茅rieurs au quartier de haute s茅curit茅, que des sympathisants de toute esp猫ce peuvent s'aventurer dans la sph猫re du post-exotisme. C'est pour eux un voyage p茅rilleux, sans tenue de sauvetage, au milieu de hantises et de hontes qu'aucune de leurs certitudes de d茅part ne les aide 脿 surmonter. On s'arrange pour qu'ils soient accueillis dans l'univers ferm茅 du texte et qu'ils apprennent 脿 le visiter sans s'y perdre. Mais les lecteurs auxquels on s'adresse non abstraitement, ces auditeurs que la fiction anime et devant qui on murmure, et, plus encore, l'auditeur r茅el, l'auditrice r茅elle 脿 qui on dicte son rom氓nce 脿 travers les murs, n'ont pas besoin de balisage pour voyager sans encombre dans nos rom氓nces. Ceux-l脿 appartiennent 脿 l'univers du quartier de haute s茅curit茅, et ils en partagent les labyrinthes, les dysfonctions et les valeurs absurdes, et les effrois, et les r锚ves, et les litt茅ratures. 禄 (p. 42-43) [脌 propos de la novelle] 芦 Derri猫re le syst猫me qui r茅git le fonctionnement de la novelle, on rel猫vera des traits communs aux autres genres du post-exotisme : 1) un m锚me constat de diff茅rence avec l'ext茅rieur ; 2) une m锚me volont茅 d'agrandir cette cassure, d'accentuer le d茅calage avec le monde r茅el, per莽u comme 茅tant la source de toute douleur ; 3) un m锚me souci de proclamer sa dissidence par rapport aux modes qui fleurissent hors du ghetto carc茅ral. Les recueils de novelles regroupent des textes allant par paire. Chaque paire compose un ensemble que Khrili Gompo, dans la pr茅face 脿 son ouvrage fondateur听Ravalement de fa莽ade, a propos茅 de baptiser une entrevo没te. Le terme d'entrevo没te est un terme heureux. Il sugg猫re des pratiques magiques, un envo没tement et, en m锚me temps, une intimit茅 musicale, faite d'onirisme entrecrois茅, de r茅ciprocit茅 et de partage ; il met bien en 茅vidence la nature circulaire de cette structure, sa courbure simple et solide. Voyons cela d'un peu plus pr猫s. Un premier texte, la novelle, cr茅e un champ litt茅raire. Le sujet a souvent rapport avec le fantastique, mais pas toujours. Une situation est d茅finie, des personnages agissent, sur un tissu culturel pr茅cis s'accroche l'anecdote, avec son pass茅 implicite et ses non-dits. Un deuxi猫me texte, qu'on appellera l'annexe ou le r茅pons, s'empare d'un moment choisi dans le corps de la narration pr茅c茅dente et il le fait prosp茅rer, sans pour autant chercher 脿 茅clairer le premier r茅cit ou 脿 le compl茅ter : c'est un deuxi猫me morceau de prose qui a un caract猫re ind茅pendant et qui a ses propres adjectifs litt茅raires, son propre style, sa propre r茅serve d'archives et d'images. Toutefois, l'ensemble s'inscrit dans un syst猫me narratif binaire. La seule pr茅sence du r茅pons suffit pour que le champ litt茅raire du premier texte gagne en coh茅rence. Un r茅seau d'harmoniques prend consistance, les images circulent mieux, l'histoire vibre mieux, en profondeur ; les non-dits ne peuvent se confondre avec des omissions, ils ont 脿 pr茅sent un statut po茅tique. L'existence de deux textes associ茅s pose sur l'ensemble un 茅pais voile suppl茅mentaire de sens. De l'inconscient de l'auteur 脿 l'inconscient du lecteur, quelque chose 茅galement se charpente, et cela n'est pas la moindre des r茅ussites de l'entrevo没te. L'univers tors, courbe, autonome, qui sous-tend et justifie les deux proses entrevo没t茅es, s'allonge alors sans heurt au-del脿 du texte, et, chez le lecteur sympathisant, r茅ceptif, il se substitue au r茅el. [鈥 Le champ litt茅raire de l'entrevo没te ouvre sur l'infini : il devient une destination de voyage, un havre pour le narrateur, une terre d'exil pour le lecteur, d'exil tranquille, hors d'atteinte de l'ennemi, comme 脿 jamais hors d'atteinte de l'ennemi. 禄 (54-57) 芦 Nous savons tous qu'il est hasardeux d'analyser la production post-exotique quand on emploie les termes que la critique litt茅raire officielle a con莽us pour autopsier les cadavres textuels dont elle peuple ses morgues. L'exercice est possible, mais au prix de contorsions mentales qui font du post-exotisme un lieu de rendez-vous pour 茅lites schizophr猫nes et hautaines, perversement amoureuses d'une musique de l'illisible. Le passage au crible de la critique traditionnelle a cet effet : il d茅莽oit, mais, surtout, il rend hideux et il tue. Des instruments non adapt茅s lac猫rent le texte et ils l'茅crasent, ils ne r茅ussissent pas 脿 en d茅monter les rouages, ils s'appuient sur des domaines de r茅flexion que nous n'avons fait qu'effleurer, par exemple le statut esth茅tique du narrateur ou de la narratrice, et ils n茅gligent ce qui pour nous est essentiel, comme le degr茅 de d茅gradation de la voix qui parle, ou sa relation amoureuse avec la m茅moire de Wernieri, de Maria Schrag ou de Maria Clementi, etc., ou l'angle d'attaque par quoi nos h茅ros exposent leur d茅testation de l'ennemi. De plus, le recours 脿 des outils qui appartiennent, au bout du compte, 脿 une autre science, emmaillote nos textes dans une logique qui ne peut les abstraire du mouvement artistique contemporain et, au contraire, les y ram猫ne de fa莽on abusive, de fa莽on d茅loyale, parfaitement absurde. 脌 d茅faut de trouver pour le post-exotisme une place convaincante, on le rel猫gue au sein des avant-gardes, envers lesquelles, il faut bien le dire, sa relation est la m锚me qu'envers le reste du monde non carc茅ral. Le post-exotisme est une litt茅rature partie de l'ailleurs et allant vers l'ailleurs, une litt茅rature 茅trang猫re qui accueille plusieurs tendances et courants, dont la plupart refusent l'avant-gardisme st茅rile. C'est de cela qu'il faut rendre compte dans nos critiques. Nous avons besoin d'un vocabulaire critique sp茅cifique. 禄 (p. 59-60) 芦 Prenant 脿 t茅moin des masses et des animaux imaginaires, veillant 脿 ne pas choquer intellectuellement les araign茅es qui nidifiaient dans leur cellule, les auteurs post-exotiques continuent 脿 d茅crire des ailleurs parall猫les et un au-del脿, comme ils l'ont fait depuis les origines de leur litt茅rature, mais cet au-del脿 a chang茅 de nature. Quelque chose a enrichi ou appauvri l'univers mental des d茅tenus surnarrateurs. Leur surnaturel ne peut plus 锚tre correctement 茅lucid茅 ou d茅peint avec des techniques d'expression propres 脿 l'humain [鈥. 禄 (p. 72) 芦 En effet, si les auteurs mettent en doute la r茅alit茅, leur scepticisme ne s'appuie pas sur une conception religieuse du visible ou de l'invisible. Ils savent qu'aucun pouvoir divin ne r么de derri猫re les myst猫res du monde. Ils n'accordent aucune foi 脿 l'id茅e qu'une sph猫re enchanteresse, miraculeusement exempte du mal ou de la b锚tise, existe quelque part pour accueillir les privil茅gi茅s du r锚ve. Ils regrettent souvent de devoir nier, mais ils sont nihilistes. 禄 (p. 76) 芦 On rencontre pourtant nombre de chamanes et de prieurs dans la litt茅rature post-exotique, et des magiciens, des n茅cromants, des cr茅atures t茅l茅pathes, et toute une galerie de privil茅gi茅s du r锚ve qui se jouent de l'茅ternit茅 et outrepassent 脿 leur guise le seuil du r茅el ou de la mort. Mais ce sont, l脿 aussi, des 锚tres qui ne professent pas la moindre croyance. 禄 (p. 77) 芦 Pourtant, en parall猫le, une religiosit茅 aigu毛 hante nos fictions, une religiosit茅 si forte et sinc猫re qu'elle modifie le comportement quotidien des narrateurs et conduit ceux-ci 脿 des attitudes monastiques : m茅ditation, silence, ritualisation des gestes de l'existence, morale de la compassion et du partage de la douleur, adresses aux d茅funts, accompagnement magique des d茅funts dans leur voyage jusqu'脿 la renaissance. 禄 (p. 78) |
| 芦 C'est peut-锚tre d没 au fait qu'une de mes intentions, c'茅tait de me r茅f茅rer 脿 un univers plus th茅芒tral. Cette dimension conduit presque naturellement 脿 un d茅calage comique. 禄 芦 L'id茅e, dans mes romans depuis les ann茅es quatre-vingt-dix, c'est que le d茅sastre est l脿, que l'absence de perspective est plus cruelle qu'avant, mais qu'il faut quand m锚me continuer, avec cette autod茅rision qui fait non qu'on peut en rire - on ne peut pas rire de l'histoire - mais que la parole qu'on porte doit contenir en germe une distance qui n'est pas celle d'avant. La parole accro卯t le c么t茅 grin莽ant, amer, mais atteint une certaine s茅r茅nit茅. 禄 芦 Mais ce n'est pas le sujet central du livre, qui n'est pas une simple m茅taphore sociale. Il y a un jeu non entre r茅alit茅 et fiction, mais entre plusieurs conceptions de la r茅alit茅. N'oublions pas que toutes ces sc猫nes sont des projections de l'univers mental de Bogdan Schlumm, tous les personnages, tous ces Schlumm aux pr茅noms variables, sont ses incarnations, toutes ces r茅alit茅s sont des mondes possibles de Schlumm. 禄 芦 En disant ses sc猫nes, il va non seulement les dire, mais les vivre en se r茅incarnant. Il y a fusion entre personnage de fiction et incarnation de l'auteur.禄 芦 Je dirais d'abord du chamanisme la m锚me chose que du bouddhisme. Je n'entretiens aucun rapport d'appartenance ou de croyance, je ne suis pas dans le " new age " mais j'aime cet univers. La transe chamanique, dans laquelle le chaman emprunte d'autres personnalit茅s, voyage dans le pass茅, dans la m茅moire des autres, du monde - jamais dans l'avenir -, est passionnante 脿 mettre en fiction. D'autre part, je me suis rendu compte que l'茅tat d'茅criture 茅tait un 茅tat assez proche de la transe chamanique. Pas de tambours, 茅videmment, ni de pertes de conscience, mais j'ai le plaisir de plonger dans mes personnages, 脿 voyager en eux. Un des 茅l茅ments les plus spectaculaires de la plong茅e chamanique est la dilatation du temps qu'elle op猫re. C'est un moteur narratif essentiel. Jouer avec le temps, la m茅moire, le r锚ve et la r茅alit茅. Je n'ai pas de "th茅orie litt茅raire du chamanisme" mais je suis heureux de me dire que ce que fait le chaman, c'est ce que cherche tout 茅crivain. 禄 芦 C'est une technique chamanique, faire travailler ensemble et fusionner les inconscients de celui qui parle et de celui qui 茅coute. Mon ambition, si j'ai une ambition, est effectivement, par un syst猫me d'images, par la mise en sc猫ne, par la parole, par certains trucages po茅tiques, de parler 脿 autre chose qu'脿 la conscience. Bien s没r, l'intelligence est sollicit茅e, mais je cherche aussi 脿 toucher quelque chose de plus organique, de plus secret, de plus intime, chez le lecteur ou la lectrice, qui va lui permettre de s'approprier le texte, et d'en 锚tre un interpr猫te au moment de la lecture. Il y a quelque chose en de莽脿 de l'茅criture qui peut 锚tre transmis au lecteur en de莽脿 de sa perception. Un sous-parler, d'inconscient 脿 inconscient, du non-formul茅 qui est enfoui dans la prose et qui voyage jusqu'au lecteur ou jusqu'脿 la lectrice. 禄 |
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| 芦 Ils se r茅pondent deux 脿 deux, et notamment par l'interm茅diaire des noms des personnages, on y voit par exemple les m锚mes 茅v茅nements sous des angles diff茅rents. Mais je n'ai pas cherch茅 脿 mettre en avant le c么t茅 math茅matique, technique de la composition. Cela passe au second plan. Il y a, 脿 l'int茅rieur du livre, et avec d'autres livres, un syst猫me d'茅chos, de rappels, fait d'atmosph猫res, de sons, qui rend perceptible de mani猫re intuitive, sensible, cette construction. [鈥 C'est une structure en miroir qu'il serait difficile de mettre en 茅quation mais qui est tr猫s facile 脿 percevoir gr芒ce 脿 une approche plus musicale que c茅r茅brale. 禄 芦 Oui, nous sommes " apr猫s ". C'est la fin de l'esp猫ce humaine. Toutes les barri猫res ont 茅t茅 abolies, les hommes sont en voie d'extinction. Ils ne peuvent plus se reproduire. Seules les femmes, les grand-m猫res, peuvent allonger la dur茅e de leur vie, se prolonger gr芒ce 脿 la magie. Tout ce qui a travers茅 l'esp猫ce humaine sous forme de douleur, de trag茅dies, de r锚ves, tout cela appartient au pass茅. C'est dans les r锚ves, les m茅ditations, les ruminations que les personnages retrouvent ce pass茅, retissent un peu de la m茅moire collective de ce si猫cle, qu'ils recherchent la beaut茅, la fraternit茅. La tendance est plus optimiste... 禄 芦 Il n'y a rien de surnaturel ni de religieux dans ces personnages. Leur caract猫re ang茅lique tient 脿 leur apparition furtive dans le r茅cit, 脿 leur regard sur les choses. J'attribue cette qualit茅 脿 des gens qui sont des gueux, des va-nu-pieds, des errants, qui se r茅clament de leur caract猫re de sous-hommes. Ils sont donc tr猫s mineurs par rapport 脿 ce qu'en Occident on cache derri猫re le mot " ange ". 禄 芦 Mes premiers livres ont 茅t茅 publi茅s dans une collection de science-fiction, mais si je suis sorti de ce qui peu 脿 peu risquait de m'enfermer dans un ghetto et de m'emp锚cher d'锚tre lu par le public pour lequel j'茅crivais, je ne pense pas avoir chang茅 de litt茅rature. 脡videmment, certains de mes th猫mes, l'unification de la plan猫te, l'apr猫s-catastrophe se retrouvent dans la science-fiction. Ils fonctionnent comme une mise en cause d'un certain r茅alisme, mais sans la protection des conventions du genre. Le r茅el n'est pas ce que l'on croit, j'essaie de conduire le lecteur 脿 s'interroger sur son compte. Mais mon travail sur la forme vise plut么t 脿 faire des propositions pour faire bouger le roman en tant que tel. Le roman classique, du XIXe, par exemple, procure des joies, il n'est pas mort, mais il y a d'autres solutions. J'essaie de montrer que la forme romanesque est tr猫s riche, et qu'on peut y d茅poser des mod猫les qui fonctionnent, qui sont des romans - ce livre en est un - et qui ne sont pas des exp茅riences ennuyeuses, des constructions c茅r茅brales et sans chair. 禄 芦 La musique intervient au niveau de la phrase, de la sonorit茅, et dans la composition, avec un souci permanent de m茅lodie et de contrepoint. Mais tout ce qui est technique ne doit pas appara卯tre. Je veux parler 脿 la sensibilit茅 plus par les images, les 茅motions qu'elles suscitent que par la phrase elle-m锚me. Je cherche 脿 obtenir chez le lecteur des 茅chos de choses lues et 脿 peine reconnues. Quand on 茅coute de la musique, on per莽oit cela... 禄 |
