Hubert Aquin

(1929-1977)

Dossier

Le roman selon Hubert Aquin

Comme un ch芒teau de sable : le roman d'Hubert Aquin, par Thomas Mainguy, 7 d茅cembre 2011
Pendant un temps, ma connaissance d'Hubert Aquin d茅coulait grossi猫rement de ma lecture de听Prochain 茅pisode听(1965) et du visionnement du documentaire de l'Office national du film du Canada,听Deux 茅pisodes dans la vie d'Hubert Aquin听sign茅 par Jacques Godbout en 1979. Autrement dit, lorsqu'il m'arrivait de me l'imaginer, je voyais un espion rat茅 en complet-cravate dont les aventures s'agencent aux d茅gringolades du jazz qui les escorte. Cette vision est clich茅e, mais apr猫s avoir lu son听Journal (1948-1971), force est d'admettre qu'elle n'est pas 茅trang猫re aux aspirations du romancier, tourn茅es notamment vers les d茅boires et la d茅sinvolture de la fiction. Or le听Journal听d茅voile aussi, et surtout me semble-t-il, le parcours d'un intellectuel qu茅b茅cois, glissant du personnalisme et de l'existentialisme chr茅tien 鈥� 芦鈥淧ar l'amour, le 鈥渏e鈥� sors de son apathie et devient cr茅ateur鈥� 禄 (Aquin, 1992, p. 45) 鈥� vers une conception litt茅raire beaucoup plus r茅volt茅e et terrible 鈥� 芦 Que l'茅criture retentisse cet acte fondamental premier : tuer. Cr茅er la beaut茅 homicide. 禄 (Aquin, 1992, p. 263) 脌 la diff茅rence de ce qu'on observe dans les romans, ou m锚me dans plusieurs textes de听Point de fuite听(1971), les pages du听Journal听r茅v猫lent une 茅criture simple et limpide au service d'une pens茅e claire et d茅monstrative. Ce n'est donc pas tant le Aquin d茅jant茅 qu'on y rencontre, que l'homme curieux et cultiv茅, ambitieux et amoureux, 茅pris de lecture et d'茅criture. Il s'enthousiasme pour le th茅芒tre, le cin茅ma, la mythologie; il lit et commente Claudel, Faulkner, Gide, Gracq, Green, Joyce, Miller, Proust et bien d'autres. Esprit vorace, le roman demeure sa principale nourriture, sa plus ferme convoitise et sa r茅flexion sur le genre constitue l'un des fils conducteurs du听Journal. Cela ne surprend gu猫re quand on sait qu'Aquin pr茅parait 脿 Paris en 1952 une th猫se sur la ph茅nom茅nologie du roman. Si ses recherches influencent son engagement romanesque, la voix du听Journal听n'a presque jamais une tonalit茅 universitaire. C'est le point de vue du praticien qui domine. 脌 travers la critique de ses propres essais romanesques et les r茅flexions suscit茅es par ses nombreuses lectures, Aquin en vient 脿茅laborer un art du roman que son oeuvre fortifiera. On compte parmi les grands axes de cet art, la primaut茅 de la forme, la suj茅tion de l'茅crivain 脿 son personnage et l'herm茅tisme du style. On sait combien Aquin 茅tait investi par le projet d'ind茅pendance nationale, lui qui a 茅t茅 jusqu'脿芦 prendre le maquis 禄 pour la cause. Compte tenu l'arrimage, toujours d茅licat du reste, entre la vie et la production d'un auteur, il est impossible de lire l'oeuvre d'Aquin sans lui attribuer une port茅e politique. Celle-ci, bien qu'in茅vitable, constitue cependant une pr茅occupation accessoire dans l'ordre du projet romanesque d'Aquin. 脌 une 茅poque o霉 l'esprit militant est fort, o霉 de nombreux 茅crivains n'h茅sitent pas 脿 faire de la litt茅rature une tribune sociale et politique, Aquin refuse d'incliner son activit茅 de romancier vers une forme d'engagement autre qu'esth茅tique. Cette pr茅dominance formelle camoufle en outre chez lui une r茅pulsion 脿 l'茅gard des oeuvres o霉 l'茅crivain disserte et explique plut么t que de nous faire vivre l'histoire. Son refus de l'excroissance philosophique, th茅orique ou didactique du r茅cit n'est pas original en soi. Il l'inscrit au contraire dans une tradition de romanciers qui ont d茅fendu la valeur artistique du roman. Ainsi, Aquin para卯t quasiment avoir fait sienne l'ambition flaubertienne d'茅crire un 芦 livre sur rien 禄. L'茅videmment de la forme prend chez lui l'allure d'un d茅fi technique grisant et radical en ce sens qu'il menace la port茅e signifiante du r茅cit de mani猫re globale. Au niveau de la pratique romanesque, Aquin reconna卯t d'ailleurs avoir de la difficult茅脿茅laborer la trame de ses r茅cits. Il note : 芦 Je n'ai pas l'esprit 脿 fabriquer des intrigues. Quand j'entrevois un roman, une pi猫ce ou une nouvelle, je vois des moments, des instants path茅tiques ou d茅chirants. Mais aussit么t que j'essaie d'int茅grer ces beaux instants 脿 une histoire, le raccord ne se fait pas. 禄 (Aquin, 1992, p. 169) Ces lignes furent 茅crites en 1953. Aquin est encore jeune (24 ans) et inexp茅riment茅 sur le plan romanesque 鈥� 12 ann茅es le s茅pare de听Prochain 茅pisode, son premier roman publi茅. On pourrait postuler qu'il n'a pas encore quitt茅 l'芒ge de la po茅sie, pas tant parce qu'il cherche l'effet path茅tique et d茅chirant, mais parce qu'il con莽oit l'effet po茅tique dans une forme instantan茅e, momentan茅e, donc en unit茅s temporelles closes et br猫ves. C'est comme s'il cherchait 脿茅crire le roman 脿 partir du po猫me, c'est-脿-dire en partant d'une intensit茅 po茅tique et dramatique maximale, autonome pourrait-on ajouter, pour ensuite 茅tablir les transitions qui n茅cessitent un d茅lassement de la charge po茅tique dans une dur茅e. Aquin n'est toutefois pas un 茅crivain qui accepte les compromis et son roman conservera quelques traits de cet听芒ge de la po茅sie, notamment une fulgurance stylistique, dans les images comme dans la narration, qui tranche avec la lenteur et la m茅ditation romanesque, mais aussi un go没t pour la provocation et l'extr茅misme qui rappelle un esprit jeune et insoumis. 芦 L'art, [茅crit-il], doit toujours aller trop loin 禄. (Aquin, 1992, p. 116) Cette radicalit茅 s'observe dans听Prochain 茅pisode听: le titre nous projette d'embl茅e dans l'exc茅dent de l'oeuvre, alors que le suspens 鈥� la tension, l'appel du texte 鈥� tient sans doute davantage au jeu formel 鈥� le d茅tournement des codes du roman d'espionnage et la mise en abyme identitaire 鈥�, qu'脿 la qu锚te du personnage, r茅duite 脿 un 茅pisode au sens d'un 茅v茅nement secondaire, voire d'un simple pr茅texte pour 茅lever la structure du roman, monument sans utilit茅. 脡tant donn茅 ce souci formel prononc茅, il est tentant de faire appel 脿 l'influence mallarm茅enne, d'autant qu'aux yeux d'Aquin 芦 [l]e langage [est] le grand probl猫me du romancier 禄. (Aquin, 1992, p. 177) Ce faisant, l'enjeu premier du roman est toujours li茅脿 une certaine autor茅flexivit茅. 脌 la lumi猫re de la 芦 disparition 茅locutoire du po猫te 禄, Aquin sugg猫re que le lecteur, auquel cette disparition conf猫re plus de pouvoir, acc猫de au plaisir et au d茅foulement gr芒ce aux manoeuvres formelles du romancier. Pas de doute que le roman soit, comme il le dit, 芦 une aventure intellectuelle 禄 (Aquin, 1992, p. 143) dans la mesure o霉 un d茅fi doit 锚tre relev茅, un probl猫me solutionn茅, 脿 la mani猫re du d茅tective contraint de reconstituer la sc猫ne du crime 脿 partir des indices r茅colt茅s au fil de l'enqu锚te. Selon cette analogie, le romancier joue alors le r么le du malfaiteur, celui qui brouille les pistes, et il incombe au lecteur d'茅lucider la structure myst茅rieuse du roman. On en revient donc 脿 la primaut茅 de la forme qui, du reste, d茅coule peut-锚tre du sentiment que l'originalit茅 est un leurre. Ce qui distingue un bon romancier d'un grand romancier, c'est toujours le style, la dimension po茅tique, car il importe peu de dire quelque chose que tout le monde conna卯t d茅j脿, ne serait-ce qu'intuitivement 鈥� la vie, la mort, l'amour, la haine, la justice, l'abus, la beaut茅, l'abjection, etc. 芦 [C]e qui importe, a dit Borges, c'est ce que cr茅ent dans l'esprit du lecteur telles ou telles paroles dites dans tel ordre ou selon telle cadence. 禄 (Borges, 2010, p. 9) Aquin n'aurait pas h茅sit茅脿 signer cette d茅claration puisqu'il a tr猫s t么t compris que la seule voie du succ猫s litt茅raire, cette singularit茅 qui ravit un lecteur, passe par la forme. Le grand souci stylistique et structurel mis de l'avant dans l'art romanesque d'Hubert Aquin ne se traduit toutefois pas par un hyper-formalisme ou une rh茅torique st茅rile. M锚me s'il demande 脿 l'art 芦 d'aller toujours trop loin 禄, Aquin cherche 脿茅viter le roman sur-茅crit, la phrase rigide et le style froidement m茅canique. Gracq lui sert sur ce plan de contre-mod猫le, jugeant son 茅criture trop polie et soign茅e, de sorte que le texte se pr茅sente d'embl茅e comme artifice et n'offre que 芦 des joies professionnelles. 禄 (Aquin, 1992, p. 176) Aquin montre d'abord de l'int茅r锚t et de la sympathie pour l'auteur d'Un beau t茅n茅breux听dans les pages de son听Journal, mais il prend rapidement ses distances par rapport 脿 lui, opposant 脿 son 茅criture raisonn茅e et minutieuse, une esth茅tique beaucoup plus d茅brid茅e qu'il met au service des passions. Aussi Aquin oppose-t-il Shakespeare 脿 Gracq, admirant chez le po猫te anglais 芦 l'extraordinaire force 禄 de l'image qu'il compare 脿 une 芦茅jaculation arrach茅e du coeur m锚me de l'artiste. 禄 (Aquin, 1992, p. 176) Comme le sugg猫re cette derni猫re m茅taphore, Aquin croit que l'茅criture doit proc茅der d'une forme de jouissance, de pulsion men茅e 脿 son terme. Ceci explique d'ailleurs, du moins en partie, sa fascination pour la mythologie et les drames antiques, car il semble toujours viser la catharsis, la purge par l'art. L'esth茅tique baroque d'Aquin est 脿 mettre en lien avec ce rapport visc茅ral 脿 l'茅criture qui soumet la pratique du romancier 脿 une expression urgente, impulsive, d茅sordonn茅e 鈥� une sorte de jaillissement 芦 imp茅rieux 禄 auquel l'intelligence n'a d'autre choix que de se soumettre. Une tension para卯t ainsi soutenir la pens茅e romanesque d'Aquin puisqu'un premier mouvement tourne l'茅criture vers elle-m锚me, voire contre son expansion naturelle, dans la mesure o霉 une conscience critique veille sans cesse 脿 r茅duire le propos 脿 l'essentiel afin d'茅viter le bavardage, cependant qu'un second mouvement favorise l'incarnation festive, d茅complex茅e, bruyante de l'茅criture. C'est que Aquin n'est pas de ceux qui rabattent l'essence du langage sur l'espoir d'une parole rendue 脿 l'茅loquence pure et totale du silence. Si Aquin manifeste 脿 plusieurs reprises dans son听Journal听le besoin de limiter le projet romanesque aux 茅l茅ments indispensables, laissant听a priori听pressentir au lecteur une affection pour la prose retenue, force est d'admettre, 脿 la lumi猫re de son style, que son id茅e de la n茅cessit茅 rh茅torique et narrative ne s'aligne pas sur celles de la sobri茅t茅 et de la circonspection. Peut-锚tre faut-il, pour comprendre ce qu'Aquin regroupe sous le terme 芦 essentiel 禄, s'en remettre 脿 la notion de personnage 脿 laquelle il revient constamment au fil de sa r茅flexion. Il note : Un bon romancier doit nous mettre en contact direct avec ses personnages et ne nous pr茅senter le reste de l'univers que par eux. Toute consid茅ration objective est un parasite qui se nourrit aux flancs du roman lui-m锚me. Une fois que le lecteur est int茅ress茅 au personnage il admettra que ce personnage soit int茅ress茅脿 certaines choses 鈥� mais jamais que le romancier s'arroge un droit strictement r茅serv茅 au personnage et prenne, sur son cr茅dit, de nous int茅resser 脿 des 茅v茅nements ou des r茅alit茅s n'ayant pas de rapport dramatique avec l'action. (Aquin, 1992, p. 176-177) Il est ainsi permis de penser que l'essentiel d'un roman, selon Aquin, se r茅sume 脿 ce que la conscience du personnage parvient 脿 cautionner et, par cons茅quent, que l'essentiel peut avoir beaucoup d'amplitude, c'est-脿-dire qu'il n'appelle pas n茅cessairement une pratique restrictive du r茅cit et du langage. L'objectif principal du romancier est de donner 脿 l'oeuvre une 芦 pesanteur de vie 禄 (Aquin, 1992, p. 179), dit encore Aquin dans son听Journal. Le mot 芦 vie 禄 nous met d'embl茅e sur la piste d'un v茅cu, d'une subjectivit茅. La 芦 pesanteur du monde 禄 appellerait quelque chose de plus objectif et de mieux enracin茅, tandis que la 芦 pesanteur de vie 禄 sugg猫re une mobilit茅, une instabilit茅, une mati猫re fuyante que le romancier doit en quelque sorte d茅canter dans une forme. Cette pesanteur ne demande pas de produire un inventaire du r茅el ou une recherche descriptive, mais plut么t de sortir de soi-m锚me, d'锚tre charitable envers l'autre au point d'en 茅pouser la conscience et le langage. C'est notamment un des enseignements qu'il retient de Proust, lequel a sans doute aussi contribu茅脿 sa fascination pour le monologue int茅rieur qui, en tant que technique narrative, ne pr茅sente plus un personnage, mais d茅voile l'exp茅rience intime qui le singularise. Ce n'est pas la 芦 pesanteur du monde 禄 qu'on 茅prouve alors, mais celle 芦 d'un听monde 禄 senti et per莽u par un sujet, si bien que le roman quitte 芦 l'orni猫re r茅aliste 禄鈥� l'expression est d'Aquin 鈥� pour entrer dans la dimension fantastique d'une 芦 conscience transformatrice 禄. Aquin soutient que pour 芦 entrer dans son personnage le romancier [鈥 doit [鈥 en arriver au monologue int茅rieur le plus 茅pur茅. 禄 (Aquin, 1992, p. 119) Fid猫le 脿 son extr茅misme, Aquin s'enthousiasme 脿 l'id茅e d'un monologue int茅rieur radicalis茅 qui transforme le roman en d茅dale o霉 le lecteur n'a d'autre choix que de s'emp锚trer, de se laisser 茅tourdir par le trafic de la conscience o霉 les symboles et la r茅alit茅 se m锚lent. Il semble 茅trange d'esp茅rer autant jeter la confusion dans l'esprit du lecteur et pourtant Aquin trouve une jouissance 茅vidente 脿 rendre opaque ce qui est d'ordinaire pr茅sent茅 avec transparence. On s'en 茅tonne moins lorsqu'on sait qu'il est rompu 脿 la plume d'茅crivains r茅put茅s difficiles : Mallarm茅, Rimbaud, Claudel, Joyce, Faulkner鈥� Sur l'herm茅tisme, Aquin 茅crit : L'expression obscure, herm茅tique ou le culte du myst猫re verbal d茅note, 脿 proprement parler, une volont茅 de 芦 cacher quelque chose 禄. Ce besoin de cacher (qui se diff茅rencie toujours du go没t ou de la mode litt茅raire) manifeste que l'auteur est coupable. L'obscuration esth茅tique (et le clair-obscur m锚me) expriment une culpabilit茅 secr猫te, profonde ou diffuse. (Aquin, 1992, p. 200) Lorsqu'on conna卯t le style complexe, parfois alambiqu茅, d'Aquin, son vocabulaire truff茅 de n茅ologismes, de mots rares et de d茅clinaisons pharmacologiques, on se doute qu'un 芦 noyau de culpabilit茅禄 exerce une importante force de gravit茅 sur son 茅criture. Il serait sans doute vain d'identifier l'origine de cette culpabilit茅, ce qui importe ici de r茅p茅ter, c'est l'id茅e que la litt茅rature pour Aquin sert 脿 expier quelque chose, d'o霉 l'impression que son art romanesque g茅n猫re un d茅foulement. Or un d茅foulement d'une telle ardeur que m锚me l'int茅grit茅 de l'oeuvre en est victime, Aquin agissant 脿 la mani猫re d'un enfant qui met des heures 脿 construire un ch芒teau de sable pour le plaisir final de le d茅molir 脿 coups de pied, se d茅lectant simultan茅ment du spectacle de cette destruction et du regard m茅dus茅 des gens autour de lui qui s'expliquent mal son exc猫s de rage. Cette analogie n'est pas gratuite puisqu'on lit dans听le Journal听: Ce que je veux faire [鈥 c'est d'annoncer d'abord l'unicit茅 de ma structure et, ce postulat 茅tant pos茅, de multiplier les complexit茅s pour finalement m'y ab卯mer avec d茅raison et d茅voiler le tissu d'incoh茅rences et d'incorrespondances de tous les indices. C'est 脿 peu pr猫s comme si, dans le genre policier, je multipliais les 茅nigmes au d茅part et me complaisais dans l'inflation des 芦 pistes 禄 [鈥 pour ne pas aboutir, en fin de compte, 脿 la d茅couverte de l'assassin, mais 脿 l'aveu d茅lirant du non-sens de cette enqu锚te et, somme toute, 脿 la destruction pure et simple de mon propre roman policier. (Aquin, 1992, p. 250) Il y a quelque chose de juv茅nile, me semble-t-il, dans une telle ambition romanesque, non pas parce que le projet d茅note de l'immaturit茅, mais parce qu'il se pr茅sente quasiment comme un jeu, une plaisanterie faite au lecteur. Ce n'est toutefois pas le divertissement qui est vis茅, mais la tromperie. En cela Aquin honore sa devise 鈥� 芦 je d茅莽ois 禄 (Aquin, 1995, p. 237) 鈥� et son art romanesque, teint茅 par son 芦 obsession de l'茅chec 禄, en est un, justement, de la d茅ception, mais une d茅ception calcul茅e. Hubert Aquin pr茅sent茅 sous les traits d'un enfant prenant d'assaut son ch芒teau de sable m'invite 脿 convoquer le po猫me 芦 Le jeu 禄 de Saint-Denys Garneau pour conclure. Le po猫te y est justement compar茅脿 un enfant qui transforme sa chambre en un monde nouveau o霉 se dressent des maisons et des ch芒teaux. Le po猫me rend d'une part sensible l'espace symbolique du jeu, lieu sacr茅 que l'adulte risque de profaner en mettant son pied dans la chambre; il fait d'autre part 茅tat de la plaisanterie 脿 laquelle prend part l'enfant lorsqu'il joue ainsi 脿 poss茅der le monde. 芦 Il met la chambre 脿 l'envers et vraiment l'on ne s'y reconna卯t plus / Comme si c'茅tait un plaisir de berner les gens 禄 (Saint-Denys Garneau, 1993, p. 13), peut-on lire dans le po猫me. Le po猫te oscille et voit double; un oeil rit tandis que l'autre est grave, dit encore le po猫me. On pourrait ajouter que l'un jette sur les choses un regard suffisamment grand 芦 pour tout prendre 禄, alors que l'autre porte sur le monde un regard fini. Saint-Denys Garneau est aux prises avec cette vision 茅quivoque : appel茅 par le 芦 paradis des libert茅s 禄 que lui ouvre le jeu, la litt茅rature, en m锚me temps qu'inqui茅t茅 par l'id茅e que ce m锚me jeu, cette m锚me litt茅rature puisse 锚tre une tromperie. Il me semble que chez Aquin cette 茅quivoque dispara卯t, comme si l'enfant 茅tait devenu franchement diabolique, habit茅 par la seule ambition de ne rien laisser debout, de tout ramener au vide et de faire ainsi du roman la n茅gation du romanesque, dont l'un des traits tient peut-锚tre 脿 cette capacit茅 de 芦 tout prendre 禄. Alors que la possibilit茅 de 芦 berner 禄 l'autre installe Saint-Denys Garneau dans l'angoisse, elle conduit en revanche Aquin 脿 la pure excitation. Si son art du roman met tout en oeuvre pour nier le romanesque, il semble tout autant parvenu 脿 faire de cette n茅gation romanesque l'occasion du roman. Ouvrages cit茅s : Hubert Aquin,听Journal听1948-1971, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1992. Hubert Aquin,听M茅langes litt茅raires I.听Profession : 茅crivain, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995. Jorge Luis Borges cit茅 par Jacques Ancet, 芦 Pour la pauvret茅禄, dans Jorge Luis Borges,听La proximit茅 de la mer. Une anthologie de 99 po猫mes, Paris, Gallimard (Du monde entier), 2010, p. 9-25.

Comme un ch芒teau de sable : le roman d'Hubert Aquin, par Thomas Mainguy, 7 d茅cembre 2011

Pendant un temps, ma connaissance d'Hubert Aquin d茅coulait grossi猫rement de ma lecture de听Prochain 茅pisode听(1965) et du visionnement du documentaire de l'Office national du film du Canada,听Deux 茅pisodes dans la vie d'Hubert Aquin听sign茅 par Jacques Godbout en 1979. Autrement dit, lorsqu'il m'arrivait de me l'imaginer, je voyais un espion rat茅 en complet-cravate dont les aventures s'agencent aux d茅gringolades du jazz qui les escorte. Cette vision est clich茅e, mais apr猫s avoir lu son听Journal (1948-1971), force est d'admettre qu'elle n'est pas 茅trang猫re aux aspirations du romancier, tourn茅es notamment vers les d茅boires et la d茅sinvolture de la fiction. Or le听Journal听d茅voile aussi, et surtout me semble-t-il, le parcours d'un intellectuel qu茅b茅cois, glissant du personnalisme et de l'existentialisme chr茅tien 鈥� 芦鈥淧ar l'amour, le 鈥渏e鈥� sors de son apathie et devient cr茅ateur鈥� 禄 (Aquin, 1992, p. 45) 鈥� vers une conception litt茅raire beaucoup plus r茅volt茅e et terrible 鈥� 芦 Que l'茅criture retentisse cet acte fondamental premier : tuer. Cr茅er la beaut茅 homicide. 禄 (Aquin, 1992, p. 263)

脌 la diff茅rence de ce qu'on observe dans les romans, ou m锚me dans plusieurs textes de听Point de fuite听(1971), les pages du听Journal听r茅v猫lent une 茅criture simple et limpide au service d'une pens茅e claire et d茅monstrative. Ce n'est donc pas tant le Aquin d茅jant茅 qu'on y rencontre, que l'homme curieux et cultiv茅, ambitieux et amoureux, 茅pris de lecture et d'茅criture. Il s'enthousiasme pour le th茅芒tre, le cin茅ma, la mythologie; il lit et commente Claudel, Faulkner, Gide, Gracq, Green, Joyce, Miller, Proust et bien d'autres. Esprit vorace, le roman demeure sa principale nourriture, sa plus ferme convoitise et sa r茅flexion sur le genre constitue l'un des fils conducteurs du听Journal. Cela ne surprend gu猫re quand on sait qu'Aquin pr茅parait 脿 Paris en 1952 une th猫se sur la ph茅nom茅nologie du roman. Si ses recherches influencent son engagement romanesque, la voix du听Journal听n'a presque jamais une tonalit茅 universitaire. C'est le point de vue du praticien qui domine. 脌 travers la critique de ses propres essais romanesques et les r茅flexions suscit茅es par ses nombreuses lectures, Aquin en vient 脿茅laborer un art du roman que son oeuvre fortifiera. On compte parmi les grands axes de cet art, la primaut茅 de la forme, la suj茅tion de l'茅crivain 脿 son personnage et l'herm茅tisme du style.

On sait combien Aquin 茅tait investi par le projet d'ind茅pendance nationale, lui qui a 茅t茅 jusqu'脿芦 prendre le maquis 禄 pour la cause. Compte tenu l'arrimage, toujours d茅licat du reste, entre la vie et la production d'un auteur, il est impossible de lire l'oeuvre d'Aquin sans lui attribuer une port茅e politique. Celle-ci, bien qu'in茅vitable, constitue cependant une pr茅occupation accessoire dans l'ordre du projet romanesque d'Aquin. 脌 une 茅poque o霉 l'esprit militant est fort, o霉 de nombreux 茅crivains n'h茅sitent pas 脿 faire de la litt茅rature une tribune sociale et politique, Aquin refuse d'incliner son activit茅 de romancier vers une forme d'engagement autre qu'esth茅tique. Cette pr茅dominance formelle camoufle en outre chez lui une r茅pulsion 脿 l'茅gard des oeuvres o霉 l'茅crivain disserte et explique plut么t que de nous faire vivre l'histoire. Son refus de l'excroissance philosophique, th茅orique ou didactique du r茅cit n'est pas original en soi. Il l'inscrit au contraire dans une tradition de romanciers qui ont d茅fendu la valeur artistique du roman. Ainsi, Aquin para卯t quasiment avoir fait sienne l'ambition flaubertienne d'茅crire un 芦 livre sur rien 禄. L'茅videmment de la forme prend chez lui l'allure d'un d茅fi technique grisant et radical en ce sens qu'il menace la port茅e signifiante du r茅cit de mani猫re globale.

Au niveau de la pratique romanesque, Aquin reconna卯t d'ailleurs avoir de la difficult茅脿茅laborer la trame de ses r茅cits. Il note : 芦 Je n'ai pas l'esprit 脿 fabriquer des intrigues. Quand j'entrevois un roman, une pi猫ce ou une nouvelle, je vois des moments, des instants path茅tiques ou d茅chirants. Mais aussit么t que j'essaie d'int茅grer ces beaux instants 脿 une histoire, le raccord ne se fait pas. 禄 (Aquin, 1992, p. 169) Ces lignes furent 茅crites en 1953. Aquin est encore jeune (24 ans) et inexp茅riment茅 sur le plan romanesque 鈥� 12 ann茅es le s茅pare de听Prochain 茅pisode, son premier roman publi茅. On pourrait postuler qu'il n'a pas encore quitt茅 l'芒ge de la po茅sie, pas tant parce qu'il cherche l'effet path茅tique et d茅chirant, mais parce qu'il con莽oit l'effet po茅tique dans une forme instantan茅e, momentan茅e, donc en unit茅s temporelles closes et br猫ves. C'est comme s'il cherchait 脿茅crire le roman 脿 partir du po猫me, c'est-脿-dire en partant d'une intensit茅 po茅tique et dramatique maximale, autonome pourrait-on ajouter, pour ensuite 茅tablir les transitions qui n茅cessitent un d茅lassement de la charge po茅tique dans une dur茅e.

Aquin n'est toutefois pas un 茅crivain qui accepte les compromis et son roman conservera quelques traits de cet听芒ge de la po茅sie, notamment une fulgurance stylistique, dans les images comme dans la narration, qui tranche avec la lenteur et la m茅ditation romanesque, mais aussi un go没t pour la provocation et l'extr茅misme qui rappelle un esprit jeune et insoumis. 芦 L'art, [茅crit-il], doit toujours aller trop loin 禄. (Aquin, 1992, p. 116) Cette radicalit茅 s'observe dans听Prochain 茅pisode听: le titre nous projette d'embl茅e dans l'exc茅dent de l'oeuvre, alors que le suspens 鈥� la tension, l'appel du texte 鈥� tient sans doute davantage au jeu formel 鈥� le d茅tournement des codes du roman d'espionnage et la mise en abyme identitaire 鈥�, qu'脿 la qu锚te du personnage, r茅duite 脿 un 茅pisode au sens d'un 茅v茅nement secondaire, voire d'un simple pr茅texte pour 茅lever la structure du roman, monument sans utilit茅.

脡tant donn茅 ce souci formel prononc茅, il est tentant de faire appel 脿 l'influence mallarm茅enne, d'autant qu'aux yeux d'Aquin 芦 [l]e langage [est] le grand probl猫me du romancier 禄. (Aquin, 1992, p. 177) Ce faisant, l'enjeu premier du roman est toujours li茅脿 une certaine autor茅flexivit茅. 脌 la lumi猫re de la 芦 disparition 茅locutoire du po猫te 禄, Aquin sugg猫re que le lecteur, auquel cette disparition conf猫re plus de pouvoir, acc猫de au plaisir et au d茅foulement gr芒ce aux manoeuvres formelles du romancier. Pas de doute que le roman soit, comme il le dit, 芦 une aventure intellectuelle 禄 (Aquin, 1992, p. 143) dans la mesure o霉 un d茅fi doit 锚tre relev茅, un probl猫me solutionn茅, 脿 la mani猫re du d茅tective contraint de reconstituer la sc猫ne du crime 脿 partir des indices r茅colt茅s au fil de l'enqu锚te. Selon cette analogie, le romancier joue alors le r么le du malfaiteur, celui qui brouille les pistes, et il incombe au lecteur d'茅lucider la structure myst茅rieuse du roman. On en revient donc 脿 la primaut茅 de la forme qui, du reste, d茅coule peut-锚tre du sentiment que l'originalit茅 est un leurre. Ce qui distingue un bon romancier d'un grand romancier, c'est toujours le style, la dimension po茅tique, car il importe peu de dire quelque chose que tout le monde conna卯t d茅j脿, ne serait-ce qu'intuitivement 鈥� la vie, la mort, l'amour, la haine, la justice, l'abus, la beaut茅, l'abjection, etc. 芦 [C]e qui importe, a dit Borges, c'est ce que cr茅ent dans l'esprit du lecteur telles ou telles paroles dites dans tel ordre ou selon telle cadence. 禄 (Borges, 2010, p. 9) Aquin n'aurait pas h茅sit茅脿 signer cette d茅claration puisqu'il a tr猫s t么t compris que la seule voie du succ猫s litt茅raire, cette singularit茅 qui ravit un lecteur, passe par la forme.

Le grand souci stylistique et structurel mis de l'avant dans l'art romanesque d'Hubert Aquin ne se traduit toutefois pas par un hyper-formalisme ou une rh茅torique st茅rile. M锚me s'il demande 脿 l'art 芦 d'aller toujours trop loin 禄, Aquin cherche 脿茅viter le roman sur-茅crit, la phrase rigide et le style froidement m茅canique. Gracq lui sert sur ce plan de contre-mod猫le, jugeant son 茅criture trop polie et soign茅e, de sorte que le texte se pr茅sente d'embl茅e comme artifice et n'offre que 芦 des joies professionnelles. 禄 (Aquin, 1992, p. 176) Aquin montre d'abord de l'int茅r锚t et de la sympathie pour l'auteur d'Un beau t茅n茅breux听dans les pages de son听Journal, mais il prend rapidement ses distances par rapport 脿 lui, opposant 脿 son 茅criture raisonn茅e et minutieuse, une esth茅tique beaucoup plus d茅brid茅e qu'il met au service des passions. Aussi Aquin oppose-t-il Shakespeare 脿 Gracq, admirant chez le po猫te anglais 芦 l'extraordinaire force 禄 de l'image qu'il compare 脿 une 芦茅jaculation arrach茅e du coeur m锚me de l'artiste. 禄 (Aquin, 1992, p. 176) Comme le sugg猫re cette derni猫re m茅taphore, Aquin croit que l'茅criture doit proc茅der d'une forme de jouissance, de pulsion men茅e 脿 son terme. Ceci explique d'ailleurs, du moins en partie, sa fascination pour la mythologie et les drames antiques, car il semble toujours viser la catharsis, la purge par l'art. L'esth茅tique baroque d'Aquin est 脿 mettre en lien avec ce rapport visc茅ral 脿 l'茅criture qui soumet la pratique du romancier 脿 une expression urgente, impulsive, d茅sordonn茅e 鈥� une sorte de jaillissement 芦 imp茅rieux 禄 auquel l'intelligence n'a d'autre choix que de se soumettre.

Une tension para卯t ainsi soutenir la pens茅e romanesque d'Aquin puisqu'un premier mouvement tourne l'茅criture vers elle-m锚me, voire contre son expansion naturelle, dans la mesure o霉 une conscience critique veille sans cesse 脿 r茅duire le propos 脿 l'essentiel afin d'茅viter le bavardage, cependant qu'un second mouvement favorise l'incarnation festive, d茅complex茅e, bruyante de l'茅criture. C'est que Aquin n'est pas de ceux qui rabattent l'essence du langage sur l'espoir d'une parole rendue 脿 l'茅loquence pure et totale du silence. Si Aquin manifeste 脿 plusieurs reprises dans son听Journal听le besoin de limiter le projet romanesque aux 茅l茅ments indispensables, laissant听a priori听pressentir au lecteur une affection pour la prose retenue, force est d'admettre, 脿 la lumi猫re de son style, que son id茅e de la n茅cessit茅 rh茅torique et narrative ne s'aligne pas sur celles de la sobri茅t茅 et de la circonspection. Peut-锚tre faut-il, pour comprendre ce qu'Aquin regroupe sous le terme 芦 essentiel 禄, s'en remettre 脿 la notion de personnage 脿 laquelle il revient constamment au fil de sa r茅flexion. Il note :

Un bon romancier doit nous mettre en contact direct avec ses personnages et ne nous pr茅senter le reste de l'univers que par eux. Toute consid茅ration objective est un parasite qui se nourrit aux flancs du roman lui-m锚me. Une fois que le lecteur est int茅ress茅 au personnage il admettra que ce personnage soit int茅ress茅脿 certaines choses 鈥� mais jamais que le romancier s'arroge un droit strictement r茅serv茅 au personnage et prenne, sur son cr茅dit, de nous int茅resser 脿 des 茅v茅nements ou des r茅alit茅s n'ayant pas de rapport dramatique avec l'action. (Aquin, 1992, p. 176-177)

Il est ainsi permis de penser que l'essentiel d'un roman, selon Aquin, se r茅sume 脿 ce que la conscience du personnage parvient 脿 cautionner et, par cons茅quent, que l'essentiel peut avoir beaucoup d'amplitude, c'est-脿-dire qu'il n'appelle pas n茅cessairement une pratique restrictive du r茅cit et du langage.

L'objectif principal du romancier est de donner 脿 l'oeuvre une 芦 pesanteur de vie 禄 (Aquin, 1992, p. 179), dit encore Aquin dans son听Journal. Le mot 芦 vie 禄 nous met d'embl茅e sur la piste d'un v茅cu, d'une subjectivit茅. La 芦 pesanteur du monde 禄 appellerait quelque chose de plus objectif et de mieux enracin茅, tandis que la 芦 pesanteur de vie 禄 sugg猫re une mobilit茅, une instabilit茅, une mati猫re fuyante que le romancier doit en quelque sorte d茅canter dans une forme. Cette pesanteur ne demande pas de produire un inventaire du r茅el ou une recherche descriptive, mais plut么t de sortir de soi-m锚me, d'锚tre charitable envers l'autre au point d'en 茅pouser la conscience et le langage. C'est notamment un des enseignements qu'il retient de Proust, lequel a sans doute aussi contribu茅脿 sa fascination pour le monologue int茅rieur qui, en tant que technique narrative, ne pr茅sente plus un personnage, mais d茅voile l'exp茅rience intime qui le singularise. Ce n'est pas la 芦 pesanteur du monde 禄 qu'on 茅prouve alors, mais celle 芦 d'un听monde 禄 senti et per莽u par un sujet, si bien que le roman quitte 芦 l'orni猫re r茅aliste 禄鈥� l'expression est d'Aquin 鈥� pour entrer dans la dimension fantastique d'une 芦 conscience transformatrice 禄.

Aquin soutient que pour 芦 entrer dans son personnage le romancier [鈥 doit [鈥 en arriver au monologue int茅rieur le plus 茅pur茅. 禄 (Aquin, 1992, p. 119) Fid猫le 脿 son extr茅misme, Aquin s'enthousiasme 脿 l'id茅e d'un monologue int茅rieur radicalis茅 qui transforme le roman en d茅dale o霉 le lecteur n'a d'autre choix que de s'emp锚trer, de se laisser 茅tourdir par le trafic de la conscience o霉 les symboles et la r茅alit茅 se m锚lent. Il semble 茅trange d'esp茅rer autant jeter la confusion dans l'esprit du lecteur et pourtant Aquin trouve une jouissance 茅vidente 脿 rendre opaque ce qui est d'ordinaire pr茅sent茅 avec transparence. On s'en 茅tonne moins lorsqu'on sait qu'il est rompu 脿 la plume d'茅crivains r茅put茅s difficiles : Mallarm茅, Rimbaud, Claudel, Joyce, Faulkner鈥� Sur l'herm茅tisme, Aquin 茅crit :

L'expression obscure, herm茅tique ou le culte du myst猫re verbal d茅note, 脿 proprement parler, une volont茅 de 芦 cacher quelque chose 禄. Ce besoin de cacher (qui se diff茅rencie toujours du go没t ou de la mode litt茅raire) manifeste que l'auteur est coupable. L'obscuration esth茅tique (et le clair-obscur m锚me) expriment une culpabilit茅 secr猫te, profonde ou diffuse. (Aquin, 1992, p. 200)

Lorsqu'on conna卯t le style complexe, parfois alambiqu茅, d'Aquin, son vocabulaire truff茅 de n茅ologismes, de mots rares et de d茅clinaisons pharmacologiques, on se doute qu'un 芦 noyau de culpabilit茅禄 exerce une importante force de gravit茅 sur son 茅criture. Il serait sans doute vain d'identifier l'origine de cette culpabilit茅, ce qui importe ici de r茅p茅ter, c'est l'id茅e que la litt茅rature pour Aquin sert 脿 expier quelque chose, d'o霉 l'impression que son art romanesque g茅n猫re un d茅foulement. Or un d茅foulement d'une telle ardeur que m锚me l'int茅grit茅 de l'oeuvre en est victime, Aquin agissant 脿 la mani猫re d'un enfant qui met des heures 脿 construire un ch芒teau de sable pour le plaisir final de le d茅molir 脿 coups de pied, se d茅lectant simultan茅ment du spectacle de cette destruction et du regard m茅dus茅 des gens autour de lui qui s'expliquent mal son exc猫s de rage. Cette analogie n'est pas gratuite puisqu'on lit dans听le Journal听:

Ce que je veux faire [鈥 c'est d'annoncer d'abord l'unicit茅 de ma structure et, ce postulat 茅tant pos茅, de multiplier les complexit茅s pour finalement m'y ab卯mer avec d茅raison et d茅voiler le tissu d'incoh茅rences et d'incorrespondances de tous les indices. C'est 脿 peu pr猫s comme si, dans le genre policier, je multipliais les 茅nigmes au d茅part et me complaisais dans l'inflation des 芦 pistes 禄 [鈥 pour ne pas aboutir, en fin de compte, 脿 la d茅couverte de l'assassin, mais 脿 l'aveu d茅lirant du non-sens de cette enqu锚te et, somme toute, 脿 la destruction pure et simple de mon propre roman policier. (Aquin, 1992, p. 250)

Il y a quelque chose de juv茅nile, me semble-t-il, dans une telle ambition romanesque, non pas parce que le projet d茅note de l'immaturit茅, mais parce qu'il se pr茅sente quasiment comme un jeu, une plaisanterie faite au lecteur. Ce n'est toutefois pas le divertissement qui est vis茅, mais la tromperie. En cela Aquin honore sa devise 鈥� 芦 je d茅莽ois 禄 (Aquin, 1995, p. 237) 鈥� et son art romanesque, teint茅 par son 芦 obsession de l'茅chec 禄, en est un, justement, de la d茅ception, mais une d茅ception calcul茅e.

Hubert Aquin pr茅sent茅 sous les traits d'un enfant prenant d'assaut son ch芒teau de sable m'invite 脿 convoquer le po猫me 芦 Le jeu 禄 de Saint-Denys Garneau pour conclure. Le po猫te y est justement compar茅脿 un enfant qui transforme sa chambre en un monde nouveau o霉 se dressent des maisons et des ch芒teaux. Le po猫me rend d'une part sensible l'espace symbolique du jeu, lieu sacr茅 que l'adulte risque de profaner en mettant son pied dans la chambre; il fait d'autre part 茅tat de la plaisanterie 脿 laquelle prend part l'enfant lorsqu'il joue ainsi 脿 poss茅der le monde. 芦 Il met la chambre 脿 l'envers et vraiment l'on ne s'y reconna卯t plus / Comme si c'茅tait un plaisir de berner les gens 禄 (Saint-Denys Garneau, 1993, p. 13), peut-on lire dans le po猫me.

Le po猫te oscille et voit double; un oeil rit tandis que l'autre est grave, dit encore le po猫me. On pourrait ajouter que l'un jette sur les choses un regard suffisamment grand 芦 pour tout prendre 禄, alors que l'autre porte sur le monde un regard fini. Saint-Denys Garneau est aux prises avec cette vision 茅quivoque : appel茅 par le 芦 paradis des libert茅s 禄 que lui ouvre le jeu, la litt茅rature, en m锚me temps qu'inqui茅t茅 par l'id茅e que ce m锚me jeu, cette m锚me litt茅rature puisse 锚tre une tromperie. Il me semble que chez Aquin cette 茅quivoque dispara卯t, comme si l'enfant 茅tait devenu franchement diabolique, habit茅 par la seule ambition de ne rien laisser debout, de tout ramener au vide et de faire ainsi du roman la n茅gation du romanesque, dont l'un des traits tient peut-锚tre 脿 cette capacit茅 de 芦 tout prendre 禄. Alors que la possibilit茅 de 芦 berner 禄 l'autre installe Saint-Denys Garneau dans l'angoisse, elle conduit en revanche Aquin 脿 la pure excitation. Si son art du roman met tout en oeuvre pour nier le romanesque, il semble tout autant parvenu 脿 faire de cette n茅gation romanesque l'occasion du roman.

Ouvrages cit茅s :

Hubert Aquin,听Journal听1948-1971, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1992.
Hubert Aquin,听M茅langes litt茅raires I.听Profession : 茅crivain, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995.
Jorge Luis Borges cit茅 par Jacques Ancet, 芦 Pour la pauvret茅禄, dans Jorge Luis Borges,听La proximit茅 de la mer. Une anthologie de 99 po猫mes, Paris, Gallimard (Du monde entier), 2010, p. 9-25.

Bibliographie

Ouvrages cit茅s
La pr茅sente bibliographie comprend la part non fictionnelle de l'oeuvre d'Hubert Aquin. L'art romanesque de cet 茅crivain est essentiellement d茅fini dans les pages de son听Journal, mais le lecteur pourra se rapporter aux essais de听Point de fuite听ainsi qu'aux textes regroup茅s dans les听M茅langes litt茅raires听(2. vol.) et les听Blocs erratiques听pour en pr茅ciser les contours.
Journal 1948-1971, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1992. Point de fuite, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995. M茅langes litt茅raires I. Profession : 茅crivain, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995. M茅langes litt茅raires II. Comprendre dangereusement , Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995. Blocs erratiques, Montr茅al, Typo, coll. 芦 Essais 禄, 1998 [1977].

Ouvrages cit茅s

La pr茅sente bibliographie comprend la part non fictionnelle de l'oeuvre d'Hubert Aquin. L'art romanesque de cet 茅crivain est essentiellement d茅fini dans les pages de son听Journal, mais le lecteur pourra se rapporter aux essais de听Point de fuite听ainsi qu'aux textes regroup茅s dans les听M茅langes litt茅raires听(2. vol.) et les听Blocs erratiques听pour en pr茅ciser les contours.

Journal 1948-1971, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1992.

Point de fuite, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995.

M茅langes litt茅raires I. Profession : 茅crivain, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995.

M茅langes litt茅raires II. Comprendre dangereusement , Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995.

Blocs erratiques, Montr茅al, Typo, coll. 芦 Essais 禄, 1998 [1977].

Citations

Journal 1948-1971, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1992.
[脌 propos de听Claire听de Jacques Chardonne] 芦 Ce personnage ne se mesure pas avec la vie, il ne tente que de faire bon m茅nage avec elle, de bien s'arranger : surtout il ne veut pas qu'elle le d茅range. Absence de tragique. Cet homme ne ma卯trisera jamais la vie : il ne cherche ni 脿 la combattre ni 脿 la comprendre (comme fit constamment Du Bos), il ne met toute sa force qu'脿 s'y tailler un petit enclos o霉 se blottir, cet homme ne d茅sire qu'un refuge. 禄 (p. 50) [脌 propos de听Claire听de Jacques Chardonne] 芦 Il [le personnage] ne s'est jamais d茅tach茅 de lui-m锚me, pour que sa vie, sa personne, son bonheur lui apparaissent dans un d茅voilement profond et d茅chirant : il ne conna卯t pas ce survol spirituel (presque extatique) de lui-m锚me (que Baudelaire 茅prouvait jusqu'au supplice, ou 脿 des degr茅s divers, Mauriac, Gide, Claudel). Le d茅passement qu'il a sur sa vie est d'ordre psychologique et moraliste uniquement; mais non m茅taphysique. Voil脿 pourquoi Chardonne n'a pas fait du grand art : il lui manquait ce survol m茅taphysique sur la mati猫re qu'il traitait; sa pens茅e est trop circonscrite. 禄 (p. 51) 芦 Dans le grand art, la vie n'est jamais pr茅sent茅e directement : mais recr茅e 脿 neuf, compl猫tement projet茅e dans un autre univers qui est celui de la vision int茅rieure approfondie. Voil脿 la transposition int茅grale. L'茅crivain qui s'en est le plus approch茅, je pense, c'est Kafka. Dans cet art l'expression de la vie et des personnages est tout 脿 fait renouvell茅e : elle a une autre r茅sonance que l'habituelle, (et cela va jusqu'au langage). Ramuz a tendu 脿 cela. Gide parfois. Et Claudel. 禄 (p. 51-52) 芦 Il y a toujours trop de mots dans une oeuvre d'茅crivain, je voudrais les r茅duire 脿 l'indispensable. [...] Il y a toujours trop de mots entre moi et moi : ils encombrent, et 脿 force d'en mettre leur transparence devient opacit茅. Ne dire que les paroles indispensables. 禄 (p. 55-56) 芦脌 vouloir ne dire que l'essentiel on avance tr猫s lentement. L'on veut trop. Ne pas oublier que l'art est aussi une f锚te : il a quelque chose de gratuit, de d茅gag茅; un air de f锚te qu'il ne faut pas n茅gliger. 禄 (p. 58) [脌 propos de Julien Green] 芦 Son souci d'impeccabilit茅 de style le retient de s'emporter aux moments o霉 la violence de son inspiration 鈥渇antastique鈥� l'exigerait. Son purisme trop souvent refroidit l'intensit茅 du r茅cit : j'ai l'impression qu'il frustre sa propre inspiration de sa pl茅nitude, en voulant lui donner une expression toujours impeccable, sans hoquet, sans extravagance : il lui inflige une allure ext茅rieure toujours 茅gale 脿 elle-m锚me. 禄 (p. 75-76) [脌 propos du roman de Stendhal] 芦 Lucien Leuwen est une histoire d茅cevante. Avec une sorte d'aveuglement, le h茅ros semble avoir r茅sign茅 [sic] de vivre ce qu'il aime. Tout le premier volume de ce r茅cit nous fait esp茅rer un 茅clatement d'id茅al dans l'amour, et il est d茅solant de voir cette tension vers un id茅al d'amour et de bonheur s'abrutir et s'茅teindre dans la mise en sc猫ne politique. Et toutes les fois o霉, au second volume, Stendhal rappelle l'image de Mme de Chasteller, on a le sentiment que c'est pas rigueur intellectuelle, pour mettre de la suite dans le caract猫re de son personnage : on sait, et Stendhal ne peut le dissimuler, que tout est d茅cid茅ment mort. Je reste insatisfait de ce personnage d茅fait, qui se retranche dans une vie que lui-m锚me m茅prise : c'est plus fort qu'un chagrin d'amour, c'est un inexplicable revirement. 禄 (p. 101) 芦 Il n'est qu'une chose dans ma vie pr茅sente qui pr茅figure ce temps de l'action totale, et qui n'est pas un d茅lai mais une fin 鈥� c'est le roman.听Les r茅dempteurs. Je lui consacre ma disponibilit茅 et mes passions. 禄 (p. 103) [脌 propos de听Jean Barois听de Roger Martin du Gard] 芦 Je suis d茅莽u de voir que le meilleur de l'auteur semble passer dans les听dicussions听religieuses : d猫s qu'une discussion religieuse s'engage (Dieu sait si ce roman en contient), nous quittons l'histoire des personnages, nous sortons du plan historique, et on a l'impression que l'auteur donne 脿 ces discussions une valeur pol茅mique, qui n'a vraiment pa sa place dans un roman. C'est une sorte de roman d'id茅es, o霉 le drame personnel et l'action v茅ritable sont nettement n茅glig茅s. 鈥� Un d茅tail 脿 remarquer : aucune simultan茅it茅 dans l'action, et surtout aucun听鈥渇lash back鈥�. L'auteur semble incapable de traiter les 茅v茅nements d'une vie autrement qu'脿 la suite l'un de l'autre, et d'une fa莽on rigoureusement chronologique. Pas de contrepoint temporel : la vie est une ligne droite dont le romancier suit le fil tel qu'il se pr茅sente dans la r茅alit茅. Du Gard ne prend pas de points de vue sur le donn茅 du temps : il le reprend tel qu'il s'est 茅coul茅, fid猫lement, avec une sorte de prudence 脿 ne jamais brusquer le cours d'une vie. 禄 (p. 104-105) 芦 Gracq ne prend rien pour acquis : il ne se fait pas facilement aux choses, au r茅el. Tout pour lui rec猫le un sens cach茅 qu'il pressent : les 锚tres qu'il c么toie ont un secret. Indiff茅rent 脿 rien, il se sent fi茅vreusement entour茅, il baigne dans un r茅seau de signification et de rapports inavouables. Ce n'est plus la coutumi猫re lucidit茅 qui s'exerce dans un tel monde, mais une sorte de voyance : et de l脿 ce renversement de la psychologie habituelle des romans. Le romancier ne proc猫de plus par analyses et d茅ductions, il ne cherche pas des lois : le romancier devient attentif, fr茅missant devant l'inconnu; les signes lui parlent. Son attitude n'est pas celle de l'analyste, mais d'un homme constern茅 par le noir, mystifi茅 par l'茅tranget茅 d'un geste ou d'une parole. 禄 (p. 106) 芦 L'art dans le roman c'est d'abord la puissance dramatique; la facult茅 de rendre, en plus intime et en plus fort, les drames qui sont les jointures de nos existence. Il faut d'abord sentir intens茅ment ces听drames听dissimul茅s sous les couches mortes de l'habitude, de l'ennui, du mensonge, de l'imitation. Ces trag茅dies extr锚mes, 艗dipe, Hamlet, Raskolnikov..., en qui chaque homme trouve un 茅cho 脿 sa propre vie inexprim茅e, racontent des actes dont les motifs inavouables tra卯nent quelque part en chacun de nous. Si le romancier ne sent pas d'abord ces drames terribles qui hantent les hommes, il ne saura jamais trop faire vibrer, ni 茅clairer quoi que ce soit. 禄 (p. 110) 芦 J'en suis 脿 un point de mon roman o霉 l'expression du fantastique m'appara卯t surtout un probl猫me de mots. Chaque mot, chaque tournure me donne la crainte de passer 脿 c么t茅, de rater l'effet. J'ai surtout peur que cela ait l'air froidement 茅crit, ou artificiel comme Gracq me le para卯t aujourd'hui, ou truqu茅脿 la Val茅ry. Comment faire passer, dans le chapitre qui me reste, le fantastique dans la vigueur et la rapidit茅 du r茅cit; comment sans jouer les effets rendre solidement cette atmosph猫re d'apocalypse qui hante ce r茅cit. Peut-锚tre 茅crire rapidement, aveugl茅ment, dans le feu de l'id茅e, sans penser aux mots qui me viennent. Surtout ne pas faire de cela une oeuvre 鈥溍ヽrite鈥� et dont l'artifice verbal serait un 茅cran 脿 la bouleversante v茅rit茅 de la fable. 禄 (p. 112) 芦 L'image听chez Gracq est comme noy茅e dans la recherche et la s茅rie d'approximations dont elle est l'aboutissement. Il semble qu'ayant ressenti un sentiment, une situation, il tente laborieusement par apr猫s de reconstituer par tout un appareil verbal ses impressions : les images me paraissent chez lui un exercice intellectuel dont on peut dire tout au plus qu'elles sont des trouvailles 鈥� Cette r茅flexion m'est venue devant l'extraordinaire force des images de Shakespeare : elles sont 脿 l'oppos茅 de toute recherche intellectuelle, et semblent, plut么t qu'une laborieuse reconstitution, une 茅jaculation arrach茅e du coeur m锚me de l'artiste. 禄 (p. 115) 芦 L'art, l'ai-je d茅j脿 dit, doit toujours aller trop loin; se tenir 脿 la limite de l'inavouable, dessiner le geste qu'on ose pas faire, la pens茅e qu'on cache. Je pense particuli猫rement 脿 ces rages soudaines qui me prennent parfois dans une foule; 脿 cette fureur qui me porterait 脿 griffer au visage et battre au sang; 脿 ces paroles qui me viennent aux l猫vres devant une personne qui m'inspire; 脿 ces mots d'amour, 脿 ces effusions subites, 脿 ces col猫res vers quoi nous sommes toujours port茅s et que nous contr么lons h茅l脿s facilement 鈥� Pourquoi l'art ne nous ferait-il pas vivre au-del脿 de nos univers silencieux dans des univers de pure et veritigneuse spontan茅it茅. L'art doit vivre 脿 ce niveau d'expression totale de nous-m锚mes, et ainsi nous soulager du monde objectiv茅 o霉 nous vivons. 禄 (p. 116-117) 芦 L'art doit exc茅der le r茅el : nous tirer hors de notre peau, nous introduire 脿 une vie plus profonde, faire battre notre coeur 脿 un rythme extr锚me. Il y a toujours un principe de l'art 鈥� un ennui, une insatisfaction qui nous font d茅sirer 鈥渁utre chose鈥�. C'est trop peu de regarder un paysage, il faut le peindre; c'est trop peu de vivre une vie, il faut en vivre vingt autres; et ainsi nous consoler de notre esxistence limit茅e, en recommen莽ant ailleurs d'impr茅visibles aventures. 禄 (p. 117) 芦 Pour entrer dans son personnage le romancier ne doit pas se servir de tels pr茅textes qui rel猫vent de la contingence (ne faisant pas corps avec l'action) et du cin茅ma. Pour entrer dans son personnage le romancier ne doit pas consentir 脿 toutes ces singeries d'action; mais en arriver au monologue int茅rieur le plus 茅pur茅. 禄 (p. 119) 芦 Gracq n'atteindra jamais la听puissance mythique听qu'il laissait d茅sirer dans听Argol听et le听罢茅苍茅产谤别耻虫, s'il ne comprend pas que ses personnages ne doivent faire que les gestes indispensables et extr锚mes, qu'ils ne doivent se manifester 脿 nous que par des actes essentiels rendant d'un seul coup la totalit茅 de leur 锚tre. Pour les autres gestes que d'autres peuvent faire, qui n'ont aucune urgence ni aucune raison de fatalit茅, ils ne font que surcharger un personnage et le noyer dans la contingence et le plus ou moins. Il faut d'abord 鈥� pour comprendre cette loi dramatique 鈥� tendre 脿 ne poser dans la vie que des actes authentiques, prendre corps dans chacun de ces actes, habiter la totalit茅 de ses propres manifestations. Il me semble que Gracq ne vit pas, n'agit pas 脿 ce niveau d'authenticit茅 et d'incarnation. Chacun de mes actes doit comporter la pl茅nitude de moi-m锚me : et dans une oeuvre d'art 鈥� encore plus ! 禄 (p. 119-120) 芦 La trag茅die de l'amour : y a-t-il d'autre sujet pour le romancier ? D'autre aventure pour une vie d'homme. Une femme aime un homme : il lui a donn茅 un tr茅sor et elle veut lui rendre. Il n'y a plus que cela dans sa vie 鈥� cet absolu qu'on veut prendre dans nos deux mains, ce d茅sir incessant de donner son corps et son 芒me et d'锚tre ainsi dans la pl茅nitude. Si j'茅cris un roman que ce soit celui de l'amour, ce feu inextinguible qui pourrait consumer l'univers pour atteindre un seul 锚tre. Avec l'amour, le monde devient un langage qui sert 脿 exprimer notre extase, le temps devient un po猫me qu'on reprend toujours et qui meurt inachev茅. Il faudrait trouver pour ce roman les circonstances, les conditions extr锚mes qui font de l'amour la trag茅die du temps perdu, la trag茅die de l'inaccessible repos. Il faudrait trouver, si l'on peut dire, les obstacles symboliques, la situation limite 鈥� car l'amour, quel qu'il soit est une trag茅die. 禄 (p. 132) 芦 Cette id茅e de roman se pr茅cise. Mais il faudra faire bien attention de ne pas sombrer dans l'abstraction ou le 鈥渄茅veloppement鈥� intellectuel. Que les points dramatiques soient en tel geste, telle action, telle circonstance, tel lieu 鈥� rechercher le minimum de gestes pour exprimer une trag茅die. Si nous enlevons tous gestes [sic], la trag茅die devient une th猫se, un essai, une id茅e. Si nous en mettons trop, nous voyons la trag茅die dans une reconstitution de la r茅alit茅. [...] Dans la trag茅die, il faut soustraire les personnages 脿 leur environnement habituel : il faut d茅tacher telle action de l'ensemble du tableau, il faut rappeler une seule minute sur les vingt-quatre heures d'une journ茅e. 脌 ce moment-l脿鈥� les 茅l茅ments ext茅rieurs de la trag茅die, ces gestes 鈥渦niques鈥�, deviennent presque symboliques par rapport au contexte r茅el d'o霉 ils sont extraits. 禄 (p. 136) 芦 Je crois que l'emploi des r茅cits de personnages et du monologue int茅rieur exige de la part du romancier un听renoncement听en ce qui regarde le style. Pour la v茅rit茅 du monologue int茅rieur demande [sic] que le romancier prenne le plus ad茅quatemment possible le langage du personnage [...]. Il faut vraimet p茅n茅trer profond dans un personnage pour en arriver 脿 parler son langage 鈥� 脿 voir avec ses yeux, r茅agir avec son 茅motivit茅, et se regarder soi-m锚me 脿 travers lui. Une telle identification demande au romancier un grand d茅pouillement de ses moyens; le romancier doit alors oublier son style, ses pr茅jug茅s, les d茅veloppements. Rien ne compte de lui sinon l'intuition qui lui ouvrira le monde du personnage. 脌 ce prix seulement il peut y avoir un monologue int茅rieur qui soit vrai. 禄 (p. 141-142) 芦 Un roman est pour moi une aventure intellectuelle absolument passionnante 鈥� une sorte de d茅fi que je me sens forc茅 de relever avec 茅l茅gance et force. S'il n'y avait pas cet aspect de difficult茅 intellectuelle et technique, je crois que je serais pas port茅脿 faire de romans. C'est chez moi l'aspect proprement artistique du besoin d'茅crire qui compte 鈥� car sans cela je m'exprimerais autrement sans trop de difficult茅 : par l'action, je veux dire. 禄 (p. 143) 芦 Le romancier ne peut pas raconter des听faits听fantastiques 鈥� mais nous faire vivre, 脿 travers une conscience transformatrice, une r茅alit茅 devenue fantastique. Le fantastique n'est pas dans la vie (ou tr猫s rarement) mais dans la fa莽on de voir, de ressentir la vie. C'est d'abord une vision : une vision d茅formante ou maladive de ce qui peut 锚tre, pour d'autres esprits, parfaitement normal. 禄 (p. 144) 芦 Il faut qu'on d茅saprouve ce jeu de fa莽ade qui consiste 脿 s'茅gratigner vaniteusement; il faut savoir se regarder avec amour et dire : 鈥渘ous sommes tous de pauvres types, apr猫s tout !鈥� 鈥� La puissance de cette piti茅鈥� je la sens en lisant Proust. Dosto茂evski aussi la poss猫de. C'est avec cette piti茅 qu'on peut cr茅er un univers romanesque qui ne soit pas une galerie de caricatures ou une autre de haine ! La piti茅 nous projette vers nos proches, et celle du romancier est tellement irr茅sistible qu'il les recr茅e : quel admirable geste d'amour ! 禄 (p. 148) 芦 L'aptitude vis-脿-vis du pass茅茅tant le noeud de la conscience pr茅sente 鈥� l'aspect souvenir du roman et le plus central. Et m锚me l'effort de l'artiste qui fait un roman est pr茅cis茅ment un acte de souvenir et de jugement port茅 sur le pass茅. 禄 (p. 159) 芦 C'est 茅trange que, si pr茅occup茅 que je sois en th茅orie du langage de la conscience, tout ce qu j'茅cris soit visuel. Je ne suis pas analyste pour un sou et tout ce que je mets dans un roman c'est de l'action et du mouvement ext茅rieur. Mes personnages agissent, dialoguent mais se recueillent pe au sens proustien du mot. Je vois d'ailleurs ma vie comme une action et non comme un recueillement. Je n'aime rien tant qu'une manifestation, et une d茅cision qui risque tout m'attire plus que de monter les degr茅s du Parnasse c茅r茅bral. 禄 (p. 169-170) 芦 Je n'accepte pas que la repr茅sentation de la vie dans un roman soit intercept茅e par autre chose que l'art du romancier. Ou bien : je n'accepte pas que l'art de transposition du romancier s'exerce sur autre chose que la vie elle-m锚me. Toute 茅paisseur documentaire, historique ou id茅ologique dont un romancier recouvre une histoire vitale et dramatique vient encombrer le sujet m锚me d'un roman. Et si, par exemple, la bataille de Waterloo est int茅ressante chez Stendhal c'est que son r茅cit est subordonn茅茅troitement au drame personnel et intime de Fabrice. 禄 (p. 176) 芦 Un bon romancier doit nous mettre en contact direct avec ses personnages et ne nous pr茅senter le reste de l'univers que par eux. Toute consid茅ration objective est un parasite qui se nourrit aux flancs du roman lui-m锚me. Une fois que le lecteur est int茅ress茅 au personnage il admettra que ce personnage soit int茅ress茅脿 certaines choses 鈥� mais jamais que le romancier s'arroge un droit strictement r茅serv茅 au personnage et prenne, sur son cr茅dit, de nous int茅resser 脿 des 茅v茅nements ou des r茅alit茅s n'ayant pas de rapport dramatique 脿 l'action. 禄 (p. 176-177) 芦 Dans un bon roman 鈥� 脿 coup s没r 鈥� il y a plus ou moins un drame de conscience qui est la structure du reste (analyses sociales, etc...). Sans cette structure 鈥� qui se d茅finit par le tragique essentiel de toute vie humaine 鈥� un roman (de moeurs vg) n'est qu'une monographie sociologique, philosophique ou autre... Un reportage ne devient roman que s'il est v茅cu par un personnage 鈥渄ramatique鈥� et aper莽u 脿 travers une conscience qui, en l'assumant, en fait quelque chose de subjectif. [...] Le langage devient le grand probl猫me du romancier. 禄 (p. 177) 芦 Je suis d茅cid茅ment pour une litt茅rature de l'essentiel et du concentr茅. Pour des romans o霉 les personnages sont plus importants que la faconde du romancier. L'essentiel dans un roman est la 鈥減esanteur de vie鈥� et la beaut茅 artistique : les pages de transition ou de remplissage sont impardonnables. 禄 (p. 179) 芦 Au fond, nous avons, depuis des g茅n茅rations, grandi le silence : nous avons v茅n茅r茅 l'indicible et notre litt茅rature a curieusement cherch茅 sa v茅rit茅 au-del脿 des mots et non dedans. S. J. Perse me para卯t, lui, avoir creus茅 les mots. Son entreprise po茅tique constitue ainsi une r茅volution. Il ne faut pas employer les mots 脿 regret ou avec d茅dain, et chercher au-del脿 de leur r茅alit茅 une autre r茅alit茅 plus grande du silence. 禄 (p. 192) 芦 Une notion 脿 retenir du听Livre 脿 venir听de Blanchot : chaque roman implique la contestation du genre roman, chaque oeuvre est une exception ! Cette contestation essentielle non seulement au roman mais 脿 toute oeuvre d'art, pourquoi ne pas l'incorporer au roman, l'assumer artistiquement, en faire un des aspects pol茅miques (la parole est pol茅mique !) du d茅roulement romanesque. [...] Assimiler la contestation esth茅tique en trouvant une valeur et une forme esth茅tique : qu'elle soit subordonn茅e 脿 un ensemble lyrique ou dramatique, non plus isol茅e comme un probl猫me. Analogiquement, l'intelligence doit entrer dans le roman non plus comme un anticorps, mais en s'y incorporant cr茅ativement. 禄 (p. 193) 芦 L'explication, trop souvent, ressemble 脿 une 谤茅诲耻肠迟颈辞苍 : 鈥淐e n'est que cela apr猫s tout...鈥� Voil脿 pourquoi l'explication dans un roman para卯t odieuse et exprime peut-锚tre, 脿 la limite, le peu d'amour du romancier pour ses personnages. [...] Il ne faut pas seulement expliquer : il faut aller au-del脿 du m茅canisme mental de听谤茅诲耻肠迟颈辞苍听et donner en 茅change de la grandeur 脿 ce qu'on explique. Racheter l'explication par la cr茅ation de la vie. 禄 (p. 196) 芦 Je voudrais d'un sujet tout en fuite et dont le mouvement engendre la r茅alit茅 fuie si passionn茅ment. La fuite, m锚me la plus extatique, est le pr茅lude de la mort et son pressentiment. 禄 (p. 197) 芦 Ne pas noyer mes personnages dans le flot du r茅cit : ne pas les masquer par leurs actes trop grands. L'茅pop茅e ext茅rieure peut correspondre 脿 un 芒ge h茅ro茂que 鈥� celle qui, en projection, se d茅roule dans la vie et la pens茅e du h茅ros est de nul temps. Le contrepoint de ces deux 茅pop茅es est le vrai sujet de mon roman. Je ne veux isoler ni l'acte ext茅rieur et collectif par le r茅cit 鈥� ni les h茅sitations, ni les hontes, ni les secrets du h茅ros par une description psychologique. Mon h茅ros agit dans le temps (voil脿 le r茅cit) 鈥� mais le temps agit sur lui (voil脿 l'analyse). [...] Mon concert, je veux dire mon roman, sera la seule forme unifiante de cette rencontre, de cette lutte entre un homme et l'histoire. 禄 (p. 193) 芦 L'expression obscure, herm茅tique ou le culte du myst猫re verbal d茅note, 脿 proprement parler, une volont茅 de 鈥渃acher quelque chose鈥�. Ce besoin de cacher (qui se diff茅rencie toujours du go没t ou de la mode litt茅raire) manifeste que l'auteur est coupable. L'obscuration esth茅tique (et le clair-obscur m锚me) expriment une culpabilit茅 secr猫te, profonde ou diffuse. [...] Ainsi ce go没t litt茅raire que j'ai pour le myst猫re proc猫de de ce noyau int茅rieur que je ne connais pas encore en moi, mais qui me fait engendrer, quand j'茅cris, des formes obscures, d茅guis茅es, mystifiantes. Je redoute 脿 la fois ce penchant 鈥� car je l'ai longtemps tax茅 d'锚tre听鈥渁cquis鈥� et non inn茅. Je me suis m茅fi茅 de lui : j'ai jet茅 un voile sur ce besoin obscur de tout voiler. J'ai retard茅, par ma m茅fiance, mon 茅closion et ma f茅condation d'une oeuvre. 禄 (p. 200-201) 芦 Je me demande si l'attrait formel des romans ou trag茅dies ne consiste pas 脿 voiler les structures invariables de toute situation dramatique. Les formes du r茅cit sont des voiles jet茅s sur un mythe identique, r茅p茅t茅 sans cesse par tous les 茅crivains du monde. Le r茅cit est la fa莽on de d茅voiler le mythe.听Absalon absalon听de Faulkner n'est-il pas l'exemple extr锚me et merveilleux de ce processus. Je dois construire mon histoire aussi comme une s茅rie d'茅nigmes ou de d茅doublements, en progression de d茅voilement, d'un fait unique : la rencontre, l'union de mon personnage et de la jeune fille. 禄 (p. 214-215) 芦 Ce que je veux faire 鈥� et qui me ressemble tant ! 鈥� c'est d'annoncer d'abord l'unicit茅 de ma structure et, ce postulat 茅tant pos茅, de multiplier les complexit茅s pour finalement m'y ab卯mer avec d茅raison et d茅voiler le tissu d'incoh茅rences et d'incorrespondances de tous les indices. C'est 脿 peu pr猫s comme si, dans le genre policier, je multipliais les 茅nigmes au d茅part et me complaisais dans l'inflation des 鈥減istes鈥� (technique admise par le lecteur qui aime qu'on joue avec lui !) pour ne pas aboutir, en fin de compte, 脿 la d茅couverte de l'assassin, mais 脿 l'aveu d茅lirant du non-sens de cette enqu锚te et, somme toute, 脿 la destrcution pure et simple de mon propre roman policier. Comme je situe le roman que j'茅cris au second degr茅 policier, je dois d茅truire encore plus, donc 茅difier plus savamment encore les ruines que je ne d茅voilerai qu'脿 la fin et dont l'茅vidence nie l'entreprise m锚me du romancier. 禄 (p. 250) 芦 L'茅chec, voil脿 mon obsession 鈥� ma seule passion et celle que je retrouve, 脿 un niveau collectif, dans l'histoire du Canada fran莽ais. Mobile secret du roman que j'ai entrepris, l'茅chec 鈥� celui m锚me du roman 鈥� c'est ce qui m'est donn茅 d'锚tre : le听substrat听ontologique, une forme 鈥� et je ne puis me r茅aliser que dans le sens de cet 茅chec : le succ猫s pour moi n'aura d'autre visage que celui de cet 茅chec assouvi, accompli. 禄 (p. 251)
Point de fuite, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995.
芦鈥溍塩rivain faute d'锚tre banquier鈥� 禄, p. 9-17. 芦 Sur le plan artistique, je suis non engag茅. D'ailleurs,听Prochain 茅pisode听est un t茅moignage, une confession, non un roman engag茅 au sens 茅troit du terme, c'est-脿-dire une prise de position politique. Si je voulais m'engager, je le ferais sur un autre plan. J'茅cris par appartenance, non par engagement. 禄 (p. 12) 芦 La litt茅rature est pour moi une activit茅 parmi d'autres. Et en elle d'ailleurs se trouve une autre distanciation. La litt茅rature est une sorte de formalisme dans lequel le contenu est secondaire. L'id茅e d'茅crire un roman me vient plus par la forme que par le contenu. Je ne cherche pas quoi dire, mais comment le dire. D'ailleurs, je ne comprends pas qu'un romancier puisse chercher des id茅es de roman. Pour moi, un romancier doit courir apr猫s des formes. Le contenu, il l'a en lui et il le sort dans la forme choisie. Dans听Prochain 茅pisode, m锚me s'il a 茅t茅茅crit dans des circonstances particuli猫res, j'ai 茅t茅 plus pr茅occup茅 par la forme que par le contenu, puisque le m锚me contenu aurait pu trouver une autre forme. Il s'agissait pour moi de savoir comment 茅crire un roman d'action, d'espionnage plus pr茅cis茅ment. 禄 (p. 15-16) 芦 Profession : 茅crivain 禄, p. 45-49. 芦 L'explosion comporte des d茅savantages s茅rieux, entre autres celui de faire voler en 茅clats toute structure historique situ茅e dans un certain rayon d'onde de choc. La structure doit se d茅celer, f没t-ce dans une astructure litt茅raire du type Robbe-Grillet. Ainsi l'astructuration 茅quivaut 脿 une structuration si elle concerne le m锚me champ d'action, la litt茅rature par exemple.听 Or dans mon cas, si la structure 茅clate sous le coup de la d茅flagration qui se produit en moi, ce n'est pas pour laisser la place 脿 une contre-structure litt茅raire, mais pour ne laisser aucune place 脿 la litt茅rature qui n'exprimerait, si je c茅dais 脿 ses charmes, que la domination dont je suis le si猫ge depuis deux si猫cles. 禄 (p. 50) 芦 L'茅crivain, 脿 plus forte raison maintenant que l'incertitude gangr猫ne toute existence autour de lui, ne peut b茅n茅ficier d'un statut 茅piscopal, ni d'une exemption de r茅alit茅, ni d'un d茅gr猫vement de douleur. La syntaxe, la forme, le sens des mots subissent aussi des d茅flagrations. Tout est syncope, et l'茅crivain qui entreprend de faire vivre ce qui le tue, il 茅crira non pas l'histoire stendhalienne des carbonari canadiens-fran莽ais, mais une oeuvre aussi incertaine et aussi formellement malsaine que l'oeuvre impure qui s'accomplit en lui et dans son pays. 禄 (p. 57) *芦 Plan partiel de听L'Antiphonaire听禄, p. 99-114.* 芦鈥� ne pas rendre les niveaux historiques trop 茅galement听辫补谤补濒濒猫濒别蝉; 鈥� ne pas 鈥� en passant de l'un 脿 l'autre 鈥� escamoter ainsi les sc猫nes importantes; 鈥� 脿 la fin, la composition doit se d茅traquer : une sorte de contagion frissonnante fait se fondre, avec confusion et d茅sordre, des intrigues distinctes nettement 茅loign茅es l'une de l'autre dans le temps : une sorte de sombre d茅sordre doit se propager et rendre indiscernables les diff茅rentes histoires des personnages, ainsi que l'identit茅 des personnages... je ne dis pas qu'il faut donner n茅cessairement beaucoup d'extension 脿 cette phase confusionnelle terminale; mais simplement qu'il faut 鈥� quand on lit ce roman 鈥� avoir soudain le sentiment que l'ordre et l'茅cart猫lement temporel sont subitement pulv茅ris茅s 鈥� faisant place, alors, au pire d茅sordre imaginable... Et si possible, tout finir en queue de poisson. 禄 (p. 106-107) *芦 Apr猫s听L'Antiphonaire听禄, p. 115-116.* 芦 Je me sens vide, pr茅dispos茅鈥� donc 鈥� 脿 me nourrir des obsessions nouvelles associ茅es 脿 un futur roman. 禄 (p. 115) 芦脌 force d'茅crire sans suite logique, je vais arriver 脿 formuler le plan du prochain roman 鈥� 脿 lui donner une sorte de consistance pr茅gestalique. 禄 (p. 115)

Journal 1948-1971, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1992.

[脌 propos de听Claire听de Jacques Chardonne] 芦 Ce personnage ne se mesure pas avec la vie, il ne tente que de faire bon m茅nage avec elle, de bien s'arranger : surtout il ne veut pas qu'elle le d茅range. Absence de tragique. Cet homme ne ma卯trisera jamais la vie : il ne cherche ni 脿 la combattre ni 脿 la comprendre (comme fit constamment Du Bos), il ne met toute sa force qu'脿 s'y tailler un petit enclos o霉 se blottir, cet homme ne d茅sire qu'un refuge. 禄 (p. 50)

[脌 propos de听Claire听de Jacques Chardonne] 芦 Il [le personnage] ne s'est jamais d茅tach茅 de lui-m锚me, pour que sa vie, sa personne, son bonheur lui apparaissent dans un d茅voilement profond et d茅chirant : il ne conna卯t pas ce survol spirituel (presque extatique) de lui-m锚me (que Baudelaire 茅prouvait jusqu'au supplice, ou 脿 des degr茅s divers, Mauriac, Gide, Claudel). Le d茅passement qu'il a sur sa vie est d'ordre psychologique et moraliste uniquement; mais non m茅taphysique. Voil脿 pourquoi Chardonne n'a pas fait du grand art : il lui manquait ce survol m茅taphysique sur la mati猫re qu'il traitait; sa pens茅e est trop circonscrite. 禄 (p. 51)

芦 Dans le grand art, la vie n'est jamais pr茅sent茅e directement : mais recr茅e 脿 neuf, compl猫tement projet茅e dans un autre univers qui est celui de la vision int茅rieure approfondie. Voil脿 la transposition int茅grale. L'茅crivain qui s'en est le plus approch茅, je pense, c'est Kafka. Dans cet art l'expression de la vie et des personnages est tout 脿 fait renouvell茅e : elle a une autre r茅sonance que l'habituelle, (et cela va jusqu'au langage). Ramuz a tendu 脿 cela. Gide parfois. Et Claudel. 禄 (p. 51-52)

芦 Il y a toujours trop de mots dans une oeuvre d'茅crivain, je voudrais les r茅duire 脿 l'indispensable. [...] Il y a toujours trop de mots entre moi et moi : ils encombrent, et 脿 force d'en mettre leur transparence devient opacit茅. Ne dire que les paroles indispensables. 禄 (p. 55-56)

芦脌 vouloir ne dire que l'essentiel on avance tr猫s lentement. L'on veut trop. Ne pas oublier que l'art est aussi une f锚te : il a quelque chose de gratuit, de d茅gag茅; un air de f锚te qu'il ne faut pas n茅gliger. 禄 (p. 58)

[脌 propos de Julien Green] 芦 Son souci d'impeccabilit茅 de style le retient de s'emporter aux moments o霉 la violence de son inspiration 鈥渇antastique鈥� l'exigerait. Son purisme trop souvent refroidit l'intensit茅 du r茅cit : j'ai l'impression qu'il frustre sa propre inspiration de sa pl茅nitude, en voulant lui donner une expression toujours impeccable, sans hoquet, sans extravagance : il lui inflige une allure ext茅rieure toujours 茅gale 脿 elle-m锚me. 禄 (p. 75-76)

[脌 propos du roman de Stendhal] 芦 Lucien Leuwen est une histoire d茅cevante. Avec une sorte d'aveuglement, le h茅ros semble avoir r茅sign茅 [sic] de vivre ce qu'il aime. Tout le premier volume de ce r茅cit nous fait esp茅rer un 茅clatement d'id茅al dans l'amour, et il est d茅solant de voir cette tension vers un id茅al d'amour et de bonheur s'abrutir et s'茅teindre dans la mise en sc猫ne politique. Et toutes les fois o霉, au second volume, Stendhal rappelle l'image de Mme de Chasteller, on a le sentiment que c'est pas rigueur intellectuelle, pour mettre de la suite dans le caract猫re de son personnage : on sait, et Stendhal ne peut le dissimuler, que tout est d茅cid茅ment mort. Je reste insatisfait de ce personnage d茅fait, qui se retranche dans une vie que lui-m锚me m茅prise : c'est plus fort qu'un chagrin d'amour, c'est un inexplicable revirement. 禄 (p. 101)

芦 Il n'est qu'une chose dans ma vie pr茅sente qui pr茅figure ce temps de l'action totale, et qui n'est pas un d茅lai mais une fin 鈥� c'est le roman.听Les r茅dempteurs. Je lui consacre ma disponibilit茅 et mes passions. 禄 (p. 103)

[脌 propos de听Jean Barois听de Roger Martin du Gard] 芦 Je suis d茅莽u de voir que le meilleur de l'auteur semble passer dans les听dicussions听religieuses : d猫s qu'une discussion religieuse s'engage (Dieu sait si ce roman en contient), nous quittons l'histoire des personnages, nous sortons du plan historique, et on a l'impression que l'auteur donne 脿 ces discussions une valeur pol茅mique, qui n'a vraiment pa sa place dans un roman. C'est une sorte de roman d'id茅es, o霉 le drame personnel et l'action v茅ritable sont nettement n茅glig茅s. 鈥� Un d茅tail 脿 remarquer : aucune simultan茅it茅 dans l'action, et surtout aucun听鈥渇lash back鈥�. L'auteur semble incapable de traiter les 茅v茅nements d'une vie autrement qu'脿 la suite l'un de l'autre, et d'une fa莽on rigoureusement chronologique. Pas de contrepoint temporel : la vie est une ligne droite dont le romancier suit le fil tel qu'il se pr茅sente dans la r茅alit茅. Du Gard ne prend pas de points de vue sur le donn茅 du temps : il le reprend tel qu'il s'est 茅coul茅, fid猫lement, avec une sorte de prudence 脿 ne jamais brusquer le cours d'une vie. 禄 (p. 104-105)

芦 Gracq ne prend rien pour acquis : il ne se fait pas facilement aux choses, au r茅el. Tout pour lui rec猫le un sens cach茅 qu'il pressent : les 锚tres qu'il c么toie ont un secret. Indiff茅rent 脿 rien, il se sent fi茅vreusement entour茅, il baigne dans un r茅seau de signification et de rapports inavouables. Ce n'est plus la coutumi猫re lucidit茅 qui s'exerce dans un tel monde, mais une sorte de voyance : et de l脿 ce renversement de la psychologie habituelle des romans. Le romancier ne proc猫de plus par analyses et d茅ductions, il ne cherche pas des lois : le romancier devient attentif, fr茅missant devant l'inconnu; les signes lui parlent. Son attitude n'est pas celle de l'analyste, mais d'un homme constern茅 par le noir, mystifi茅 par l'茅tranget茅 d'un geste ou d'une parole. 禄 (p. 106)

芦 L'art dans le roman c'est d'abord la puissance dramatique; la facult茅 de rendre, en plus intime et en plus fort, les drames qui sont les jointures de nos existence. Il faut d'abord sentir intens茅ment ces听drames听dissimul茅s sous les couches mortes de l'habitude, de l'ennui, du mensonge, de l'imitation. Ces trag茅dies extr锚mes, 艗dipe, Hamlet, Raskolnikov..., en qui chaque homme trouve un 茅cho 脿 sa propre vie inexprim茅e, racontent des actes dont les motifs inavouables tra卯nent quelque part en chacun de nous. Si le romancier ne sent pas d'abord ces drames terribles qui hantent les hommes, il ne saura jamais trop faire vibrer, ni 茅clairer quoi que ce soit. 禄 (p. 110)

芦 J'en suis 脿 un point de mon roman o霉 l'expression du fantastique m'appara卯t surtout un probl猫me de mots. Chaque mot, chaque tournure me donne la crainte de passer 脿 c么t茅, de rater l'effet. J'ai surtout peur que cela ait l'air froidement 茅crit, ou artificiel comme Gracq me le para卯t aujourd'hui, ou truqu茅脿 la Val茅ry. Comment faire passer, dans le chapitre qui me reste, le fantastique dans la vigueur et la rapidit茅 du r茅cit; comment sans jouer les effets rendre solidement cette atmosph猫re d'apocalypse qui hante ce r茅cit. Peut-锚tre 茅crire rapidement, aveugl茅ment, dans le feu de l'id茅e, sans penser aux mots qui me viennent. Surtout ne pas faire de cela une oeuvre 鈥溍ヽrite鈥� et dont l'artifice verbal serait un 茅cran 脿 la bouleversante v茅rit茅 de la fable. 禄 (p. 112)

芦 L'image听chez Gracq est comme noy茅e dans la recherche et la s茅rie d'approximations dont elle est l'aboutissement. Il semble qu'ayant ressenti un sentiment, une situation, il tente laborieusement par apr猫s de reconstituer par tout un appareil verbal ses impressions : les images me paraissent chez lui un exercice intellectuel dont on peut dire tout au plus qu'elles sont des trouvailles 鈥� Cette r茅flexion m'est venue devant l'extraordinaire force des images de Shakespeare : elles sont 脿 l'oppos茅 de toute recherche intellectuelle, et semblent, plut么t qu'une laborieuse reconstitution, une 茅jaculation arrach茅e du coeur m锚me de l'artiste. 禄 (p. 115)

芦 L'art, l'ai-je d茅j脿 dit, doit toujours aller trop loin; se tenir 脿 la limite de l'inavouable, dessiner le geste qu'on ose pas faire, la pens茅e qu'on cache. Je pense particuli猫rement 脿 ces rages soudaines qui me prennent parfois dans une foule; 脿 cette fureur qui me porterait 脿 griffer au visage et battre au sang; 脿 ces paroles qui me viennent aux l猫vres devant une personne qui m'inspire; 脿 ces mots d'amour, 脿 ces effusions subites, 脿 ces col猫res vers quoi nous sommes toujours port茅s et que nous contr么lons h茅l脿s facilement 鈥� Pourquoi l'art ne nous ferait-il pas vivre au-del脿 de nos univers silencieux dans des univers de pure et veritigneuse spontan茅it茅. L'art doit vivre 脿 ce niveau d'expression totale de nous-m锚mes, et ainsi nous soulager du monde objectiv茅 o霉 nous vivons. 禄 (p. 116-117)

芦 L'art doit exc茅der le r茅el : nous tirer hors de notre peau, nous introduire 脿 une vie plus profonde, faire battre notre coeur 脿 un rythme extr锚me. Il y a toujours un principe de l'art 鈥� un ennui, une insatisfaction qui nous font d茅sirer 鈥渁utre chose鈥�. C'est trop peu de regarder un paysage, il faut le peindre; c'est trop peu de vivre une vie, il faut en vivre vingt autres; et ainsi nous consoler de notre esxistence limit茅e, en recommen莽ant ailleurs d'impr茅visibles aventures. 禄 (p. 117)

芦 Pour entrer dans son personnage le romancier ne doit pas se servir de tels pr茅textes qui rel猫vent de la contingence (ne faisant pas corps avec l'action) et du cin茅ma. Pour entrer dans son personnage le romancier ne doit pas consentir 脿 toutes ces singeries d'action; mais en arriver au monologue int茅rieur le plus 茅pur茅. 禄 (p. 119)

芦 Gracq n'atteindra jamais la听puissance mythique听qu'il laissait d茅sirer dans听Argol听et le听罢茅苍茅产谤别耻虫, s'il ne comprend pas que ses personnages ne doivent faire que les gestes indispensables et extr锚mes, qu'ils ne doivent se manifester 脿 nous que par des actes essentiels rendant d'un seul coup la totalit茅 de leur 锚tre. Pour les autres gestes que d'autres peuvent faire, qui n'ont aucune urgence ni aucune raison de fatalit茅, ils ne font que surcharger un personnage et le noyer dans la contingence et le plus ou moins. Il faut d'abord 鈥� pour comprendre cette loi dramatique 鈥� tendre 脿 ne poser dans la vie que des actes authentiques, prendre corps dans chacun de ces actes, habiter la totalit茅 de ses propres manifestations. Il me semble que Gracq ne vit pas, n'agit pas 脿 ce niveau d'authenticit茅 et d'incarnation. Chacun de mes actes doit comporter la pl茅nitude de moi-m锚me : et dans une oeuvre d'art 鈥� encore plus ! 禄 (p. 119-120)

芦 La trag茅die de l'amour : y a-t-il d'autre sujet pour le romancier ? D'autre aventure pour une vie d'homme. Une femme aime un homme : il lui a donn茅 un tr茅sor et elle veut lui rendre. Il n'y a plus que cela dans sa vie 鈥� cet absolu qu'on veut prendre dans nos deux mains, ce d茅sir incessant de donner son corps et son 芒me et d'锚tre ainsi dans la pl茅nitude. Si j'茅cris un roman que ce soit celui de l'amour, ce feu inextinguible qui pourrait consumer l'univers pour atteindre un seul 锚tre. Avec l'amour, le monde devient un langage qui sert 脿 exprimer notre extase, le temps devient un po猫me qu'on reprend toujours et qui meurt inachev茅. Il faudrait trouver pour ce roman les circonstances, les conditions extr锚mes qui font de l'amour la trag茅die du temps perdu, la trag茅die de l'inaccessible repos. Il faudrait trouver, si l'on peut dire, les obstacles symboliques, la situation limite 鈥� car l'amour, quel qu'il soit est une trag茅die. 禄 (p. 132)

芦 Cette id茅e de roman se pr茅cise. Mais il faudra faire bien attention de ne pas sombrer dans l'abstraction ou le 鈥渄茅veloppement鈥� intellectuel. Que les points dramatiques soient en tel geste, telle action, telle circonstance, tel lieu 鈥� rechercher le minimum de gestes pour exprimer une trag茅die. Si nous enlevons tous gestes [sic], la trag茅die devient une th猫se, un essai, une id茅e. Si nous en mettons trop, nous voyons la trag茅die dans une reconstitution de la r茅alit茅. [...] Dans la trag茅die, il faut soustraire les personnages 脿 leur environnement habituel : il faut d茅tacher telle action de l'ensemble du tableau, il faut rappeler une seule minute sur les vingt-quatre heures d'une journ茅e. 脌 ce moment-l脿鈥� les 茅l茅ments ext茅rieurs de la trag茅die, ces gestes 鈥渦niques鈥�, deviennent presque symboliques par rapport au contexte r茅el d'o霉 ils sont extraits. 禄 (p. 136)

芦 Je crois que l'emploi des r茅cits de personnages et du monologue int茅rieur exige de la part du romancier un听renoncement听en ce qui regarde le style. Pour la v茅rit茅 du monologue int茅rieur demande [sic] que le romancier prenne le plus ad茅quatemment possible le langage du personnage [...]. Il faut vraimet p茅n茅trer profond dans un personnage pour en arriver 脿 parler son langage 鈥� 脿 voir avec ses yeux, r茅agir avec son 茅motivit茅, et se regarder soi-m锚me 脿 travers lui. Une telle identification demande au romancier un grand d茅pouillement de ses moyens; le romancier doit alors oublier son style, ses pr茅jug茅s, les d茅veloppements. Rien ne compte de lui sinon l'intuition qui lui ouvrira le monde du personnage. 脌 ce prix seulement il peut y avoir un monologue int茅rieur qui soit vrai. 禄 (p. 141-142)

芦 Un roman est pour moi une aventure intellectuelle absolument passionnante 鈥� une sorte de d茅fi que je me sens forc茅 de relever avec 茅l茅gance et force. S'il n'y avait pas cet aspect de difficult茅 intellectuelle et technique, je crois que je serais pas port茅脿 faire de romans. C'est chez moi l'aspect proprement artistique du besoin d'茅crire qui compte 鈥� car sans cela je m'exprimerais autrement sans trop de difficult茅 : par l'action, je veux dire. 禄 (p. 143)

芦 Le romancier ne peut pas raconter des听faits听fantastiques 鈥� mais nous faire vivre, 脿 travers une conscience transformatrice, une r茅alit茅 devenue fantastique. Le fantastique n'est pas dans la vie (ou tr猫s rarement) mais dans la fa莽on de voir, de ressentir la vie. C'est d'abord une vision : une vision d茅formante ou maladive de ce qui peut 锚tre, pour d'autres esprits, parfaitement normal. 禄 (p. 144)

芦 Il faut qu'on d茅saprouve ce jeu de fa莽ade qui consiste 脿 s'茅gratigner vaniteusement; il faut savoir se regarder avec amour et dire : 鈥渘ous sommes tous de pauvres types, apr猫s tout !鈥� 鈥� La puissance de cette piti茅鈥� je la sens en lisant Proust. Dosto茂evski aussi la poss猫de. C'est avec cette piti茅 qu'on peut cr茅er un univers romanesque qui ne soit pas une galerie de caricatures ou une autre de haine ! La piti茅 nous projette vers nos proches, et celle du romancier est tellement irr茅sistible qu'il les recr茅e : quel admirable geste d'amour ! 禄 (p. 148)

芦 L'aptitude vis-脿-vis du pass茅茅tant le noeud de la conscience pr茅sente 鈥� l'aspect souvenir du roman et le plus central. Et m锚me l'effort de l'artiste qui fait un roman est pr茅cis茅ment un acte de souvenir et de jugement port茅 sur le pass茅. 禄 (p. 159)

芦 C'est 茅trange que, si pr茅occup茅 que je sois en th茅orie du langage de la conscience, tout ce qu j'茅cris soit visuel. Je ne suis pas analyste pour un sou et tout ce que je mets dans un roman c'est de l'action et du mouvement ext茅rieur. Mes personnages agissent, dialoguent mais se recueillent pe au sens proustien du mot. Je vois d'ailleurs ma vie comme une action et non comme un recueillement. Je n'aime rien tant qu'une manifestation, et une d茅cision qui risque tout m'attire plus que de monter les degr茅s du Parnasse c茅r茅bral. 禄 (p. 169-170)

芦 Je n'accepte pas que la repr茅sentation de la vie dans un roman soit intercept茅e par autre chose que l'art du romancier. Ou bien : je n'accepte pas que l'art de transposition du romancier s'exerce sur autre chose que la vie elle-m锚me. Toute 茅paisseur documentaire, historique ou id茅ologique dont un romancier recouvre une histoire vitale et dramatique vient encombrer le sujet m锚me d'un roman. Et si, par exemple, la bataille de Waterloo est int茅ressante chez Stendhal c'est que son r茅cit est subordonn茅茅troitement au drame personnel et intime de Fabrice. 禄 (p. 176)

芦 Un bon romancier doit nous mettre en contact direct avec ses personnages et ne nous pr茅senter le reste de l'univers que par eux. Toute consid茅ration objective est un parasite qui se nourrit aux flancs du roman lui-m锚me. Une fois que le lecteur est int茅ress茅 au personnage il admettra que ce personnage soit int茅ress茅脿 certaines choses 鈥� mais jamais que le romancier s'arroge un droit strictement r茅serv茅 au personnage et prenne, sur son cr茅dit, de nous int茅resser 脿 des 茅v茅nements ou des r茅alit茅s n'ayant pas de rapport dramatique 脿 l'action. 禄 (p. 176-177)

芦 Dans un bon roman 鈥� 脿 coup s没r 鈥� il y a plus ou moins un drame de conscience qui est la structure du reste (analyses sociales, etc...). Sans cette structure 鈥� qui se d茅finit par le tragique essentiel de toute vie humaine 鈥� un roman (de moeurs vg) n'est qu'une monographie sociologique, philosophique ou autre... Un reportage ne devient roman que s'il est v茅cu par un personnage 鈥渄ramatique鈥� et aper莽u 脿 travers une conscience qui, en l'assumant, en fait quelque chose de subjectif. [...] Le langage devient le grand probl猫me du romancier. 禄 (p. 177)

芦 Je suis d茅cid茅ment pour une litt茅rature de l'essentiel et du concentr茅. Pour des romans o霉 les personnages sont plus importants que la faconde du romancier. L'essentiel dans un roman est la 鈥減esanteur de vie鈥� et la beaut茅 artistique : les pages de transition ou de remplissage sont impardonnables. 禄 (p. 179)

芦 Au fond, nous avons, depuis des g茅n茅rations, grandi le silence : nous avons v茅n茅r茅 l'indicible et notre litt茅rature a curieusement cherch茅 sa v茅rit茅 au-del脿 des mots et non dedans. S. J. Perse me para卯t, lui, avoir creus茅 les mots. Son entreprise po茅tique constitue ainsi une r茅volution. Il ne faut pas employer les mots 脿 regret ou avec d茅dain, et chercher au-del脿 de leur r茅alit茅 une autre r茅alit茅 plus grande du silence. 禄 (p. 192)

芦 Une notion 脿 retenir du听Livre 脿 venir听de Blanchot : chaque roman implique la contestation du genre roman, chaque oeuvre est une exception ! Cette contestation essentielle non seulement au roman mais 脿 toute oeuvre d'art, pourquoi ne pas l'incorporer au roman, l'assumer artistiquement, en faire un des aspects pol茅miques (la parole est pol茅mique !) du d茅roulement romanesque. [...] Assimiler la contestation esth茅tique en trouvant une valeur et une forme esth茅tique : qu'elle soit subordonn茅e 脿 un ensemble lyrique ou dramatique, non plus isol茅e comme un probl猫me. Analogiquement, l'intelligence doit entrer dans le roman non plus comme un anticorps, mais en s'y incorporant cr茅ativement. 禄 (p. 193)

芦 L'explication, trop souvent, ressemble 脿 une 谤茅诲耻肠迟颈辞苍 : 鈥淐e n'est que cela apr猫s tout...鈥� Voil脿 pourquoi l'explication dans un roman para卯t odieuse et exprime peut-锚tre, 脿 la limite, le peu d'amour du romancier pour ses personnages. [...] Il ne faut pas seulement expliquer : il faut aller au-del脿 du m茅canisme mental de听谤茅诲耻肠迟颈辞苍听et donner en 茅change de la grandeur 脿 ce qu'on explique. Racheter l'explication par la cr茅ation de la vie. 禄 (p. 196)

芦 Je voudrais d'un sujet tout en fuite et dont le mouvement engendre la r茅alit茅 fuie si passionn茅ment. La fuite, m锚me la plus extatique, est le pr茅lude de la mort et son pressentiment. 禄 (p. 197)

芦 Ne pas noyer mes personnages dans le flot du r茅cit : ne pas les masquer par leurs actes trop grands. L'茅pop茅e ext茅rieure peut correspondre 脿 un 芒ge h茅ro茂que 鈥� celle qui, en projection, se d茅roule dans la vie et la pens茅e du h茅ros est de nul temps. Le contrepoint de ces deux 茅pop茅es est le vrai sujet de mon roman. Je ne veux isoler ni l'acte ext茅rieur et collectif par le r茅cit 鈥� ni les h茅sitations, ni les hontes, ni les secrets du h茅ros par une description psychologique. Mon h茅ros agit dans le temps (voil脿 le r茅cit) 鈥� mais le temps agit sur lui (voil脿 l'analyse). [...] Mon concert, je veux dire mon roman, sera la seule forme unifiante de cette rencontre, de cette lutte entre un homme et l'histoire. 禄 (p. 193)

芦 L'expression obscure, herm茅tique ou le culte du myst猫re verbal d茅note, 脿 proprement parler, une volont茅 de 鈥渃acher quelque chose鈥�. Ce besoin de cacher (qui se diff茅rencie toujours du go没t ou de la mode litt茅raire) manifeste que l'auteur est coupable. L'obscuration esth茅tique (et le clair-obscur m锚me) expriment une culpabilit茅 secr猫te, profonde ou diffuse. [...] Ainsi ce go没t litt茅raire que j'ai pour le myst猫re proc猫de de ce noyau int茅rieur que je ne connais pas encore en moi, mais qui me fait engendrer, quand j'茅cris, des formes obscures, d茅guis茅es, mystifiantes. Je redoute 脿 la fois ce penchant 鈥� car je l'ai longtemps tax茅 d'锚tre听鈥渁cquis鈥� et non inn茅. Je me suis m茅fi茅 de lui : j'ai jet茅 un voile sur ce besoin obscur de tout voiler. J'ai retard茅, par ma m茅fiance, mon 茅closion et ma f茅condation d'une oeuvre. 禄 (p. 200-201)

芦 Je me demande si l'attrait formel des romans ou trag茅dies ne consiste pas 脿 voiler les structures invariables de toute situation dramatique. Les formes du r茅cit sont des voiles jet茅s sur un mythe identique, r茅p茅t茅 sans cesse par tous les 茅crivains du monde. Le r茅cit est la fa莽on de d茅voiler le mythe.听Absalon absalon听de Faulkner n'est-il pas l'exemple extr锚me et merveilleux de ce processus. Je dois construire mon histoire aussi comme une s茅rie d'茅nigmes ou de d茅doublements, en progression de d茅voilement, d'un fait unique : la rencontre, l'union de mon personnage et de la jeune fille. 禄 (p. 214-215)

芦 Ce que je veux faire 鈥� et qui me ressemble tant ! 鈥� c'est d'annoncer d'abord l'unicit茅 de ma structure et, ce postulat 茅tant pos茅, de multiplier les complexit茅s pour finalement m'y ab卯mer avec d茅raison et d茅voiler le tissu d'incoh茅rences et d'incorrespondances de tous les indices. C'est 脿 peu pr猫s comme si, dans le genre policier, je multipliais les 茅nigmes au d茅part et me complaisais dans l'inflation des 鈥減istes鈥� (technique admise par le lecteur qui aime qu'on joue avec lui !) pour ne pas aboutir, en fin de compte, 脿 la d茅couverte de l'assassin, mais 脿 l'aveu d茅lirant du non-sens de cette enqu锚te et, somme toute, 脿 la destrcution pure et simple de mon propre roman policier. Comme je situe le roman que j'茅cris au second degr茅 policier, je dois d茅truire encore plus, donc 茅difier plus savamment encore les ruines que je ne d茅voilerai qu'脿 la fin et dont l'茅vidence nie l'entreprise m锚me du romancier. 禄 (p. 250)

芦 L'茅chec, voil脿 mon obsession 鈥� ma seule passion et celle que je retrouve, 脿 un niveau collectif, dans l'histoire du Canada fran莽ais. Mobile secret du roman que j'ai entrepris, l'茅chec 鈥� celui m锚me du roman 鈥� c'est ce qui m'est donn茅 d'锚tre : le听substrat听ontologique, une forme 鈥� et je ne puis me r茅aliser que dans le sens de cet 茅chec : le succ猫s pour moi n'aura d'autre visage que celui de cet 茅chec assouvi, accompli. 禄 (p. 251)

Point de fuite, Montr茅al, Biblioth猫que qu茅b茅coise, 1995.

芦鈥溍塩rivain faute d'锚tre banquier鈥� 禄, p. 9-17.

芦 Sur le plan artistique, je suis non engag茅. D'ailleurs,听Prochain 茅pisode听est un t茅moignage, une confession, non un roman engag茅 au sens 茅troit du terme, c'est-脿-dire une prise de position politique. Si je voulais m'engager, je le ferais sur un autre plan. J'茅cris par appartenance, non par engagement. 禄 (p. 12)

芦 La litt茅rature est pour moi une activit茅 parmi d'autres. Et en elle d'ailleurs se trouve une autre distanciation. La litt茅rature est une sorte de formalisme dans lequel le contenu est secondaire. L'id茅e d'茅crire un roman me vient plus par la forme que par le contenu. Je ne cherche pas quoi dire, mais comment le dire. D'ailleurs, je ne comprends pas qu'un romancier puisse chercher des id茅es de roman. Pour moi, un romancier doit courir apr猫s des formes. Le contenu, il l'a en lui et il le sort dans la forme choisie. Dans听Prochain 茅pisode, m锚me s'il a 茅t茅茅crit dans des circonstances particuli猫res, j'ai 茅t茅 plus pr茅occup茅 par la forme que par le contenu, puisque le m锚me contenu aurait pu trouver une autre forme. Il s'agissait pour moi de savoir comment 茅crire un roman d'action, d'espionnage plus pr茅cis茅ment. 禄 (p. 15-16)

芦 Profession : 茅crivain 禄, p. 45-49.

芦 L'explosion comporte des d茅savantages s茅rieux, entre autres celui de faire voler en 茅clats toute structure historique situ茅e dans un certain rayon d'onde de choc. La structure doit se d茅celer, f没t-ce dans une astructure litt茅raire du type Robbe-Grillet. Ainsi l'astructuration 茅quivaut 脿 une structuration si elle concerne le m锚me champ d'action, la litt茅rature par exemple.听 Or dans mon cas, si la structure 茅clate sous le coup de la d茅flagration qui se produit en moi, ce n'est pas pour laisser la place 脿 une contre-structure litt茅raire, mais pour ne laisser aucune place 脿 la litt茅rature qui n'exprimerait, si je c茅dais 脿 ses charmes, que la domination dont je suis le si猫ge depuis deux si猫cles. 禄 (p. 50)

芦 L'茅crivain, 脿 plus forte raison maintenant que l'incertitude gangr猫ne toute existence autour de lui, ne peut b茅n茅ficier d'un statut 茅piscopal, ni d'une exemption de r茅alit茅, ni d'un d茅gr猫vement de douleur. La syntaxe, la forme, le sens des mots subissent aussi des d茅flagrations. Tout est syncope, et l'茅crivain qui entreprend de faire vivre ce qui le tue, il 茅crira non pas l'histoire stendhalienne des carbonari canadiens-fran莽ais, mais une oeuvre aussi incertaine et aussi formellement malsaine que l'oeuvre impure qui s'accomplit en lui et dans son pays. 禄 (p. 57)

芦 Plan partiel de听L'Antiphonaire听禄, p. 99-114.

芦鈥� ne pas rendre les niveaux historiques trop 茅galement听辫补谤补濒濒猫濒别蝉;
鈥� ne pas 鈥� en passant de l'un 脿 l'autre 鈥� escamoter ainsi les sc猫nes importantes;
鈥� 脿 la fin, la composition doit se d茅traquer : une sorte de contagion frissonnante fait se fondre, avec confusion et d茅sordre, des intrigues distinctes nettement 茅loign茅es l'une de l'autre dans le temps : une sorte de sombre d茅sordre doit se propager et rendre indiscernables les diff茅rentes histoires des personnages, ainsi que l'identit茅 des personnages... je ne dis pas qu'il faut donner n茅cessairement beaucoup d'extension 脿 cette phase confusionnelle terminale; mais simplement qu'il faut 鈥� quand on lit ce roman 鈥� avoir soudain le sentiment que l'ordre et l'茅cart猫lement temporel sont subitement pulv茅ris茅s 鈥� faisant place, alors, au pire d茅sordre imaginable... Et si possible, tout finir en queue de poisson. 禄 (p. 106-107)

芦 Apr猫s听L'Antiphonaire听禄, p. 115-116.

芦 Je me sens vide, pr茅dispos茅鈥� donc 鈥� 脿 me nourrir des obsessions nouvelles associ茅es 脿 un futur roman. 禄 (p. 115)

芦脌 force d'茅crire sans suite logique, je vais arriver 脿 formuler le plan du prochain roman 鈥� 脿 lui donner une sorte de consistance pr茅gestalique. 禄 (p. 115)

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