łÉČËVRĘÓƵ

Peinture Eugène SueĚýEugène Sue

Ěý(1804-1857)

Dossier

Le roman selon Eugène Sue

Écrire le présent : Eugène Sue et le roman, par Étienne Poirier, 2021

Ă€ quelques mois du dĂ©but de la publication de son plus grand succès populaire, Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris, Eugène Sue, qui termine alors la rĂ©daction de Mathilde, Ă©crit Ă  son ami Ernest LegouvĂ© : « J’ai reçu plus de trente ou quarante lettres depuis deux mois, beaucoup plus en Ă©loges qu’en blâłľ±đs. Enfin je suis trop content de ce succès en cela qu’il sera, je le crois, Ă©phĂ©mère, mais je n’ai jamais Ă©tĂ© très friand de vivre dans ±ô’a±ą±đ˛Ôľ±°ů, vous le savez.[1] » Bien qu’on puisse y voir la marque d’une modestie trop appuyĂ©e de la part du romancier, il faut tout de mĂŞme lui donner raison : ses succès, pourtant nombreux et importants au cours de la première moitiĂ© du XIXe siècle, ont Ă©tĂ© rapidement oubliĂ©s, au point oĂą il est aujourd’hui difficile de croiser des lecteurs contemporains de son Ĺ“uvre. En fait, l’absence de postĂ©ritĂ© de Sue fait Ă©cho Ă  son dĂ©sintĂ©rĂŞt Ă  l’idĂ©e de « vivre dans ±ô’a±ą±đ˛Ôľ±°ů ». C’est plutĂ´t en tant que romancier profondĂ©ment ancrĂ© dans le prĂ©sent qu’il fait sa marque : soucieux de reflĂ©ter les intĂ©rĂŞts actuels de ses lecteurs et de rĂ©ussir Ă  opĂ©rer, par le biais de ses ouvrages, Ă  des transformations concrètes au sein de la sociĂ©tĂ©, celui dont les Ĺ“uvres se publient Ă  mesure qu’il les Ă©crit dĂ©veloppe une pensĂ©e du roman assez flexible, se modifiant Ă  mesure que les conditions d’écriture et de publication Ă©voluent. Ă€ la lecture de ses Ă©crits personnels et de ses prĂ©faces, il semble que l’art romanesque constitue, pour Sue, une forme influencĂ©e par l’esprit du temps dont la capacitĂ© Ă  s’engager dans le prĂ©sent est le critère principal.

Un survol rapide de la production ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ d’Eugène Sue, de 1830 Ă  sa mort subite en 1857, Ă©tonne par la grande variĂ©tĂ© de formes romanesques auxquelles l’auteur s’est adonnĂ© au cours de sa vie. Ancien soldat de la marine, il dĂ©bute sa carrière ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ par la publication de romans maritimes, parmi lesquels Plik et Plok, Atar-Gull, La Salamandre et La Vigie de Koat-Ven, pour se tourner, dans la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1830, vers les romans historiques (Deleytar, Deux histoires, Jean Cavalier) et les romans de mĹ“urs (°äĂ©ł¦ľ±±ô±đ, Arthur, Mathilde). Son plus grand succès arrive avec sa sĂ©rie de romans sociaux dans les annĂ©es 1840, inaugurĂ©e par Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris et poursuivie avec Le Juif Errant, Martin, l’enfant trouvĂ©, Les Sept pĂ©chĂ©s capitaux et Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple, grande fresque historique dĂ©butĂ©e en 1849 dont la publication est interrompue par le coup d’État de 1851 et qui ne sera terminĂ©e qu’en 1857. Les premières annĂ©es du Second Empire marquent un tournant dans la carrière de Sue, ancien dĂ©putĂ© de la Deuxième RĂ©publique dĂ©sormais retirĂ© Ă  Annecy, qui se tourne vers l’écriture de romans moraux Ă  la fin de sa vie, dont Fernand Duplessis, Gilbert et Gilberte ou La Famille Jouffroy. Sans doute signe de son inscription si prĂ©gnante dans le temps prĂ©sent, très peu de ces romans sont toujours rĂ©Ă©ditĂ©s aujourd’hui.

Le roman au présent.

Adoptant successivement plusieurs modes qui touchent le genre romanesque dans la première moitié du siècle, Eugène Sue conserve une perspective très large sur la forme de ses romans, qui évolue tout au long de sa carrière. En cela, il incarne adéquatement l’écriture de romans « au présent », c’est-à-dire généralement en phase avec les intérêts de ses lecteurs. Ainsi, il est peu surprenant que ses influences soient le plus souvent ses contemporains qui s’adonnent à l’écriture du même type d’œuvre que lui. James Fenimore Cooper, maître du roman d’aventures et des récits maritimes, est cité dès la préface de Plik et Plok, premier volume publié par Sue en 1831 : « Cooper, dans ses admirables romans, a peint cet homme d’une manière aussi large que pittoresque. Il a vivement excité la curiosité, l’intérêt pour des mœurs dont les détails contrastent rudement avec ceux de notre vie citadine.[2] » L’admiration que lui porte Sue est répétée dans la dédicace qui lui est destinée au début d’Atar-Gull et dans la lettre qu’il lui écrit la même année :

Plusieurs écrivains, plus bienveillants que justes, m’ont fait, dans quelques journaux, l’insigne honneur de comparer un de mes essais de jeune homme à vos imposantes et admirables créations. Je ne saurais, Monsieur, accepter un tel éloge pour une œuvre aussi imparfaite; mais il est vrai de dire que l’espoir de mériter plus tard un si glorieux parallèle par de longs et consciencieux travaux sera le but constant de mon ambition.[3]

Si l’on peut difficilement douter de la sincérité de cet hommage, il faut pourtant reconnaître que ces « longs et consciencieux travaux » seront finalement de courte durée, puisque l’intérêt de Sue pour le genre maritime ne sera que temporaire. Désireux de le voir émerger dans la préface de Plik et Plok en 1831, il se réjouit déjà l’année suivante, lors d’une réédition du même volume, de son gain en popularité :

En comptant sur une active coopération dans la carrière où je m’aventurais le premier, je ne m’étais pas trompé; déjà des hommes de savoir et de talent ont consacré leurs veilles à la littérature maritime : elle s’apprivoise, se popularise, son langage n’effraie plus, on s’y habitue, on la comprend, - puis enfin l’intérêt viendra; aujourd’hui elle ne fait qu’amuser, plus tard elle instruira; des frivoles romans on voudra peut-être passer à l’examen des hommes et des choses de cette marine si courageuse, si forte, si belle, si active, si puissante.[4]

La même année, dans la préface de La Salamandre, il annonce son souhait de se tourner vers le roman historique :

En tâchant d’introduire le premier la littĂ©rature maritime dans notre langue, j’ai dĂ» toucher Ă  toutes les parties de ce genre. °Ú…] La première partie de ma tâche est donc remplie. J’ai tentĂ©, dans Kernok[5], de mettre en relief, de prototyper le Pirate; dans El Gitano[6], le contrebandier; dans Atar-Gull, le nĂ©grier; dans La Salamandre, le marin militaire. Si les Ă©vĂ©nements et le temps me le permettaient, mon but serait maintenant de faire mouvoir, au milieu d’évĂ©nements historiques, ces hommes dont on connaĂ®t, je crois, les types principaux. Telle serait l’histoire maritime dont on a dĂ©jĂ  parlĂ©, et qui embrasserait toute la marine française, depuis le XVIe siècle jusqu’au XIXe, dans une sĂ©rie de romans historiques, dont quelques-uns sont dĂ©jĂ  Ă©bauchĂ©s[7].

Le passage du roman maritime au roman historique se fait donc tout aussi naturellement que rapidement pour Sue, attentif aux grands courants ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đs qui touchent la France Ă  cette Ă©poque. En 1834, il confirme son dĂ©sir de se consacrer Ă  ce type de roman : « Aussi m’occupai-je en ce moment d’une de nos phases maritimes les plus glorieuses et peut-ĂŞtre les moins connues par leurs rĂ©sultats inespĂ©rĂ©s : - je veux parler de notre guerre dans l’Inde en 1780, - sous les ordres du bailli de Suffren. Tel sera du moins le sujet de la Tour de Koat-Ven, roman historique qui, je crois, paraĂ®tra bien prochainement.[8] » Son admiration est alors dirigĂ©e vers Walter Scott, « cet Homère des temps modernes dont personne plus que moi n’étudie, ne vĂ©nère, n’admire la puissante crĂ©ation.[9] » Tout comme pour les romans maritimes, cependant, son intĂ©rĂŞt demeure temporaire et, lorsqu’il passe Ă  l’écriture de romans sociaux, c’est Ă  George Sand qu’il tĂ©moigne son admiration, dans une lettre de 1843 : « Mon plus grand triomphe a Ă©tĂ© de lire dans un journal, que (de bien loin sans doute) je suivais Madame Sand dans une vie sociale qu’elle avait si glorieusement ouverte.[10] » Quand il sent le besoin de rejoindre les populations rurales avec ses ouvrages, c’est Ă  nouveau vers George Sand, alors dĂ©diĂ©e Ă  l’écriture de romans champĂŞtres, qu’il se tourne pour des conseils :

Vous connaissez comme moi, mieux que moi les paysans, et si vous approuvez la forme de cet ouvrage, ce sera pour moi un grand encouragement si vous la critiquez au contraire, il sera temps de faire les modifications nĂ©cessaires Ă  l’œuvre dont je m’occupe Ă  cette heure. °Ú…] J’ai Ă©tĂ© bien souvent près de me dĂ©courager en lisant dans Le CrĂ©dit la Petite Fadette, chef-d’œuvre de grâce, de sensibilitĂ©, de bon sens et d’une forme si simple et si naĂŻve. VoilĂ  le seul vrai langage que l’on doive et puisse parler aux gens rustiques. Mais c’est horriblement difficile, vous le jugerez par la vanitĂ© de mes efforts[11].

Ces passages successifs d’une forme romanesque Ă  une autre tĂ©moignent de la forte impression du prĂ©sent sur le travail de Sue, qui se conforme bien plus aux tendances ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đs actuelles qu’il ne tente d’en instaurer de nouvelles. Cette Ă©criture « au prĂ©sent » est cependant aussi marquĂ©e par le contexte politique, particulièrement instable dans la dernière partie de sa production romanesque. Ă€ la suite des rĂ©volutions de 1848, le romancier se tourne vers l’écriture d’une grande fresque historique, Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple, qui devait tĂ©moigner des transformations politiques de la France depuis les origines jusqu’à leur aboutissement avec l’instauration durable de la dĂ©mocratie : « Voici en deux mots le but prĂ©cis de mon ouvrage : la marche sociale et ascendante du peuple, partant de l’esclavage pour en arriver oĂą il en est aujourd’hui, Ă  la souverainetĂ©. En d’autres termes, le titre que je donnerai Ă  l’ouvrage sera celui-ci : Histoire d’une famille du peuple depuis les Gaules jusqu’à nos jours, ou Esclave et souverain.[12] » Lorsque le rĂ©gime politique change Ă  la suite du coup d’État de 1851, Sue modifie Ă  nouveau – non sans y ĂŞtre contraint, cette fois – la forme et le propos de ses romans : « Le gouvernement de Sardaigne verrait-il quelque inconvĂ©nient Ă  ce que le mĂŞme journal publie de moi une Ĺ“uvre purement, absolument ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ; dans laquelle il ne serait question ni de prĂŞtres, ni d’histoire, et qui serait simplement, j’en prends l’engagement d’honneur, tout ce qu’il y a de plus inoffensif en Ă©tude de mĹ“urs?[13] » De mĂŞme, son rĂ©cit sur les łŮ°ů˛ą˛Ô˛ő±č´Ç°ůłŮĂ©˛ő en 1853 est Ă©crit en rapport direct avec la situation qui le prĂ©occupe Ă  ce moment : « J’ai dĂ» Ă©crire ce livre avec une extrĂŞme modĂ©ration. Voici pourquoi : le produit de cette publication est destinĂ© Ă  venir fraternellement en aide Ă  un grand nombre de mes chers compatriotes, rĂ©fugiĂ©s dans les États Sardes, en Belgique ou en Suisse, et que la proscription a privĂ© des ressources de leurs travaux habituels.[14] »

Il faudrait se garder de voir en ces changements de forme romanesque, tout de mĂŞme assez importants, un dĂ©sir de rupture sans cesse renouvelĂ©. Comme l’explique Sue au sujet des romans maritimes, qui semblent mener naturellement aux romans historiques, les changements de forme tĂ©moignent plutĂ´t d’une grande flexibilitĂ© associĂ©e au genre, qui se module selon les besoins, les goĂ»ts et les intĂ©rĂŞts du romancier, lui-mĂŞme influencĂ© par les tendances contemporaines. Les transformations rĂ©pĂ©tĂ©es du genre, chez Sue, se rattachent tout de mĂŞme Ă  une constante : celle de garantir au roman une pertinence immĂ©diate dans la sociĂ©tĂ© et de lui trouver une utilitĂ© directe. Loin de privilĂ©gier une forme durable ou fixe, le romancier reconnaĂ®t que ses propres ouvrages puissent ĂŞtre facilement oubliĂ©s, comme en tĂ©moigne une lettre de 1850 oĂą il annonce aux lecteurs des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple un roman-synthèse de quelques-uns de ses ouvrages prĂ©cĂ©dents : « Veuillez, je vous prie, s’il vous paraĂ®t mĂ©riter quelque souvenir, ne pas oublier le personnage de Martin; j’espère que vous le retrouverez, dans un ouvrage destinĂ©, selon ma pensĂ©e, Ă  complĂ©ter les Misères des enfants trouvĂ©s, Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris, le Juif errant, les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple. Ce livre aura pour titre : Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du monde Ou L’Esclavage, le prolĂ©tariat et la misère chez tous les peuples en 1850.[15] » Le projet, qui ne verra jamais le jour, est tout de mĂŞme reprĂ©sentatif du regard que porte le romancier sur ses ouvrages, oĂą, pour demeurer pertinents, les personnages et le propos des romans prĂ©cĂ©dents se doivent d’être rĂ©actualisĂ©s dans une nouvelle Ĺ“uvre qui, Ă  son tour, devra dĂ©crire la sociĂ©tĂ© « au prĂ©sent ».

Le roman dans le présent.

MalgrĂ© une conception très flexible et changeante de la forme romanesque, Eugène Sue demeure attachĂ©, tout au long de sa pratique, Ă  un aspect central et fondamental Ă  sa vision du roman, soit celui de s’intĂ©grer pleinement dans la sociĂ©tĂ©. Si la forme de ses Ĺ“uvres varie, leur contenu doit toujours ĂŞtre « dans le prĂ©sent », en interaction directe avec les prĂ©occupations politiques et sociales qu’il soulève. Cette vision du roman qui doit ĂŞtre « utile » Ă  la sociĂ©tĂ© se conçoit le mieux par le projet qu’il Ă©labore aux dĂ©buts de la Deuxième RĂ©publique : « Au point de vue dĂ©mocratique, l’on doit inĂ©vitablement s’occuper de fonder des bibliothèques communales. °Ú…] Beaucoup de ces publications Ă©lĂ©mentaires pourraient ĂŞtre illustrĂ©es, tous les genres de littĂ©rature et consĂ©quemment toutes les aptitudes trouveraient facilement place dans de pareils travaux, depuis ±ô’hľ±˛őłŮ´Çľ±°ů±đ jusqu’à l’apologue ou au conte moral.[16] » La valorisation de l’utilitĂ© des Ĺ“uvres, quelle que soit leur forme, apparaĂ®t dès lors comme un aspect fondamental du rĂ´le de la littĂ©rature pour le romancier socialiste. C’est d’ailleurs par ce projet de bibliothèques, dont le renouvellement des titres est essentiel afin de demeurer utile, que Sue fait mention pour une rare fois d’un legs : « Cette bibliothèque, restant en outre sous la direction de l’État, la propriĂ©tĂ© d’une caisse de secours, sorte d’łóĂ©°ůľ±łŮ˛ą˛µ±đ que les Ă©crivains de notre gĂ©nĂ©ration lĂ©gueraient aux Ă©crivains des gĂ©nĂ©rations Ă  venir.[17] » On voit lĂ  les traces de ce dĂ©sir, pour le romancier, d’être ancrĂ© dans le prĂ©sent et d’écrire des Ĺ“uvres qui puissent rĂ©sonner directement avec la vie de ses lecteurs.

Cette prĂ©occupation se trouve dĂ©jĂ  dans ses premiers romans maritimes. Pour expliquer son choix de se tourner vers l’écriture de ces Ĺ“uvres, Sue mentionne d’abord l’absence de reconnaissance publique des exploits de la marine française. Le roman doit ainsi contribuer Ă  rĂ©gler cette injustice perçue : « Parce que la plupart des hommes croient Ă  ce qu’ils lisent; parce que les rĂ©cits de nos victoires sur mer, colorĂ©s en littĂ©rature, poĂ©tisĂ©s, exagĂ©rĂ©s, peut-ĂŞtre, eussent fini par nous donner Ă  nous-mĂŞmes une idĂ©e de notre importance en marine.[18] » Or il ne s’agit pas que de faire rayonner la marine, puisque les ouvrages doivent aussi influencer la prise d’actions politiques concrètes : « Alors, peut-ĂŞtre, des hommes de conscience et d’étude feront pour l’économie politique ce que nous avons fait pour la littĂ©rature; ils consacreront quelque temps de leur vie Ă  l’examen des besoins, de l’existence des marins; ils verront par eux-mĂŞmes, ils observeront les faits et la nature, afin de mettre en harmonie les lois et les habitudes maritimes.[19] » Ce dĂ©sir d’agir dans le prĂ©sent est d’ailleurs indissociable des convictions sociales profondes qui habitent l’auteur et qu’il tente d’exprimer dans ses romans. Pour expliquer le propos de La Vigie de Koat-Ven, Sue dit vouloir dĂ©noncer, comme il l’avait fait dans ses ouvrages prĂ©cĂ©dents, le mal du siècle qui touche son Ă©poque : « Il m’a paru qu’aujourd’hui le trait le plus saillant et le plus arrĂŞtĂ© de notre physionomie morale Ă©tait un dĂ©senchantement profond et amer, qui a sa source dans les mille dĂ©ceptions sociales et politiques dont nous avons Ă©tĂ© les jouets, qui a sa preuve dans le łľ˛ąłŮĂ©°ůľ±˛ą±ôľ±˛őłľ±đ organique et constitutif de notre Ă©poque[20] ». Partageant dans cet extrait l’opinion de nombreux Ă©crivains de sa gĂ©nĂ©ration, il explique la nĂ©cessitĂ© de le reprĂ©senter par l’exposition d’un principe qui lui est fondamental : « c’est que la manifestation d’une ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©, si dĂ©cevante qu’elle soit, peut toujours servir d’enseignement moral Ă  l’humanitĂ©.[21] »

Le souci du romancier d’intĂ©grer les prĂ©occupations du prĂ©sent Ă  ses Ĺ“uvres se fait le plus souvent par le rejet de l’ « illusion » au profit de la reprĂ©sentation du « vrai ». Ainsi, toujours Ă  propos de Koat-Ven, Sue se justifie de reprĂ©senter le rĂ©el tel qu’il le perçoit : « Vous voulez des illusions dans l’art; mettez-en d’abord dans les mĹ“urs; car l’art n’est, pour ainsi dire, que l’esprit, que l’expression morale du corps social…[22] » Cette dĂ©fense de la ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ© revient constamment pour expliquer ses ouvrages. Ă€ propos d’Arthur, il Ă©crit :

Le personnage d’Arthur n’est donc pas une fiction.., son caractère une invention d’écrivain; les principaux Ă©vĂ©nements de sa vie sont racontĂ©s naĂŻvement, presque toutes les particularitĂ©s sont vraies. °Ú…] Quant aux accessoires de la figure principale de ce rĂ©cit, quant aux scènes de la vie du monde, parmi lesquels on la voit agir, l’auteur de ce livre en reconnaĂ®t d’avance la pauvretĂ© stĂ©rile; mais il pense que les mĹ“urs et la sociĂ©tĂ© d’aujourd’hui n’en prĂ©sentent pas d’autres, ou du moins il avoue n’avoir pas su les dĂ©couvrir.[23]

Lors de l’écriture des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple, Sue accompagne son ouvrage de lettres aux abonnĂ©s oĂą il justifie le contenu de son roman par des preuves historiques, comme il l’explique dès la première de ces lettres :

Quelque confiance vous daignez accorder à ma parole, vous trouverez dans les prochains récits, des faits si étranges, si extraordinaires, souvent même si monstrueux, je dirais presque si peu croyables, que sans l’irrécusable autorité historique, dont je les accompagnerai, le lecteur le plus favorable à cet ouvrage, pourrait croire, non sans doute que je l’ai voulu tromper, mais qu’entraîné par mon imagination de romancier j’ai exagéré les faits au-delà des limites du possible, afin de les rendre plus saisissants. Je n’aurai pas cette crainte, lorsque la citation historique textuelle, irréfragable, servant pour ainsi dire de poinçon, de contrôle à mon récit, prouvera du moins que quelle que soit sa valeur il est pur et sans alliage.[24]

Ă€ Fanny DĂ©noix, qui adapte Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris en vers, Sue s’excuse des scènes de violence contenues dans son livre en invoquant Ă  nouveau ce besoin de °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© : « Pardon de ces nuages, de ces taches de sang, de ces horreurs, mais l’inexorable °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© est lĂ  qui me pousse et me domine[25] ».

S’il est dominĂ© par le rĂ©el de la mĂŞme façon qu’il sent le devoir d’exprimer le mal de son Ă©poque, c’est parce que la °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© lui paraĂ®t souvent porteuse d’un enseignement pour le prĂ©sent, tel qu’il l’avance encore dans la prĂ©face de Fernand Duplessis : « Rien dans ces pages n’annonce l’écrivain; ce n’est pas une Ĺ“uvre d’art; c’est, si cela peut se dire, une °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© souvent brutale; mais dans la pensĂ©e de l’auteur[26] (et je la partage) cette °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© doit avoir son enseignement moral.[27] » C’est qu’au-delĂ  du dĂ©sir de reprĂ©senter la °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© aussi fidèlement que possible, les romans doivent trouver une utilitĂ© concrète dans la sociĂ©tĂ©. Cette conviction, dont on retrace les sources dans la critique d’art que pratique Sue au dĂ©but de sa carrière : « Ă€ mon sens, le beau entraĂ®ne avec lui l’idĂ©e de ±ô’ułŮľ±±ô±đ[28] », est frĂ©quemment convoquĂ©e pour expliquer l’utilitĂ© d’écrire ses ouvrages. Dans une lettre Ă  George Sand, il rĂ©pète Ă  nouveau ce principe, qu’il lie encore Ă  la question de la ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ© : « S’il y avait quelque mĂ©rite dans l’ouvrage peut-ĂŞtre serait-il dans sa tendance utile et dans la peinture de quelques caractères que j’ai tâchĂ© de rendre aussi vrais que possible.[29] » Un mĂŞme rapprochement est effectuĂ© dans une lettre Ă  Jules Michelet, oĂą les enjeux du monde de l’éducation qu’il souhaite dĂ©peindre[30] doivent ĂŞtre, encore, Ă  la fois utiles et vrais :

Dans le roman que je publie maintenant, j’ai tâchĂ© de peindre, et de mettre en action la vie misĂ©rable et dĂ©vouĂ©e de l’instructeur primaire, et de montrer ce qu’il pourrait et devrait ĂŞtre dans une sociĂ©tĂ© qui se prĂ©occuperait avant tout de l’éducation. °Ú…] Serez-vous assez obligeant pour me faire savoir oĂą je pourrais me procurer le travail de monsieur Lor[r]ain? J’y trouverais j’en suis certain des faits qui par analogie pourraient prouver la °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© de ce que l’on considèrerait comme une fiction?[31]

Chez Sue, cependant, ce principe de ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ© et d’utilitĂ© ne relève pas d’une idĂ©alisation de l’art romanesque ou d’une rĂ©flexion sur la profondeur philosophique de son Ĺ“uvre. Au contraire, il prend une valeur très pragmatique Ă  partir des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris oĂą il s’agit vĂ©ritablement d’engager des rĂ©formes sociales profondes et durables par le biais du roman. Aussi le rĂ©cit, qui dĂ©crit les milieux pauvres de Paris, est l’occasion de prĂ©senter des projets de rĂ©forme sociale. Dans une lettre Ă  Jules Vinçart, il Ă©crit, Ă  propos d’une institution crĂ©Ă©e dans le roman pour venir en aide aux dĂ©sĹ“uvrĂ©s : « Serez-vous assez bon pour me dire ce que vous en pensez ou me faire savoir les modifications que vous y croyez convenables et me dire enfin si une telle fondation aurait une utilitĂ© rĂ©elle pour la classe ouvrière.[32]» Si l’utilitĂ© du roman est encore mentionnĂ©e, c’est dans le but de voir les innovations suggĂ©rĂ©es adoptĂ©es dans la °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ©. Ă€ propos de la situation dans les hospices, il dĂ©fend avoir trouvĂ© une solution, illustrĂ©e dans le roman, aux problèmes qui les touchent : « Je suis ravi que la pensĂ©e des commissaires ou inspecteurs des łóĂ´±čľ±łŮ˛ąłÜłć vous paraisse pratique. J’ai tâchĂ© Ă  cĂ´tĂ© de l’abus d’indiquer le remède et je crois que j’avais pensĂ© Ă  peu près juste.[33] » C’est donc une vision très « pratique » du roman qui se dĂ©gage, oĂą toute distinction avec la °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© est absente de la pensĂ©e de Sue, qui souhaite plutĂ´t engager des changements concrets par le biais de ses Ĺ“uvres. Les enjeux de forme ou de composition sont toujours subordonnĂ©s Ă  ce principe d’utilitĂ© des ouvrages, comme l’écrit le romancier dans la dĂ©dicace du Juif Errant :

Je n’oublierai jamais comment vos excellents travaux, fruits d’une longue et habile expérience, m’ont servi pour mettre çà et là en relief et en mouvement (dans ma modeste sphère de conteur) quelques faits consolants ou terribles se rattachant de près ou de loin à la question de l’organisation du travail, question brûlante, qui dominera toutes les autres, parce que, pour les masses, c’est une question de vie ou de mort.[34]

On comprend toutefois plus aisément l’importance accordée à ce principe dès que l’on constate que certains changements suggérés par Sue dans ses romans se sont réalisé dans les années qui ont suivi. Son idée de « banque des pauvres », par exemple, qui fournirait une aide immédiate aux plus démunis est reprise : « On m’écrit de Bordeaux et de Lyon que plusieurs personnes riches et compatissantes s’occupent de réaliser dans ces deux villes mon projet d’une Banque de prêts gratuits pour les travailleurs sans ouvrage, et quelqu’un qui fait ici l’usage le plus généreux et le plus éclairé d’une immense fortune, m’a donné, au sujet d’une fondation pareille pour Paris, les plus encourageantes espérances.[35] » Pourtant, pour Sue, d’autres actions, concrètes, devraient aussi être tirées de son ouvrage :

Souhaitons maintenant, monsieur, qu’un législateur véritablement ami du peuple prenne en main les questions relatives : À l’établissement d’avocats des pauvres; À l’abaissement du taux exorbitant de l’intérêt prélevé par le Mont-de-Piété; À la tutelle préservatrice exercée par l’État sur les enfants des suppliciés et des condamnés à perpétuité; À la réforme du Code pénal à l’endroit des abus de confiance; Et peut-être ce livre, attaqué encore récemment avec tant d’amertume et de violence, aura du moins produit quelques bons résultats. [36]

L’utilitĂ© du roman et sa capacitĂ© Ă  agir dans la sociĂ©tĂ© pousse mĂŞme Sue Ă  refuser de se prĂ©senter comme dĂ©putĂ©, pendant la Deuxième RĂ©publique, sous ±č°ůĂ©łŮ±đłćłŮ±đ qu’il sera plus utile en complĂ©tant plus rapidement Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple : « Il m’est sans doute très pĂ©nible de ne pouvoir, en cette circonstance, rĂ©pondre Ă  la confiance que mes concitoyens daignent me tĂ©moigner; ma seule consolation est de penser que les travaux qui m’obligent Ă  dĂ©cliner un grand honneur ne seront peut-ĂŞtre pas tout Ă  fait perdus pour la cause dĂ©mocratique et sociale, Ă  laquelle je me suis vouĂ© depuis des annĂ©es.[37] » Quelques mois plus tard, après avoir Ă©tĂ© Ă©lu sans s’être portĂ© candidat, c’est toujours par le biais du roman qu’il s’adresse Ă  ses Ă©-lecteurs, les deux rĂ´les semblant se confondre naturellement : « la mission de reprĂ©sentant du peuple, jointe aux travaux incessants, indispensables Ă  la continuation des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple, que vous accueillez avec une si constante bienveillance, m’impose de nouveaux devoirs; mais je trouverai la force de suffire Ă  ma double tâche, dans vos encouragements, et dans mon dĂ©vouement inaltĂ©rable Ă  l’opinion dĂ©mocratique et sociale qui m’a honorĂ© de sa confiance.[38] »

Si l’impact que peuvent avoir les romans sur la sociĂ©tĂ© est grandement compromis par le coup d’État et l’instauration du Second Empire, il est toujours impossible, pour Sue, d’écrire un ouvrage dĂ©nuĂ© d’une quelconque utilisĂ©. Dans La Marquise d’Alfi, c’est donc l’agriculture et le tourisme d’Annecy, oĂą rĂ©side alors Sue, que le roman cherche Ă  promouvoir : « mes vĹ“ux seraient comblĂ©s, si la lecture de l’œuvre que je publie pouvait engager quelques touristes, quelques paysagistes amoureux de leur art, quelques personnes ayant le goĂ»t de l’agriculture, Ă  visiter les magnificences de cette contrĂ©e, qui joint Ă  la grandeur et Ă  la variĂ©tĂ© des sites alpestres, une fertilitĂ© merveilleuse et une science agricole très avancĂ©e.[39] » Le roman s’écrit donc encore dans le prĂ©sent, l’auteur demeurant entièrement investi de la °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© qu’il tente de transformer tout en rĂ©digeant. Il reste Ă  l’écart de l’invention ou de l’illusion, dont il diminue toujours la part dans son travail, comme il Ă©crit dans la prĂ©face de La Famille Jouffroy, vĂ©ritable rĂ©sumĂ© de sa vision de la fonction du roman :

Nous l’avouons ici sincèrement, il nous serait maintenant impossible d’entreprendre une Ĺ“uvre ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ sans ĂŞtre soutenu par cette espĂ©rance, dĂ©cevante peut-ĂŞtre : que de cette Ĺ“uvre il ressortira un enseignement, et qu’après l’avoir lue, le lecteur sentira se raffermir en lui son amour du juste et du bien, redoubler son horreur du mal et de l’iniquitĂ©, augmenter son mĂ©pris pour la bassesse, le parjure, le mensonge et l’hypocrisie. Imaginer une fable, entasser Ă©vĂ©nements sur Ă©vĂ©nements, crĂ©er des personnages, rĂ©aliser des types, mettre en relief des caractères vrais, humains; leur prĂŞter Ă  chacun ses passions, son langage, ses actes, tout cela nous paraĂ®t ĂŞtre une Ĺ“uvre stĂ©rile, si le seul rĂ©sultat est d’entraĂ®ner le lecteur d’aventure en aventure, et si, arrivant au terme de ce voyage Ă  travers les espaces de l’imagination, il ne se trouve pĂ©nĂ©trĂ© davantage de certaines ľ±»ĺĂ©±đ˛ő Ă©ternelles[40].

Le roman au quotidien.

On ne se surprendra pas donc pas de constater, comme l’indique la citation prĂ©cĂ©dente, qu’Eugène Sue demeure assez allusif quant Ă  ses propres stratĂ©gies de composition ou aux aspects formels de ses romans, les questions d’utilitĂ© primant toujours sur la forme, dans ses Ă©crits. On y retrouve plutĂ´t de multiples mentions de son absence de talent, que le romancier justifie d’ailleurs en expliquant que ce n’est pas lĂ  l’objectif de ses ouvrages : « Ă€ dĂ©faut de talent, on trouvera du moins dans mon Ĺ“uvre de salutaires tendances et de gĂ©nĂ©reuses convictions[41] »; « Quant Ă  la partie d’art, j’ai tant d’imperfections et de dĂ©fauts comme artiste, que je fais bon marchĂ© de tout, mais ±ô’i˛ÔłŮ±đ˛ÔłŮľ±´Ç˛Ô, mais l’idĂ©e se transforme en acte °Ú…], voilĂ  ce qui me rend très heureux et très fier[42] »; « Je vous demande grâce d’avance, Madame, pour le manque absolu de forme, de style et de lyrisme que vous remarquerez dans ce livre. Il y a longtemps que je suis convaincu par l’expĂ©rience que ces rares qualitĂ©s me faudront toujours.[43] » Il reconnaĂ®t d’ailleurs assez tĂ´t, dans une lettre Ă  ThĂ©ophile Gautier, son manque de style, qui lui paraĂ®t impossible Ă  corriger : « Je sais, je sais que c’est surtout le style qui me manque, mais je puise dans votre approbation Ă  vous un nouveau dĂ©sir, une nouvelle espĂ©rance de mieux faire, quoique cette tâche me semble de la plus extrĂŞme difficultĂ©.[44] »

C’est que Sue distingue, dès ses premiers Ă©crits, le corps de l’âłľ±đ du roman, faisant toujours primer le second sur le premier dans sa pratique : « Il doit y avoir, je pense, dans toute composition ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ, deux parties bien scindĂ©es. D’abord le drame, la fabulation, le pittoresque, le descriptif, que l’on pourrait appeler le corps de l’œuvre, ou sa partie matĂ©rialisĂ©e. Puis, suivant la mĂŞme comparaison, la donnĂ©e morale et philosophique, qui serait l’âłľ±đ, la pensĂ©e de cette Ĺ“uvre, autrement dit, sa partie spiritualisĂ©e[45] ». Il ne fait nul doute que, chez Sue, la partie matĂ©rialisĂ©e de l’œuvre demeure toujours secondaire. C’est peut-ĂŞtre pourquoi il rejette si ouvertement tout mouvement artistique dont les dĂ©bats lui paraissent futiles. En dĂ©but de carrière, il n’hĂ©site pas Ă  se distancer de la querelle des romantiques et des classiques, rĂ©pondant Ă  un de ses critiques : « Il y aurait vu que je ne comprenais pas ce que voulait dire classique ou romantique; que je ne connaissais que deux genres : le bon et le mauvais, le vrai et le faux; qu’enfin je n’attachais aucun sens Ă  ces mots Ă©lastiques dont chaque parti Ă©tend ou rĂ©trĂ©cit l’acception, suivant l’urgence du moment.[46] » De mĂŞme, vers la fin de sa vie, c’est sans surprise qu’il rejette vĂ©hĂ©mentement la doctrine de l’art pour l’art : « Plus nous avançons dans la vie °Ú…] plus nous sommes convaincus des erreurs de l’école qui professe L’art pour l’art, en d’autres termes, L’indiffĂ©rence absolue du mot moralisateur et Ă©levĂ© oĂą doit tendre, selon nous, toute Ĺ“uvre d’imagination, quelle que soit sa forme.[47] »

Ces critiques répétées de l’attention accordée à la forme s’expliquent peut-être, du moins en partie, par le type de travail que réalise le feuilletoniste : l’écriture quotidienne qui l’occupe laisse peu de temps pour développer des innovations stylistiques, délaissées au profit d’une écriture rapide et de publications qui se superposent. Dans une lettre à un ami, Sue donne une idée de la charge de travail qui l’occupe alors, en 1852 :

Tu me demandes ce que j’écris? Je viens de donner au ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ un roman mi-fantastique qui va paraĂ®tre dans 5 ou 6 jours. °Ú…] Puis j’ai donnĂ© Ă  La Presse un petit roman dont la scène se passe en Savoie, afin, si je le peux, d’attirer l’attention sur ce magnifique pays jusqu’ici presque toujours dĂ©daignĂ© par les touristes quoiqu’il vaille la Suisse. Puis je termine encore pour La Presse les MĂ©moires d’un mari dont le commencement a paru l’an passĂ©. Puis enfin ne pouvant continuer Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple en France je me mets en mesure de les publier Ă  l’étranger. J’oubliais un petit livre Jeane et Louise ou les familles des łŮ°ů˛ą˛Ô˛ő±č´Ç°ůłŮĂ©˛ő, que je viens d’écrire au profit des rĂ©fugiĂ©s et qui va paraĂ®tre Ă  Genève dans 8 ou 10 jours, mais qui bien entendu ne pourra entrer en France. Voici mon bon frère toute ma pacotille ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ.[48]

Ainsi qualifiĂ©s de « pacotille ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ », les ouvrages du romancier, parfois rĂ©digĂ©s simultanĂ©ment, ne sont jamais perçus comme appartenant Ă  une forme d’art Ă©levĂ©e, bien au contraire. Sue valorise plutĂ´t les autres formes d’art, le roman lui semblant beaucoup plus simple et lĂ©ger en comparaison. Dans une lettre Ă  Marie D’Agoult, il lui fait part de ces rĂ©serves, arguant d’abord que la littĂ©rature est une forme plus distrayante que la musique : « Encore une fois ce n’est pas Ă  la musique qui excite en nous toutes les facultĂ©s physiques et morales les plus irritables qu’il faut demander ±ô’ołÜ˛ú±ôľ± ou la distraction, tandis que la littĂ©rature comme on dit est merveilleuse pour ça.[49] » Il ajoute, dans cette mĂŞme lettre :

En ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ© plus je vais, plus je rĂ©flĂ©chis, plus je me convaincs que rien au monde n’est plus bornĂ© que l’esprit humain Ă©crit en phrases et en lignes. Après tout ce sont des mots, des phrases, et toujours les mĂŞmes et puis c’est si positif, si palpable, un livre… au lieu que la musique vous Ă©meut, vous enivre, et le son qui excitait ce dĂ©lice est dĂ©jĂ  passé… et puis le premier sot ou le premier grand homme venu peuvent vous dĂ©montrer aussi logiquement l’un que l’autre que vous n’avez Ă©crit que des sottises.[50]

La forme romanesque lui semble finalement bien peu porteuse de qualités artistiques. En fait, les quelques remarques qu’il formule à l’égard de la composition romanesque touchent plutôt les péripéties et les personnages qui répondent, en quelque sorte, à la légèreté du roman et à la distraction qu’il procure. Son intérêt pour la succession rapide des péripéties est affirmé dès la dédicace d’Atar-Gull à Cooper :

Je me suis demandĂ© pourquoi, dans les romans maritimes, surtout °Ú…] on ne tenterait pas de jeter cet imprĂ©vu, ces apparitions soudaines qui brillent un instant et s’effacent pour ne plus reparaĂ®tre. Pourquoi, au lieu de suivre cette sĂ©vère unitĂ© d’intĂ©rĂŞt distribuĂ©e sur un nombre voulu de personnages qui, partant du commencement du livre, doivent, bon grĂ©, malgrĂ©, arriver Ă  la fin pour contribuer au dĂ©nouement chacun pour sa quote-part; Pourquoi, dis-je, en admettant une idĂ©e philosophique, ou un fait historique qui traverserait tout le livre, on ne grouperait pas autour des personnages qui, ne servant pas de cortège obligĂ© Ă  l’abstraction morale qui serait le pivot de l’ouvrage, pourraient ĂŞtre abandonnĂ©s en route, suivant l’opportunitĂ© ou l’exigence logique des Ă©vĂ©nements[51]

Cet intĂ©rĂŞt pour la multiplicitĂ© de personnages et d’évĂ©nements, qui semble annoncer la forme du feuilleton Ă  laquelle s’adonnera Sue quelques annĂ©es plus tard, illustre aussi sa conception de l’ « unitĂ© » du roman : si une idĂ©e claire doit primer et s’énoncer tout au long de l’ouvrage, les pĂ©ripĂ©ties peuvent se multiplier sans problème. Il s’agit toujours d’ « empoigner[52] », de « prendre le lecteur[53] », de « faire mordre le public Ă  l’hameçon pour le conduire ensuite dans nos ľ±»ĺĂ©±đ˛ő[54] ». MalgrĂ© une attention minime portĂ©e au style, on remarque tout de mĂŞme une nette prĂ©fĂ©rence pour une multiplicitĂ© d’intrigues chez le romancier, Ă  condition de ne pas remettre en jeu l’unitĂ©, ou le propos gĂ©nĂ©ral, de l’œuvre. La composition, pourrait-on avancer, relève donc d’un rapport quotidien au roman, non seulement parce que l’écriture se fait de façon rĂ©gulière et continue, mais aussi parce qu’elle demeure peu importante pour Sue, qui l’associe Ă  une Ă©criture ordinaire, distrayante, oĂą les pĂ©ripĂ©ties ponctuent ce qui demeure de l’ordre du divertissement.

Conclusion.

Après le coup d’État, Eugène Sue prĂ©sente Ă  Jules Hetzel le projet d’accompagner la publication de ses Ĺ“uvres complètes de notices historiques qui dĂ©criraient le contexte d’écriture de ses Ĺ“uvres, qualifiĂ©es de « MĂ©moires ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đs ». Le projet n’ayant jamais abouti, il est difficile de prĂ©sumer ce qui se serait retrouvĂ© dans l’ouvrage. NĂ©anmoins, les quelques ľ±»ĺĂ©±đ˛ő qu’il formule dans sa lettre Ă  Hetzel semblent rĂ©pĂ©ter les aspects principaux qui ont Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©s de sa vision de l’art romanesque :

J’ai commencĂ© Ă  Ă©crire des romans maritimes parce que j’avais vu la mer; dans ces premiers romans il y a un cĂ´tĂ© politique et philosophique °Ú…] radicalement opposĂ© Ă  mes convictions Ă  partir de transformations, succession de mon intelligence, de mes Ă©tudes, de mes ľ±»ĺĂ©±đ˛ő, de mes goĂ»ts, de mes liaisons °Ú…] je suis arrivĂ© par la seule instruction du juste, du vrai, du bien, Ă  confesser directement la rĂ©publique dĂ©mocratique et sociale. Vous sentez que j’ai une si grande horreur du moi, de la mise en scène, que cette Ă©tude n’aura rien de personnel en dehors du cĂ´tĂ© philosophique, politique et ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ[55].

Si la forme et la composition de ses romans évoluent considérablement au cours de sa carrière, comme il le remarque, ce sont encore les convictions politiques et sociales qu’il semble vouloir convoquer pour expliquer l’origine de ses œuvres, qui s’arrimeraient tout à fait à l’évolution de ses positions politiques. En ce sens, c’est toujours dans le présent qu’il écrit, et c’est à nouveau pour s’assurer de remettre les œuvres en contexte que s’élabore ce projet.

Écrivain du prĂ©sent, Sue privilĂ©gie donc toujours la cohĂ©rence de ses ľ±»ĺĂ©±đ˛ő et l’utilitĂ© des principes Ă©noncĂ©s pour son lectorat Ă  un travail plus poussĂ© sur la forme, changeante, ou Ă  la composition, ordinaire, de ses romans. Dans une rĂ©ponse adressĂ©e Ă  un critique de son Ĺ“uvre, il Ă©crit : « Je sais combien mes livres prĂŞtent Ă  vos accusation sous le rapport du style, de l’art, de la composition. J’admets parfaitement que l’on attaque les ľ±»ĺĂ©±đ˛ő sociales que j’émets; mais ce qu’il me serait pĂ©nible de voir mettre en doute par un homme de votre franchise et de votre caractère, Monsieur, ce serait la sincĂ©ritĂ© de mes convictions.[56] » Il est possible de lire, dans cette citation, la hiĂ©rarchisation qui caractĂ©rise l’art romanesque de Sue : peu prĂ©occupĂ© des enjeux de forme ou de style, au propos changeant selon les conditions prĂ©sentes, le roman demeure fondamentalement porteur de convictions profondes. Le roman, pour Sue, est donc fondĂ© par le dĂ©sir de trouver une utilitĂ© dans le prĂ©sent, selon les conditions actuelles, et de façon quotidienne.

Ěý

[1] Eugène Sue, Correspondance générale, Volume II (1841-1845), éd. Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2013, p. 69. L’auteur souligne toujours.

[2] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » Ă  Plik et Plok, Paris, Eugène Renduel, 1831.

[3] Id., Correspondance générale, Volume I (1825-1840), éd. Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2010, p. 168-169.

[4] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » Ă  Plik et Plok, Paris, Eugène Renduel, 1831.

[5] Publié en feuilleton dans La Mode en 1830, il est repris dans Plik et Plok l’année suivante.

[6] Publiée en feuilleton dans La Mode en 1830, il est repris dans Plik et Plok l’année suivante.

[7] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » Ă  La Salamandre, tome I, Paris, PĂ©tion Éditeur, 1845, p. XV-XVII.

[8] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » Ă  La Coucaratcha, Paris, Albin Michel, 1907, p. 5.

[9] Id., Correspondance générale, Volume II, p. 64.

[10] Ibid., p. 186.

[11] Id., Correspondance générale, Volume III (1846- mai 1850), éd. Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2016, p. 595.

[12] Ibid., p. 623.

[13] Id., Correspondance générale, Volume IV (juin 1850-1854), éd. Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2018, p. 292.

[14] Ibid., p. 358.

[15] Ibid., p. 134.

[16] Id., Correspondance générale, Volume III, p. 510.

[17] Ibid.

[18] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » Ă  Plik et Plok.

[19] Id, « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » de Plick et Plock, Paris, Charles Gosselin, 1841, p. I.

[20] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » de La Vigie de Koat-Ven, Paris, Paul Éditeur, 1846, p. 5.

[21] Ibid., p. 14.

[22] Ibid., p. 9.

[23] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » Ă  Arthur, Paris, Charles Gosselin, 1838, p. VIII-XII.

[24] Id., Correspondance générale, Volume III, p. 709-710.

[25] Id., Correspondance générale, Volume II, p. 254.

[26] Sue défend que le roman est tiré des mémoires de Fernand Duplessis, qu’il a modifiées.

[27] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » dans Fernand Duplessis. MĂ©moires d’un mari, Paris, Le ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ, 1855, p. 1.

[28] Id., Correspondance générale, Volume I, p. 106.

[29] Id., Correspondance générale, Volume II, p. 186.

[30] Il prépare à ce moment la rédaction de Miss Mary ou l’Institutrice.

[31] Id., Correspondance générale, Volume III, p. 53.

[32] Id., Correspondance générale, Volume II, p. 265.

[33] Ibid., p. 332.

[34] Ibid., p. 569

[35] Ibid., p. 412.

[36] Ibid., p. 412-413.

[37] Id., Correspondance générale, Volume III, p. 716.

[38] Ibid., p. 766.

[39] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » Ă  La Marquise d’Alfi, Paris, Alexandre Cadot, 1853, p. VII.

[40] Id., Correspondance générale, Volume IV, p. 516.

[41] Id., Correspondance générale, Volume III, p. 569.

[42] Ibid., p. 208.

[43] Id., Correspondance générale, Volume II, p. 186.

[44] Id., Correspondance générale, Volume I, p. 607.

[45] Id., « ±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ » Ă  La Salamandre, p. I-II.

[46] Id., Correspondance générale, Volume I, p. 105-106.

[47] Id., Correspondance générale, Volume IV, p. 516.

[48] Ibid., p. 327

[49] Id., Correspondance générale, Volume I, p. 383.

[50] Ibid., p. 383.

[51] Ibid., p. 180.

[52] Id., Correspondance générale, Volume III, p. 646.

[53] Id., Correspondance générale, Volume II, p. 798.

[54] Ibid., p. 566.

[55] Id., Correspondance générale, Volume IV, p. 330.

[56] Id., Correspondance générale, Volume II, p. 610.

Bibliographie

Ouvrages cités

Correspondance :

SUE, Eugène. Correspondance générale d’Eugène Sue, Volume I (1825-1840), éditée par Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2010.

—â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance gĂ©nĂ©rale d’Eugène Sue, Volume II (1841-1845), Ă©ditĂ©e par Jean-Pierre Galvan, Paris, HonorĂ© Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mĂ©moires et journaux », 2013.

—â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance gĂ©nĂ©rale d’Eugène Sue, Volume III (1846 - mai 1850), Ă©ditĂ©e par Jean-Pierre Galvan, Paris, HonorĂ© Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mĂ©moires et journaux », 2016.

—â¶Ä”â¶Ä”. Correspondance gĂ©nĂ©rale d’Eugène Sue, Volume IV (juin 1850-1854), Ă©ditĂ©e par Jean-Pierre Galvan, Paris, HonorĂ© Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mĂ©moires et journaux », 2018.

Romans,Ěýen ordre chronologique :

SUE, Eugène.ĚýPlik et Plok, Paris, Eugène Renduel, 1831. D’abord paru sous :

Kenok le pirate dans La Mode, 1830.

El Gitano dans La Mode, 1830.

—â¶Ä”â¶Ä”. Atar-Gull, Paris, Vimont, 1831.

—â¶Ä”â¶Ä”. La Salamandre, Paris, Renduel, 1832.

—â¶Ä”â¶Ä”. La Vigie de Koat-Ven, Paris, Vimont, 1833.

—â¶Ä”â¶Ä”. La Coucaratcha, Paris, Urbain Canel et Adolphe Guyot, 1834.

—â¶Ä”â¶Ä”. °äĂ©ł¦ľ±±ô±đ, Paris, 1835.

—â¶Ä”â¶Ä”. Arthur, Paris, Charles Gosselin, 1838-1839. D’abord paru dans La Presse, 1837-1839.

—â¶Ä”â¶Ä”. Deleytar, Paris, 1839. D’abord paru sous :

Arabian Godolphin, histoire d’un cheval dans La Presse, 1838.

Kardiki dans La Presse, 1839.

—â¶Ä”â¶Ä”. Le Marquis de LĂ©torière, Paris, 1839.D’abord paru dans Le Journal des dĂ©bats, 1839.

—â¶Ä”â¶Ä”. Jean Cavalier ou Les Fantastiques de CĂ©vennes, Paris, Charles Gosselin, 1840.

—â¶Ä”â¶Ä”. Deux histoires, Paris, 1840. D’abord paru sous :

Le Colonel de Surville, histoire du temps de l’Empire dans Le Constitutionnel, 1840.

Aventures d’Hercule Hardi ou La Guyane en 1772 dans La Presse, 1840.

—â¶Ä”â¶Ä”. Mathilde, MĂ©moires d’une jeune femme, Paris, Gosselin, 1841. D’abord paru dans La Presse, 1840-1841.

—â¶Ä”â¶Ä”. Le Commandeur de Malte, Paris, Gosselin, 1841.

—â¶Ä”â¶Ä”. L’Aventurier ou La Barbe-Bleue dans La Patrie, 1841-1842.

—â¶Ä”â¶Ä”. La Morne au diable, Paris, Gosselin, 1842.

—â¶Ä”â¶Ä”. ThĂ©rèse Dunoyer, Paris, Gosselin, 1842. D’abord paru dans La Presse, 1842.

—â¶Ä”â¶Ä”. Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris, Paris, Gosselin, 1842-1843. D’abord paru dans Le Journal des dĂ©bats, 1842-1843.

—â¶Ä”â¶Ä”. Paula Monti ou L’HĂ´tel Lambert, Paris, Gosselin, 1842. D’abord paru dans La Presse, 1842.

—â¶Ä”â¶Ä”. Le Juif errant, Paris, Paulin, 1844-1845. D’abord paru dans Le Constitutionnel, 1844-1845.

—â¶Ä”â¶Ä”. Martin ou Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő des enfants trouvĂ©s, Paris, Louis PĂ©tion, 1846-1847, D’abord paru dans Le Constitutionnel, 1846-1847.

—â¶Ä”â¶Ä”. Les Sept pĂ©chĂ©s capitaux, Paris, Alexandre Cadot et LĂ©vy, 1848-1854. D’abord paru dans Le Constitutionnel et Le ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ, 1847-1852.

—â¶Ä”â¶Ä”. Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple, Administration de librairie, 1849-1853.

—â¶Ä”â¶Ä”. Les Enfants de l’amour, Paris, Cadot, 1850. D’abord paru dans Le ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ, 1850.

—â¶Ä”â¶Ä”. La Bonne Aventure, Paris, Michel LĂ©vy, 1851. D’abord paru dans Le ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ, 1850-1851.

—â¶Ä”â¶Ä”. Miss Mary ou L’Institutrice, Paris, Alexandre Cadot, 1851. D’abord paru dans Le ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ, 1851.

—â¶Ä”â¶Ä”. Fernand Duplessis ou MĂ©moires d’un mari, Paris, A. Cadot, 1852-1853. D’abord paru dans La Presse, 1851-1853.

—â¶Ä”â¶Ä”. La Marquise CordĂ©lia d’Alfi ou le Lac d’Annecy et ses environs, Annecy, François Saillet, 1852-1853. D’abord paru dans La Gazette de Savoie, 1852-1853.

—â¶Ä”â¶Ä”. Gilbert et Gilberte, Paris, A. Cadot, 1853. D’abord paru dans Le ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ, 1852-1853.

—â¶Ä”â¶Ä”. La Famille Jouffroy, Paris, A. Cadot, 1854. D’abord paru dans Le ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ, 1853-1854.

—â¶Ä”â¶Ä”. Le Diable mĂ©decin, Paris, A. Cadot, 1853-1858. D’abord paru dans Le ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ, 1853-1857.

—â¶Ä”â¶Ä”. Jeane et Louise. Histoire d’une famille de łŮ°ů˛ą˛Ô˛ő±č´Ç°ůłŮĂ©˛ő, Paris, AndrĂ© Sagnier, 1873 [1853].

—â¶Ä”â¶Ä”. Les Fils de famille, Paris, Michel-LĂ©vy, 1862 [1856].

Citations

Correspondance générale d’Eugène Sue, Volume I (1825-1840), éditée par Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2010.
[Ă€ Charles-François Farcy – 22 novembre 1829] Je n’ai pas lu sans intĂ©rĂŞt l’article dans lequel on a bien voulu contredire quelques-unes de mes ľ±»ĺĂ©±đ˛ő relatives Ă  la Physiologie philosophique appliquĂ©e aux arts d’imitation. °Ú…] En se jetant dans la question, il paraĂ®t tout d’abord Ă  M. *** que je suis sĂ©duit par le clinquant des ľ±»ĺĂ©±đ˛ő modernes. Ah! M. ***, idĂ©e moderne est lĂ  pour romantisme, mais le voile dont vous entourez votre pensĂ©e est si diaphane, que je vois bien que vous me soupçonnez vĂ©hĂ©mentement d’être partisan, prosĂ©lyte peut-ĂŞtre de cette secte que madame de StaĂ«l dĂ©signa d’une manière si vague.

Que si, par mes articles prĂ©cĂ©dents, j’avais Ă©tĂ© assez heureux pour attirer l’attention de M. ***, il aurait lu ma profession de foi; il y aurait vu que je ne comprenais pas ce que voulait dire classique ou romantiques; que je ne connaissais que deux genres : le bon et le mauvais, le vrai et le faux; qu’enfin, je n’attachais aucun sens Ă  ces mots Ă©lastiques dont chaque parti Ă©tend ou rĂ©trĂ©cit l’acception, suivant l’urgence du moment. °Ú…]

Avant de continuer, il serait bon de s’entendre sur la valeur des mots. Ă€ mon sens, le beau entraĂ®ne avec lui l’idĂ©e de l’ułŮľ±±ô±đ. Le sauvage de l’OrĂ©noque qui sera grand, souple, fort, actif, qui aura les organes de l’odorat et de l’ouĂŻe tellement dĂ©veloppĂ©s, qu’il reconnaĂ®tra les traces de son ennemi au milieu d’une forĂŞt vierge jonchĂ©e de lianes et de dĂ©bris de vĂ©gĂ©taux; qui, Ă  la mesure cadencĂ©e de leurs pas, distinguera la panthère de la gazelle; ce sauvage sera le plus beau de sa tribu, parce que sa taille, sa souplesse, sa force, son activitĂ©, seront le plus utiles; or, cette beautĂ© lĂ  se traduit par des muscles, le col sera gros, la tĂŞte petite, tout le système moteur Ă©tant continuellement exercĂ©, les extrĂ©mitĂ©s seront largement dĂ©veloppĂ©es, les veines saillantes et gonflĂ©es, les narines dilatĂ©es, les sourcils Ă©levĂ©s, le regard sera terne ou Ă©tincelant, peu importe. (105-106)

[À James Fenimore Cooper – 3 mars 1831] Plusieurs écrivains, plus bienveillants que justes, m’ont fait, dans quelques journaux, l’insigne honneur de comparer un de mes essais de jeune homme à vos imposantes et admirables créations. Je ne saurais, Monsieur, accepter un tel éloge pour une œuvre aussi imparfaite; mais il est vrai de dire que l’espoir de mériter plus tard un si glorieux parallèle par de longs et consciencieux travaux sera le but constant de mon ambition. J’ai exprimé bien faiblement dans la préface de mon livre, l’admiration que j’éprouvais pour la littérature que vous avez créée, car il faudrait bien des pages, monsieur, pour analyser cette profondeur d’invention, ce noble patriotisme, et par-dessus tout cette religieuse et sublime philosophie qui distinguent votre génie. (168-169)

[À James Fenimore Cooper – 15 mai 1831] C’est aussi cette conviction profonde, Monsieur, qui m’a donné le courage de publier quelques essais maritimes; car, venant après vous, il fallait un tel mobile pour oser entreprendre une tâche aussi périlleuse.

J’ai longtemps agité la question de savoir si je ne devais pas choisir pour sujet de romans quelques-uns de ces merveilleux faits d’armes si nombreux dans nos annales maritimes; mais j’ai estimé qu’il était mieux de débuter modestement comme peintre de genre.

Et puis aussi le public, plus familiarisé avec l’idiome, la langue, les habitudes des marins par mes premières esquisses, pourrait prêter une attention moins distraite alors par l’étrangeté de ses mœurs, à une fabulation toute historique, d’une portée plus large et d’un intérêt plus national.

Vous trouverez peut-ĂŞtre, Monsieur, que j’ai bien abusĂ©, dans Atar Gull, de cette licence que vous nous accordez, de commettre des meurtres flagrants et atroces pour exciter la sensibilitĂ© du lecteur; mais je me dĂ©battais en vain sous la fatale influence de l’effrayant sujet que j’avais embrassĂ©, et, comme Macbeth de Shakespeare, ma ´ÚĂ©°ů´Çł¦ľ±łŮĂ© n’a pas eu de bornes, parce qu’un crime Ă©tait la consĂ©quence, la dĂ©duction logique d’un autre crime.

Aussi, Monsieur, j’ai une terrible crainte de passer pour un homme abominable, faisant de l’horreur à plaisir.

Et pourtant, Ă  la faveur de cette peinture trop exacte (je le crois) de la traite des noirs, de leur esclavage et de ses rĂ©sultats, j’ai voulu, non Ă©lever une polĂ©mique bâtarde et usĂ©e sur des droits que plusieurs contestent. Mais bien poser des faits, des chiffres, au moyen desquels chaque partie adverse pourra Ă©tablir ses comptes.- L’addition reste Ă  faire. °Ú…]

Or, Monsieur, je me suis demandé pourquoi, dans les romans maritimes, surtout, dont le cercle est immense, dont les scènes sont souvent séparées entre elles par des milliers de lieues, on ne tenterait pas de jeter cet imprévu, ces apparitions soudaines qui brillent un instant et s’effacent pour ne plus reparaître.

Pourquoi, au lieu de suivre cette sévère unité d’intérêt distribuée sur un nombre voulu de personnage qui, partant du commencement du livre, doivent, bon gré, malgré, arriver à la fin pour contribuer au dénouement chacun pour sa quote-part;

Pourquoi, dis-je, en admettant une idée philosophique, ou un fait historique qui traverserait tout le livre, on ne grouperait pas autour des personnage qui, ne servant pas de cortège obligé à l’abstraction morale qui serait le pivot de l’ouvrage, pourraient être abandonnés en route, suivant l’opportunité ou l’exigeante logique des événements.

Alors, Monsieur, le lecteur éprouverait peut-être cette impression que j’ai tâché de rendre sensible, cette impression qui résulte de la subite apparition d’un homme extraordinaire que l’on ne voit qu’une fois et dont on se souvient toujours.

Je sais, Monsieur, qu’il faudrait un prodigieux talent pour arriver à ce résultat, d’attacher l’intérêt du lecteur sur un personnage pendant le tiers de l’action, je suppose, puis de faire disparaître ce personnage et verser l’intérêt sur celui qui le remplace, afin d’arriver ainsi au dénouement de l’ouvrage.

Mais s’il était possible de réussir, je crois qu’on aurait surmonté l’écueil inévitable que les romans maritimes semblent offrir par les distances et les événements qui doivent nécessairement rendre l’unité d’intérêt et de lieu bien difficile.

Car enfin, Monsieur, un navire est en route; avant d’arriver à destination, il touche dix pays différents : là, des mœurs étrangères, insolites, qui n’offrent aucun rapport entre elles, et peut-être là dix actions, dix puissants motifs d’intérêts, de quoi faire un beau livre; le vaisseau part, on ne se revoit plus, les amitiés commençantes sont brisées, l’amour brusquement tranché à sa première phase. Adieu l’unité d’intérêt

Somme toute, ainsi qu’on l’a déjà dit, n’est-ce pas aussi une unité d’intérêt qu’un fait ou une idée morale, qui, traversant tout un livre, sert de pivot, de lien, aux événements ou aux personnages qui gravitent autour?

Et le roman de marine surtout ne peut-il pas vivre d’épisodes qui seraient déplacés dans tout autre genre de composition?

Je sais qu’il était donné à un talent tel que le vôtre, Monsieur, d’encadrer, de resserrer dans le cycle de l’unité, les scènes immenses que vous avez décrites, et de résoudre un problème insoluble pour tout autre; mais c’est parce que je reconnais l’impossibilité d’atteindre à cette hauteur que je tâche de faire excuser le système contraire que j’ai adopté. (177-181)

[À Prosper Mérimée – 18? Février 1832] Mille mercis pour les choses flatteuses que vous me dites au sujet de La Salamandre. Je n’ai pas mis de combats parce que je les réserves pour mon prochain roman qui comprendra nos guerres maritimes dans l’Inde et quelques affaires brillantes de la république. Je tâcherai aussi de me débarrasser du penchant à la grosse horreur. C’est d’ailleurs si facile qu’on doit avoir honte de l’espèce de succès que cela obtient sur les nerfs des lecteurs. (221)

[À Paul Lacroix – 26 février 1832?] Croyez bien mon cher Lacroix que vos ouvrages malgré leur grand succès ne sont pas encore à leur point de renommée, ils méritent plus que ça et dans quelques années ils grandiront bien autrement. Il en est je crois des réputations comme des tableaux, il faut les voir longtemps après, quand l’effet a été produit, mais j’irai vous dire tout cela moi-même. (229)

[Ă€ Auguste Jal – Septembre 1832] Ce que vous me dites sur mon Histoire de la marine est trop flatteur et vos offres d’une dĂ©licatesse que j’apprĂ©cie bien je vous jure. L’idĂ©e de cette histoire m’est venue en faisant des recherches pour une sĂ©rie de romans. °Ú…] Ses rĂ©criminations [Ă€ Gozlan] sur ce qu’il appelle mes prĂ©tentions Ă  avoir des Ă©±ôè±ą±đ˛ő et Ă  faire Ă©cole est [sic] absurde. Je n’ai pas dit un mot de cela, je vous ai citĂ© vous le premier mon cher Jal, et eux autres et lui, parce que j’étais fier, très fièr, de voir des gens de talent comme vous, venir partager un travail au-dessus de mes forces Ă  moi-seul; c’est de l’envie la plus plate et la plus niaise qui se puisse imaginer. (275)

[À Auguste Jal – 14? Novembre 1832] Voilà mon cher et bon Jal une bien pauvre expression de tout ce que je pense de votre ouvrage. Je n’ai pas voulu toucher à la question de la littérature maritime, pour ne pas soulever de nouvelles saletés. Je me réserve dans la préface de mon premier roman – qui sera le dernier – de dire fort et ferme ce que je pense de toute cette basse et dégoûtante envie. Il y a un mot à la fin pour vous, Corbière et moi que je crois juste. C’est qu’après tout on achète assez le droit d’écrire des romans maritimes en exposant sa peau dans des combats et des voyages pour qu’au moins on ne vous injurie pas si on ne vous sait pas de gré de ces antécédents indiscutables. (280)

[À Marie D’Agoult – 27 juillet 1834] Je pense cette fois tout à fait comme vous pour la Nouvelle Héloïse. D’abord je n’ai jamais pu en lire deux lettres de suite, et j’ai toujours trouvé celle du Corset que l’on s’accorde à trouver un chef d’œuvre, une des plus grandes faussetés possibles. Ce qui est un véritable chef d’œuvre, ce sont les Confessions. À mon avis, cela est beau, beau comme un magnifique portrait. Qu’importe que le visage soit laid s’il est ressemblant et rendu avec art. (369)

[Ă€ Marie D’Agoult – 9 septembre 1834] Je sais bien que vous avez une ressource immense dans la musique, mais vous sentez cet art avec un sentiment trop exquis et trop intime pour y chercher une occupation ou un passe-temps, car pour les organisations comme la vĂ´tre madame, je suis sĂ»r que la musique est comme un sens, qui s’éveille parfois avec une ardeur dĂ©vorante et puis après qui s’engourdit de lassitude. Encore une fois ce n’est pas Ă  la musique qui excite en nous toutes les facultĂ©s physiques et morales les plus irritables qu’il faut demander ±ô’ołÜ˛ú±ôľ± ou la distraction, tandis que la littĂ©rature comme on dit est merveilleuse pour cela. Je vous jure que si je savais tourner et que si je ne craignais pas de me couper les doigts, je tournerais au lieu d’écrire, le temps se passerait de mĂŞme et le rĂ©sultat serait prĂ©fĂ©rable peut-ĂŞtre. C’est donc comme passe-temps que je vous recommande d’écrire. Quant Ă  ce qui est de la poĂ©sie, de ces Ă©lans passionnĂ©s qui dĂ©bordent l’âłľ±đ, vous avez ce qui seulement peut les exprimer et les traduire, le gĂ©nie musical. En ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ© plus je vais, plus je rĂ©flĂ©chis, plus je me convaincs que rien au monde n’est plus bornĂ© que l’esprit humain Ă©crit en phrases et en lignes. Après tout ce sont des mots, des phrases, et toujours les mĂŞmes et puis c’est si positif, si palpable un livre… au lieu que la musique vous Ă©meut, vous enivre, et le son qui excitait ce dĂ©lice est dĂ©jĂ  passé… et puis le premier sot ou le premier grand homme venu peuvent vous dĂ©montrer aussi logiquement l’un que l’autre que vous n’avez Ă©crit que des sottises. (382-383)

[À Félix Bonnaire – Octobre 1835] Les deux vol[umes] formeront un tout, un corps complet dont le 1er n’était que l’exposition, enfin, c’est folie à moi d’insister davantage. Seulement il est une chose sur laquelle j’insiste et qui si elle ne répare pas entièrement la grande faute que vous faites à mon avis l’atténuera au moins quelque peu, c’est d’insérer dans les annonces des journaux les sommaires des chapitres du second volume ils sont assez détaillés et explicites pour donner une idée vague il est vrai, mais enfin suffisante pour qu’on comprenne bien que le 1er n’en est que l’exposition et que cette exposition était indispensable. J’espère que vous ne me refuserez pas cela, car sans cela je vous jure que ce que j’ai commencé avec amour, avec conscience, n’aurait plus aucun intérêt pour moi puisque j’aurais tout sacrifié à des raisons matérielles qui à mon avis ne sont pas même bien fondées. (408-409)

[À Jules Berger de Xivrey – 21 octobre 1838] Ce livre a été l’œuvre de longues années de travail assidu, il n’a pas eu jusqu’ici une heureuse ni brillant carrière, j’espère que la haute autorité du journal et de votre nom, monsieur, la lui feront meilleure et telle qu’il la mérite, non par le peu que j’y ai ajouté, mais par les précieux documents qu’il enferme. Vos rares critiques sur le style de l’ouvrage sont si bienveillantes et si justes, monsieur, que je n’ai pas besoin de vous dire, que je les regarde comme des plus fondées. J’attends pourtant avec inquiétude et un vif et grand intérêt le second article que vous avez annoncé. (585)

[À Théophile Gautier – 22 janvier 1839] Puisque je vous avoue tous les péchés d’orgueil que m’a fait commettre votre article si indulgent, laissez-moi vous dire que tout ce que vous avez dit du style m’a bien encouragé. Je sais, je sens que c’est surtout le style qui me manque, mais je puise dans votre approbation à vous un nouveau désir, une nouvelle espérance de mieux faire, quoique cette tâche me semble de la plus extrême difficulté. (607)

Correspondance générale d’Eugène Sue, Volume II (1841-1845), éditée par Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2013.

[À Théophile Gautier – 5 juillet 1841] J’étais passé hier chez vous, Monsieur, pour vous remercier mille fois de la promesse que vous avez bien voulu faire à madame de Girardin au sujet du rendu compte des 4 vol[umes] de Mathilde dans la Presse. Ce serait un bien grand service à rendre et à moi et à nos lecteur, qui se trouveront tout désorientés par ce brusque saut du récit. J’ose me recommander à toute l’indulgence bienveillante que vous m’avez toujours témoignée, et j’irai encore vous dire combien j’ai été touché de votre parfaite bonne grâce. (53)

[À Pierre-Antoine Labouchère – 3 octobre 1841] Je suis fier de penser que mon nom quoique bien obscur sera placé près de celui d’un des plus grands génies qui aient existé, mon seul droit à cette rare distinction, monsieur, serait ma profonde et respectueuse sympathie pour Walter Scott, cet Homère des temps modernes dont personne plus que moi n’étudie, ne vénère, n’admire la puissante création. (64)

[Ă€ Ernest LegouvĂ© – octobre 1841] J’ai bien tardĂ© Ă  vous rĂ©pondre mon cher et bon ami car j’étais abruti par la fin de Matilde, que je voulais terminer Ă  toutes forces! J’étais las, Ă  bout de voie, fatiguĂ© et je crains que le dernier chapitre ne s’en ressente. Heureusement j’ai eu deux bons chapitres avant-derniers, du moins ils ont fait beaucoup d’effet. J’ai reçu plus de trente ou quarante lettres depuis deux mois, beaucoup plus en Ă©loges qu’en blâłľ±đs. Enfin je suis trop content de ce succès en cela qu’il sera, je le crois, Ă©phĂ©mère, mais je n’ai jamais Ă©tĂ© très friand de vivre dans ±ô’a±ą±đ˛Ôľ±°ů, vous le savez. (69)

[Ă€ Charles Gosselin – mi-dĂ©cembre 1841] Je suis en train de faire un roman p[our] la Revue de Paris. D’après l’exposition il devrait peut-ĂŞtre s’étendre Ă  2 volumes p[our] avoir peut-ĂŞtre le succès de Matilde parce qu’il s’agit de caractères contemporains. Je ne sais pas trop pourquoi vous avez mis la clause dans notre traitĂ© des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő que je ne pourrai rien faire au-delĂ  de 2 vol[umes]. Tenez-vous Ă  cette clause? Dites moi le je vous prie. Si vous l’exiger je me bornerai Ă  2 vol[umes] mais l’ouvrage y perdra beaucoup. (76)

[Au rĂ©dacteur du Journal des dĂ©bats – 11 septembre 1842] Je ne crois pas qu’il soit besoin de dire, Ă  propos de l’un des personnages des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris, que la crĂ©ation de ce caractère, complĂ©ment fictif et rentrant tout Ă  fait dans le domaine et dans le droit du romancier, ne peut, ni ne doit, selon ma pensĂ©e, porter la moindre atteinte Ă  la juste considĂ©ration dont jouit un corps reprĂ©sentĂ© par l’un de nos plus illustres marĂ©chaux. (118)

[Ă€ Jules Vinçard – 19 mars 1843] J’accepte entièrement vos critiques sur ThĂ©rèse Dunoyer. Le dĂ©nouement est triste et amer. C’est un vice de mon ancienne manière que je tâche de corriger. Si vous avez lu les 4 premiers feuilletons de la VIe partie des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő et que vous ayez un moment soyez donc assez bon pour m’écrire votre impression, J’ai lu avec un bien vif intĂ©rĂŞt presque toute La Ruche. (173)

[À George Sand – 20 avril 1843] Je vous demande grâce d’avance, Madame, pour le manque absolu de forme, de style et de lyrisme que vous remarquerez dans ce livre. Il y a longtemps que je suis convaincu par l’expérience que ces rares qualités me faudront toujours. S’il y avait quelque mérite dans l’ouvrage peut-être serait-il dans sa tendance utile et dans la peinture de quelques caractères que j’ai tâché de rendre aussi vrais que possible. Mon plus grand triomphe a été de lire dans un journal, que (de bien loin sans doute) je suivais Madame Sand dans une vie sociale qu’elle avait si glorieusement ouverte. Votre approbation consacrerait ce triomphe, Madame, c’est vous dire tout le prix que j’y attacherais. Je saisis avec bien de l’empressement Madame, cette occasion de vous réitérer l’assurance de mes sentiments d’admiration et de respectueux dévouement. (186)

[À Prosper Goubaux – 9? Juin 1843] Je suis inquiet de mon Gringalet et Coupe en deux. Je ne sais si la voie où je suis est bonne et avant d’aller plus avant, je voudrais être éclairé par vous. Si cela peut vous faire une promenade du matin, venez je vous en serai bien reconnaissant. Sinon j’irai chez vous, Ce feuilleton doit passer vendredi pr[ochain] voyez comme je suis pressé et quel peu de temps j’ai, c’est à en devenir fou d’être aussi pressé. (221)

[Ă€ Monsieur le rĂ©dacteur du Journal des dĂ©bats – 13 juin 1843] Je n’aurais pas, monsieur, de nouveau soulevĂ© ces questions sans les rĂ©clamations que je viens de signaler; l’extrĂŞme bienveillance dont elles Ă©taient empreintes, ±ô’ałÜłŮ´Ç°ůľ±łŮĂ© morale que leur donnaient le caractère et la position des personnes qui ont bien voulu me les adresser, motivaient cette rĂ©ponse, ou plutĂ´t cette preuve de dĂ©fĂ©rence, toujours et seulement due Ă  une critique loyale, intelligente et sĂ©rieuse… C’est pour cela qu’il ne me convient pas de rĂ©pondre aux attaques dont les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris ont Ă©tĂ© hier l’objet Ă  la tribune de la chambre des dĂ©putĂ©s. (226)

[Ă€ Fanny DĂ©noix – 27 juin 1843] Je suis bien touchĂ©, madame, du rĂ©cit que vous voulez bien me promettre de votre centenaire, si vous avez un moment pour m’en entretenir. Pardon de ces nuages, de ces taches de sang, de ces horreurs, mais l’inexorable °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© est lĂ , qui me pousse et me domine. (254)

[Ă€ Jules Vinçard – juillet 1843] Je suppose dans les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris qu’un homme gĂ©nĂ©reux veut affecter une rente de 36 Ă  40 mille francs Ă  une institution utile Ă  la classe ouvrière. Cette somme Ă©tant bornĂ©e, j’ai dĂ» chercher le moyen de faire participer le plus grand nombre Ă  cette Ĺ“uvre, et j’ai imaginĂ© Ă  peu près le projet que je vous envoie. Serez-vous assez bon pour me dire ce que vous en pensez ou me faire savoir les modifications que vous y croiriez convenables et me dire enfin si une telle fondation aurait une utilitĂ© rĂ©elle pour la classe ouvrière. Si vous pouviez me rĂ©pondre le plutĂ´t possible je vous serais très obligĂ© car j’attends votre avis pour continuer. Je suis si occupĂ© que je n’ai pas un moment p[our] vous aller voir. J’ai lu avec grand plaisir quelqu’unes des lettres politiques. Si vous voyez M. ThĂ©[odore] Michel dites-lui que les feuilletons sont au Corsaire et que j’ai presque la certitude de les faire insĂ©rer. (265)

[Au rĂ©dacteur du Journal des dĂ©bats – 19 juillet 1843] Je suis confus du retard que j’apporte Ă  la publication de la dernière partie des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris et des rĂ©clamations que soulève ce retard. Une assez grave indisposition m’avait empĂŞchĂ© de complĂ©ter, par quelques explorations indispensables, mes Ă©tudes relatives aux maisons d’aliĂ©nĂ©s et aux łóĂ´±čľ±łŮ˛ąłÜłć. Ce travail touche Ă  sa fin, et je prends, Monsieur, l’engagement formel de vous mettre Ă  mĂŞme de commencer la 8e et dernière partie des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris le jeudi 27 de ce mois, et de la continuer sans interruption. Croyez, Monsieur, que des circonstances indĂ©pendantes de ma volontĂ© m’oint seules forcĂ© de manquer Ă  la promesse que je vous avais donnĂ©e pour le 5 de ce mois; mais mon vif dĂ©sir de rendre mon Ĺ“uvre la moins imparfaite possible, et surtout de rĂ©pondre dans cette dernière partie Ă  l’extrĂŞme indulgence avec laquelle le public a bien voulu accueillir les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris, m’imposaient des obligations auxquelles j’ai dĂ» me soumettre, tout en regrettant beaucoup, Monsieur, la nĂ©cessitĂ© oĂą j’étais de suspendre si longtemps cette publication. (281)

[Au rĂ©dacteur du Journal des dĂ©bats – 14 aoĂ»t 1843] Je reçois plusieurs lettres au sujet de mes derniers feuilletons relatifs Ă  un hospice civil : celles-ci, avec une forme bienveillante Ă  laquelle je suis très sensible, me reprochent d’avoir exagĂ©rĂ© la triste condition des malades; celles-lĂ  adhèrent complètement aux critiques que j’ai Ă©mises; d’autres enfin m’affirment que le tableau que j’ai tracĂ© est souvent au-dessous des pĂ©nibles °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ©s. °Ú…]

Si respectables, si justes qu’eussent Ă©tĂ© les dolĂ©ances de malades sortant de l’hospice, je n’aurais pas cru devoir baser ma critique sur des rĂ©criminations intĂ©ressĂ©es; je l’ai absolument basĂ©e, au contraire, je le rĂ©pète, sur des renseignements publiĂ©s par les mĂ©decins des łóĂ´±čľ±łŮ˛ąłÜłć eux-mĂŞmes, dont la vĂ©racitĂ© n’a pas Ă©tĂ© jusqu’ici contestĂ©e, et qui confirmaient de tout point mes propres observations.

Reste une question beaucoup plus grave et très spécieuse : on craint, me dit-on, qu’après la lecture de ce feuilleton, les personnes que leur infortune force d’entrer à l’hospice ne s’y présentent avec une méfiance et une répugnance funeste…

Certes, si les abus que nous avons signalĂ©s…, ou plutĂ´t que des mĂ©decins des łóĂ´±čľ±łŮ˛ąłÜłć ont signalĂ©s, n’existaient pas, cette rĂ©pugnance et cette dĂ©fiance des classes pauvres seraient dĂ©plorables, et nous nous reprocherions toujours d’avoir contribuĂ© Ă  la soulever… MAIS, CES ABUS EXISTENT… nous croyons utile de joindre notre faible voix Ă  celles qui ont dĂ©jĂ  protestĂ© contre eux, espĂ©rant qu’une fois cette question soulevĂ©e, ces abus cesseront… et avec eux la dĂ©fiance et la rĂ©pugnance qu’une critique loyale, nĂ©cessaire, aurait pu exciter. (325)

[Ă€ Isidore Bourdon – 14 aoĂ»t 1843] Je me suis attirĂ© de très amères inimitiĂ©s, je le crois, mais j’ai pris mon parti, je crois faire une Ĺ“uvre sinon belle et Ă©loquente, du moins honnĂŞte et sincère – advienne que pourra. Je suis ravi que la pensĂ©e des commissaires ou inspecteurs des łóĂ´±čľ±łŮ˛ąłÜłć vous paraisse pratique. J’ai tâchĂ© Ă  cĂ´tĂ© de l’abus d’indiquer le remède et je crois que j’avais pensĂ© Ă  peu près juste. (331-332)

[Ă€ M. le rĂ©dacteur en chef du Journal des DĂ©bats – 15 octobre 1843] Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris sont terminĂ©es; permettez-moi de venir publiquement vous remercier d’avoir bien voulu prĂŞter Ă  cette Ĺ“uvre, malheureusement aussi imparfaite qu’incomplète, la grande et puissante publicitĂ© du Journal des DĂ©bats; ma reconnaissance est d’autant plus vive, monsieur, que plusieurs des ľ±»ĺĂ©±đ˛ő Ă©mises dans cet ouvrage diffĂ©raient essentiellement de celles que vous soutenez avec autant d’énergie que de talent, et qu’il est rare de rencontrer la courageuse et loyale impartialitĂ© dont vous avez fait preuve Ă  mon Ă©gard. °Ú…] C’est avec bonheur, je vous l’avoue, monsieur, que j’ai citĂ© cette page, oĂą mon nom est inscrit d’une manière si flatteuse; car je me regarderai toujours comme rĂ©compensĂ© au-delĂ  de toute espĂ©rance chaque fois que je croirai avoir inspirĂ©, par mes Ă©crits, quelque action gĂ©nĂ©reuse ou quelque pensĂ©e charitable, et l’idĂ©e mise en pratique par les fondateurs de La Ruche populaire me semble de ce nombre. °Ú…]Comme vous avez Ă©tĂ© de moitiĂ© dans mon Ĺ“uvre par l’immense publicitĂ© que vous avez donnĂ©e, je crois pouvoir vous instruire d’un rĂ©sultat dont vous vous fĂ©liciterez, je l’espère, avec moi. On m’écrit de Bordeaux et de Lyon que plusieurs personnes riches et compatissantes s’occupent de rĂ©aliser dans ces deux villes, mon projet d’une Banque de prĂŞts gratuits pour les travailleurs sans ouvrage, et quelqu’un qui fait ici l’usage le plus gĂ©nĂ©reux et le plus Ă©clairĂ© d’une immense fortune , m’a donnĂ©, au sujet d’une fondation pareille pour Paris, les plus encourageantes espĂ©rances.

Souhaitons maintenant, monsieur, qu’un législateur véritablement ami du peuple prenne en main les questions relatives :

À l’établissement d’avocats des pauvres;

À l’abaissement du taux exorbitant de l’intérêt prélevé par le Mont-de-Piété;

À la tutelle préservatrice exercée par l’État sur les enfants des suppliciés et des condamnés à perpétuité;

À la réforme du Code pénal à l’endroit des abus de confiance;

Et peut-être ce livre, attaqué récemment encore avec tant d’amertume et de violence, aura du moins produit quelques bons résultats. (410-413)

[Ă€ Agricol Perdiguier – 12 janvier 1844] Croyez que l’estime et l’encouragement des gens de cĹ“ur me donnera [sic] les forces de continuer Ă  marcher dans une voie que je ne puis ni ne dois abandonner maintenant, je me regarderai comme mille fois payĂ© de mes travaux si j’ai Ă©mis quelques ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©s utiles, et attirĂ© l’attention des heureux ou des Ă©goĂŻstes de ce monde sur des maux et des misères que l’on contemple depuis si longtemps avec une barbare indiffĂ©rence. (497)

[Ă€ Prosper Enfantin – juin 1844] Vous verrez, je crois, quelques unes des ľ±»ĺĂ©±đ˛ő de votre divin maĂ®tre et de vous, mais plus tard, je connais mon public, mais maintenant qu’il a mordu, je crois, je vais tâcher de le conduire dans de belles et bonnes ľ±»ĺĂ©±đ˛ő, bonnes et belles parce qu’elles sont inspirĂ©es par les grands esprits que vous savez. (571)

[Ă€ Alfred Nettement – 8 novembre 1844] Encore une fois, Monsieur, personne plus que moi n’est pĂ©nĂ©trĂ© des devoirs de la critique; personne plus que moi ne la veut large et indĂ©pendante. Je sais combien mes livres prĂŞtent Ă  vos accusations sous le rapport du style, de l’art, de la composition. J’admets parfaitement que l’on attaque les ľ±»ĺĂ©±đ˛ő sociales que j’émets; mais ce qu’il me serait pĂ©nible de voir mettre en doute par un homme de votre franchise et de votre caractère, Monsieur, ce serait la sincĂ©ritĂ© de mes convictions. Peut-ĂŞtre, du reste, Monsieur, ai-je mal interprĂ©tĂ© vos paroles; en ce cas, excusez l’importunitĂ© de cette lettre. (610)

[Au rĂ©dacteur en chef de L’Observateur de Bruxelles – 8 dĂ©cembre 1844] Mon livre Ă©crit, sinon avec talent, du moins avec conviction et avec conscience, ne sera jamais digne d’un si grand honneur, d’une si grande rĂ©munĂ©ration; seulement, par sa tendance anti-ultramontaine, il aura fait naĂ®tre la pensĂ©e de cette souscription, qui n’est nullement une ovation en ma faveur, mais une puissante protestation patriotique contre un ordre d’ľ±»ĺĂ©±đ˛ő rĂ©trogrades, funestes, menaçantes, qui, dans leur implacable et audacieuse opiniâtretĂ©, vont toujours recrutant pour le despotisme contre la libertĂ©, pour les superstitions les plus grossières contre l’émancipation de la pensĂ©e humaine, pour les rois contre les peuples. (628-629)

[Ă€ messieurs les rĂ©dacteurs de La DĂ©mocratie pacifique – 5 fĂ©vrier 1845] Si peu mĂ©ritĂ©e que soit cette Ă©clatante faveur, si au-dessous que je me sache d’un pareil honneur, je les accepterais cependant avec respect, convaincu qu’il s’agirait de glorifier, non pas mon Ĺ“uvre, des plus imparfaites, mais la grande cause que je sers de tous mes faibles moyens. De mĂŞme qu’en Belgique et en Suisse, mon livre (et j’en suis heureux et fier) a Ă©tĂ© le ±č°ůĂ©łŮ±đłćłŮ±đ d’une gĂ©nĂ©reuse et patriotique manifestation contre les dĂ©testables envahissements du parti ultramontain dans ces deux pays; de mĂŞme ici, et cela grâce Ă  vous, messieurs, mon livre serait le ±č°ůĂ©łŮ±đłćłŮ±đ d’une manifestation favorable aux ľ±»ĺĂ©±đ˛ő sociales et Ă  l’émancipation des classes pauvres et laborieuses, si cruellement dĂ©shĂ©ritĂ©es : sainte et noble tâche Ă  laquelle tant de cĹ“urs convaincus travaillent chaque jour, soit par leurs Ĺ“uvres passĂ©es, soit par leurs Ĺ“uvres prĂ©sentes; ceux-ci forts de la toute puissante autoritĂ©, de leur gĂ©nie, comme Fourier, comme Saint-Simon, comme BĂ©ranger, comme Lammenais, comme Pierre Leroux, comme George Sand; ceux-lĂ , et je m’honore d’être du nombre, mettant au service de la cause dĂ©mocratique leur zèle et leur persĂ©vĂ©rance Ă  dĂ©faut de gĂ©nie.

Vous voulez bien rappeler, Messieurs, que dans les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris et dans le Juif errant j’ai tâchĂ© d’attirer l’attention publique sur bien des misères, sur bien des douleurs sociales, trop gĂ©nĂ©ralement oubliĂ©es ou inconnues de deux qui devraient ou pourraient les soulager… SI LES RICHES SAVAIENT, ai-je dit, et j’ai tâchĂ© de faire savoir aux riches ce qu’ils ignoraient, et il faut le dire avec orgueil, cette triste initiation des hommes du monde aux malheurs de leurs frères, a presque toujours Ă©tĂ© sympathique et fĂ©conde pour les infortunes mĂ©ritantes. Je puis donc, sinon accepter les louanges si cordiales que vous m’adressez, messieurs, sur cette tendance de mon Ĺ“uvre, du moins tâcher de les mĂ©riter un jour en continuant de marcher dans une voie oĂą vos exemples et vos encouragements m’ont depuis longtemps affermi et guidĂ©. (696)

[À Louis Désiré Véron – 21 décembre 1845] J’ai pensé, mon cher Véron, que Martin l’enfant trouvé serait un meilleur titre, et il est très important que cette rectification ait lieu; vous verrez pourquoi. Je vous enverrai à la fin de cette semaine un demi-volume environ. Vous me feriez composer une double épreuve sur mon papier. Vous lirez et me direz votre avis par notes, en m’envoyant mes deux épreuves. Je crois être dans une assez bonne voie; du reste, vous jugerez et me direz franchement, comme toujours, car le commencement est très important, vu qu’il faut prendre le lecteur…… (798)

Correspondance générale d’Eugène Sue, Volume III (1846 - mai 1850), éditée par Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2016.

[Ă€ Jules Michelet – 1re quinzaine de juillet 1846] Dans le romans que je publie maintenant, j’ai tâchĂ© de peindre, et de mettre en action la vie misĂ©rable et dĂ©vouĂ©e de l’instructeur primaire, et de montrer ce qu’il pourrait et devrait ĂŞtre dans une sociĂ©tĂ© qui se prĂ©occuperait avant tout de l’éducation. Vous voyez monsieur que je suis en clea un bien faible Ă©cho de vos gĂ©nĂ©reuses et puissantes paroles. Serez-vous assez obligeant pour me faire savoir oĂą je pourrais me procurer le travail de monsieur Lor[r]ain? J’y trouverais j’en suis certain des faits qui par analogie pourraient prouver la °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© de ce que l’on considèrerait peut-ĂŞtre comme une fiction? (53)

[Ă€ Édouard Pagnerre – 16 septembre 1846] Citation [de Martin] remplie de bienveillante indulgence que je suis bien heureux de devoir Ă  votre si honorable sympathie, monsieur, dans cette espĂ©rance qu’il m’est permis de concevoir en me souvenant de tout ce que vous avez dĂ©jĂ  bien voulu dire de mes Ĺ“uvre, monsieur, permettez-moi de vous remercier bien cordialement, et de vous voir encourager ainsi les ľ±»ĺĂ©±đ˛ő sĂ©rieuses et pratiques que j’espĂ©rais de mettre un peu en mouvement par cette peinture de l’horrible exploitation de l’enfance, vous verrez aussi, monsieur, que selon mes forces j’appelle l’attention des cĹ“urs gĂ©nĂ©reux et progressistes sur la situation intolĂ©rable des instituteurs communaux. Et pourtant tout ±ô’a±ą±đ˛Ôľ±°ů de la France devrait ĂŞtre lĂ  dans ±ô’ÉdłÜł¦˛ąłŮľ±´Ç˛Ô, pierre angulaire de l’édifice social, et si vous continuez de jeter les yeux sur Martin, monsieur, vous verrez dans une citation d’un ouvrage officiel, d’oĂą viennent surtout les obstacles les plus obstinĂ©s Ă  l’éducation des masses. (99)

[À Louis Désiré Véron – fin novembre - début décembre 1846] Je cherche une péripétie, afin que Matin tombe épuisé et mourant de faim dans la rue; tâcher, mon cher collaborateur, de me trouver un incident pour la fin du 4e chapitre. (181)

[Ă€ Alexandre Weill – peu après le 27 dĂ©cembre 1846] Merci toutefois de votre offre p[ou]r la ¶ŮĂ©łľ°Ú´Çł¦°ů˛ąłŮ±Őľ±±đ que j’accepte de tout cĹ“ur. Merci aussi pour les petits mots du Corsaire. Ne croyez donc pas que je n’ai point besoin de vous. Nos ľ±»ĺĂ©±đ˛ő ont toujours besoin d’être soutenues, et tout ce que vous pouvez dire quant Ă  la bonne cause que je soutiens comme je peux, me fera le plus vif plaisir. Ce que je redoute seulement c’est tout ce qui est personnel Ă  moi, mais ce qui a rapport, non Ă  l’art, mais Ă  la pensĂ©e, est toujours bon Ă  soutenir et Ă  dĂ©fendre. C’est pour cela que je vous suis mille fois reconnaissant de votre bon appui. (197)

[Ă€ Alexandre Weill – 14 janvier 1847] Enfin j’y vois clair chez monsieur Weill et je puis vous dire un peu plus au long combien j’ai Ă©tĂ© heureux et fier de votre article, non par ce qu’il y a d’élogieux pour mon talent vous savez ma pensĂ©e lĂ -dessus, mais parce qu’il pousse Ă  nos ľ±»ĺĂ©±đ˛ő qui sont celles de ±ô’a±ą±đ˛Ôľ±°ů, et qu’il est toujours excellent de les voir dĂ©fendues avec autant de talent, d’énergie et de conviction que vous l’avez fait dans l’article qui m’était consacrĂ©. °Ú…] Quant Ă  la partie d’art, j’ai tant d’imperfections et de dĂ©fauts comme artiste, que je fais bon marchĂ© de tout, mais ±ô’i˛ÔłŮ±đ˛ÔłŮľ±´Ç˛Ô, mais l’idĂ©e se transforme en acte (tĂ©moin de ma proposition d’avocat des pauvres dans Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris que M. de Beaumont vient de reprendre sans me citer, bien entendu, et ça m’est bien Ă©gal si la chose se fait), voilĂ  ce qui me rend très heureux et très fier. (207-208)

[Ă€ Alphonse Karr – 4 aoĂ»t 1848] Au point de vue dĂ©mocratique, l’on doit inĂ©vitablement s’occuper de fonder des bibliothèques communales; une telle Ĺ“uvre, sorte d’encyclopĂ©die populaire, exĂ©cutĂ©e sous la direction d’une commission spĂ©ciale, assurerait pendant bien des annĂ©es une occupation patriotique et lucrative aux gens de lettres et mĂŞme Ă  un assez grand nombre d’artistes. Beaucoup de ces publications Ă©lĂ©mentaires pourraient ĂŞtre illustrĂ©es, tous les genres de littĂ©rature et consĂ©quemment toutes les aptitudes trouveraient facilement place dans de pareils travaux, depuis ±ô’hľ±˛őłŮ´Çľ±°ů±đ jusqu’à l’apologue ou au conte moral; la commission dont j’ai parlĂ©, imprimant Ă  ces travaux si variĂ©s une direction, une tendance et un esprit homogène.

Ne serait-ce pas un grand et bel ouvrage que cette bibliothèque du peuple? et chacun de nous ne serait-il pas glorieux d’y attacher son nom? Cette bibliothèque, restant en outre sous la direction de l’État, la propriĂ©tĂ© une caisse de rĂ©serve et de secours, sorte d’łóĂ©°ůľ±łŮ˛ą˛µ±đ que les Ă©crivains de notre gĂ©nĂ©ration lĂ©gueraient aux Ă©crivains des gĂ©nĂ©rations Ă  venir? (510)

[Ă€ George Sand – 5 dĂ©cembre 1848] Auriez-vous la bontĂ© de me dire oĂą je pourrais avoir l’honneur de vous adresser le 1er volume d’une sĂ©rie de petits livres populaires, que j’écris surtout pour les campagnes. Je serais bien heureux et bien reconnaissant, madame, d’avoir votre avis en toute sincĂ©ritĂ© et toute sĂ©±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©. Il y a je crois urgence Ă  tenter par tous les moyens possibles une active propagande parmi les populations rurales, dont on peut si perfidement exploiter les bons instincts et la malheureuse ignorance, ainsi que vous venez de le dĂ©montrer si Ă©loquemment dans La RĂ©forme. Si l’esprit, la forme et le fond du petit livre que je vous demande la permission de vous envoyer mĂ©ritai[en]t votre approbation, je vous serais très obligĂ© de le recommander Ă  vos amis, afin de tâcher de le rĂ©pandre le plus possible. Ce n’est, comme bien vous pensez, nullement une spĂ©culation ni de ma part, ni de celle des Ă©diteurs. J’ai Ă©crit ce livre gratuitement, et ils n’en retirent que tout juste leurs frais d’impression (c’est la DĂ©mocratie pacifique qui Ă©dite). (558)

[À George Sand – 22 février 1849] Vous connaissez comme moi, mieux que moi les paysans, et si vous approuvez la forme de cet ouvrage, ce sera pour moi un grand encouragement si vous la critiquez au contraire, il sera temps de faire les modifications nécessaires à l’œuvre dont je m’occupe à cette heure. Pardon mille fois de mon importunité, mais vous l’excuserez n’est-ce pas, en faveur de la bonne cause. J’ai été bien souvent près de me décourager en lisant dans Le Crédit la Petite Fadette, chef-d’œuvre de grâce, de sensibilité, de bon sens et d’une forme si simple et si naïve. Voilà le seul vrai langage que l’on doive et puisse parler aux gens rustiques. Mais c’est horriblement difficile, vous le jugerez par la vanité de mes efforts. Enfin, le bon vouloir me fera pardonner je l’espère la non réussite. Je suis comme vous madame, de plus en plus passionné pour la vie des champs que je ne quitte plus depuis 4 ans, n’allant qu’à Paris qu’à de bien rares intervalles. (595)

[À George Richard – 18 avril 1849] Voici en deux mots le but précis de l’ouvrage : la marche sociale et ascendante du peuple, partant de l’esclavage pour arriver où i est aujourd’hui, à la souveraineté. En d’autres termes, le titre que je donnerai à l’ouvrage sera celui-ci : Histoire d’une famille du peuple depuis les Gaules jusqu’à nos jours, ou Esclave et souverain. Le lieu de la scène changera à chaque période et sera une nouvelle province de la France, il lui faut donc des renseignements sur la topographie, les coutumes, les superstitions. (623)

[À Étienne Masset – début juillet 1849] Quant à moi je travaille à force, j’ai déjà un volume ½ de prêt pour Girardin et compte vers la fin du mois avoir fini la première partie des Mémoires d’un mari qui formera 2 volumes ½ à peu près. Tout en m’occupant de cela je prépare l’Histoire d’une famille, et plus je vais plus je suis fou de cet ouvrage, je trouve des choses historiques d’un intérêt et d’un dramatique merveilleux. Je crois que cela peut être très amusant et vous savez c’est le grand moyen de succès. M. Lachâtre m’a donné l’idée d’un prologue sur les barricades de février, et je l’ai adoptée. Elle est bonne surtout pour entrer en matière et empoigner comme on dit le lecteur. (646)

[ Ă€ Pierre-Joseph Proudhon – 8 dĂ©cembre 1849] Je crois comme vous, monsieur, qu’il y a une grande force Ă  puiser dans l’Histoire de nos pères, de leurs luttes, dans leur vivace et pieux attachement Ă  la vieille nationalitĂ© gauloise, et cette Histoire, le peuple presqu’entièrement l’ignore. Je ne sais si vous approuverez la forme de ce livre, dont le prospectus joint aux livraisons, est Ă  peu près le sommaire, mais j’ai craint ±ô’e˛Ô˛ÔłÜľ± d’une Histoire didactique, Ă  laquelle, d’ailleurs mes facultĂ©s ne sont point propres, et j’ai surtout voulu vulgariser le plus possible, cette science de l’Histoire et des origines en la mettant si je puis m’exprimer ainsi en chair et en os. (689)

[L’Auteur aux abonnĂ©s des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple – 20 janvier 1850] Quelque confiance vous daignez accorder Ă  ma parole, vous trouverez dans les prochains rĂ©cits, des faits si Ă©tranges, si extraordinaires, souvent mĂŞme si monstrueux, je dirais presque si peu croyables, que sans l’irrĂ©cusable autoritĂ© historique, dont je les accompagnerai, le lecteur le plus favorable Ă  cet ouvrage, pourrait croire, non sans doute que je l’ai voulu tromper, mais qu’entraĂ®nĂ© par mon imagination de romancier j’ai exagĂ©rĂ© les faits au-delĂ  des limites du possible, afin de les rendre plus saisissants. Je n’aurai pas cette crainte, lorsque la citation historique textuelle, irrĂ©fragable, servant pour ainsi dire de poinçon, de contrĂ´le Ă  mon rĂ©cit, prouvera du moins que quelle que soit sa valeur il est pur et sans alliage.

Et puis, une fois l’œuvre accomplie, ces notes qui l’accompagnent, dès le début, et choisies par moi, je vous l’affirme, avec un soin scrupuleux, parmi d’innombrables documents, ces notes formeront, à côté du récit, que je tâche de rendre amusant et varié, non seulement une histoire authentique des misères, des souffrances, des luttes, et souvent grâce à dieu, des triomphes de nos pères à nous autres prolétaires et bourgeois; mais encore, une histoire authentique de leur origine, de leurs religions, de leurs lois, de leurs mœurs, de leurs langage, de leurs costumes, de leurs habitations, de leurs professions, de leurs arts, de leur industrie, de leurs métiers, etc. etc.

°Ú…]

Et voilà pourquoi, chers lecteurs, je vous conjure de nouveau de lire attentivement [ces notes, dont je suis aussi sobre que possible, mais qui à mon avis (puissiez-vous le partager) sont le complément indispensable de] cette œuvre si cordialement encouragée par vous dès son début. (709-711)

[Au rĂ©dacteur – 26 fĂ©vrier 1850] Il m’est sans doute très pĂ©nible de ne pouvoir, en cette circonstance, rĂ©pondre Ă  la confiance que mes concitoyens daignent me tĂ©moigner; ma seule consolation est de penser que les travaux qui m’obligent Ă  dĂ©cliner un grand honneur ne seront peut-ĂŞtre pas tout Ă  fait perdus pour la cause dĂ©mocratique et sociale, Ă  laquelle je me suis vouĂ© depuis des annĂ©es. Ce qui me donne cette confiance, bien ambitieuse sans doute, c’est de voir les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du Peuple, ouvrage rigoureusement historique, oĂą j’ai peint jusqu’ici la lutte hĂ©roĂŻque de nos pères, artisans, marins, laboureurs, magistrats, prĂŞtes, dĂ©fendant le sol, la famille, la patrie et leur Dieu contre l’invasion Ă©trangère (il y a deux mille ans!), dĂ©jĂ  mis Ă  ±ô’i˛Ô»ĺ±đłć par les Haynau d’Autriche, les prĂ©fets de quelques dĂ©partements de la France, les Radetzkis d’Italie, les Ă©vĂŞques de plusieurs de nos diocèses, et les Nicolas de Russie! (716)

[L’Auteur aux abonnĂ©s des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple – 22 mars 1850] Dans le rĂ©cit comme dans tous les autres, chers lecteurs, vous reconnaĂ®trez Ă  la lecture des notes, que si Ă©trangères, si exorbitants que vous semblent les faits, je me suis toujours tenu dans les limites de la plus rigoureuse °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© historique. (731)

[Aux abonnĂ©s des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple – 6 mai 1850] Un dernier mot, chers lecteurs; permettez-moi de remercier publiquement ici ceux d’entre vous, et ils sont en grand nombre, qui m’ont fait l’honneur de m’écrire qu’ils ont votĂ© pour moi lors de la dernière Ă©lection de Paris. La mission de reprĂ©sentant du peuple, jointe aux travaux incessants, indispensables Ă  la continuation des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du Peuple, que vous accueillez avec une si constante bienveillance, m’impose de nouveaux devoirs; mais je trouverai la force de suffire Ă  ma double tâche, dans vos encouragements, et dans mon dĂ©vouement inaltĂ©rable Ă  l’opinion dĂ©mocratique et sociale qui m’a honorĂ© de sa confiance. (766)

Correspondance générale d’Eugène Sue, Volume IV (juin 1850-1854), éditée par Jean-Pierre Galvan, Paris, Honoré Champion, coll. « Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux », 2018.

[Ă€ Maurice Lachâtre – juillet ? 1849] Il y aura matière Ă  des illustrations charmantes et ce sera une histoire de France en images, depuis la Gaule jusqu’à nos jours. J’avais pensĂ© pour titre Ă  Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple ou Hist[oire] d’une famille de prolĂ©taires depuis la Gaule jusqu’à nos jours.

C’est peut-être mauvais et de mauvais goût d’abuser d’un titre qui a été heureux, mais c’est aussi se mettre un peu sous la protection du passé, qu’en pensez-vous? (32)

[Ă€ Maurice Lachâtre – 2 8bre 1849] J’ai bien rĂ©flĂ©chi au titre, en voici un autre que je prĂ©fĂ©rerais de beaucoup Ă  celui des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő auquel je ne peux me faire. Ce serait Les Martyrs du peuple ou La Famille Lebrenn. Vous avez lu maintenant tout le 1er v[olume] qui vous doit donner une idĂ©e complète du livre, ce titre ne rĂ©pond-il pas parfaitement Ă  cette idĂ©e? Le mot famille implique qu’il y a nĂ©cessairement des femmes, car ainsi que vous le dites, il faut surtout agir sur elles. °Ú…]

Il me semble très utile de donner historiquement conscience au peuple de ses droits, en lui apprenant ce qu’il peut et doit exiger en retour de son martyr de 15 siècles. (38-39)

[Ă€ Victor Hugo – 11 septembre 1850] Mille remerciements, cher et excellent collègue, de l’appui que vous voulez bien prĂŞter Ă  mon ami et Ă©diteur M. de Lachâtre dans sa croisade contre la police qui me fait l’honneur insigne et trop peu mĂ©ritĂ© de poursuivre les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple, ainsi qu’ils le sont sont en Autriche, Ă  Rome, en Prusse et dans tous nos dĂ©partements soumis Ă  l’éłŮ˛ąłŮ de siège. Et notez qu’ils attestent que, malgrĂ© la forme romanesque de l’œuvre, je n’avance pas un fait qui ne soit justifiĂ© par ±ô’hľ±˛őłŮ´Çľ±°ů±đ, notez surtout que j’en suis seulement arrivĂ© au troisième siècle de notre histoire en voie de publication et que mes plus sĂ©vères amis me rendent cette justice que l’œuvre est saine, honnĂŞte et patriotique – en cela qu’elle fait aimer et vĂ©nĂ©rer les grands nombres hĂ©roĂŻques de la vieille Gaule, qui, jusqu’ici n’avaient pas Ă©tĂ© vulgarisĂ©s pour le peuple. °Ú…]

Il me faut une patience surhumaine pour subir sans mot dire de si odieuses tracasseries mais je recule toujours devant cette obligation d’entretenir le public d’une affaire personnelle, puis je désire surtout que l’œuvre s’achève et soit lue, parce que je vois d’après l’émoi qu’elle cause à certaines gens de ce temps d’iniquité, il est mille moyens d’entraver la propagation de ce livre devenu déjà populaire au-delà de mes espérances. Merci donc au nom de notre cause commune de votre si cordial et si amical appui. Je suis ici travaillant deux jours, et tremblant la fièvre le 3e, comme on dit dans ce pays. (84-85)

[±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ Ă  Jean-Louis le Journalier] Ce rĂ©cit est rĂ©el en tous points, ainsi que l’indique le titre de ces Ă©tudes; ce que je raconte, je l’ai vu; un long sĂ©jour Ă  la campagne, oĂą m’appelaient un besoin croissant de retraite, de solitude et de travail m’a mis Ă  mĂŞme de connaĂ®tre des misères, des douleurs et parfois des vices, fatalement inhĂ©rents Ă  la condition sociale du prolĂ©taire des champs; ce sont, pour ainsi dire, des chiffres moraux que je pose ; une sorte de bilan de l’éłŮ˛ąłŮ physique et intellecutel d’une population que j’ai attentivement Ă©tudiĂ©e; attirĂ© vers elle, par l’attrait du malheur d’abord, puis par l’attrait des bonnes et vivaces qualitĂ©s que n’étouffent jamais entièrement ces vices auxquels ces populations sont parfois forcĂ©ment condamnĂ©es, oui, forcĂ©ment condamnĂ©es; pour qui a rĂ©flĂ©chi, pour qui a sans passion, sans prĂ©jugĂ©s observĂ© en pratique l’humanitĂ©, il est incontestable : « que l’homme, par instinct, par nature, est bon, sensible, gĂ©nĂ©reux, et, selon la mesure de son intelligence et de l’instruction qu’il a reçue, accessible Ă  tous les sentiments dĂ©licats et Ă©levĂ©s; la mauvaise Ă©ducation, le milieu oĂą nous visons, l’ignorance, et surtout la misère et l’abandon, seuls, nous dĂ©pravent, nous rendent criminels, mais jamais assez cependant pour que l’excellence originelle de notre nature soit complètement Ă©touffĂ©e. » (105-106)

[Aux lecteurs – 30 janvier 1850]ĚýVeuillez, je vous prie, s’il vous paraĂ®t mĂ©riter quelque souvenir, ne pas oublier le personnage de Martin; j’espère que vous le retrouverez dans un ouvrage destinĂ©, selon ma pensĂ©e, Ă  complĂ©ter les Misères des Enfants trouvĂ©s, les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris, le Juif errant, les Mystère du peuple. Ce livre aura pour titre :

Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du monde

Ou

L’Esclavage, le prolétariat et la misère chez tous les peuples en 1850

Dans ce livre, on retrouvera, Rodolphe, Martial, Germain, Rigolette, et d’autres personnages des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő de Paris; Agricol, la Mayeux, et Rodin, du Juif errant (Rodin, hĂ©las! N’est pas mort : il a Ă©chappĂ© par un miracle Ă  l’attaque foudroyante de cholĂ©ra dont il avait Ă©tĂ© frappĂ©); enfin quleques membres de la famille Lebrenn, des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple se joindront Ă  ce personnel, que bon nombre d’entre vous, chez lecteurs, ont dĂ©jĂ  bien voulu accueillir avec intĂ©rĂŞt. (134)

[Aux abonnĂ©s des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple – 3 septembre 1851] Les analogies, les rapports, entre les Ă©poques les plus lointaines et les plus rapprochĂ©es, sont parfois si saisissants, ce qu’on appelle le gouvernement, le pouvoir ou ±ô’ałÜłŮ´Ç°ůľ±łŮĂ© suit Ă  travers les siècles une marche tellement invariable, qu’en Ă©crivant le rĂ©cit que vous allez lire, rĂ©cit rigoureusement historique dans son ensemble et dans ses dĂ©tails (vous vous en convaincrez par la lecture des notes), il existe enfin des rapprochements si frappants entre cette histoire du douzième siècle, et certains faits de cette annĂ©e 1851, qu’en traçant les pages qui vont suivre, nous avons Ă©prouvĂ© une Ă©motion grave, recueillie, Ă  la fois remplie de tristesse quant au prĂ©sent, et de confiance quant Ă  ±ô’a±ą±đ˛Ôľ±°ů; loin de nous la pensĂ©e puĂ©rile de recourir aux allusions; si menacĂ©e que soit de notre temps la libertĂ© d’examen, nous n’avons jamais reculĂ©, vous le savez, nous ne reculerons jamais devant l’expression absolue de nos convictions, en ce qui touche les °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ©s actuelles; si donc, nous nous dĂ©fendons de toute arrière-pensĂ©e d’allusion, chez lecteurs, c’est que nous avons Ă©tĂ© tellement surpris nous-mĂŞmes de l’incroyable ressemblance de cette histoire d’il y a huit cents ans avec notre histoire contemporaine, que nous avons cru nĂ©cessaire cette dĂ©claration. (200)

[À Étienne Masset – 10 mars 1852] Je n’ai pas reçu de lettre de Desnoyers, je travaille toujours à ce roman qui définitivement aura pour titre : Gilbert et Gilberte ou la Korrigan couleur de rose Histoire fantastique et réelle.

Je crois nager en pleine eau, et que le sujet me porte, il y a une idée philosophique, pas un mot de politique et une jeune fille pourra tout lire. (263)

[Ă€ Auguste Pittaud de Forges – 12 dĂ©cembre 1852] Tu me demandes ce que j’écris? Je viens de donner au ł§ľ±Ă¨ł¦±ô±đ un roman mi-fantastique qui va paraĂ®tre dans 5 ou 6 jours. Si tu as du temps Ă  perdre, lis cela, tu me diras ce que tu en penses. Puis j’ai donnĂ© Ă  La Presse un petit roman dont la scène se passe en Savoie, afin, si je le peux, d’attirer l’attention sur ce magnifique pays jusqu’ici presque toujours dĂ©daignĂ© par les touristes quoiqu’il vaille la Suisse. Puis je termine encore pour La Presse les MĂ©moires d’un mari dont le commencement a paru l’an passĂ©. Puis enfin ne pouvant continuer Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple en France je me mets en mesure de les publier Ă  l’étranger. J’oubliais un petit livre Jeane et Louise ou les familles des łŮ°ů˛ą˛Ô˛ő±č´Ç°ůłŮĂ©˛ő, que je viens d’écrire au profit des rĂ©fugiĂ©s et qui va paraĂ®tre Ă  Genève dans 8 ou 10 jours, mais qui bien entendu ne pourra entrer en France. Voici bon frère toute ma pacotille ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ, tu vois qu’elle n’est pas mince, mais le travail est mon seul soutien, ma seule consolation, mon seul plaisir. (327)

[Ă€ Jules Hetzel – 14 dĂ©cembre 1852] Voici en quoi elle serait nouvelle et peut-ĂŞtre attachante : on publierait mes Ĺ“uvres par ordre de publication (je les reverrais bien entendu) mais j’ajouterais Ă  chaque ouvrage une sorte de notice historique ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ et personnelle dans laquelle je raconterais, si cela se peut dire, ±ô’hľ±˛őłŮ´Çľ±°ů±đ de chaque Ĺ“uvre, en quel lieu elle a Ă©tĂ© composĂ©e, sous quelles impressions, sous quel ordre d’ľ±»ĺĂ©±đ˛ő : ce seraient pour ainsi dire mes MĂ©moires ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đs. Cette idĂ©e m’était depuis longtemps venue. Voici pourquoi : j’ai commencĂ© Ă  Ă©crire des romans maritimes parce que j’avais vu la mer; dans ces premiers romans il y a un cĂ´tĂ© politique et philosophique (La Salamandre, Atar Gull et La Vigie de Koat-Ven entre autres) radicalement opposĂ© Ă  mes convictions Ă  partir de transformations, succession de mon intelligence, de mes Ă©tudes, de mes ľ±»ĺĂ©±đ˛ő, de mes goĂ»ts, de mes liaisons (Schoelcher, ConsidĂ©rant, etc.) je suis arrivĂ© après avoir cru fermement Ă  l’idĂ©e de religieuse et absolutiste incarnĂ©e dans les Ĺ“uvres de Bonald, de Maistre, de Lammenais (De l’indiffĂ©rence en matière de religion), mes maĂ®tres en ce temps-lĂ , je suis arrivĂ© par la seule instruction du juste, du vrai, du bien, Ă  confesser directement la rĂ©publique dĂ©mocratique et sociale. Vous sentez que j’ai une si grande horreur du moi, de la mise en scène, que cette Ă©tude n’aura rien de personnel en dehors du cĂ´tĂ© philosophique, politique et ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ; peut-ĂŞtre pour satisfaire Ă  une certaine curiositĂ©, la description des lieux oĂą j’ai Ă©crit ces diffĂ©rents ouvrages, parce que le milieu physique matĂ©riel oĂą je vis influe beaucoup sur mon esprit : j’achèverais pour cette Ă©dition Les ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du Peuple. On y joindrait ce que j’ai Ă©crit pour le théâtre, les brochures politiques et socialistes ainsi que l’Histoire de la Marine, dans laquelle j’ai commencĂ© Ă  comprendre et apprĂ©cier la royautĂ© dans la personne de Louis XIV, en dĂ©pouillant aux Affaires Ă©trangères la correspondance de ses ministres, d’oĂą il a rĂ©sultĂ© pour moi une dĂ©sillusion complète, et j’ai commencĂ© dès lors Ă  haĂŻr la royautĂ©. (330)

[±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ Ă  Jeanne et Louise] J’ai dĂ» Ă©crire ce livre avec une extrĂŞme modĂ©ration.

Voici pourquoi :

Le produit de cette publication est destinĂ© Ă  venir fraternellement en aide Ă  un grand nombre de mes chers compatriotes, rĂ©fugiĂ©s dans les États Sardes, en Belgique ou en Suisse, et que la proscription a privĂ©s des ressources de leurs travaux habituels. °Ú…]

L’exilé en Europe peut recevoir souvent des nouvelles de sa famille, quelquefois l’appeler près de lui, et, au milieu de ces doux épanchements, rêver encore la France sur le sol étranger.

Mais, le łŮ°ů˛ą˛Ô˛ő±č´Ç°ůłŮĂ©, sĂ©parĂ© des objets de ses affections par l’immensitĂ© des mers, est en proie Ă  des inquiĂ©tudes, des angoisses horribles; et souvent, sa complète ignorance du sort des siens, est aussi cruelle pour lui que la pire des certitudes! °Ú…]

L’un de nos rĂ©cits : Jeanne, est ±ô’hľ±˛őłŮ´Çľ±°ů±đ de la famille d’un paysan transportĂ©.

L’autre rĂ©cit : Louise, est ±ô’hľ±˛őłŮ´Çľ±°ů±đ de la famille d’un bourgeois transportĂ©. Il n’y a dans ces tristes pages nulle exagĂ©ration; ce sont des faits connus de tous. Et si, en vertu des motifs dĂ©jĂ  donnĂ©s, je n’étais fermement rĂ©solu de ne pas sortir de la modĂ©ration ou plutĂ´t du silence que je me suis momentanĂ©ment imposĂ©, je pourrais citer une multitude de fait irrĂ©fragables qui prouveraient la complète °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© des rĂ©cits qu’on va lire. (360-361)

[Ă€ Emmanuel Arago – 15 mars 1853] Autre chose, je n’ai pas voulu que mon exil fut complètement stĂ©rile, j’ai voulu avoir ma part dans la protestation contre cet ignoble et hideux Ă©łŮ˛ąłŮ de choses. J’ai Ă©crit Jeane et Louise au profit des rĂ©fugiĂ©s. Le livre se vend très bien. Et quoique j’ai Ă©tĂ© obligĂ© d’être modĂ©rĂ© vu les lois sur la presse Ă©trangère ici et en Belgique qui poursuivre toute attaque trop directe Ă  cet abominable scĂ©lĂ©rat qui bâillonne la France, et comme je voulais enfin que mon livre se vendĂ®t publiquement afin que la vente fĂ»t plus fructueuse pour nos pauvres amis, j’ai dĂ» prendre de grandes prĂ©cautions sinon pour le fond, du moins pour la forme. Quoi qu’il en soit, et peut-ĂŞtre mĂŞme Ă  cause de cette forme on me dit que le livre fait beaucoup d’effet, et qu’il doit exaspĂ©rer contre l’ordre des choses, or dites moi au point de vue de la loi, si je puis ĂŞtre poursuivi en France pour un livre publiĂ© Ă  l’étranger. (374)

[À Victor Schoeler – 5 avril 1853] Puis afin que mon petit livre put se vendre ici et en Belgique il m’a fallu faire montre d’une extrême réserve, et j’ai dû renoncer au désir de citer quelques-unes de vos nobles paroles à l’appui de mon récit. Je voulais avant tout venir en aide à ceux de nos amis que en avaient besoin et j’espère que mon but sera rempli, si les 4 000 se vendent comme je l’espère en Suisse et dans les États sardes il y aura 2 400 f. pour la caisse des réfugiés. Hélas mon pauvre ami le bien est difficile à faire. (378)

[Aux abonnĂ©s des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple – 12 juin 1853] J’achève dans l’exil cet ouvrage forcĂ©ment interrompu depuis longtemps; votre bienveillance, dont vous m’avez autrefois donnĂ© tant de gages, me soutiendra, je l’espère, jusqu’à la fin de mon Ĺ“uvre. (396)

[Aux abonnĂ©s des ˛Ń˛â˛őłŮè°ů±đ˛ő du peuple – 29 octobre 1853] Les actes, les paroles, les sentiments, attribuĂ©s Ă  l’hĂ©roĂŻne gauloise sont textuellement historiques; il n’a pu en ĂŞtre ainsi, non des actes, non des sentiments (ils sont parfaitement conformes Ă  la ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©), mais des paroles prĂŞtĂ©es aux personnages secondaires de notre lĂ©gende, les contemporains ne les ayant pas recueillies comme celles de la Pucelle. (450)

[±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ Ă  La Famille Jouffroy] Plus nous avançons dans la vie, plus nous expĂ©rimentons les hommes et les choses, plus enfin nous avons conscience des devoirs de l’écrivain moraliste (que l’on nous permette, non de prendre, mais d’ambitionner ce titre…) plus nous sommes convaincu des erreurs de l’école qui professe L’art pour l’art, en d’autres termes, l’indiffĂ©rence absolue du mot moralisateur et Ă©levĂ© oĂą doit tendre, selon nous, toute Ĺ“uvre d’imagination, quelle que soit sa forme.

Nous l’avouons ici sincèrement, il nous serait maintenant impossible d’entreprendre une Ĺ“uvre ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ sans ĂŞtre soutenu par cette espĂ©rance, dĂ©cevante peut-ĂŞtre : que de cette Ĺ“uvre il ressortira un enseignement, et qu’après l’avoir lue, le lecteur sentira se raffermir en lui son amour du juste et du bien, redoubler son horreur du mal et de l’iniquitĂ©, augmenter son mĂ©pris pour la bassesse, le parjure, le mensonge et l’hypocrisie.

Imaginer une fable, entasser Ă©vĂ©nements sur Ă©vĂ©nements, crĂ©er des personnages, rĂ©aliser des types, mettre en relief des caractères vrais, humains; leur prĂŞter Ă  chacun ses passions, son langage, ses actes, tout cela nous paraĂ®t ĂŞtre une Ĺ“uvre stĂ©rile, si le seul rĂ©sultat est d’entraĂ®ner le lecteur d’aventure en aventure, et si, arrivant au terme de ce voyage Ă  travers les espaces de l’imagination, il ne se trouve pĂ©nĂ©trĂ© davantage de certaines ľ±»ĺĂ©±đ˛ő Ă©ternelles.

Nous avons Ă©crit la Famille Jouffroy sous l’empire des ľ±»ĺĂ©±đ˛ő moralisatrices que nous venons d’exprimer.

Le but que nous nous sommes proposĂ© dans cet ouvrage de longue haleine, est sans doute au-dessus de nos forces. Puissent nos lecteurs nous savoir grĂ© d’avoir du moins essayĂ© d’atteindre ce but. °Ú…]

Ce livre, ainsi que son titre l’annonce, est un roman intime; ce n’est donc point un roman d’aventures, une fable compliquĂ©e d’incidents bizarres et excentrique; c’est une peinture exacte, patiente, de l’intĂ©rieur d’une famille de ce temps-ci; c’est une Ă©tude scrupuleusement approfondie du caractère des divers membres de cette famille. Nous avons surtout tâchĂ© d’être vrai, et, pour atteindre Ă  cette ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©, Ă  ce rĂ©alisme, nous n’avons dĂ» nĂ©gliger aucun dĂ©tail. Aussi recommandons-nous Ă  l’indulgence du lecteur la première partie, qui est l’exposition de notre Ĺ“uvre. – Les personnages, connus, acceptĂ©s par lui, agiront ensuite dans le drame, selon leur caractère, sans qu’il soit besoin d’accentuer davantage leur physionomie morale. Enfin, nous espĂ©rons que, selon la pensĂ©e d’oĂą procède cette Ĺ“uvre, et ainsi que nous l’avons dit en commençant, il ressortira quelque salutaire enseignement de ce livre, et qu’il nous mĂ©ritera du moins la sympathie de nos lecteurs. (516-519)

[Introduction au Diable médecin – 10 juin 1854] Un rare génie a évoqué Le Diable boiteux; nous ne saurions avoir l’outrecuidante prétention de suivre, même de loin, l’inimitable Lesage dans la voie du merveilleux; néanmoins nous évoquons aussi le Diable.

Notre diable n’a cependant rien de fantastique; nous l’avons connu, nous l’avons aimé, honoré, care, malgré ses bizarreries, il était homme de bien.

Une °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ©, modifiĂ©e selon l’exigence de notre fable et appropriĂ©e aux besoins de notre rĂ©cit, a toujours Ă©tĂ© le germe de nos Ĺ“uvres. (544)

Plik et Plok,ĚýParis, Eugène Renduel, 1831

±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ Ă  l'Édition de 1831

Ă€ la faveur de la concentration profonde qui captive tous les intĂ©rĂŞts dans un ordre d’ľ±»ĺĂ©±đ˛ő hautes et graves, l’auteur de ces rĂ©cits espère se glisser inaperçu parmi le monde ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ. Puis, ayant pris date et place, comme tant d’honnĂŞtes gens que l’on a trouvĂ©es, après nos longues tourmentes sociales, assises très-haut dans l’opinion d’un bon nombre, il aspire Ă  pouvoir se carrer, comme eux, dans une dĂ©cente rĂ©putation nĂ©gative, due au silence de la critique et Ă  l’opportunitĂ© des grands Ă©vĂ©nemens, si favorables aux petits esprits.

°Ú…]

Avant Cooper, il y aurait peut-être eu de l’audace à tenter d’intéresser le public français à des habitudes, à des caractères qui n’éveillent en lui aucune sympathie. Inexpert

des moeurs maritimes, il lui est vraiment impossible

d’apprĂ©cier la ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ© des tableaux qu’on dĂ©roulerait Ă  ses

yeux.

°Ú…]

Et ceci fut une grave injustice comme art et comme politique.

Comme politique, parce que la plupart des hommes croient à ce qu’ils lisent ; parce que les récits de nos victoires sur mer, colorés en littérature, poétisés, exagérés peut-être, eussent fini par nous donner à nous-mêmes une idée de notre importance en marine. Ce sentiment eût à la longue filtré parmi les masses en France, dans l’étranger ; cette foi nationale eût produit de grands résultats, sans doute ; car l’on se tromperait, je crois, en pensant que les histoires, les romans, les mémoires faits sur les conquêtes de Bonaparte n’ont pas augmenté nos forces morales au dedans, notre puissance au dehors.

Et puis, si vous saviez comme les moeurs maritimes sont neuves et piquantes ! comme c’est chose singulière, curieuse et digue d’étude, que l’intérieur d’un navire ! N’est-ce pas un résumé de toutes les connaissances, de tous les arts, de toutes les industries humaines ? N’est-ce pas une oeuvre qui prouve à quelle hauteur peut s’élever notre intelligence ?

°Ú…]

Nous l’avons dit, Cooper, dans ses admirables romans, a peint cet homme d’une manière aussi large que pittoresque. Il a vivement excité la curiosité, l’intérêt pour des mœurs dont les détails contrastent rudement avec ceux de notre vie citadine. Mais malheureusement l’énergie, la finesse de l’original, s’effacent presque toujours dans la traduction. En français, ce style est dépouillé de sa nerveuse concision. Nous admirons bien encore les grands traits qui distinguent ce talent vraiment neuf ; mais les nuances, les couleurs locales, la précieuse naïveté des idiomes échappent à ceux qui ne peuvent pas lire en anglais ces pages merveilleuses.

Cependant, nous pensons que si quelques-uns de nos talens du premier ordre, que si Victor Hugo, de Vigny, J. Janin, MĂ©rimĂ©e, Nodier, Balzac, P.-L. Jacob, Delatouche, etc., etc., voulaient Ă©changer une annĂ©e de leur vie studieuse contre une annĂ©e d’existence marine, et tentaient alors d’appliquer leur puissance, leur richesse d’exĂ©cution Ă  la peinture de la mer, nous aurions, certes encore, une gloire ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ de plus. Et pourquoi Lamartine n’essaierait-il pas de mener sa muse lĂ  oĂą lord Byron a jetĂ© la sienne dans le deuxième chant de Don Juan, et dans son Corsaire ? La crainte de l’imitation ne serait pas rationnelle : Cooper a peint des AmĂ©ricains ; vous pourriez dĂ©crire les moeurs des Français, d’autres sites, d’autres lieux, d’autres costumes, d’autres combats…

Tout talent dont la base gît dans une observation exacte de la nature, ne serait-il donc plus toujours sui generis, fils de lui-même, sans égal, influent ?… Ne dit-on pas Corneille et Shakspear, Goethe et Châteaubriand ?

°Ú…]

Mais je me trompe. Nous avons dĂ©jĂ  notre Cooper : un poète qui vous Ă©meut et vous attache par la ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ© de ses descriptions, par l’énergie de sa composition. En prĂ©sence de ses oeuvres, votre coeur se serre !… Voyez-vous ces lames Ă©normes qui dĂ©ferlent et se brisent sur ce navire dĂ©mâtĂ© ?… ce ciel sombre et brumeux… ces figures de femmes Ă©plorĂ©es, palpitantes, et qui contrastent d’une manière si sublime avec l’attitude calme, froide d’un marin commandant toujours Ă  la tempĂŞte, mĂŞme au moment oĂą il pĂ©rit.

°Ú…]

Ce poète, vous le connaissez, j’en suis sûr. N’avez-vous pas admiré le Kent, le Columbus, le Coucher du Soleil sur le bord de la mer ?… Ce poète donc, notre Couper, n’est-ce pas Gudin ? Sur ses toiles, n’est-ce pas le même coloris, la même naïveté, la même hauteur de conception que dans les pages du Pilote, du Corsaire rouge ?

Ah ! si quelqu’un des écrivains que nous avons nommés, entendait notre impuissante voix, nous aurions une double gloire en ce genre : possédant déjà la poésie peinte, nous jouirions encore de quelques délicieuses poésies écrites.

±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ de 1832

Le peu de mots que j’ajoute à cette nouvelle édition n’ont pour but que de constater un fait dont je suis fier, un fait appelé de tous mes vœux.

En comptant sur une active coopération dans la carrière où je m’aventurais le premier, je ne m’étais pas trompé; déjà des hommes de savoir et de talent ont consacré leurs veilles à la littérature maritime : elle s’apprivoise, se popularise, son langage n’effraie plus, on s’y habitue, on la comprend, - puis enfin l’intérêt viendra; aujourd’hui elle ne fait qu’amuser, plus tard elle instruira; des frivoles romans on voudra peut-être passer à l’examen plus approfondi des hommes et des choses de cette marine si courageuse, si forte, si belle, si active, si puissante.

Alors, peut-ĂŞtre, des hommes de conscience et d’étude feront pour l’économie politique ce que nous avons fait pour la littĂ©rature; ils consacreront quelque temps de leur vie Ă  l’examen des besoins, de l’existence des marins; ils verront par eux-mĂŞmes, ils observeront les faits et la nature, afin de mettre en harmonie les lois et les habitudes maritimes; car, en ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©, il ne faut pas plus de lois de convention que de marins de convention, et si l’on reconnaĂ®t pour un romancier maritime, comme indispensable et condition première de ses Ă©crits, la connaissance de la mer et des marins, on sera, je crois, en droit de demander la mĂŞme science aux hommes politiques qui ont Ă  statuer sur les institutions vitales de la marine.

La Cucaracha,ĚýParis, Albin Michel, 1907 [1834]

±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ

Que si des critiques me demandent pourquoi j’ai plutĂ´t appelĂ© ce livre la Curcaracha, - que Contes, - je rĂ©pondrai que cette naĂŻve tradition espagnole m’a paru parfaitement rendre ce besoin insurmontable de conter ou d’écrire qui nous atteint quelquesfois; car, ainsi que cette mouche aux mille couleurs, vive, indocile et lĂ©gère, qui tantĂ´t repose son vol inconstant sur le front pur d’une jeune fille ou sur la rĂ©sille d’un hideux bohĂ©mien…l’imagination aussi emportĂ©e par une exaltation fiĂ©vreuse peut s’abattre sur une fraĂ®che illusion ou sur une °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© sombre et fatale.

Que si le critique obstiné, non encore satisfait de cette explication, en veut encore une autre, - je lui dirai, pusiqu’il le faut, que j’ai choisi ce titre, parce qu’il se liait par ma pensée à un des plus beaux moments de ma vie; à cet âge où parfois le repos, l’insouciance et la paresse coupaient si délicieusement une existence active et voyageuse; à cet âge où j’amassais tant de souvenirs et tant de matériaux, - sans me douter jamais qu’ils serviraient un jour de base à l’éphémère et fragile monument que je tente d’élever.

°Ú…]

Pourrais-je maintenant répondre à l’un des critiques les plus éclairés de notre époque, qui, tout en m’encourageant avec éloge à suivre la voie que j’ai tracée le premier, - m’a reproché de n’avoir jusqu’ici rien publié d’historique. – Je crois avoir dit quelque part, - qu’avant de faire mouvoir mes personnages au milieu d’événements historiques, j’avais voulu d’abord familiariser les lecteurs avec l’étrangeté de leurs mœurs et de leur langage.

J’ose considérer cette première partie de ma tâche comme à peu près remplie. Aussi m’occupai-je en ce moment d’une de nos phases maritimes les plus glorieuses et peut-être les moins connues par leurs résultats inespérés : - je veux parler de notre guerre dans l’Inde en 1780, - sous les ordres du bailli de Suffren. Tel sera du moins le sujet de la Tour de Koat-Ven, roman historique qui, je crois, paraîtra bien prochainement.

Et je ne mets cette sorte d’importance Ă  me justifier de ce reproche que parce que j’ai pressenti que notre histoire nationale maritime renfermait des ressources inouĂŻes pour le romancier, et qu’à la question purement ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ se joindrait peut-ĂŞtre plus tard une question sociale et politique d’un ordre Ă©levĂ©, si l’on pouvait amener les masses Ă  concevoir l’importance de la marine en France.

La Vigie de Koat-Ven,ĚýParis, Poulin, 1846 [1833]

±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ

En faisant abstraction de sa partie spéciale, de sa donnée maritime, ce roman complète, à mon sens, le développement successif et philosophique d’une idée que j’ai exposée dans Atar-Gull, puis poursuivie dans la Salamandre.

C’est un sentiment tout autre que celui de la vanité qui me force à parler de ces ouvrages, oubliés sans doute. Mais, pour expliquer clairement mon but, il me faut rappeler au souvenir du lecteur ces deux romans; si étroitement liés à celui-ci par l’unité de vues que m’impose une conviction inébranlable et presque involontaire.

Chaque siècle ayant son expression et son caractère indĂ©lĂ©bile, il m’a paru qu’aujourd’hui le trait le plus saillant et le plus arrĂŞtĂ© de notre physionomie morale Ă©tait un dĂ©senchantement profond et amer, qui a sa source dans les mille dĂ©ceptions sociales et politiques dont nous avons Ă©tĂ© les jouets, qui a sa preuve dans le łľ˛ąłŮĂ©°ůľ±˛ą±ôľ±˛őłľ±đ organique et constitutif de notre Ă©poque.

°Ú…]

Parce que l’homme avait été trahi dans ses espérances, parce qu’il avait souffert, il a fallu que l’humanité supportât la réaction de sa rage.

Ce principe est résumé par le caractère de Brulart dans Atar-Gull.

Parce que l’homme avait reconnu avec amertume le néant des plaisirs du monde, il a fallu que ceux qui se trouvaient sur son passage partageassent ce désenchantement anticipé, et que chaque douce et riante illusion fût flétrie par son souffle impur.

Parce qu’un homme était désespéré ou sans foi, il a fait l’homme désespéré et sans foi.

Ce principe est résumé par le caractère de Zsaffie dans la Salamandre.

°Ú…]

C’est donc à la fois ce besoin ardent et instinctif des croyances religieuses et cette désespérante impuissance de s’élever jusqu’à une fois sincère et profonde que le développement du caractère de l’abbé de Cilly résume dans ce roman.

°Ú…]

Aujourd’hui que, fausse ou vraie, mon idée est complète, je puis vous dire, mon ami, quel but je me suis proposé, car je crois l’avoir atteint.

Je voulais amener le parti libéral, philosophique et progressif, à reconnaître, par l’organe de quelques-uns de ses écrivains les plus honorables et les plus distingués, à reconnaître, dis-je :

Qu’il n’est pas de bonheur pour l’homme sur la terre, si on lui arrache toute illusion.

Je voulais constater cette Ă©trange et bien significative contradiction d’un siècle qui, s’étant fait fort d’avoir foulĂ© aux pieds l’antique croyance religieuse et monarchique, cette source unique, pure et fĂ©conde des plus nobles, des plus consolantes et des plus vĂ©ritables illusions, demande pourtant, Ă  tout prix, des illusions! d’un siècle qui maintenant s’irrite de ce que le positif, le ±ą°ů˛ąľ±â€¦dont il Ă©tait si jaloux et si fier, ait passĂ© des systèmes politiques dans la sociĂ©tĂ©, et de la sociĂ©tĂ© dans l’art.

°Ú…]

Vous voulez des illusions dans l’art; mettez-en d’abord dans les mœurs; car l’art n’est, pour ainsi dire, que l’esprit, que l’expression morale du corps social…

Et convenez-en, mon ami…est-il quelque chose de plus prosaïque, de plus désillusionné, partant de plus désenchantant, que la société actuelle?

Eh quoi! on dira au poète : Chante la religion consolante et sacrée! et la veille on aura profané, souillé impunément les temps et l’autel par des orgies sacrilèges!

On viendra dire au poète : Chante le roi…cet être majestueux et inviolable dont le bandeau souverain est béni par Dieu, et on répète, chaque jour, qu’on paye le roi, que le roi est un salarié, comme un préfet ou un commis, et qu’il faut qu'il travaille pour gagner son salaire!

On dira au poète : Chante la France…et voilà qu’on jette la France aux bras de l’Angleterre en lui criant : Sauve-là!...

Dira-t-on au poète…de chanter le pays…ses institutions, sa gloire, sa science?... Mais on sait trop ce que cela vaut et ce que cela coĂ»te…car voilĂ  que cinq cents Ă©lus font tout haut et au grand jour, les comptes et le łľĂ©˛Ô˛ą˛µ±đ du pays…qui Ă©tablissent la recette et la dĂ©pense.

C’est d’abord tant de gain sur la boue et les immondices, tant sur les sueurs des forçats, tant sur la prostitution, tant sur les tripots et la loterie qui peuples les Bagnes et la Morgue, tant sur l’air infect de la vie, tant sur votre droit à respirer cet air.

Ceci est la recette. Vient la dépense.

°Ú…]

Je me résume.

J’ai voulu au moins faire servir ma triste et amère conviction Ă  constater l’éłŮ˛ąłŮ de notre Ă©poque.

J’ai tentĂ© de lui donner horreur de son łľ˛ąłŮĂ©°ůľ±˛ą±ôľ±˛őłľ±đ, de son positif, de son vrai, sans faire autre chose que de mettre dans l’art ce łľ˛ąłŮĂ©°ůľ±˛ą±ôľ±˛őłľ±đ, ce positif et ce vrai, dont notre siècle est si fier.

Et si, parmi les orages qui nous menacent de tous côtés, il était possible d’entrevoir un jour plus serein, ne pourrait-on pas espérer logiquement, que puisqu’on reconnaît la nécessité de l’illusion, de la poésie, du grandiose dans l’art, qui n’est que l’expression morale d’une société.

On voudra aussi de la poésie, de l’illusion, du grandiose dans les mœurs sociales et politiques,

Et que l’antique constitution française, religieuse et monarchique,

Et que l’ancien système religieux, épuré, régénéré par le catholicisme, pourra répondre un jour à nos besoins flagrants de foi, de consolation et de liberté?

Voici donc, mon ami, dans quelles vues je n’ai pas voulu m’écarter d’un système que m’imposait d’ailleurs la plus inébranlable conviction.

Bien certain d’ailleurs de ce principe, qui m’a toujours guidĂ© : c’est que la manifestation d’une ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©, si dĂ©cevante qu’elle soit, peut toujours servir d’enseignement moral Ă  l’humanitĂ©.

La Salamandre,Ěýt. I, Paris, PĂ©tion Éditeur, 1845 [1832].

±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ

Il doit y avoir, je pense, dans toute composition ±ôľ±łŮłŮĂ©°ů˛ąľ±°ů±đ, deux parties bien scindĂ©es. D’abord le drame, la fabulation, le pittoresque et le descriptif, que l’on pourrait appeler le corps de l’œuvre, ou sa partie matĂ©rialisĂ©e. Puis, suivant la mĂŞme comparaison, la donnĂ©e morale et philosophique, qui serait l’âłľ±đ, la pensĂ©e de cette Ĺ“uvre, autrement dite, sa partie spiritualisĂ©e.

[...]

Ainsi le corps du livre appartiendra de droit, et sans aucune restriction, à la critique, parce que l’auteur comprendra sa position d’écrivain dans toute son étendue; mais il pourra, ce me semble, défendre la question morale de son ouvrage.

[...]

Que d’ailleurs les symptĂ´mes de cette dissolutions sociale sont, je crois, tellement Ă©crits dans nos mĹ“urs, dans notre littĂ©rature, dans nos arts, dans nos lois, dans notre gouvernement, que de mĂŞme que la face cadavĂ©reuse d’un mourant est plus probante que toutes les consultations du monde, de mĂŞme, la sociĂ©tĂ© prouve plus son Ă©łŮ˛ąłŮ par son aspect, que ne pourraient le faire tous les livres imaginables par des thĂ©ories ou des exemples.

[...]

Les quelques mots qui me restent à dire n’ont trait ni au fond, ni à la forme de ce livre, mais seulement à la spécialité qu’il embrasse.

En tâchant d’introduire le premier la littérature maritime dans notre langue, j’ai dû toucher à toutes les parties de ce genre.

Non pour dire : Ceci est à moi, mais seulement pour planter un signal sur chaque rivage reconnu, afin d’y attirer l’attention de ceux qui me suivent, et de leur donner les moyens de se creuser un port, là où je n’ai peut-être rencontré qu’un écueil.

La première partie de ma tâche est donc remplie.

J’ai tenté, dans Kernok, de mettre en relief, de prototyper le Pirate;

Dans le Gitano, le contrebandier;

Dans Atar-Gull, le négrier;

Dans La Salamandre, le marin militaire.

Si les événements et le temps me le permettaient, mon but serait maintenant de faire mouvoir, au milieu d’événements historiques, ces hommes dont on connaît, je crois, les types principaux.

Telle serait l’histoire maritime dont déjà parlé, et qui embrasserait toute la marine française, depuis le XVIe siècle jusqu’au XIXe, dans une série de romans historiques, dont quelques-uns sont ébauchés.

Arthur,ĚýT. I, Paris, Charles Gosselin, 1838.

±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ

Celui qui écrit ces ligne, dut néanmoins, à de certaines circonstances, d’être instruit des véritables détails de cette tragédie, qui sera à la fois d’exposition et de dénouement au livre que voici.

Le personnage d’Arthur n’est donc pas une fiction.., son caractère une invention d’écrivain; les principaux événements de sa vie sont racontés naïvement; presque toutes les particularités sont vraies.

°Ú…]

Quant aux accessoires de la figure principale de ce récit, quant aux scènes de la vie du monde, parmi lesquelles on la voit agir, l’auteur de ce livre en reconnaît d’avance la pauvreté stérile; mais il pense que les mœurs et la société d’aujourd’hui n’en présentent pas d’autres, ou du moins il avoue n’avoir pas su les découvrir.

Ceci dit à propos de cet ouvrage, ou plutôt de cette longue, trop longue peut-être, Étude Biographique, - passons. –

Un Ă©crivain n’ayant guère d’autre moyen de rĂ©pondre Ă  la critique d’une Ĺ“uvre que dans la prĂ©face d’une autre, je dirai donc deux mots sur une question soulevĂ©e par mon dernier ouvrage, et posĂ©e avec une flatteuse bienveillance par ceux-ci, avec une haute et grave sĂ©±ąĂ©°ůľ±łŮĂ© par ceux-lĂ ; ici avec amertume, lĂ  avec ironie, ailleurs avec dĂ©dain.

Cette question est de savoir : si je renonce Ă  cette conviction, taxĂ©e, selon chacun, de paradoxe, - de calomnie sociale, - de triste ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©, - de misĂ©rable raillerie, - ou de thèse infĂ©conde, - cette question est de savoir, dis-je, si je renonce cette conviction : - Que la vertu est malheureuse et le vice heureux ici-bas.

Et d’abord, bien que rien ne lui semble plus pénible que de parler de soi, l’auteur de ce livre ne peut se lasser de répéter, qu’il n’a pas la moindre des prétentions philosophiques qu’on lui accorde, qu’on lui suppose ou qu’on lui reproche. – Que dans ses ouvrages sérieux ou frivoles, qu’il s’agisse d’histoire, de comédie ou de romans, il n’a jamais voulu formuler de système. – Qu’il a toujours écrit enfin, selon ce qu’il a ressenti, - ce qu’il a vu, - ce qu’il a lu, - sans vouloir imposer sa foi à personne.

Seulement, ce qui autrefois avait été pour lui, plutôt la prévision de l’instinct, que le résultat de l’expérience, a pris à ses yeux l’impérieuse autorité d’un fait.

Que si, enfin, il semble renoncer non pas Ă  sa triste croyance, mais Ă  signaler, mĂŞme dans ses propres ouvrages, les observations ou les preuves irrĂ©cusables qu’il pourrait citer Ă  l’appui de sa conviction, c’est qu’à cette heure, plus avancĂ© dans la vie, il sait qu’une intelligence ordinaire suffit pour faire triompher une erreur…, mais que le saint privilège de consacrer, d’accrĂ©diter les ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©s Ă©ternelles, est rĂ©servĂ© au gĂ©nie ou Ă  la Divinité…

En un mot, ne voulant pas hasarder ici un rapprochement facile et sacrilège entre la vie sublime et la mort infamante du divin Sauveur (véritable symbole de sa pensée), il reconnaît humblement que Galilée seul pouvait dire du fond de son cachot : E pur si muove!

Le Juif errant,Ěýt. I, Bruxelles, Meline, Cans et Cie, 1844.

¶ŮĂ©»ĺľ±ł¦˛ął¦±đ

Si, dans plusieurs Ă©pisodes de cet ouvrage, j’ai donc tentĂ© de montrer l’action admirablement bienfaisante et pratique qu’un homme de cĹ“ur noble et d’esprit Ă©clairĂ© pourrait avoir sur la classe ouvrière, grâces vous soient rendues ! Si, par opposition, j’ai peint ailleurs les effrayantes consĂ©quences de ±ô’ołÜ˛ú±ôľ± de toute justice, de toute charitĂ©, de toute sympathie envers ceux qui, depuis longtemps vouĂ©s Ă  toutes les privations, Ă  toutes les misères, Ă  toutes les douleurs, souffrent en silence, ne rĂ©clamant que le droit au travail, c’est-Ă -dire, un salaire certain, proportionnĂ© Ă  leurs rudes labeurs et Ă  leurs modiques besoins, grâces vous soient encore rendues !

°Ú…]

Adieu, mon ami ; vous dédier ce livre, à vous, artiste si éminent, à vous, l’un des meilleurs cœurs et des meilleurs esprits que je connaisse, c’est dire qu’à défaut de talent, on trouvera du moins dans mon œuvre de salutaires tendances et de généreuses convictions.

Fernand Duplessis. MĂ©moires d'un mari,Ěý1849.

±Ę°ůĂ©´Ú˛ął¦±đ

La lecture de ces Mémoires expliquera, je le crois, cet apparent contraste. Sauf des changements de noms et quelques déguisements de lieux imposés par des convenances de plusieurs sortes, ces pages ont été écrites par leur auteur; doué d’une mémoire prodigieuse et pour ainsi dire rétrospective (lorsqu’un fait nouveau avait sa racine ou son explication dans un fait antérieur), possesseur de nombreuses notes recueillies pendant sa vie, dès les premières années de son adolescence, l’auteur a pu faire revivre une foule de personnages.

Rien dans ces pages n’annonce l’écrivain; ce n’est pas une Ĺ“uvre d’art; c’est, si cela peut se dire, une °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© souvent brutale; mais dans la pensĂ©e de l’auteur (et je la partage) cette °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© doit avoir son enseignement moral.

Telle a été du moins la dernière espérance de cet homme, que j’ai vu mourir malheureux et repentant de sa vie passé, mais stoïque devant la mort :

- Ce récit est une expiation que je me suis imposée – m’a-t-il dit, - puisse-t-il être aussi un enseignement!

J’avais toute latitude pour opérer les retranchements ou les changements nécessaires; d’abord, je l’ai dit, par égard pour certaines convenances, car plusieurs personnages de ces Mémoires vivent encore aujourd’hui; puis, afin de rendre la lecture de ces pages plus facile en les dégageant de toute superfluité.

J’ai usé de mon mieux de ce droit; la plupart des événements m’étaient connus dans leurs moindres circonstances, j’ai quelquefois remplacé les retranchements dont je parle par la narration rapide de faits trop longuement développés dans le manuscrit.

J’avais eu d’abord la pensĂ©e de retrancher de ces rĂ©cits ce qui concerne l’adolescence de l’auteur, et d’arriver tout d’abord Ă  son mariage, mais j’ai cru (et le lecteur partagera peut-ĂŞtre cet avis) que souvent le caractère, ±ô’a±ą±đ˛Ôľ±°ů de l’homme, se rĂ©vèlent dès les premiers actes de son adolescence ou de sa jeunesse.

Enfin, la vie de l’auteur se trouvant intimement liée à celle de plusieurs de ces camarades de collègue ayant déjà, au commencement de ces Mémoires, leur physionomie particulière et vivement accentuée, j’ai cru ne devoir pas retrancher cette espère de prologue.

Surtout, que le lecteur ne s’effarouche pas de quelques ±ąĂ©°ůľ±łŮĂ©s un peu hardies : l’ensemble de l’œuvre montrera, je le rĂ©pète, qu’elle est d’une haute moralitĂ©.

La Marquise d'Alfi,ĚýParis, Alexandre Cadot, 1853.

¶ŮĂ©»ĺľ±ł¦˛ął¦±đ

Une aventure romanesques et tragique, qui s’est, dit-on, passée il y a quelques années aux environs du lac d’Annecy, m’a été dernièrement racontée; elle a servi de canevas au récit que tu vas lire.

°Ú…]

J’arrive au but et au sujet de cet ouvrage.

Le lac d’Annecy et ses environs ne sont pas, selon moi, aussi connus qu’ils méritent de l’être; mes vœux seraient comblés, si la lecture de l’œuvre que je publie pouvait engager quelques touristes, quelques paysagistes amoureux de leur art, quelques personnes ayant le goût de l’agriculture, à visiter les magnificences de cette contrée, qui joint à la grandeur et à la variété des sites alpestres, une fertilité merveilleuse et une science agricole très avancée.

°Ú…]

J’ai donc tâché de peindre exactement quelques-uns des sites où se passent les principales scènes de mon récit; mais je réclame d’avance, chère sœur, ton indulgence et celle du lecteur, pour la fidélité, peut-être trop scrupuleuse des détails, sans lesquels il est cependant très difficile de rendre exactement le caractère et l’aspect d’un paysage; la manière dont je perçois les objets extérieurs peut seule excuser cette fidélité de reproduction poussée jusqu’au scrupule… peut-être jusqu’à l’excès : au premier aspect d’un grand tableau de la nature, je suis d’abord ébloui; les détails se perdent dans la majesté de l’ensemble; le ressentiment du beau est alors chez moi plus instinctif que raisonné; mon admiration confuse, troublée, ne sait à bien dire où se prendre, allant de l’une à l’autre de ces magnificences; c’est seulement après avoir, si je peux m’exprimer ainsi, pratiqué souvent les mêmes lieux, que d’un coup d’œil sûr et ravi, j’embrasse à la fois les détails et l’ensemble; ainsi donc, l’exactitude presque topographique des descriptions que tu rencontreras dans ce livre, chère sœur, prouvera, sinon le talent du peintre, du moins sa véracité.

[...]

Et maintenant, chère sĹ“ur, que la destinĂ©e de ce livre, placĂ© sous ton invocation fraternelle, s’accomplisse! Combien je serais fier et heureux si quelques-uns de mes lecteurs voulaient venir s’assurer, par eux-mĂŞmes, de la °ůĂ©˛ą±ôľ±łŮĂ© des tableaux que je vais tenter de peindre, et partager ainsi l’admiration qu’ils m’inspirent.

Un mot encore : l’hĂ©roĂŻne de l’aventure que l’on m’a racontĂ©e Ă©tait, m’a-t-on-dit, łŐĂ©˛Ôľ±łŮľ±±đ˛Ô˛Ô±đ, j’ai suivi cette indication dans mon rĂ©cit; ai-je besoin d’ajouter que j’éprouverais un regret amer, si jamais l’on pouvait douter que l’individualitĂ© bizarre, souvent atroce, mais du moins repentante, que j’ai tâchĂ© de mettre en relief, n’est absolument, dans ma pensĂ©e, qu’une exception, et non pas le type de la łŐĂ©˛Ôľ±łŮľ±±đ˛Ô˛Ô±đ!

Back to top